David Carson | le graphic design sur la crête des vagues

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…ou en eaux profondes
Au commencement il y a eu l’océan

galerie d’images de | the end of print

Comme tout un chacun j’ai cherché à comprendre à analyser l’œuvre de ce graphiste hors du commun. Cela remonte bien avant à la création de ce blog. Déjà en 1993 après avoir passé les premiers écueils du numérique, je suis tombé par hasard sur ce livre, «the end of print» édité par Laurence King Publishing à Londres et je me souviens être resté longtemps silencieux devant l’immensité et le mystère de cette œuvre unique. C’est en me penchant sur la production de Neville Brody que j’ai commencé à entrevoir le cheminement qui allait me permettre de «coller une grille de lecture» sur le travail de Carson. Plus récemment, j’ai aussi cherché des parallèles dans la littérature, et curieusement c’est le mot illisible qui m’a orienté. Parce qu’au regard d’une lecture traditionnelle de la mise en page et du graphisme l’œuvre de David Carson pourrait sembler totalement illisible.

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Illisible, personne n’en doute. Parce que Carson a rompu avec tous nos habitudes de lecture gutenbergiennes. Chacune des pages de ce livre relève d’une scénographie qui, contrairement aux mises en pages traditionnelles (où j’inclus ceux de Neville Brody aussi bien que ceux de Herb Lubalin) ne se donne pas au premier regard. Il faut vouloir comprendre, il faut vouloir lire. L’art plastique que l’on appelait les beaux arts il n’y a pas si longtemps (juste avant mai 68) fait irruption dans les pages de Carson, entraînant son cortège de langages, de codes et de sensibilités. Là où la mise en page traditionnelle faisait entrer l’œil par la partie supérieure de la page de gauche pour le faire sortir en bas de la page de droite, Carson nous entraîne dans les abîmes sans fond d’un univers tantôt aérien, tantôt complètement glauque où l’illisible le dispute à la laideur académique. Parce que vous avez beau chercher les référents classiques du beau. Il n’y en a pas. Pas au premier abord. Les typos se mélangent, s’enchevêtrent en venant se superposer aux images dégradées par les nombreuses reproductions intermédiaires ou tout simplement tramées à l’excès.

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Au risque de faire rire un vieil ami creusois, c’est en pensant aux années où il a collaboré à mon magazine typographique que j’ai fini par trouver un parallèle dans la littérature. Ulysse, de James Joyce s’imposa d’un coup comme le référent ultime et orale des peintures graphiques de Carson. Parce que ne nous y trompons pas, il s’agit bien de peinture même si d’aucun appelle cela de l’art plastique. De peinture contemporaine, ce que Daniel Sibony définirait comme étant dans l’entre deux d’une représentation qui se donne et qui se prend. Ne cherchez pas à psychanalyser Carson, il est déjà sur les plages d’Australie ou de Havaï, montant à l’assaut des vagues, enfourchant un de ces immenses «tubes» pour aller s’éjecter quelques centaines de mètres plus loin dans les eaux calmes du lagon bleu.

Carson est avant tout physique, et il a le sens de l’équilibre, bien au dessus de la moyenne des gens. Il vit dangereusement et cela se sent dans son graphisme qui est toujours, mais toujours à la limite, border line. Des référents, bien sûr il y en a, Mondrian, Klee, mais aussi l’art africain, mais aussi un peu de Gutenberg, même si déstructuré.

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Il faut être équilibriste pour oser mélanger les typos dans un même mot et en cela Carson excelle. De même que Joyce au dires de Lacan est devenu un symptôme ou un saint homme, ou simple trauma, Carson, le fils de… est devenu le père fondateur d’un nouveau courant graphique qui va révolutionner notre perception de la page. Et il s’agit ni plus, ni moins que de profondeur.

La mise en page traditionnelle nous avait habitué au système de juxta-position. Lettrines, textes en habillage, photos détourées ou pas… il suffit de voir ma récente note sur les magazines de Mode pour voir que ce système graphique est encore largement en vigueur aujourd’hui, et même au cœur d’un dispositif comme la MODE qui pourrait, qui devrait être à l’avant garde artistique tel Basquiat ou Wharol l’étaient dans les années 60.

Mais la MODE ne se prête plus à ce jeu risqué, crispée qu’elle est de vendre et ne pas choquer une clientèle frileuse et conservatrice. Il est donc logique de voir apparaître Carson sur les plages de l’autre bout de monde avec la ficelle de son surf entre les dents pour nous entraîner sur des perceptions graphiques au final sans grand risque de nous voir éclaboussé. Il se sert de la typo comme palette,  les lettres, tels les tubes de couleurs viennent égayer les espaces photos qui eux mêmes se superposent en plusieurs couches et me rappellent l’écriture de Joyce qui, sans ponctuation durant des pages infinies nous entraîne dans une sarabande scabreuse au détour des ruelles de Dublin. Avinés, rompus, nos yeux embués n’en peuvent plus de descendre dans les bas fonds de ses pages cherchant encore et encore du sens jusqu’au plus petit corps 8 caché sous une photo pour nous entraîner à la page suivante au travers d’un tube cathodique de l’autre côté du vitrail électronique.

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David Carson | la technologie au service de la rupture

Les historiens de la typographie nous avaient habitués à une approche technologique pour expliquer la naissance des différentes formes d’écriture.

Les lapidaires romaines, des CAPITALES, que nous appelons depuis Maximilien Vox et sa classification, les Incises. Parce qu’au moment de croiser le ciseau à tailler la pierre, le graveur formait une sorte de pointe à la base des hampes de l’alphabet. Hermann Zapf a tiré de ce style son magnifique Optima, raffiné, équilibré. Mais plus prosaïquement un Copperplate résume assez bien le style et la technologie dont il découle. Au XVIIe, les Garaldes, contraction de Alde Manuce et de Claude Garamond, nous montrent des formes beaucoup plus douces et sensibles, dessinées puis gravées sur  les poinçons par les artisans-typographes, ils représentent l’avènement du caractère humaniste qui se répandra jusqu’au XXe siècle pour composer les beaux textes de l’édition élégante et délicate. Le livre moderne est née de ce caractère dérivée à la fois des lettres de chancelleries et de la minuscule caroline. Les Didones, dont le Firmin Didot nous en a laissé un bel exemple, ne doivent leur naissance qu’à la technique de la taille douce au XVIIIe siècle. Et ainsi va une industrie et l’univers de la création typographique, au gré des inventions technologiques qui permettent de faire évoluer les formes alphabétiques.

Mais pour la mise en page c’est la même chose. Une grande liberté de mise en page, tant que les hommes utilisaient juste le calamme pour tracer les paraphes des alphabets Cancellaresca (Chancelleries), mais dès lors que Gutenberg inventa les lettres en plomb et qu’on cessa de dessiner les codex, pour mettre en page les In-Quarto, on assista à une rigidification des styles de mise en page. Ils devinrent binaires comme j’en parle dans mes notes sur la MODE ou plus anciennement sur l’œuvre de Hermann Zapf. Juxta-position de lettrines et de textes, de grand et petit, de gras et maigre, le plomb enferme la page dans une expression à la fois spectaculaire mais pauvre en vocabulaire graphique. Pauvreté qu’apparente au regard de l’œuvre de Herb Lubalin ou des graphismes russes des années 20. On y a vu une créativité foisonnante et débordante.

Le phototitrage et la photocomposition (les machines à composer les textes d’avant la PAO) nés au XXe siècle libérèrent les metteurs en pages des servitudes du plomb. Permettant des rapprochements voire des chevauchements d’alphabets, de signes ainsi que des superpositions de caractères sur les images.

