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Qui a dit que les typographes sont des gens sérieux. Pour avoir connu les sourires doux-amers de John Dreyfus, les éclats de rires d’Edward Benguiat qui me racontait que chaque année il prenait son petit bi-moteur (il avait servi comme pilote dans la Royal Air Force durant la deuxième guerre) pour aller fêter l’anniversaire de ses quatre ex-femmes, aux quatre coins des Etats-Unis. Les fous rires des Lursiens réunis autour de Roger Excoffon, Mathieu, le peintre, Massin et Ionesco, George Benson le parano, Justin Grégoire l’instit resté un gamin, François Richaudeau, Blanchard et les autres, j’ai pu me rendre compte et me faire une certitude: les typographes ne sont pas des gens sérieux. Et tant mieux. Only Love Is You, était la chanson fétiche d’Albert Hollenstein et l’art psychédélique faisait son entrée fracassante sur les bancs d’une école de Lure que le père fondateur (Maximilien Vox) survolait de son regard bon enfant.

 

Donc cette fonderie House dirigé par Chris Gardner et Ken Barber n’est pas tenu par des gens sérieux, mais je retrouve avec ces deux «guys» l’esprit même du phototitrage qui régna durant une trentaine d’années à partir des années 60. De fait, il y avait bien une industrie de la typo à l’époque. Tenue par les grandes Fonderies institutionnelles: Stempel (aujourd’hui Linotype), Berthold, Monotype, Scangraphic, Compugraphic (racheté par Agfa plus tard) et aux States, Harris, Alphatype etc. Mais les process de fabrication des caractères (pour la photocomposition) étaient terriblement onéreux et j’y reviendrai un jour prochain dans une note plus technique). Les plaquettes diatronic de Berthold étaient constitués d’un pack comprenant la fonte elle même, une plaquette de 6cm x 12cm qui comprenait en négatif tous les glyphes d’un alphabet latin, reproduits en corps 8, qu’on pouvait photocomposer jusqu’en corps 20, et… agrandir photographiquement jusqu’à une taille respectable de 20cm sur la capitale. Le pack comprenait en outre un bloc de chasses qu’on devait introduire comme un disque dur amovible dans un rack sur la machine diatronic de photocomposition. C’est ce bloc de chasses qui donnait les informations à la machine pour qu’elle compose le Times New Roman avec les bonnes approches propres à CE caractère.

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Le prix d’achat en 1975 du Times New Roman chez Berthold était de 3700 F c’est à dire 564,06 euros pour une seule graisse, en romain. Si l’on voulait composer avec le Times Italique, il fallait racheter un autre pack qui coûtait le même prix. Et il n’y avait pas de promo à l’époque si l’on achetait 100 caractères. La raison du prix exorbitant de ces procédés tient en un mot. Photocomposition. Les laboratoires de mise au point des supports de compo, associés aux studios de dessin, aux ingénieurs élelectro-mécaniciens et au designers des machines employaient chez Berthold environ 3500 salariés d’une très haute compétence technologique. Autant dire que le process était tellement coûteux qu’un fabricant sérieux ne pouvait se permettre d’éditer un caractère fantaisie au risque de le voir utilisé que par une poignée de fous furieux de la typo. Pas rentable. Voire dangereux, économiquement et … socialement.
Le phototitrage était donc le refuge de la création typographique. Parce que les process de fabrication d’une fonte étaient divisés par 500. et que l’on pouvait sans grand risque passer d’un dessin d’alphabet à la production d’une fonte exploitable sur une phototitreuse. Lors les ateliers comme Hollenstein, Face photosetting, typoGabor en France ou Ronné Bonder, Photolettering Inc à New York pouvaient développer des programmes de création très riche et varié.

C’est avec le PostScript© d’Adobe et les courbes vectoriels de Pierre Bézier que la typographie a pu faire le saut dans le XXIe siècle. Cassant tous les process traditionnels, un auteur-dessinateur d’alphabet pouvait exécuter ses propres dessins sur l’écran de son Macintosh réduisant tous les intermédiaires classiques à zéro. Plus besoin de photogravure, de support pour les caractères qui deviennent juste des soft, plus besoin de technologies d’essais. Les prototypes d’un alphabet s’essaient directement sur la machine où ils sont dessinés. Etc. Le temps de production à l’époque de la photocompo, d’un caractère typo devait être d’environ quatre à six mois, mais cela demandait la collaboration d’une centaine d’intervenants directs ou indirects (je pense à l’usinage des plaquettes dont le Dr Böger avait été le grand spécialiste en suisse et qui avait fondé Scangraphic.

Le temps de production d’un alphabet postscript descendait à quelques semaines voire quelques heures (sans compter le dessin bien entendu) dans le cas de caractères de titrage fantaisies. Et une seule personne pour en assurer la production. Vous imaginez sans peine le nombre d’emplois qui ont été détruits dans les métiers de la typographie au début des années 90. On peut dire historiquement que la typographie a été le premier secteur industriel touché par le numérique.

Tout ce discours un peu pédago pour vous permettre de replacer la production de cette petite fonderie dans le paysage moderne qui a balayé des siècles de process gutenbergiens. Pour aussi me permettre de vous inviter à découvrir leurs fontes sans arrière pensée, parce que s’ils ne valent pas les grands classiques que vous utilisez quotidiennement, ils ont leur utilité pour le choix qu’ils vous donnent lors d’une mise en page de magazine ou de pages de marketing direct. Là où il faut toujours parler plus fort que fort et plus fort que le titre voisin. (je ne partage pas cette logique mais je constate qu’elle est incontournable chez les VPCistes ou les sites WEB de merchandising).

 

 

Voici quelques typos que j’ai glané sur leur site, je suis curieux de voir ce que vous en pensez?

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Culture typo et Fonderie indépendante | suite

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Type Culture® est une fonderie typo indépendante et une mine de ressources scolaires que dirige Mark Jamra.

Une vraie découverte au détour de plusieurs sites et blogs. Vous savez, vous cherchez un truc, un renseignement, cette fois, une video sur les machines Monotype et Linotype, et on clique et on reclique. Ma méthode est simple, les deux premières choses que je regarde en surfant, c’est la pertinence graphique et typographique d’un site, puis les liens. Ils sont très révélateurs du sérieux et de l’envie de partager les trésors cachés au fin fond du web. Avec à chaque fois un objectif tout de même, sinon vous y passez trois fois plus de temps. Et me voilà enfin sur le site de Mark Jamra, qui comme tout le monde le sait (smiley) est un concepteur-typo, et professeur associé à l’université d’Art dans le
Maine à Portland. Il a conçu des caractères pendant plus de 20 ans.
Il a imposé sa propre pratique en matière de conception pendant 15
ans et est également associé à la communication et conception
d’Alice, collectif de concepteurs en communication et spécialistes à
Portland. Ses créations de caractères comprennent: l’Alphatier, le
Grec de Brynmorgen, l’Expo Sans, la Quelle Bold (une police brand
pour la plus grande compagnie de VPC d’Europe), le Latienne, l’ITC
Jamille,
le Tacitus et le Kinesis.

Quant à Jamie Peloquin il (ou elle, je n’ai pas réussi à me convaincre que c’était un homme) est le concepteur et le directeur du website de TypeCulture®. Diplômé de l’université d’Art dans le Maine il a commencé sa carrière en travaillant comme indépendant pour différentes publications de presse à Portland. Concepteur senior chez Chermayeff et Geismar à New York City, il a été associé à des projets pour des clients tels que la ligue base-ball princ, le magazine Domus, l’alimentation (magasins en ligne) et l’école de journalisme de Colombie.

Jamie est actuellement le directeur de création et marketing d’Axone dans le Maine.

Je vous propose trois videos aujourd’hui. Je n’ai pû les télécharger ni les enregistrer sur mon disque. (si quelqu’un connaît l’astuce, je suis preneur). Aussi vous devrez cliquer sur les liens pour aller y voir.

La première Video c’est la machine Monotype mise au point dans les années 1900-1925 que j’ai déjà longuement évoqué dans mes articles sur Stanley Morison.

La deuxième video concerne une machine de la même époque, mais contrairement à celle de Monotype, la Lino (ou l’intertype, son équivalent) fondait les lettres une fois composées sur le clavier, en ligne bloc Line-of-Type.

Puis enfin une petite video sympa qui doit dater maintenant avec comme principal intervenant Erik Spiekerman, lui-même, qui nous fait un cours élémentaire sur l’omniprésence de la typo dans notre environnement de tous les jours. Et de l’importance du choix des caractères en rapport des nombreuses applications. Ces videos n’ont rien à voir avec ceux de Hilmann Curtis que l’on trouve sur le site de l’AIGA. Mais tout de même, il me semblait important de rappeler cette époque de la typographie qui participait à l’industrialisation et la mécanisation au même titre que les transports ou la fabrication des armes.

Monotypecasting

la video est là !

Linotypecasting

la video est là ! cette machine a servi pour composer Le Monde jusqu’à la fin des années 70, voire même au début des années 80.

Typomania

la video est là !  

D’autres videos sont présentés (la Ludlow par exemple, première machine de titrage mécanisée) avec comme pièce d’anthologie, et ce petit film en noir et blanc où l’on voit Frederic W. Goudy, dessiner, découper, graver quelques signes typographiques. Un trésor, vraiment ! 

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Albert Hollenstein | «Etapes» de l’œuvre d’un typographe suisse à Paris

J’ai rencontré au mois de février la Rédaction d’Étapes, qui m’a demandé de plancher sur un article consacré à Albert Hollenstein, sa vie, son œuvre.

C’était pour moi un très grand challenge. Parce que non seulement c’est un des hommes qui m’a le plus marqué, mais sans doute c’est un de ceux qui m’ont donné l’envie de créer ma propre entreprise de typographie. De ce fait et par voie de conséquence je me suis aussi retrouvé très souvent en concurrence avec son entreprise, sa production.

Hollenstein est décédé en 1974 dans des conditions tragiques à l’âge de 44 ans, laissant derrière lui une œuvre magistrale et une équipe de professionnels et d’amis orphelins de son sourire de gamin éternel. De son talent et de ses passions partagées.

C’est aussi l’occasion pour moi de rappeler que «ce qui va au papier doit venir du papier» (mot de Michel que j’affectionne particulièrement). Ainsi il était tout à fait indiqué de publier cette vie, cet œuvre dans les colonnes graphiques de la revue Étapes où vous pourrez découvrir ce mois-ci les innombrables travaux, des caractères inédits, une philosophie de la communication qu’Albert Hollenstein, Hol pour ses compagnons et amis, avait dispensé tout au long de sa courte carrière. (Article rédigé sous le #131 d’étapes.)
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Affiche sérigraphique, format 50 x 60, papier mat 220g. Autopromotion et promotion du caractère OR d’André Chante. Le design à l’honneur dans une France qui découvre pour la première fois depuis la fin de la guerre les formes fonctionnelles et surtout arrondis du design bauhausien. Chante était épris de cynétisme, Yvaral, le fils de Vasarely suivait dans les pas de son père, de même que Soto exposé à la Galerie Denise René. Hollenstein a lancé avec cette affiche une des typos les plus marquantes de l’époque, réalisé avec une perfection inégalée et uniquement à l’aide de règles et de compas par un André Chante devenu suisse par vocation. et un court extrait :

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Inventeur en son temps des lettres de lumière il avait fait construire une machine, véritable composteur de lumière qui lui permettait enfin de composer ses titres selon les approches idéales, c’est-à-dire rectifiées entre chaque lettre selon l’architecture même de la lettre. La machine était d’une conception assez simple. Dérivée d’un banc de repro (duction) et d’un composteur gigantesque, ce dernier était constitué d’un rail translucide éclairé par en dessous par un tube-néon où le typo alignait ses lettres-films pour composer des lignes-blocs. Un système d’aspiration maintenait les lettres plaquées contre le rail de plexiglas, de sorte qu’une fois composées, elles ne bougent plus jusqu’à l’opération de photographie sous le banc de repro. L’opération terminée elles étaient redistribuées dans des casses tout comme les lettres en plomb.

Rendez-vous donc cette fois-ci dans les kiosques ou boutiques spécialisées dans les arts graphiques (artazart par exemple pour ne pas les citer) pour continuer à lire mes passions pour les grands typographes qui ont marqué le vingtième siècle.

 

Et aussi sur l’article que j’ai fini par rédiger au mois de mai 2007 ici.