Mais c’est bien avec l’arrivée du numérique que le style David Carson, style que j’ai appelé «plasticien» va pouvoir éclore et se répandre sur toute la planète à la vitesse d’Internet.

le style Carson met en œuvre toutes les technologies du numérique

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Photographie numérique, composition sur Illustrator, sur photoshop, épreuves, photocopies, re-scans, tramages numériques, floutages numériques, remontages dans photoshop ou Quark (ou aujourd’hui InDesign). Les technologies sont à la portée de tous, mais tout comme pour les tubes de gouache ou d’huile. Les peintres font pourtant œuvre unique. C’est en cela que le Blues de Neville Brody est «hors sujet». David Carson ne s’embarasse pas d’états d’âmes. Il colle au sujet, le surf, l’urbanité, l’art de la lettre dans la ville, la perversion de la typo par l’artiste qui le dénigre mais avec tant d’affection qu’on en vient à aimer les lettres pour être les victimes de son doux sadisme. Et je ne me sens pas pour autant un masochiste de la création typo. Un admirateur cependant de celui qui a osé. Il n’a pas été le premier. Le mouvement Dada nous avait déjà habitué à voir l’alaphabet détourné de son objectif premier, la lecture. Entre les mains de ces artistes les alphabets sont devenu des acteurs désabusés d’une mise en scène poétique. Déjà Appolinaire  avait osé et avant lui une longue tradition d’imprimeurs-graveurs qui s’étaient amusés de ces 26 petits signes étranges et universels. Geofroy Tory les avait in-corporés à une théorie anthropomorphique  dont Massin nous donna dans la Lettre et l’Image une brillante thèse. Mais nous reviendrons sur Massin (longtemps directeur artistique chez Gallimard, il créa la ligne graphique de la collection Folio) qui a commis quelques pièces de théatre typographique non dénuées d’humour et d’impertinence). Ce qui fonde donc l’originalité de l’œuvre de David Carson, ce n’est pas cette impertinence gouaille, ni le fait qu’il se joue de la typo comme d’une matière picturale comme d’autres peintres l’avaient déjà pratiqué. Nous sommes véritablement en face d’un artiste contemporain, qui fait œuvre avec les moyens technologiques dont chacun de nous peut aujourd’hui s’emparer. Mais sa vision est unique, parce que c’est celle d’un acrobate, d’un sportif de haut niveau qui prend autant de risques avec son corps qu’avec sa scénographie, autrement dit un danseur qui est à la fois chorégraphe, musicien, chef d’orchestre, chef machiniste, une sorte de troubadour moderne qui raconte l’histoire d’aujourd’hui pour nous ouvrir simplement le regard sur l’altérité visuelle. En somme un immense pédagogue. Vos commentaires et précisions sont les bienvenus. Galerie d’images de «the end onf print» ici.


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David Carson | intro

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J’entame ici un Tribute à l’un des graphistes les plus en vue de la sphère du design graphic mondiale. Comme vous avez pu le constater, ce n’est pas tant l’aspect «people» du métier qui m’intéresse que de pointer les apports et les filiations des courants visuel qui ont contribué à faire évoluer notre perception. J’ai choisi d’illustrer mon article par cette image de «tube» associé au nom de Carson. Ce n’est pas tant non plus qu’il ait eu un parcours de surfer professionnel, ni qu’il ait participé comme directeur artistique au «surfer magazine», mais il a surtout été avec Neville Brody au cœur de toutes les ruptures visuelles, aussi bien en photo qu’en typo. Il a le premier (symboliquement puisque publié) exploré le graphisme dans les profondeurs des abîmes de la page, rompant ainsi avec des siècles de typographie binaire gutenbergiens (cf mes articles sur Brody, Zapf et la mise en page de MODE). Pas un graphiste, pas un étudiant en art plastique ne peut ignorer aujourd’hui les apports de ce magicien du graphisme.

un article paru sur le site de Graphiland résume sa carrière:

«Le parcours
de David Carson est pour le moins extraordinaire. Après des études de
sociologie, il devient surfeur professionnel dans les années 70 et
passe aujourd’hui pour la référence dans le domaine du graphisme. Un
parcours de passionné en somme.

David
Carson a travaillé et développé une vision non-traditionnelle du
graphisme et de la typographie. Son style a dépoussiéré le métier et la
vision que l’on en a et peut-être a-t-il même contribué à faire du mode
d’expression qu’est le graphisme une forme d’art à part entière.
Co-auteur de "The end of print" avec Lewis Blackwell, David Carson a été décrit comme étant "le directeur artistique de notre temps" par le magazine britannique Creative Review.

Avec un curriculum défiant toute concurrence, David Carson a laissé son empreinte sur de nombreux titres de la presse tels que "Surfer magazine" ou "Ray Gun".
On dit en outre de lui que ses techniques dominent la publicité, le
design, le web et même le cinéma. David Carson serait donc un courant
d’influences à lui tout seul… L’une des clés du succès de son succès
et de sa réussite : l’intuition. "La plupart des gens
travailleraient mieux s’ils s’appuyaient plus sur l’intuition (…) Tu
dois savoir quand faire confiance à cette chose unique que tu possèdes».

et voici le site officiel de David Carson 

Article à suivre

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Magazines féminins | La Mode mise en page (2)

Mise en page intérieure
ELLE, FEMME ACTUELLE, HARPER’S, MARIE CLAIRE

quelques exemples de pages intérieures: ELLE

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édito de ELLE ainsi qu’une ouverture et suite d’article

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quelques exemples de pages intérieures
Femme Actuelle

Là nous sommes bien en présence de l’équation:
actualité + référents + photographies + légendes = MODE

Ce système de MODE que décrit Roland Barthes se décline à l’infini. Avec Femme Actuelle nous sommes en présence d’un lectorat très large C voire C ou C, rarement C+. Plus d’un million et demi de lecteurs-lectrices. Le phénomène est largement transversal et, par catégories CSP et par régions françaises concernées. Il s’agit donc pour ce magazine de coller à l’actualité et de «tirer» le lecteur vers le système identificatoire tout en douceur. Les pouvoirs d’achats sont limités mais existent. La rédaction ne fera donc pas l’économie du passage par l’actu. Les décrets de MODE sont amenés en douceur et dans la double préoccupation de ne pas dériver ni de lectorat, ni de l’objectif économique: vendre la MODE. Nous verrons comment la mise en page s’adapte bien à ce marketing. Car là encore il ne s’agit pas de dire si nous trouvons les MP beaux ou pas mais d’analyser comment et pourquoi ça fonctionne.

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Rubrique Actu | enquête | Femme Actuelle | La société a changé, la solidarité aussi.

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HARPER’S | infiniment plus MODE 
Ce magazine qui tient d’une longue tradition puisque née bien avant la 2e guerre mondiale, et porté au firmament des magazines de MODE par un Brodowitch exilé à New York, découvrant des photographes comme Richard Avedon, le HARPER’S devient le synonyme de la MODE. Ils peuvent aujourd’hui shinter l’actualité comme référent (mais nous y reviendrons). Les décrets sont dictés au travers du «people», catégorie sociale jouant avec complicité (comme en France) le jeu des référents et de la Mode par procuration. Je dis plus MODE, mais je ne devrais pas. De fait tous les magazines que nous comparons sont des Mag’ de MODE. HARPER’S se permet juste une forme d’impertinence qui consiste à entrer dans le vif du sujet sans passer par la case départ: l’Actu. On navigue dans le sous entendu, le happy few, le joke entre amis. Ils n’ont plus à faire la preuve de ce que tous leurs lecteurs savent. Ils pilotent la MODE, sans concurrence majeure et donc ils ont pu faire l’économie d’un item de cetté équation: actualité + référents + photographies + légendes = MODE en supprimant l’actualité. On est dans le sous voir du sous entendu.

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Marie-Claire
quelques pages du magazine

On ne dit plus magazine de MODE, mais féminin, masculin.
Avec Marie-Claire comme avec ELLE, nous sommes sur des territoires CSP+, CSP++. Ce sont les épouses de ceux qui «ont fait mai 68», quand elles n’y ont pas participé elles-même. Mais le lectorat se puise également dans les générations post 68. Cependant il y a des différences avec ELLE. Elles tiennent à la fois de l’histoire et des terrtoires conquis. Mais en feuilletant Marie-Claire on se surprend parfois de croire que nous sommes dans un Mag généraliste. Faux. Les pages MODE sont bien là. Ils rythment le rédactionnel et invitent en permanence la lectrice à «chauffer» ses cartes de crédit.

BoBo, Ecolo, ouvert sur le Monde, une façon élégante de dire le ici-et-maintenant. En se préoccupant d’autrui. On peut dire en cela, que nos trois magazines français sont coulés sur le même moule même si graphiquement très différents voires opposés, ils ont tous pour lieu commun l’altérité humaine et la préoccupation des faits sociaux. On pourraît dire par exemple que la MODE au sens large en France en est encore à ses débuts, ne sachant pas comment couper avec l’item de l’actualité. Ce qui ne veut pas dire que le modèle soit mauvais. C’est peut-être aussi un symptôme typiquement français. Qui a dit que nous étions refermés sur nous-mêmes?

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Analyse des mises en page.

Finalement une chose est certaine. C’est bien le contenu rédactionnel qui va rythmer chacun de nos exemples. Avec en tête Femme Actuelle qui jongle avec un rédactionnel très fourni, voire empiète sur les terrtoires de généralistes, il se sont contraints à être lisibles, foisonnants et ont inventé en France le système de la lecture-zapping il y a vingt cinq ans. Constatant qu’on ne peut demander à la Ménagère de Base de rester assise pendant deux heures d’affilée pour lire son magazine. Marmots, école, boulot, mari, linge, paperasse, ménage laissent peu de temps à cette stackanoviste moderne. Prisma Presse a donc fait d’innombrables pré-tests pour déterminer le contenu et la forme idéale qui serait aussi bien perçus dans le fin fond de l’Auvergne ou de la Bretagne que dans la banlieue parisienne. Il y a eu depuis des changements. La mise en page (MP) s’est calmée, et les lectrices ont évolué. Les entrées d’articles, même si le 4 colonnes nous semblent un peu stressantes ressemblent à ceux d’un Express d’il y a 15 ans. Grande photo, textes sobres, initiales-lettrines bleues (discrétion du bleu catholique). Texte composé en Times et les titres dans un Myriad un peu brutal (j’aurais sans doute préféré dans le même style un Frutiger mieux dessiné):

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Un bémol typographique à cette qualité populaire, les fers à gauche qui sont calamiteux. Aucune règle n’est respectée. Ni celle qui interdit dans le code typo les césures en mode drapeau, ni celle de ne pas laisser traîner en fin de lignes des articles ou signes seuls. (ci-dessous)

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ELLE et Marie Claire semblent plus sophistiqués. Pourquoi?

Le magazine ELLE, pourtant composé avec un jeu de caractère de l’époque du Bauhaus, le Futura (dessiné par Paul Renner entre 1925-1927) a détourné ce caractère de ses origines socio-culturelles. Les textes sont sur-interlignés, et cela faisant se donnent à lire tant il est confortable pour l’œil de ne pas être stressé par les lignes trop serrées. Les titres et sous titres s’alternent avec un futura medium et un ultra-light que j’ai eu le plaisir de leur dessiner il y a pas mal d’années. Les contrastes typographiques tirent vers le mode binaire, gras-maigre, qui est l’expression sans nuance du langage de la MODE. N’oubliez pas, la MODE, c’est ici-et-maintenant. Et il se décrète. Donc la typo est mise en scène pour souligner cette binarité. C’est Peter Knapp, aux cotés d’Hélène Lazareff fondatrice de ELLE qui a installé ces typos déjà dans les années 60.

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photographie Brodovitch

D’origine suisse, il fut influencé par Brodovitch et le HARPER’S qui à l’époque se permettaient des jeux graphiques extraordinairement constructivistes. ELLE a une place particulière parmi les «féminins» français. Venue du journalisme Hélène Lazareff a révolutionné le regard que les femmes portaient sur elles mêmes. Aujourd’hui encore ce magazine, malgré un lectorat vieillissant incarne la naissance du féminisme et de l’émancipation des femmes. Il y a donc un jeu subtil entre la typographie et la photographie. Sans doute fortement influencé encore aujourd’hui par le HARPER’S, le directeur artistique de ELLE, Yves Goube pratique la découpe aux «ciseaux» (virtuels) des placards de textes venant pervertir les photos. Une manière de dire à la lectrice: «là tu es chez nous, chez toi, dans la partie rédactionnelle de Ton Magazine». En contraste avec les pubs des annonceurs qui jouent les pleines pages à fond perdus. Et si vous avez le moindre doute de ces filiations retournez quelques clics de souris plus haut pour voir combien il y a de similitudes entre les MP du magazine de la cinqième avenue et ELLE. Bien sûr on peut se poser une question, d’ailleurs elle s’impose: pourquoi diable les magazines féminins sont ils tellement conservateurs (la binarité gutenbergienne des mises en page est là pour en attester)? Il y a plusieurs réponses.

D’abord qu’est-ce que j’entends par conservateur. Nous sommes aujourd’hui à l’ère de la typographie plasticienne. Un bon quart des MP modernes se pratiquent avec des superpositions de calques, des profondeurs de pages et d’images où l’œil se perd aussi bien en surface qu’en profondeur. Et notre perception a bien évolué pour avoir appris à lire nouvelles images (voyez Matrix qui est l’exemple au cinéma de ce que David Carson pratique en photographie). La MODE devrait en principe être à l’avant garde des expressions graphiques comme photographiques. Ce n’est pas, plus le cas. Et ce n’est sans doute pas ces incursions de fausses épreuves (bromures) de textes dans les images (que pratiquait déjà Actuel de Jean-François Bizot dans les années 80) qui peuvent connoter une quelquonque modernité. Mais comme on l’a dit la MODE est un terrtoire d’injonction, de décrets. C’est noir ou blanc. Vous êtes UP ou Down, dedans ou dehors, c’est binaire. Ces MP correspondent donc bien à une architecture de la pensée de MODE. L’à peu près, la demi teinte et les jolies recherches d’images modernes n’ont pas cours ici. On y joue avec les oppositions, les juxta-positions. Pour énoncer la MODE, celle-ci curieusement se sent obligée de revétir des constructions démodées, il y a là donc un paradoxe qu’il était important de pointer.

Il y a sans doute au moins une autre raison à ce conservatisme que nous dénotons aussi bien à New York qu’à Paris. Comment se fait-il par exemple qu’un magazine comme ELLE, malgré ses codes de MP très élégantes ne soit pas aujourd’hui encore à l’avant garde de l’expression graphique. Et qu’elle soit rattrapée petit à petit sur ses propres terrtoires visuels par des magazines au tirage plus populaire. J’ai cherché. Ce n’est en aucun cas le vieillissement du personnel graphique de ces rédactions. Un métier où les gens se renouvellent plutôt trop vite que pas assez.
N’y aurait-il pas une explication purement socio-économique. Depuis la première guerre du Golf, les affaires sont plus difficiles. Les pouvoirs d’achat sont rognés quotidiennement, l’insécurité face à l’avenir, donc les achats de MODE se raréfient régulièrement. Les Maisons de Haute Couture ferment ou se recyclent en prêt à porter. Carl Lagarfeld entre au temple du prêt à porter populaire. Bref la MODE traverse une crise plutôt grave au regard de tous les savoirs faire qui se perdent, couturières, dessinateurs-stylistes, fabricants d’accessoires etc. Il suffit d’avoir vu les démélés de Christian Lacroix avec le groupe LVMH pour prendre la mesure de la crise.

Le maître mot dans le commerce depuis une quinzaine d’années c’est vendre, vendre, vendre… au détriment du: qu’en pensez-vous, ce serait bien si, small is beautiful (c’est wolkswagen qui s’était permis une affiche où la coccinelle trônait, minuscule dans une affiche toute blanche… Comment, mais remplissez-moi ce blanc. Il me coûte trop cher…Et pourtant nous sommes nombreux à savoir combien un blanc peut mettre en valeur une image ou un texte. Soyez efficace… pas de blanc, remplissez… et petit à petit on a perdu l’âme des magazines de MODE: la recherche de l’élégant et du surprenant. De l’Avant Garde. Il suffit de voir les travaux de Herb Lubalin pour deviner l’écart qui se creuse chaque jour avec la recherche du vrai NOUVEAU qui est NORMALEMENT la raison d’être de la MODE.

J’arrête donc provisoirement cette analyse qui comme vous vous en doutez ne peut-être exhaustive. Cependant j’en appelle aux contributions et commentaires pour l’étayer voire la développer. Je verrai la forme, soit de réintroduire vos contributions dans l’article soit d’entamer un dialogue dans la partie commentaires. Mais je me connais et je préfére d’avance la première solution bien plus enrichissante pour tous les afficionados de la mise en page de presse. Paris | 1er décembre 2005.