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FontBureau | une des premières fonderies indépendantes

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J’ai rencontré David Berlow, Mike Parker et Roger Black à San Francisco en 1989 et 1 an plus tard à Oxford pour un spécial ATYPI qui s’est tenu dans les salles victoriennes de la vielle Université. Ils étaient en train de fonder sans doute une des premières fonderies indépendantes. Souvenez-vous c’était l’année où le Postscript a été rendu public par John Warnock président d’Adobe. Et c’était aussi le moment idéal pour une poignée de fous furieux de la typographie de faire le pari de la micro-typographie. Les News Papers comme le New York Times ou Smart songeaient très sérieusement à basculer leur production éditoriale sur les Macintosh de l’époque (1000 fois plus lents que ceux d’aujourd’hui) et David & Roger se tenaient en embuscade pour fournir ces journaux et magazines en nouvelle typographie vectorielle. Seize ans ont passé, et leur catalogue s’est très largement étoffé. Ils sont principalement distribués par FontShop basé à Berlin mais certains de leurs caractères font désormais partie du patrimoine typographique mondiale si bien qu’on les retrouve dans des catalogues d’Agfa-Monotype ou d’Adobe. Voici un petit aperçu de leurs spécimens.

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Je me suis amusé à composer sur leur site la marque Design et Typo dans un caractère que j’apprécie particulièrement, le Bureau Empire (romain et italique). Voilà une typo qui permet d’emblée par son architecture de logotyper presque n’importe quelle marque. Ce que j’affectionne dans le catalogue de FontBureau, ce n’est certainement pas la perfection inodore et incolore de leurs dessins. Et ce serait plutôt même le contraire. Mais, c’est plutôt d’y retrouver cette vieille tradition américaine qui consiste, à partir de vieux dessins européens comme le Cheltenham ou le Caslon et de les revisiter avec un soupçon de fantaisie mélée à une tradition calligraphique américaine. Parce que c’est bien là une des qualités des étatsuniennes que de considérer toute typographie au travers d’une lecture manuaire des formes. Ce qui fait que vous trouvez aussi bien dans les sans sérifs que les sérifs une sensibilité faite de manualité (kraftwerk) tout autant que de rigueur architecturale. Regardez cette mécane, le Belizio ou bien le Cheltenham FB ou encore le Garamond FB (tiens je l’avais oublié celui-là dans mes études sur le Garamond), chaque fois il s’agit d’un dessin ancien, mais à la fois modernisé et adapté à une sensibilité américaine, celle des designers de presse soucieux d’économie d’espace et d’efficacité visuelle. Berlow et surtout Roger Black se sont fait une réputation de relooker des magazines avec un rare talent et sensibilité. Allez sur leur site, et vous y verrez leur références, ce n’est pas rien. Mais ce qui fait l’unité de leur travail, c’est la recherche constante d’un confort de lecture. A mon avis, ce ne sont pas seulement des typographes et d’excellents metteurs en page. Ils doivent certainement passer leur temps à lire les journaux.

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L’histoire du Times New Roman | l’œuvre de Stanley Morison (4)

la présente note fait suite au billet numéro 3 ici

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CONSEILLER DE MONOTYPE Corp. Ltd
L’ambiance était propice à une véritable renaissance de la typographie. La gravure du Caslon a démontré l’excellence et la compétence technique de leurs promoteurs et celui du Garamond a rencontré finalement un public conquis. Morison collaborait avec la compagnie au travers du Monotype Recorder qui voyait en lui l’avènement d’un grand historien de la chose imprimée. Il était temps de passer à l’action. Morison commença des pourparlers avec Duncan (président de la Monotype) en 1922 lorsqu’il retourna à Londres pour établir une succursale de la Cloister Press à St Stephen House près de Westminster. Il présenta alors un programme de design typographique, qui revisitait systématiquement et avec beaucoup de rationalité les besoins de l’édition en typographie contemporaine.

Cela supposait tout de même des investissements financiers sans précédents sur ces machines mécanisées. On n’avait jamais osé programmer un plan de dépenses créative depuis la naissance des Monotype. Le mot de Burch qui avertissait ces compagnons qu’il était prêt à ruiner la compagnie pour faire vivre le projet Garamond n’était pas si loin de la réalité. Mais Duncan était un fin connaisseur de la typographie et se doublait d’un caractère très astucieux. Il accepta le programme de Morison et le préempta pour devenir conseiller appointé de la compagnie. Morison se plaisait à dire que ce n’est pas la compagnie qui l’avait embauché mais lui qui avait imposé à celle-ci son programme, toujours est-il qu’il put disposer dès lors d’un bureau permanent à la Monotype.

Malheureusement Duncan était déjà malade et dut transférer progressivement toutes les responsabilités qui lui incombaient sur les épaules de son fondé de pouvoir William Burch qui allait ainsi prendre sa succession et tous les soucis dont il se moquait lui-même en songeant au gouffre engendré par le Garamond et l’ensemble du plan de Morison. On ne réalisa que longtemps après les risques inconsidérés que Monotype avait prise en adoptant ce programme. Mais Burch séduit et convaicu de son bien fondé maintient Morison dans ces nouvelles responsabilités en l’installant près de lui dans un bureau situé au siège de la compagnie à Fetter Lane.

Il faut admettre cependant que ce Garamond n’était pas vraiment le choix de Morison. Il lui aurait préféré une fonte plus récente parmi ceux de Guillaume Le Bé, mais il fallait tout de même démarrer le projet de cette gravure. Cette typo attribué à Garamond fut copiée sur une édition contemporaine de l’Imprimerie Nationale. Mais c’est seulement quand Morison, devenu coéditeur du Fleuron, et qu’il put s’assurer de la collaboration de Paul Beaujon que les éléments d’information concrètes purent être réunis. L’article de Paul Beaujon dans le Fleuron de 1926 démontre à l’évidence que l’assimilation au Garamond de tous les caractères que l’on dénommait «caractères de l’Université» ne pouvait être accrédité. Ce devaient être d’excellentes copies d’une authentique fonte gravée par Jean Jannon.

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couverture de spécimen de typo pour la Cloister Press

La conception d’une italique s’harmonisant avec le romain, excercice incontournable depuis les pratiques typographiques du 16e siècle, était extrêmement périlleuse. Pendant qu’il négociait les droits d’attribution du Garamond, Morison cherchait à lui associer une italique et celui qui, officiellement lui était attribué par l’Imprimerie Nationale ne lui convenait pas du tout. Il la considérait comme très inégale et mal adaptée au romain et lui préféra une italique plus ancienne pris sur le modèle de celui que Robert Grandjon gravait en 1530. Un caractère aux ligatures remarquables et si l’on considérait le point de vue du fabricant de polices mécanisée, jamais une telle police aux qualités si parfaite n’avait été gravée jusqu’alors.