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Magazines féminins | La Mode mise en page (1)

les sommaires | ELLE, FEMME ACTUELLE, HARPER’S, MARIE CLAIRE

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ELLE | scénographie: une mise en page binaire, moitié photo, moitié texte. Celui-ci mord sur la photo comme un bout de bromure papier (références aux placards de textes de l’époque de la photocompo) qui vient empiéter sur l’espace photographique. Rigueur de la composition par le choix de caractères antiques, mais irrégularité dans la longueur des fers à gauche (alignement). Codes d’emphase typographique sur les trois mots: FATIGUE, HILARANT, MODE en Futura Ultra Light. Petite photo de rappel de couv en insert encadré d’un filet blanc. Le sommaire est composé sur une grille 1 + 2 (sachant qu’en pages intérieures on va trouver des grilles sur 2 et 3 col). Bas de page dégagé par un blanc horizontal. Information éditoriale en 1 + (2/2). Filet vertical de 6-7 pts dans un vert identique à celui du Logo historique (venant au travers de la photo), qui divise l’info en information rédac. générale et régionale. Impression généale, rigueur typo et perversion de la photo.

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Femme Actuelle | scénographie: mise en page en 4 col, rappel de logo à gauche en tête de page, puis centré sur la Page un «Sommaire» en gill sans bold souligné d’un filet noir fin, qui soutient à la fois le logo et le numéro de l’édition ainsi que sa date.
Un édito de la Rédac. Chef sur une col à gauche, un encadré sur 3 col faisant focus sur les articles d’actus et sur l’agenda, largement illustré par trois photos superposés dont une détourée venant mordre la photo du haut. En milieu de page on trouve 3 col de sommaire avec focus sur 3 pages et rubricages, avec une photo détourée prenant place dans la 1ère colonne. Enfin dans la colonne à gauche sous l’édito, un encadré rappelant la couverture et l’adresse de la publication. Impression générale, c’est un sommaire à forte connotation rédactionnelle, absence de codes propres à la Mode (que nous détaillerons plus loin). Privilégie le découpage sommairisé du contenu rédac.

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HARPER’S | scénographie: forte présence d’une double grille: verticale et horizontale. Deux rangées de photo, deux rangées de texte. Découpage en 3 col. Titre monumentale du mois composé en mécane (égyptienne) ultra light. Photos légendés par un numéro de renvoi de page en réserce blanche. Le sommaire lui même titré dans une didot maigre (firmin ou bodoni bauer) et le reste du sommaire composé très élégamment en trois col. avec intros de ligne en rouge et un tableautage de numéros de page dans le corps du texte en gras, sobre et rigoureux. Impression générale: un sommaire très architecturé (rigueur des alignements), des contrastes binaires entre photo et texte, entre Titre de la Page (december) et le reste, entre rouge et noir, entre rangées de photo et rangées de textes.

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Marie Claire | scénographie: (ceci est la deuxième page du sommaire) un sommaire découpé en deux zones horizontaux, une photo pleine largeur (fond perdu à droite), en dessous une grille sur 3 col avec une petite col de blanc flottant. Col. de gauche: rappel des articles diffusés régionalement, et deux col. de sommaire avec textes gras en rouge (helvetica black) pour le rubricage et déclinaisons de pages en helvetica ultra light introduits par une pagination en black sans tableautage.

Le titre sommaire en helvetica black, composé en bas de casse, rouge brique, qui surmonte la photographie de la manequin à moitié couchée, titre lui-même surmonté par le rappel en capitale du mois, composé en helvetica light. La première page du sommaire de Marie-Claire est scénographié à l’inverse en 2 col. A gauche le texte, à droite une photo. Idem pour le titrage du mot sommaire.
Impression générale: Style binaire, photographie + texte, rouge et noir, petit et grand. Moins d’architecture que dans Harper’s mais efficace et spectaculaire.

Qu’est ce que nous désignons par style binaire.

Si l’on regarde la page ci-dessous, on constate une mise en page en deux col. avec introduction forte par une lettrine (enluminure) spectaculaire que vient «habiller» le texte de la Bible.

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Un style binaire, ou style gutenbergien serait donc une forme de composition où le metteur en page «joue» l’opposition entre le grand et le petit, entre deux couleurs contrastées (rouge et noir), entre deux espaces de contenu (texte, photo), entre deux découpages (horizontal-verticale). Donc cela concerne autant l’architecture de la page que le tissu (texte) de celle-ci. Nous avons longuement détaillé dans les articles sur Hermann Zapf (et ici) ou Neville Brody les origines de ce style et la manière dont elle évolue depuis l’avènement du numérique. Ceci pour dire et, en avant propos de cette étude comparative, la MODE a presque toujours utilisé le style binaire pour exprimer le ici-et-maintenant.
Pour une raison qui tient à la nature même de la MODE. C’est elle, au travers des médias (presse, télé, mais aussi et surtout défilés, événementiels) décide chaque jour ce qui est Mode ou pas. Et l’objet économique de la MODE, c’est le décret du ici-et-maintenant. La référence à hier n’est envisagé que dans la mesure où celui-ci resurgit dans l’aujourd’hui. La MODE s’accomode mal avec la demi teinte, avec le ni oui, ni non. Parce qu’elle a pour mission ce décret, institutionalisé (ce soir vous porterez…), (l’après-midi à Longchamp, entre jockeys et photographes, vous porterez…) qui est de l’ordre de l’impératif catégoriel. Binaire donc par essence, la mise en page devient le reflet et pourquoi pas le miroir de ces décrets. On va donc jouer les juxtapositions, les accolements, les lettrines monumentales, les titres spectaculaires et surtout les photographies qui donnent à voir, références identitaires absolues, représentations du décret imminent, et système de décision par procuration. Elle le porte, vous le porterez (le vêtement), «parce que vous le valez bien» (l’Oréal) qui était maladroitement exprimée au début, avant que l’Agence Publicis n’ait compris la bourde rédactionnelle du décret par un «parce que je le vaut bien». La Presse de MODE a donc ses codes de mise en page que nous allons détailler pour en comprendre le fonctionnement. (suite ici).

 

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Le gris typographique | lisibilité (suite)

Réponses aux commentaires

Je suis perfectionniste et j’aime améliorer mon travail, mes analyses à partir de vos commentaires.

J’ai donc repris:

1) le commentaire de Frigorifik qui nous a donné les paramètres de justifications (C&J dans Quark X-Press) d’InDesign recommandés par Muriel Paris.

2) le commentaire de Baptiste qui trouvait que le pavé en helvetica neue 55 lui semblait indigeste (sans doute trop serré).

Pour ce faire j’ai consulté une des références en la matière, un vieux catalogue de photo-composition d’Albert Hollenstein —Diatronic-Diatype— édité vers 74-75). J’ai donc déserré très légèrement (c’est expliqué en bleu au bas de chaque pavé) mes exemples.

Et pour répondre à Mickjagger, oui sur le précédent exemple les paramètres d’InDesign étaient enclenchés. Mais tous les éditeurs de logiciels utilisent des paramètres plus proches de ceux de la composition en plomb que ceux que nous avons pratiqués au sein des ateliers de photocomposition dans les années 70-80. La typographie suisse était passée par là, nous montrant de magnifiques gris typos, sans la moindre accident. De fait je suis conscient que nous sommes en train «d’enculer des mouches en vol» comme disait mon cher père. Et il ne s’agit pas de déclarer péremptoirement que mes réglages donnent plus de lisibilité, tout au mieux, plus de confort de lecture je dirais. Ainsi que la sensation d’une composition maîtrisée par l’esprit de l’homme et non imposée par les machines. Et ce n’est pas pour contredire Miklos, mais les réglages que je viens de faire et dont vous allez voir une séquence encore mieux réglée ci-dessous sont impossible à obtenir sur Word où l’on a aucun accès aux variables des approches intermots + interlettres + césures. Il faut savoir que des «applis» comme Quark ou InDesign «travaillent» au 1000e de cadratin et au 2000e de cadratin (le carré du corps), les approches. Word je ne sais pas mais c’est largement en-dessous. Même notre journal papier du Monde a en ce moment a le plus grand mal à régler ces gris du fait qu’ils montent les pages sur un système dédié et non sur Mac + Indesign (ce que j’ai pû comprendre). Les informaticiens sont parfois lourds à convaincre pour les obliger à réécrire des bouts de programme pouvant permettre d’améliorer la compo du journal. Mais techniquement ce serait possible. Enfin une dernière remarque. Une composition est toujours perfectible et Estève Gili a parfaitement raison de souligner que ces paramètres pourraient varier selon la justification, mais aussi et surtout selon les dessins des caractères. Une sérif et une Sans, ne réagissent pas de la même manière du fait des empattements qui mangent un peu du blanc interlettre. Et un dessin de lettre large ou étroit a besoin de réglages spécifiques. Notre système occulaire, pupille, rétine, muscles de focalisation s’adapte en permanence aux variations des signes alphabétiques. Et on a vu plus bas, dans une composition en Fraktur que nos yeux sont prêts à s’adapter à des caractères aux formes anciennes pour peu que nous nous y collions pendant un quart d’heure. D’ailleurs la notion de lisibilité entre un Times et un Centennial en prend un coup. Parce qu’on pourraît même lire une Gothique si on le voulait bien. Je finirai cette note sur une scène du film «La Chinoise» de Jean-Luc Godard: deux étudiants se font face dans une chambre universitaire, tous les deux en train de réviser leurs cours.
Anne Wiazemsky
a mis la musique à fond que Jean-Pierre Léaud (il est obligé de crier) ne supporte pas: —tu peux baisser le son Véronique (Anne)? je n’arrive pas à me concentrer! celle-ci (toujours criant pour couvrir la musique): —Guillaume (Jean-Pierre), je ne t’aime plus!. Lui (hurlant): —comment tu ne m’aimes plus, mais c’est pas possible (et il s’emporte comme seul JP Léaud savait faire)…Elle (toujours criant)—Tu vois bien Guillaume que tu peux te concentrer quand tu veux. Bel illustration du lisible et du visible (sonore). Car n’oublions jamais que nous aurons beau faire les plus belles mises en page, et composer les plus beaux textes de la terre, si le lecteur n’est pas motivé, il ne lira pas. Si le lecteur n’est pas préparé à la difficulté d’un texte (Ulysse de Joyce par exemple), il trouvera que c’est illisible. Quoi? le texte en Garamond de la Pleïade, composé en corps neuf inter 10? ou bien Joyce et ses loghorrées irlandaises…? La lecture est un acte complexe. Et je n’ai pas la prétention de croire que seule, la typo ou le graphisme suffisent à «faire lire» un texte. Voici les exemples de gris typo retravaillés.