Pendant qu’il prenait possession de ses nouvelles attributions à la Monotype, Stanley, reprenait contact avec les gens de la St Bride Insitute Technical Library. Vous vous souvenez c’est celui qu’il fréquentait au moment de son installation près de Manchester à la Cloister Press. Cette Library était une mine d’or parce que réunissant un grand nombre de spécimens de vieux caractères qui n’avaient pas toujours été publiés. Il nouait dans le même temps des relations privilégiés avec les deux principaux auteurs de ces ouvrages sécialisés, des historiens émérites de la typographie, Talbot Baines Reed et William Blades à qui Morison devait beaucoup. Un autre ancien bibliothécaire W. Turner Berry, se souvenait de lui pour avoir emprunté des spécimens par «camions entier». Et il se mit au travail d’un décryptage systématique de tous ces trésors pendant que la compagnie mettait en œuvre les outils et les hommes qui allaient créer et exécuter son plan de bataille.

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couverture de spécimen typo pour la Cloister Press

Stanley Morison n’a pas eu que des amis à la Monotype Corp. Et le moins qu’on puisse dire c’est qu’il a eu ses détracteurs comme n’importe quel visionnaire avec en tête les ingénieurs de la compagnie, qui considéraient son intervention comme interférant avec leur propre mission. De même que cette cabale d’imprimeurs qui estimaient qu’il y avait déjà suffisamment de caractères au catalogue de la compagnie. Qu’il n’était pas besoin d’en rajouter, que c’était là un luxe très cher payé de même que d’appointer un conseiller typographique permanent.

Mais il en fut autrement à la St Bride Institute. Là, lorsque Stanley exprimait ses options, son sentiment sur les tendances commerciales dans l’imprimerie en marche d’un vingtième siècle révolutionnaire, il était écouté au point que Turner Berry un des dirigeants de la St Bride, le voyait bien prendre la tête de cet organisme. Il y eut une campagne de lobbying, pour faire élire Morison au conseil d’administration. Mais là encore les réticences l’ont emportées. J.R. Ridell en tête qui mit longtemps à se convaincre du talent de Morison le catholique. Et il l’empêcha systématiquement d’accéder à ce conseil, alors même que le Gill Sans d’Eric Gill sortait des usines de Monotype et allait connaître le succès que l’on sait.

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specimen typo pour la Cloister Press | illustration typo et décoration

De fait la vraie difficulté pour Morison ça a été de convaincre les opposants traditionnels tenants d’une imprimerie d’ouvriers du livre aux mains d’un savoir faire vieux de 450 ans. Il arrivait avec des idées neuves, artistiques, commerciales, marketing et bousculait des idées reçues, et la prédominance ouvrière dans ce métier des plus hermétiquement fermés. Il lui faudra patienter plus de 10 ans avant de voir ses idées triompher des scepticismes et des inerties corporatistes.

TEA-SHOPS ET ASSOCIATIONS
En 1921, Stanley Morison et Oliver Simon de la Curwen Press fréquentaient un petit groupe de réflexion qui discutait de publicité et de qualité d’impression. Simon voulait rencontrer Morison en privé et l’invita au Salon de Thé du Lyons Club pour débattre de ces questions finalement assez contreversées à l’époque. Ils ne se revirent que longtemps après cette tasse de thé. Pour la raison que Morison était terriblement débordé par la préparation d’un Supplément pour la Manchester Guardian. Cette édition, produite à la Cloister Press, selon les dires de Simon était en train d’accélerer toute les questions relatives à la nouvelle typographie. Car au fond de quoi s’agissait-il ? Ni plus ni moins que d’une bataille d’anciens contre les modernes. Une sorte d’Hernani de la typographie. Pour enjeu majeure l’intérêt final du consommateur-lecteur.

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couverture pour la Monotype Recorder (1926)

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couverture pour la Monotype Recorder (1927)

Si l’on replace cette affaire dans la perspective de l’industrialisation en ce début de siècle les forces en présence poursuivaient des intérêts contraires. D’un côté, les private presses, litéralement les imprimeries privées, mais de fait il s’agit surtout de ce qu’on peut appeler des imprimeries, propriétés d’éditeurs qui témoignaient d’un conservatisme atavique. Composition manuelle, caractères maniérées, beaux livres, beau papier. De l’autre, les imprimeries à façon qui commençaient à se multiplier. Entraînés en cela par les besoins croissants de la publicité et de l’édition commerciale. Une économie de marché dont l’imprimé était à l’époque le seul média de communication.
Et puis il y avait un arbitre, une sorte de Monsieur Loyale au milieu de ce jeu de quilles. C’était la presse, les journaux. Pour qui la productivité relevait d’une question de survie. Autant dire que la composition manuelle était à terme condamnée mais les combats d’arrière-garde étaient meurtriers.

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couverture pour la Monotype Recorder (1922)

Mois de juillet 1922, Simon et Morison tentent de former une association avec quelques éditeurs et imprimeurs pour promouvoir la composition mécanique appliquée à l’édition. Les membres cooptés : Francis Meynell, Holbrook Jackson, Bernard Newdigate. L’idée germe, d’une édition annuelle pour promouvoir la qualité des nouvelles technologies. On prend date et l’association s’appellera la «Fleuron Society». Mais c’était sans compter un loup dans la bergerie. Deux réunions des plus orageuses qui révélèrent l’attachement de Newdigate à la composition manuelle et l’association dut être dissoute. Toutes ces discussions se tenaient, et il est important de le signaler, bien avant que le programme de Morison ne soit mis en œuvre par la Monotype.
Qu’à cela ne tienne, Simon et Stanley se retrouvent de nouveau au salon de thé du Lyons pour envisager très sérieusement de lancer un périodique de promotion de la typographie. Et c’est en automne 1922, alors que la Cloister Press connaissait des difficultés financières qui allaient priver Morison d’une part importante de revenus réguliers, que les deux compères décident de lancer le «Fleuron». Leur optimisme leur faisait espérer que les revenus issus de la diffusion du Fleuron allait permettre de compenser cette perte. Optimisme sans fondement sérieux. Toutefois le positionnement géographique du Fleuron dans les locaux de la Curwen Press, où Simon et Morison allaient se partager jusqu’en 1924 un bureau allait jouer un rôle majeur dans l’avenir de Morison.