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Gristypo_muriel_paris_helv

On gagne encore quelques signes d’économie par rapport aux paramètres de Muriel Paris dont les réglages laissent passer beaucoup trop de «lézardes». Mais ce serait intéressant qu’elle intervienne directement sur le sujet, car, et il faut le savoir, nous sommes là dans une composition extrêmement difficile due à la petitesse des colonnes. Très peu de signes par ligne (32-33), et l’obligation de ne pas dépasser plus de trois césures à la suite (code typo). Il n’est pas sûr du tout qu’elle maintienne ses paramètres dans un contexte aussi ingrat. (n’oubliez pas de cliquer sur les gifs pour les agrandir légèrement à l’écran).

chapitre lisibilité | visibilité

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Le gris typographique | lisibilité et économie d’espace

Intérêt d’un «beau» gris typo

Comme je l’ai déjà dit plusieurs fois, je m’interdis en général de porter un jugement esthétique sur les éléments graphiques que j’analyse. Mais pour cette fois-ci je fais une exception.

Depuis l’apparition de la PAO (publication assistée par ord.) en anglais desktop publishing, litéralement  publication sur le bureau, nous avons entendu des énormités au sujet de la qualité de celle-ci. Tant il est vrai que des générations de graphistes et directeurs artistiques de la presse, de la publicité et de l’édition ont été habituées à utiliser les services d’ateliers de compostion dédiés à cette tâche finalement assez ingrate. Depuis l’apparition des logiciels de mise en page, d’abord Quark X-Press puis plus récemment InDesign d’Adobe, tout un chacun peut s’improviser graphiste, typographe, metteur en page, SR, maquettiste et bien sûr éditeur. Il y a cependant des règles à respecter pour obtenir une belle composition. Et pas seulement celles de la grammaire ou du code typo. N’en déplaise à certains graphistes comme Catherine Zask dont j’admire par ailleurs le talent et l’œuvre expérimentale, les accidents de composition: rivières et lézardes ne facilitent pas la lecture, au contraire. Ils  attirent et retiennent l’attention de nos rétines sur des blancs irréguliers dans le texte sans que ces blancs soient porteurs de sens. Je veux dire que ce n’est pas la peine de faire tout un débat sur les espaces devant et derrière les ponctuations si par ailleurs on oublie la chose la plus élémentaire, composer un texte régulier sans accident de lecture (lézardes et rivières) sur lequel les yeux vont pouvoir glisser avec légèreté et délicatesse. Je profite ici de signaler (mais nous y reviendrons en détail) que d’après des études de lisibilité qui ont été menées par des laboratoires d’études patentés et très sérieux, les yeux, qui lisent par points de fixation successifs, ont tendance à décrocher d’une ligne au bout de 40, 45 signes, ce qui légitime bien entendu les mises en page de la presse mais aussi de bon nombre de publications et éditions réalisées en colonnes. De 30 à 40 signes en moyenne. Au delà on assiste à des phénomènes de décrochage, donc de fatigabilité de lecture. Et cela joue sur notre capacité à mémoriser les textes.

Voici deux exemples de pavés composés en Times New Roman, et en Helvetica Neue N°55.

Colonne de gauche sans aucun réglage spécifique. Colonne de droite, le même texte composé avec un réglage dont les valeurs sont donnés en fin d’article. Les compostions ont été réalisées avec InDesign d’Adobe, donc les boîtes de dialogues montrées en exemple pour les réglages, sont bien du même logiciel.

Adoptez ces réglages et vous verrez non seulement une amélioration professionnelle de vos compositions, mais vous gagnerez en plus environ 10 à 15 pour cent d’espace en plus. Ce n’est pas négligeable, surtout si vous éditez un mémoire ou un catalogue ou une publication périodique. Que d’arbres en moins abattus grâce à un petit réglage typographique. La typo au service de l’écologie.

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Naissance du Macintosh | Naissance de la Typo sur vos écrans

Je voudrais juste signaler un article passionnant qui nous racconte avec force détails l’histoire rocambolesque de l’invention du Mac. C’est Laurent Gloaguen qui a écrit cette note sous la forme d’un véritable thriller : lire ici

et ne pas oublier de visionner le petit film en quicktime (au bas de son article) qui montre Steve Jobs présentant pour la première fois un Macintosh devant un public de professionnels. La salle est en transe. Nous sommes en 1984. Enjoy yourself. Merci Laurent pour cet excellent rappel de cuti.

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Libé en lutte | La Presse écrite en question

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(texte idem copiable) Nous sommes aujourd’hui 24 novembre 2005, à la croisée de tous les chemins pour
la survie de la Presse quotidienne française. En faisant l’analyse de la nouvelle maquette du Monde, je suis arrivé à la conclusion que ce qui fondait la naissance et l’existence du Monde, c’est la publication d’une information exhaustive, sobre et objective par la juxtaposition de la diversité des opinions. L’image comme je l’ai analysé dans mes trois articles précédents n’a rien à faire dans cette culture de la distance et de l’observation des faits.

Parce qu’elle véhicule la part affective et non raisonnée de chacun de nous. Libération est en grève depuis 4 jours, (voir le site des journalistes en grève). J’ai lu un certain nombre de commentaires d’internautes. Ils reprennent généralement la même vision. Un journal a une identité. Libération c’était un journal de gauche et d’opposition. Les lecteurs fidèles ne s’y reconnaissent plus forcément. Ils râlent. A vouloir jouer à l’entreprise capitaliste, donc de vouloir conquérir d’autres lectorats que ceux historiques, on risque de fragiliser gravement les fondations qui ont fait le succès d’un journal. Libé aurait sans doute du rester de gauche, voire prendre ses distances avec le pouvoir, même lorsqu’il était de gauche.

Le Monde devrait rester fidèle à ce qui en fait son identité historique sans pour autant abandonner son projet web qui est sa plus grande réussite depuis les dix dernières années (un coup de chapeau à toute l’équipe du Monde interactif). Les deux formats, papier écran, devraient pouvoir cohabiter dans un cadre journalistique commun où la mise en forme du papier respecterait cette liberté d’opinion et d’exhaustivité des points de vue. Comme je le dis l’image, pour autant qu’elle soit anecdotique et c’est le cas actuellement, ne peut que faire détourner les lecteurs vers une concurrence qui «manipule» déjà l’iconographie depuis plus de vingt ans (quot. régionaux, nationaux).