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Monotype Recorder (page intérieure) (1922)

Pas facile de faire le tour de cet homme. Morison était très secret. Profitant de la défection du Cloister, il entama plusieurs voyages dont ceux en Allemagne, à Berlin où il continua de mener ses recherches sur l’histoire de l’imprimerie, de la typographie. Il n’a pas été toujours facile de retracer avec exactitude la chronologie des déplacements et rencontres de cet homme qui entretenait des réseaux d’amitiés professionnelles très cloisonnés. Personne ne savait à dire vrai qui composait le réseau voisin. Lorsque son mariage vient à rompre (il n’eut pas d’enfants), Morison se tourna résolument vers ses activités professionnelles, comme presque libéré d’obligations qui lui pesaient. Avec Simon il forma jusqu’en 1924 une sorte d’université privée de recherches typographiques. Certains ont affirmé que ces réunions au Salon de Thé du Lyons étaient un signe de son puritanisme catholique. D’autres ne l’ont évoqué que un signe de snobisme bien british, plus prosaïquement on pourraît aussi avancer l’explication sociologique d’un homme issu d’un milieu modeste qui voit en ce métier l’occasion d’accéder à un rôle influent. Les métiers du Livre (et avec les débuts de l’ère industriel plus que jamais) ont toujours été de tous les combats pour et contre le progrès. C’est donc un lieu d’opinions dont le Fleuron qui va déménager à Great Russel Street se fera un écho majeur.

Vers 1924 Morison s’associera à la fondation du Double Crown Club, qui réunit au cours de dîners-débats les amateurs d’Arts et du Livre. Le dîner inaugural eut lieu au restaurent Florence et durant plus de 40 ans il se réunira régulièrement. Morison y a donné parmi ses plus belles conférences. Arc bouté sur son micro, chaque muscle de son visage signifiait intelligence et passion. Ses lectures-conférences, d’une exacte concision, faisaient le délice des groupes de travail qui se réunissaient pour discuter âprement des évolutions technologiques, typographiques, de la promotion de la qualité comme moteur du développement économique dans des métiers qui subissaient de plein front toutes les révolutions techniques de ce siècle.

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feuille de spécimen pour l’italique d’Antonio Blado

(suite à venir)

L’ensemble des notes consacrées à Stanley Morison est regroupé sous ce lien

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Publié dans Stanley Morison | Commentaires fermés sur L’histoire du Times New Roman | l’œuvre de Stanley Morison (4)

L’histoire du Times New Roman | l’œuvre de Stanley Morison (3)

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ceci est la suite de l’article ici

L’IMPRIMERIE DU «PELICAN»
La guerre bat son plein alors que Morison quitte la prison en 1917. L’année précédente pour d’obscures différences d’opinions politiques avec son père, Francis Meynell à l’invitation de George Lansbury quitte la firme paternelle pour rejoindre le Herald. Encouragé par quelque vieilles filles un peu mystiques, il créa un département d’impression au sein du Herald qu’on appellera «the Pelican Press», avec un objectif : imprimer tous les gospels émanant du Krishnamurti que Madame Annie Besant prenait pour le nouveau Messie. Mais il n’y eut pas de gospel. Dommage sans doute, mais pas pour Francis Meynell qui se lança dans l’édition-impression de tout ce qui l’intéressait depuis longtemps. Il marqua ainsi de son sceau non seulement des ouvrages sur la typographie en général mais aussi sur un thème qui lui tenait à cœur, la typographie publicitaire.

Lorsque Meynell prit des responsabilités plus importantes au Herald, il demanda naturellement à Morison de le remplacer à la tête du Pelican Press. Ce dernier avait alors 30 ans, marié, avec responsabilités familiales. Il habitait un cottage à Hollyburry Lane, Hampstead au milieu d’une petite communauté catholique et par commodité proche de l’église St Mary. C’était la première fois qu’il avait à exercer une quelconque autorité, et il prit cela très au sérieux. Il ranima son réseau de connaissances chez Oates & Burns qui ne l’avait jamais oublié, le mentionnant dans le colophon d’un de leurs ouvrages, le «Living Temples» par Bede Jarett.

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carte de vœux 1920 imprimé par Pelican Press

Le Pelican Press était une imprimerie assez extraordinaire. Mais c’était aussi une filiale de la Victoria House Printing Company, imprimeurs du Herald, et leur style était amplement influencé par la vielle garde travailliste. Pour Morison ces deux années passées là furent précieuses. Il apprit tout de l’impression à la composition, des composeuses mécanisés de Monotype à la rédaction de «papiers» pour le journal ; la maquette, le graphisme. Et durant tout ce temps il continuait d’étudier et d’écrire sur l’histoire de la typographie, dont il faisait un usage des plus pragmatiques. Dès qu’il découvrait quelque aspects intéressants, il en publiait des essais comme par exemple celui de «Note on Roccoco Printing» ou «Now and Then» qu’il imprimait pour un journal d’entreprise de Jonathan Cape. Ces efforts se mulipliaient et il en vint à disserter sur l’époque baroque en publiant un «roccoco and neo-roccoco fleurons» pour la Festschrift qui le publiait en l’honneur du cinquantième anniversaire de E.R. Weiss.

Si nous considérons la production de Morison, concernant la connaissance et l’enseignement de la typographie, cette période du Pelican Press fut très prolifique. Il y publia un «The Craft of Printing» (le métier d’imprimeur) et surtout les «Notes on the History of Type Forms». Quand on lui posait la question, Morison était assez sévère avec ces premiers écrits. «Ce papier c’est du pré-Updike (la pire injure) et n’a d’autre valeur qu’esthétique». Il n’avait de cesse cependant d’éclairer ses lecteurs sur la nature des outils typographiques et d’écrire des essais comme celui où il met en lumière l’intime relation entre les Caslon, Didot (de Jensen) et l’Aldus. De même que les influences de la calligraphie sur la typographie. En tous les cas ces plaquettes se lisent encore aujourd’hui très agréablement et sont loin d’être ce qui s’est fait de pire au firmament du Pelican Press.

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ceci est une enveloppe du Pelican Press contenant une feuille de specimen de composition. L’adresse y est calligraphié de la main de Stanley Morison.

Les spécimens de composition qu’il faisait imprimer en rouge et noir étaient de véritables «tours de force» du métier où il montrait des collections de vignettes décoratives, des fleurons, et les collections de caractères du Pelican qui finirent par attirer l’attention de l’éditeur Franck Sidgwick, un client fidèle de l’imprimerie. Celui-ci admirait de plus en plus le travail remarquable de Stanley. Sidgwick c’est celui qui en publiant le troisième numéro du «The Fleurons» avait déjà cité Morison comme l’expert de la question décorative en typographie, et bien que celui-ci ne souhaitait pas être catalogué comme imprimeur, Franck songeait déjà à le recruter comme tel.

LE CLOISTER PRESS
Alors que Morison œuvrait au Pelican, un publicitaire de Manchester, Charles W. Hobson cherchait à s’adjoindre une imprimerie à ses activités d’agence. Un atelier qui respecterait qualité et élégance d’une production destiné aux éditeurs et à la réclame. Morison et Hobson s’étaient déjà rencontrés en 1917. Ils étaient tombés d’accord sur l’idée que la plupart des gens ne savaient pas correctement composer la typographie (donc les lettres-plomb à l’époque).

Vers 1920 Hobson franchissait le premier pas en créant la Cloister Press Ltd qu’il finit après maintes recherches par installer à quelques encablures au sud de Manchester. C’est là qu’il construisit l’usine pour lequel il fit appel à un expert Walter Lewis, ex manager de la Ballantyne Press et du Complete Press. Celui-ci rappela ses troupes qu’il avait précédemment fait engager chez Ballantyne afin disait-il de créer l’atelier où l’on produirait du bon travail à l’ancienne (il y a toujours plus ancien à chaque époque de l’histoire). Mais Hobson avait une autre idée en tête. Morison. Lorsqu’en 1921 il était client du Pelican, il ne songeait plus qu’au talent de notre typographe. Il le voulait pour diriger l’atelier de composition de Cloister Press, afin d’y veiller chaque jour aux menus détails qui feraient qu’une page composée devenait un régal pour les yeux, exemplaire comme un manuel des bonnes manières. Mais Morison y allait à reculons. Pas enthousiaste du tout. La prairie fleurie de marguerites près de Manchester ne lui disait rien du tout, lui qui aimait à dire à Eric Gill, que ce qu’il préférait le plus au monde… étaient les pavés de Londres. Il n’aimait pas du tout l’idée d’aller vivre dans le nord, loin de la capitale couronnée. Cependant il y a toujours des bénéfices, à toute situation. Et en acceptant l’offre il songeait déjà à étudier les manuscrits et vieux livres qui se trouvaient à la John Rylands Library. Ce n’était pas pour lui déplaire. Et la vie s’écoulait tranquille, pendant qu’il se languissait de Londres. Ce fut une période propice à plusieurs voyages. Hobson l’emmena jouer les découvreurs de papiers et de polices à travers l’Europe, et voilà encore un aspect de la culture de Morison qui vient s’enrichir au contact d’un moulin à papier qui produisait la plus belle pâte qui soit, en Italie, à Fabriano, dans la fabrique de Pietro Miliani. Là ils découvrirent ensemble le plus élégant et le plus beau de tous les papiers qu’ils connaissaient. Une référence qu’il conservera toute sa vie comme une véritable religion.

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une page du Distinguished Result in Printing, 1921

Cependant qu’à Heaton Mersay, à l’usine du Cloister Press, il réalisait les couvertures de type-catalogues et specimens pour une clientèle, à la fois éditeurs old fashion mais aussi publicitaire, un jour il décida de consacrer une plaquette au caractère Garamond gravé en 1917 par l’American Type Fondery (ATF). Il fit importer 3 corps de cette typo (rappel de l’époque plomb : 1 police = 1 kilogramme de caractère plomb dans un corps donné)… que l’on disait être une assez bonne copie de l’original que personne ne connaissait à l’époque (en Angleterre). Au premier trimestre de 1921 un joli quatre pages fut imprimé avec cette typo et en le voyant Sidgwick, toujours patron des Cloister Press, fut tellement enchanté qu’il décida de faire composer un livre entier en Garamond. Le succès fut au rendez-vous. Et nombre d’imprimeurs-compositeurs voulurent ajouter le Garamond à leur catalogue. Personne ne connaissait les véritables originaux de ce caractère, mais qu’importe. Il plaisait. Et, et c’est ainsi que la chose parvint jusqu’aux yeux fatigués du vieux Humphries, Eric Humphries du Percy Lund, Humphries & Co. Ce dernier qui faisait parti d’un petit clan qui comprenant Harold Curwen, Oliver Simon et… lui-même, en parla à William Burch qui se trouvait être le secrétaire général de la Monotype Corp.
Quelques jours après ils furent appelés à se rencontrer au siège de la compagnie. Burch déclara, enthousiaste, presque les larmes aux yeux : «quitte à ruiner Monotype, je vais faire graver ce Garamond».

La Compagnie Monotype (fabriquant des machines à composer mécanisées) avait pris l’habitude devenue assez courante par la suite chez tous fondeurs et compositeurs de la planète, d’éditer à l’attention de ses clients une sorte de Newsletter, le «Monotype Recorder» sous la forme d’une plaquette de prestige pour promouvoir les métiers de l’industrie typographique et graphique. Elle en confiait la réalisation à chaque édition à l’un de leurs clients les plus presitigieux. Le choix de la compagnie tomba naturellement, et pour des raisons stratégiques sur la Cloister Press. Ce fut la première collaboration Morison avec la Monotype. La mise en forme comme la rédaction lui furent confiées. Intitulé The Old Face, la plaquette, entièrement composé en Caslon était toute entière dédiée à vanter les qualités de ce caractère dont la gravure avait commencé en 1916 à la demande d’un des plus gros clients de la compagnie William Maxwell d’Edimbourd (à la tête de la firme R. & R. Clark) gravure que les efforts consacrés à la guerre avait considérablement ralenti. Mais en 1922 le travail était terminé, prêt à la commercialisation et le succès immédiat qu’il rencontra mit un terme au vieux débat du caractère-plomb-manuel versus caractère-plomb-composé mécaniquement. La qualité était au rendez-vous. Et Stanley Morison y mentionnait Claude Garamond en annonçant la grande nouvelle d’une gravure en cours de réalisation à la Monotype… «et qu’aucun effort ne sera économisé pour produire un modèle d’une qualité irréprochable de ce caractère.»  (suite à venir)