En conclusion, je suis persuadé qu’à l’heure où le haut débit fait revenir massivement les citoyens vers la lecture sur écran, et que nous connaissons la plus grande révolution gutenbergienne avec la diffusion planétaire du caractère et de l’alphabet phonétique, que les gens diversifient de plus en plus leur approche des informations, dans ces conditions le MONDE devrait profiter de ce retour d’amour pour l’écrit et le collaboratif en revenant à une formule graphique qui respecte le lecteur traditionnel ou nouveau. Cela ne veut pas dire «emmerdant» comme le disait le fondateur du Monde, Hubert Beuve-Méry.

Cela veut dire contenu, contenu, contenu. Lisibilité, élégance, structure claire mais à multiples entrées. Bref une réflexion est possible pour redonner au journal à la fois un aspect gutenbergien en profitant de nos acquis technologiques, culturels et sociologiques pour développer la qualité graphique, donc la lisibilité et surtout l’envie de lire le journal. Ce que l’on appelle vulgairement l’appétence. Car la question de fond, et surtout en France, n’est pas de savoir si on devrait prendre des lecteurs à Pierre, Paul ou Serge, mais : comment je peux susciter l’envie de lire mon journal. C’est La question de fond pour la Presse française qui est victime du manque d’envie de lire d’une population éprise de prime time et plus si affinités. C’est à cette question que les responsables de la rédaction de tous les journaux devront répondre au risque de devoir un jour mettre la clé sous leur tapis de souris.

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Presse Quot. | Magazines | les Logos, le Graphisme | Quelle grille de lecture

Un rendez-vous pluri-hebdomadaire sur ce blog pour analyser, rendre compte et critiquer avec un zeste d’impertinence (cf le bandeau ci-dessus), mais surtout de lucidité les tendances et les réalisations graphiques auxquelles nous sommes confrontés dans notre quotidien.

Vous avez pû remarquer un certain nombre de fondamentaux dans mes analyses:

par exemple vous ne me verrez jamais ou très rarement critiquer une réalisation en exprimant un «comme c’est joli», «comme c’est beau». Nous nous interdirons chaque fois que cela sera nécessaire de juger de la qualité esthétique d’une œuvre graphique. Seules exceptions à cette règle, mes hommages, peu nombreux à Hermann Zapf, Neville Brody, Herbert Lubalin et suivants… Ce sont là des référents dans la profession qui ont chacun marqué les esprits par l’excellence et la rigueur de leur travail. Et là encore nous nous réservons la liberté de comparer, voire d’énoncer des défaillances quand cela est nécessaire. Si j’évite le jugement esthétique, ce n’est pas que je n’ai pas d’opinion. Par exemple je n’aime pas la nouvelle mise en page du Monde… non pas pour toutes les raisons que j’ai évoquées, mais parce que graphiquement je la trouve mièvre, peu sûre d’elle, absolument pas porteuse de la rigueur de pensée qu’elle est supposée incarner. Mièvre parce que la proportion des images aux textes tient de l’à peu près. Libération ayant fait en d’autres temps le choix d’une icono forte, pregnante, nous a habitué à des mises en page spectaculaires, grande photo verticale, titre et texte venant en habillage élégant et sobre à la fois. Au risque d’ailleurs de mélanger les genres : quotidien versus magazine. Mais je respecte infiniment une mise en page lorsqu’elle est résolument volontaire et déterminée sur un style pugnace et sensible. Ce n’est pas le choix adopté par Le Monde papier. Un peu d’images soupoudré sur toutes les pages, des textes banalement typographiés sur 5 col dans la partie supérieure et 6 col dans la partie inférieure, ça sent le vite fait, non réfléchi d’une agence de design qui vient à Paris, «fait trois p’tits tours et s’en vont». Je me souviens qu’une pareille mésaventure avait été vécue par l’Express quand ils ont fait venir l’Immense Milton Glaser pour relooker leur Mag. Milton dont le talent ne peut être mis en doute a accouché d’une souris… fort onéreuse. Nous avons à Paris deux cents à trois cents graphistes qui auraient pû mieux faire et cela me navre toujours de voir ce snobisme des rédac. chefs que d’aller chercher le designer à l’étranger comme si en cela crédibilisait la prtestation (idem d’ailleurs pour Neville Brody lorsqu’il accoucha d’une nouvelle maquette pour Actuel.). Je crois que pour «graphiquer» un journal, il faut le vivre soi même au quotidien, le connaître, le humer de l’intérieur. Parce que je suis parfaitement conscient des enjeux économiques, mais aussi complexes soit-ils, ils doivent recevoir des solutions simples et pas simplistes, ce qui est le cas pour la nouvelle maquette du Monde.

Mes analyses partent toujours du produit
(même quand justement ç’en est pas, comme pour le Monde), du produit qui vit sa vie dans un environnement humain et concurrentiel.

Banal allez vous me dire. Et pourtant cela m’a conduit plusieurs fois déjà à prendre le contre-pied des solutions proposées par les agences de design. Que ce soit pour la SNCF ou le Crédit Lyonnais mais aussi le Club Internet, les journaux, Figaro, le Monde, je n’arrive pas aux mêmes conclusions que les solutions proposées.

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Je pratique l’analyse globale qui inclut l’historique, l’environnement, le «purpose» de la marque (pour ne pas dire objet). Le nouveau logo du Club Internet par exemple n’incarne en rien l’univers d’Internet qu’il est sensé véhiculer. Trop rigide, trop coincé dans une sorte de fausse rigueur de caractères linéales (bâton).

La création d’une mise en page comme d’une marque suppose qu’on racconte une histoire. C’est comme un bon film. C’est d’abord un bon scénario. Et on peut être un inconditionnel de David Lynch sur ses choix esthétiques que l’on ne me fera pas avaler que son scénario de Lost Highway ne tient pas «la route». Esthétiquement parfait. Mais l’absurde n’arrive pas à légitimer une histoire qui bascule dans l’incompréhensible. A ce jeu je préférais Hitchcock.

Quand je mets en page l’édition d’un catalogue, d’un magazine, j’ai conscience de m’adresser d’abord à des lecteurs. Et pas seulement à des spectateurs. C’est là l’erreur fondamentale du nouveau Monde que j’ai décrit dans mes deux articles précédents. Et puis je regarde les fondamentaux, combien de textes pour combien de pages, les articulations, les rubriques, la hiérarchisation (titres, chapôs, textes). Le choix typographique découle à la fois de ces impératifs, et de goûts personnels.

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La Presse, confrontée à la nécessité d’économiser le papier a depuis peu adopté systématiquement des caractères à gros œil et jambages courts. C’était le sens de mon travail sur le Libé III que nous avons produit avec Jean Bayle en 94, et ce fut aussi la même démarche de Jean-François Porchez pour le Monde de 1995. Nous reprenions simplement les principes que Aaron Burns et Herb Lubalin avaient généralisé au début des années 70. (cf mes articles sur Lubalin). Beau ou pas beau en design ne veulent rien dire. Ça fonctionne ou pas, je préfère. Parce qu’il ne s’agit pas tant pour un graphiste de faire une œuvre d’art que de permettre à des rédacteurs-concepteurs, des journalistes d’écrire un maximum de mots pour être lu par un maximum de lecteurs. Cela suppose une architecture de la page, une rigueur dans la ou les grilles qui s’imbriquent. Par exemple pour le Monde il eut mieux valu systématiser le 6 colonnes quitte à créer quelques blancs qui fassent respirer les pages. Cela aurait évité ces décrochages d’alignement très mal gérés par des filets demi-gras extrêmement vieillots. Dans la presse seule Libération nous avait habitué à une gestion des espaces où les blancs font sens dans la page.

Quand nous créons un logotype, une marque, la mise en page d’une édition, nous nous adressons autant à l’œil qu’aux oreilles du lecteur. Tout texte est avant tout une suite de lettres issues de l’alphabet phonétique. Et même si nos automatismes de lecture rendent celle-ci silencieuse, notre cortex se souvient inconsciemment de la valeur phonétique des textes typographiés. Si je fais l’effort d’analyser la production graphique avec cette grille de lecture, alors je n’arrive pas forcément aux mêmes conclusions que la plupart des intervenants dans les groupes de décision. Je veux dire que ce qui m’importe c’est de définir un cadre de réflexion, des codes de décryptages qui permettent d’avancer dans une analyse sans que l’on soit obligés à chaque instant de défaire ce qu’on a déjà construit.

Définir une méthode d’analyse revient à économiser du temps et de l’argent.