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L’histoire du Times New Roman | l’œuvre de Stanley Morison (suite)

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la suite est en préparation

En voici les principaux titres :

L’imprimerie du Pelican

L’imprimerie de Cloister

Conseiller de Monotype

Les réunions au Tea-Shops

Le «Fleuron» et «Penrose»

Le «Baskerville type»

Le Poliphilus et le Blado

Première visite en Amérique

L’imprimerie du Cambridge University

Pierre Simon Fournier et le Barbou

Comme éditeur du «Fleuron»

Période Long Island

L’imprimerie du «Fanfare»

Eric Gill et le Perpetua

Le Gill Sans

Quelques réalisations graphiques contemporaines

Le Bembo et ses italiques

Les couvertures du Gollancz

Enfin au Times

Le Times New Roman

Historien et journaliste

Le caractère Bell

Concepteur de Journaux

La rencontre avec Jan van Krimpen

Les caractères de titrage

Le caractère Ehrhardt

1940 | l’exposition Gutenberg et la Guerre

Les programmes d’après-guerre

Les visites à l’étranger

Quelques publications des années 50

Sa rencontre avec Lord Beaverbrook

L’hommage qu’il rendit à John Fell

L’édition spécial du «Printing and the mind of Man»

Morison, le typographe

Morison, l’homme

Tout ceci pour vous dire que vous n’avez pas fini de souffrir cette série d’articles consacré à un homme exceptionnel dont l’œuvre se confond avec toute l’aventure moderne de la création typographique. Avec et après Stanley Morison le monde typographique a pu évoluer, se moderniser, aborder avec plus de liberté dans le respect des qualités fondamentales des formes et de la lisibilité un art qui est aujourd’hui plus que jamais vivant et prospère.

 

 

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L’histoire du Times New Roman | l’œuvre de Stanley Morison (2)

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La modernité d’un caractère tient au moins pour moitié à la manière dont on le compose et met en page. (©design et typo)


THE IMPRINT NEWS

Stanley Morison proposa sa candidature bien que n’ayant pas une grande expérience dans les domaines de l’édition et de la publicité. Il compensa cet inconvénient par l’impression très favorable qu’il fit sur Gerard Meynell, concernant ses idées sur le monde de l’imprimerie. Morison se dit fatigué de travailler comme clerc de banquier et Meynell d’en sourire et de le trouver si sympathique qu’il l’engagea sur le champ. Bien que l’Imprint connut une courte apogée dans l’univers de l’édition spécialisée, cela suffit à Morison d’en apprendre davantage qu’il ne pouvait l’espérer. Tout d’abord sur la mise en page moderne et d’une manière générale sur les technologies de l’impression et de la composition mécanisée. Mais surtout, il pouvait mettre en pratique enfin son goût pour l’écriture. Son premier article «Notes on some Liturgical Book» confirma s’il en était besoin que son attirance pour les beaux ouvrages de bibliophiles lui était venu de sa pratique antérieure des textes religieux.

BURNS & OATES
Nécessité fait loi, et le l’Imprint News du déposer assez rapidement son bilan faute d’avoir trouvé un lectorat suffisant pour financer les charges fixes. Une nouvelle direction pour Morison, mais pas anarchique du tout. Recruté par l’oncle de Meynell, Wilfrid Meynell, le jeune débutant pouvait enfin associer son goût pour le beau livre et la théologie. L’oncle Meynell était le directeur général d’un éditeur d’obédience catholique, la firme Burns & Oates. Morison était d’autant plus heureux de le rejoindre qu’on y défendait l’idée d’associer bel ouvrage avec belle typographie. Loin d’être des suiveurs, les collaborateurs de Burns & Oates étaient à l’avant garde des découvertes et recherches typographiques. Morison fut nommé assistant du jeune Francis Meynell, à peine 21 ans et déjà en charge du design graphique des éditions de son père.
La chance commençait à se confirmer, car non seulement il a pu continuer dans sa quête théologique en rencontrant plusieurs auteurs catholique de renom, (Morison aimait discuter avec eux non seulement pour se cultiver, mais pour développer chez lui un sens de la rhétorique théologique. Bien des années après il leur rendit grâce au travers d’une collection, la English Prayer books) mais aussi des personnages intenses comme Eric Gill et Bernard Newdigate. Ce dernier était à l’époque l’imprimeur de Meynell, et bien plus tard lorsque son Newdigate Ardin’s press fut racheté par W.H. Smith & Son, il continua à en conseiller les nouveaux propriétaires.

Il est des coïncidences qui confirment les chances successives de Morison. L’un des auteurs de Burns & Oates n’était autre que Adrian Fortescue, souvenez-vous celui qui entra à la Central School of Arts and Crafts aux cours d’Edward Johnston. Fortescue était devenu calligraphe et surtout un prêtre paroissien. Les qualités manuelles de Fortescue étaient somme toute moyennes, mais il était aussi doué pour l’illustration puisqu’il en ornait ses propres ouvrages ainsi que les ex-libris de ses amis auteurs. Adrian était un sacré personnage. Autoritaire, pourfendeur de toutes les mauvaises foi et un esprit logique qui n’admettait pas l’irrationnel, il exerça sur Stanley une influence considérable tant par ses tournures d’esprit, son habileté à pratiquer plusieurs langues que par son style d’habillement. Morison ne pouvait s’empêcher de l’admirer, tel peut-être le frère qu’il n’a pas eu où le père qu’il avait espéré. Sans doute que le clou de cette influence (d’après Canon G. Vence) se retrouva un jour sur la tête de Morison sous la l’aspect d’un chapeau haut de forme très English. Mais les qualités typographiques de Fortescue étaient solides. Il dessina plusieurs alphabets qui nous sont parvenus jusqu’à nos jours. Morison apprit de son compagnon tout ce qu’il pouvait, buvant littéralement sa culture et ses savoirs ce qui confirme une fois de plus les qualités premières de l’inventeur du Times, sa capacité d’écoute et de partage des cultures.