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Car il s’agit bien d’évaluer le coût des erreurs.
Et de les éviter. Lorsqu’en 1994 Serge July décide de relifter Libération, il décide de doubler la pagination, en se persuadant que les français étaient prêts à de nouvelles habitudes de lecture. Prenant exemple sur les journaux américains, ou anglais ou encore allemands, il se persuade et persuade toute la rédaction de passser d’une quarantaine de pages à plus de 80. C’était malheureusement une grande présomption. Parce que les français n’aiment pas lire dans leur grande majorité (je ne parle pas de vous cher lecteur de ce blog qui supportez la longueur indigeste de mes notes :-), mais d’un comportement franco-français, exception culturelle si elle en est. Il suffit de voir la production publicitaire anglosaxonne voire belge ou espagnole pour découvrir que nous avons en France un rapport d’indigence aux textes. Des images, des images. Des icônes, des icônes. Prenez en main un journal de Boston, le Frankfurter Allgemeine ou USA ToDay, et vous comprendrez ce que je veux dire par indigence. Ces journaux pèsent des kilos de papier et les gens les achètent. Pas pour nettoyer leur fenêtre.

Neuf mois après le lancement de Libé III, à partir d’avril 95, le journal dut faire appel à des auditeurs (Arthur Andersen) pour commencer un des plus grands plan social de l’histoire de la Presse française.

Nous avons donc, graphistes, typographes, consultants une responsabilité économique et sociale lorsqu’un client nous demande d’intervenir. Pour le Monde il eut sans doute mieux valu jouer la proximité avec une agence pariesienne qui aurait pu accompagner en soupplesse la nouvelle formule. Et puis, plutôt que de faire des effets d’annonces, il aurait mieux valu aussi tester, corriger tout en finesse la nouvelle maquette pour éviter de tomber dans le tout ou rien qui nous a amené depuis 1980 à un changement tous les 4-5 ans. Sans résultat probant. Un journal c’est comme une maison, on y habite, on y prend ses aises, ses repères. Vous ne déplacez pas vos murs tous les 4-5 ans… vaut mieux déménager.

Je souhaite simplement me tromper dans le cas du nouveau Monde.
Parce qu’il en va de l’avenir de la Presse et d’un journal que j’adore. Je souhaite aussi que l’image ne fasse pas réduire les textes pour me donner l’impression que ce n’est plus moi qui choisis mes articles, mais une rédaction désireuse de canaliser la lecture donc d’induire des positions, des opinions. L’image est un outil de manipulation, ne nous y trompons pas. Et Jean-Marie Colombani le sait. Il en va de sa responsabilité d’utiliser cet outil avec sagesse et raison, au risque de voir transformer durablement le journal en une feuille de chou banalisée et peu crédible comme il y en a tant d’autres.

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Le Monde new design | Magazine ou journal? | La Une

 

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En 1944,
le général de Gaulle souhaitait voir naître un quotidien de qualité,
fer de lance du rayonnement culturel et politique français. Contacté
pour prendre la tête de cette entreprise, Hubert Beuve-Méry ne s’y
engagea qu’avec réticence. Mais une fois le défi relevé – Le Monde
naquit le 11 décembre 1944 -, il mena l’aventure à sa façon,
c’est-à-dire avec une indépendance radicale. En quelques années, il fit
de ce journal austère une institution, lecture quasi incontournable de
tous ceux qui, en France et dans le monde francophone, exerçaient des
responsabilités. « Ce qui a probablement perdu Le Temps, estimait Beuve-Méry, c’est d’avoir trop d’argent. Ce qui a été une des grandes forces du Monde, c’est de ne pas en avoir. » (l’article complet ici).

D’après la présentation d’Éric Fottorino nous pouvons distinguer deux périodes dans le renouvellement de la maquette du Monde. 1945, 1959 la naissance et jeunesse d’un grand quotidien d’information et de réflexion nationale et 1980 à nos jours avec des relookages successifs en 1980, 1983, 1989, 1995, 2002 (une version dont le document en question ne parle pas) et 2005. Notre première réaction c’est de s’interroger d’emblée sur le pourquoi d’une telle avalanche de renouvellement depuis 25 ans, alors que la maquette n’a pas bougée pendant une vingtaine d’années. Et c’est d’une certaine façon Jean-François Porchez qui nous donne une réponse lorsqu’il publie les chiffres de la diffusion du Monde. Jean-François Porchez, c’est le typographe créateur qui dessina pour le journal en 1995 une série de caractères spécifiques. Que cela suffise pour insuffler un renouveau est une question intéressante, trop tôt pour en débattre à ce stade, mais nous y reviendrons.

Ce qui est intéressant dans ces chiffres c’est qu’ils reflètent scrupuleusement la lente dégradation des ventes de la presse quot. France-Soir en fait les frais aujourd’hui, journal qui était lu par près d’un million de lecteurs quotidiens il y a une quarantaine d’années. Je ne connais pas les chiffres des autres journaux, mais aussi bien Le Figaro que Libération sont confrontés aux mêmes réalités. Et s’il en est une preuve, selon l’adage : «on ne change pas une équipe qui gagne», tous les journaux (le dernier en date l’Huma… mais aussi Libération qui prépare sa nouvelle maquette pour le début de l’année 2006) nous habituent à des réhabillages de plus en plus fréquents.

Nous pourrions dénoncer une telle course au nouveau look qui ravale les journaux à de simples produits de consommation. C’est là une question importante et cela mérite qu’on s’y arrête.

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La presse n’est pas un produit comme un autre

L’histoire des journaux se confond avec l’histoire de la naissance de la démocratie. Lorsque Marat publie l’Ami du Peuple en pleine révolution française, il fait avancer la démocratie. Voltaire l’avait précédé et l’on se souvient du rôle qu’il a joué grâce à ses pamphlets dans l’affaire Callas pour réhabiliter ce condamné-innocent.

Unejaccuse_4Mais aussi Émile Zola lorsqu’il publie dans l’Aurore le 13 janvier 1898 sous le titre J’Accuse, un réquisitoire en règle contre les accusations de traîtrise du capitaine Dreyfus, victime d’un antisémitisme à peine voilé des pouvoirs de l’époque. La naissance et le développement de la Presse se confond tout au long des deux siècles écoulées avec les progrès sociaux et l’installation de la démocratie comme principe fondant les valeurs de la République, liberté, égalité, fraternité. La Presse n’est pas un produit comme les autres et surtout pas le Monde. Lorsque je relis les articles publiés par Jean-Marie Colombani au lendemain du 21 avril 2002 dévastateur, (La
blessure, par Jean-Marie Colombani 

22.04.02) invitant notre président de la République à prendre conscience de ses responsabilités face à une situation sans précédent (…«Jacques Chirac est face à un choix capital. Il peut faire comme les
siens, au soir du premier tour, qui ont rivalisé dans la surenchère
droitière et sécuritaire, au risque une fois de plus de permettre à Le
Pen d’expliquer que "l’original" vaut mieux que la copie, et
d’entretenir ainsi le courant et toutes les dérives. Il peut aussi
choisir de restaurer sa fonction, et son propre crédit…»)
JMC prolonge cette longue tradition d’un journalisme non seulement d’opinion mais engagé dans la lutte quotidienne pour garantir le droit à l’information et les libertés publiques.

Non la Presse n’est pas un produit de consommation comme les autres.
Le statut des journalistes, les risques qu’ils prennent (Florence Aubenas), les conditions de travail (à la corde de l’information quotidienne), le rôle qu’elle joue pour garantir les droits fondamentaux et nourrir les débats de société sont autant de preuves qu’elle se situe à la marge de la consommation même si les modèles économiques, et l’heure des bilans annuels obligent les rédactions à s’interroger sur la qualité de leur gestion. 

Vous pensez peut-être que nous nous éloignons du sujet, Le Monde relifté? Au contraire nous sommes en train de définir la grille de lecture qui va nous permettre d’analyser ces nouvelles mises en page. 

Le Logotype : Le Logotype du journal n’a pas changé. C’est tant mieux ou tant pis. Que signifie d’ailleurs ce Fractur du Moyen Âge que l’on avait plus l’habitude de lire sur les vieux parchemins ou Bibles imprimées par Gutenberg. Ça veut dire que mon journal va puiser au plus profond de nos inconscients culturels une référence à la naissance de l’imprimerie. Donc forcément de la presse. Le Monde typographié en caractère gothique, tout comme le Frankfurter Allgemeine, mais aussi le San Francisco Chronicle envoie un message fort à ses lecteurs. Hubert Beuve Méry ne savait rien en 1945 des progrès technologiques (électronique, informatique, téléphonie) qui allaient bouleverser notre quotidien. Mais il pressentait qu’il fallait puiser dans nos inconscients les plus reculés un environnement typographique pour nous convaincre de la crédibilité d’un journal d’analyse politique, économique et social. Ce logo correspondait en tous points à cette attente. On pourrait imaginer aujourd’hui qu’il n’est plus d’actualité. Parce que le journal, les journaux se débattent dans un paysage concurrencé par la télévision et surtout internet. D’ailleurs les choix graphiques qu’on nous explique correspondent bien à ce contre-pied du «faites emmerdant».

L’image fait irruption dans le journal, presque à chaque page et pour commencer sur la Une. Le journal fait écho à l’information télévisée, aux images diffusées sur les blogs et la presse collaborative. Il devient par la même illustrée, non plus, et en priorité par les dessins d’un Plantu caricaturant l’impossible algorithme des situations politiques et humaines aux aspects les plus complexes, mais par des photographies dont la qualité de synthèse est largement en deçà d’un dessin, mais qui nous font entrer dans La Vie quotidienne par une lucarne que nous connaissons bien… l’anecdotique. Et du coup nous mesurons le paradoxe d’un logotype historique et fondateur associé à l’éphémère image photographique. Donc puisque le monde change pourquoi pas le logotype du Monde… c’est une question ouverte, à approfondir. Mais lorsque les Directeurs Artistiques Palmer et Watson installent un filet bleu couleur Figaro sous le logotype en Fractur gothique, nous pouvons légitimement se poser la question : est-ce que notre quotidien n’est pas en train de pratiquer un benchmarking, c’est à dire littéralement copier un code couleur du concurrent pour venir empiéter sur son lectorat. 

Parce que ce filet en couleur conforte l’idée selon laquelle le logo est dépassé par…le nouveau paysage médiatique.

Voici un commentaire relevé dans les Echos : «Le nouveau « Monde » abandonne la culture de l’exhaustivité, reconnaît Eric Fottorino, directeur délégué de la rédaction, qui a piloté le projet de nouvelle formule. Et privilégie une très forte hiérarchisation de l’information, en fonction de la valeur ajoutée que le quotidien peut apporter. Quitte à revenir sur l’information plus tard via « un rendez-vous quotidien où la rédaction pourra prendre le temps de réaliser un reportage ou une enquête pour aller plus loin. Ce type de pages constitue la meilleure réponse que nous puissions apporter à Internet et aux gratuits », poursuit-il. Ce qu’Hélène Mazzella, directrice de la communication du quotidien, résume par : « Nous sommes là pour donner du sens à l’écrit. »

Contresens tragique
Les médias de la Radio et Télévision connaissent bien le manque de porosité de leur public. A chaque jour suffit ses cinq articles majeurs. Entre 20 heures et 20 heures 30 nous avons droit à un matraquage sur toutes les chaînes, sur toutes les ondes avec pour clé de voûte cette norme sacro sainte des cinq infos majeures que le public peut recevoir dans un temps finalement assez court. Du coup vous avez l’impression que tous les médias électroniques diffusent la même info. La presse écrite pouvait échapper à ce normatif. Elle dont l’ergonomie de la prise en main distillé dans le temps et l’espace, pouvait prétendre à être lue aussi bien dans le métro-bus que dans les salles d’attente des entreprises ou des cabinets médicaux, voire des administrations. Un journal se plie et se déplie à volonté et s’il est une nécessité et une seule, c’est de marquer les articles par des repères (donc des titres) pour éviter juste de les relire deux fois (mais cette remarque n’est pas sérieuse… vous ne vous voyez pas oublier l’article que vous avez déjà lu. Autrement dit abandonner l’exhaustivité du Monde c’est renoncer purement et simplement à ce qui en faisait la clé de voûte de la Presse française. Hiérarchiser à l’extrême n’est pas, je cite «donner du sens à l’écrit». Parce que les lecteurs du Monde sont des universitaires, des étudiants, des cadres, la classe moyenne et innombrable de personnes qui prennent en main un journal pour aller y chercher une exhaustivité de l’information qui leur permettra de donner du sens aux choses dans le respect de la complexité et de la diversité des infos. Autrement dit la presse écrite et particulièrement Le Monde proposait jusques là, tout comme Internet la possibilité à tout un chacun d’aller puiser ses infos pour se faire une idée personnelle des réalités socio-économiques. Prétendre hiérarchiser, structurer fortement cette info au prétexte de faciliter sa lecture, c’est prendre le risque de réduire le lecteur à un consommateur. Et l’on y revient. 

Donc nous avons un Logotype en gothique, souligné d’un bleu Figaro et une belle photo en Une dans la partie supérieure, visible en kiosque pour faire venir le chaland. Et c’est…«la meilleure réponse que nous puissions apporter à Internet et aux gratuits…» dit Eric Fottorino.

J’ai longtemps pensé que le Frankfurter Allgemeine était le pendant du Monde, en voici la Une :

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Un format presque Figaro (40x47cm plié), nous n’y voyons aucune photo, aucune illustration. C’est Le Monde jusqu’à 1995. Les images, et il y en a, sont à l’intérieur. Mais on y décèle ce respect du lecteur qui justement ne vient pas chercher une trop forte hiérarchisation, qui sent qu’on va lui laisser choisir lui-même Son Info majeure, sa Dominante, et faire Sa cuisine personnelle. Au fond quand je vais sur Google Actus, voire sur les blogs collaboratifs je fais la même démarche, je vais chercher activement ce qui m’intéresse moi, et je ne laisse pas au média le soin de Me dicter Sa hiérarchie.

Je veux dire que nonobstant de mes remarques à venir sur la mise en page intérieure, je peux déjà me demander s’il n’eut pas mieux valu qu’on laisse à la Une cet aspect «intello», c’est à dire collaboratif. Cet aspect que les chercheurs, cadres moyens et sups et étudiants avaient plaisir à prendre en main en toute liberté de se faire leur propre opinion. C’était ça le positionnement républicain du Monde. Et d’aller batailler contre les gratuits, la télévision voire les sites internets aux cadres rigides et réducteurs c’est assurément la balle qu’on se tire dans les pieds. On ne lutte pas contre les ergonomies d’autres médias parce qu’on n’a pas les mêmes armes.

La grille de la Une du Monde

 

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J’ai toujours été frappé de la légèreté avec laquelle «on» traitait la grille dans la Presse française en générale et particulièrement au Monde. J’ai tracé la grille de la partie supérieure. Il ne correspond pas à la grille inférieure. Ce n’est pas que je suis contre un changement de grille à deux étages. Mais cela est possible quand l’œil a été protégé d’une perception de gêne. J’ai évoqué la qualité d’un journal à grille multiple en analysant le Magazine EnVille. Mais j’ai bien souligné que la réussite de cette juxtaposition verticale de deux grilles n’était rendue possible que grâce au blanc tournant entre les deux zones de lecture. Ici il y a télescopages de grilles et l’effet sur le lecteur est immédiat, une gêne s’installe de la même manière que si vous boutonniez une veste avec un cran (bouton-œillet de bouton) décalé. Il y a comme un défaut. Une grille c’est comme une architecture de façade. J’adore les vielles maisons qui penchent et dont les fenêtres ne se correspondent pas, hauteurs décalées, alignements accidentels… mais ce sont de vieilles maisons. Et ce qu’on y aime c’est justement l’aspect vieillot. Si vous demandez à Jean Nouvel de structurer une façade, il est capable de vous installer des ruptures verticales et horizontales, mais il respectera la règle du «fait exprès»… et pas du «fait à peu près»… et ils, le public, n’y verra rien, parce qu’il s’y connaît pas. C’est faux. Le public aujourd’hui s’éduque de plus en plus le regard et c’est vraiment prendre les gens pour des imbéciles alors qu’on vient de voir se répandre la plus grande culturation graphique démocratisé grâce à l’ordinateur que nous n’ayons jamais vu. 

La taille de l’image sur la Une du Monde
Nous y reviendrons en évoquant les pages intérieures, ce que l’on peut en dire dores et déjà, c’est qu’elle vampirise considérablement la lecture gutenbergienne. Bref la lecture tout court. Grande image, petit texte. Bientôt une BD, pourquoi pas sauf qu’à ce jeu les dessinateurs de BD sont plus forts et plus créatifs. Et la rédaction de Libé de même.

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