Pendant cette période très faste chez Burns & Oates, Stanley qui assistait donc le jeune Francis, créèrent le graphisme de nombre d’ouvrages. Ils travaillaient harmonieusement, en toute entente et complicité à des livres qui allaient s’imprimer à Oxford en police Fell dont il était largement question dans le fameux supplément du Times dont je parlais peu avant.
Les deux compères partageaient pas mal de points de vues, de passions en politique, religion etc. Ils développèrent également une série de création de vignettes ornementaires qui étaient à l’époque encore assez peu usité. Je ne sais pourquoi ils les appelèrent des Florid Flowers mais, ils en décorèrent des ouvrages de poèmes surprenant plus d’un fondeur de caractères qui ignoraient tout de ces charmants petites illustrations décoratives. Le jeune Meynell persuada l’atelier de composition d’Oxford University de lui donner deux casses de Fell type dans un corps usuel de composition (English size). Ce fut encore une nouvelle aventure pour Morison. Francis installa un petit atelier de composition dans sa salle à manger au 67 de Romney Street à coté de Westminster, et là ils se mirent à composer des ouvrages d’exception comme celui des Dix Poèmes d’Alice Meynell.

 

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Mais voilà, l’inconcevable guerre, la première fut déclarée. Et les deux jeunes gens d’un commun accord se déclarèrent objecteurs de conscience, non pas tant pour éviter d’aller au combat mais surtout pour toutes les raisons socio politiques et religieuses que nous avons déjà évoqué.
Après avoir fondé à eux deux une petite association, la Guilde of Pope’s Peace, Morison dut comparaître en cour martiale en conséquence de quoi il partit… faire de la prison. Londres, en prison ce n’est pas très gai mais il continue d’avoir quelque chance encore. Le chef du corps des gardiens R. Palme Dutt était un communiste. Celui-ci ayant trouvé en ce jeune homme, seul catholique enfermé dans cette prison des qualités humaines, un sens de l’humour et une élégance d’esprit hors du commun entretint avec lui, malgré leur éloignement d’opinions, des rapports de discussions interminables. Transféré à Wakefield Gaol, il y retrouva d’autre objecteurs politiques dont Walter Holmes à qui il enseigna la calligraphie de chancellerie. Holmes s’en servira en-tête de ses articles «Holmes Worker’s notebook» dans le Daily Worker durant quelques années. La prison est le dernier lieu de rencontre où l’on apprend l’allemand, mais c’est bien ce que fit Morison en suivant les cours de Dona Torr, autrefois bibliothécaire du Old Herald. Cette langue qui représentait alors des tabous géopolitiques allait beaucoup servir par la suite dans les recherches typographiques de Stanley Morison. (suite à venir)

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© design et typo pour l’article sur le Times

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L’histoire du Times New Roman | l’œuvre de Stanley Morison (1)

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C’est en 1975 que j’ai commencé à prendre des notes alors que je me trouvais invité à l’appartement londonien de John Dreyfus, directeur artistique de la Monotype Corp Ltd.

John Dreyfus, dont j’aurai sans doute l’occasion de reparler dans ces colonnes était un être délicieux. Une élégance de l’âme que j’ai rarement rencontré chez un homme. Il avait pris petit à petit la place laissée vacante par Stanley Morison en ayant la modestie de ne jamais se comparer  (alors que par bien des aspects John Dreyfus a contribué très largement à la diffusion de la pensée typographique dans le monde) à celui qui entre 1929 et 1933 avait révolutionné la typographie britannique et puis mondiale en créant, et en dirigeant la création du plus populaire des caractères aujourd’hui encore universellement présent sur tous nos ordinateurs le Times New Roman. Je suis resté en contact avec John entre 75 et 86, l’ayant invité à participer à la plus que modeste aventure du Centre de Création Typographique que j’avais fondé avec Paul Gabor en 1976. John en est devenu notre conseiller et garde-fou contre certaines dérives bien tentantes à une époque où la technologie permettait déjà de publier à peu près n’importe quoi. C’est dans cet intervalle où j’ai pris ces notes qui m’ont permis de retracer la vie et l’œuvre de l’immense Stanley Morison, bien connu des professionnels, mais évidemment totalement méconnu du grand public. L’occasion donc pour Design et Typo de revisiter une époque, des styles, des techniques, des philosophies et des stratégies marketing dans le champ très fermé qui se trouve être celui d’une vieille industrie de Gutenberg radicalement rajeunie par les technologies modernes du dessin vectoriel disponibles depuis à peine une quinzaine d’années.

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portrait de Stanley Morison | 1923

Stanley Morison est mort le 11 octobre 1967 à l’âge de 78 ans. Son incommensurable contribution aux arts de la typographie fut très largement reconnue par ses contemporains. Mais comment peut-on aborder la vie et l’œuvre de cet immense talent pour le meilleur bénéfice des générations à venir. De son propre auto-portrait il nous trace un homme, consultant typographique qui nous semble à priori totalement incomplet et inexact pour apprécier l’homme qui fut à la fois un typographe, un élève et plus tard enseignant en théologie, designer, éditeur, auteur, imprimeur et qui eut pour responsabilité de créer un éventail inégalé de caractères, à la fois classiques et contemporains. Entre autres il ne fut pas seulement un historien de l’imprimerie mais il fit aussi l’histoire de l’imprimerie. On pourrait emprunter voire prolonger cet hommage en reprenant l’expression d’un ancien de l’Oxford University qui parlait de lui comme d’un véritable Archetypographe. Le docteur John Johnson, ancien imprimeur de ce haut lieu de l’enseignement et de la recherche disait de lui qu’il était sans aucun doute le plus grand typographe de ces trois derniers siècles.

Comment un jeune homme aux origines aussi modestes et anonymes a pu devenir l’un des hommes les plus influents dans ce milieu fermé qu’était et qui l’est finalement toujours un peu, l’univers de l’industrie de la typographie qu’on comparaît à cette époque à l’antichambre du pouvoir, c’est là une histoire complexe que je vais essayer de vous transmettre le plus fidèlement possible. Morison a laissé à la postérité des figures de la typographie qui lui assurent pour l’éternité une place unique dans les annales de l’histoire gutenbergienne. Il n’a jamais cessé de chercher, d’analyser, et de corriger ses propres réalisations, et jamais cessé non plus de s’intéresser avec force curiosité aux aspects esthétiques, techniques, économiques et socio-politiques de l’imprimerie et de la typographie.
La maniaquerie de Morison pour la précision était légendairement gênante. Les coûts des corrections concernant l’article sur le Poliphilus dans le Monotype Recorder, ont largement excédé la facture initiale de la composition. Et pour un article «On Learned Presses», présenté lors d’une réunion au Club du «Double Crown» en 1955 on alla jusqu’à éviter de lui donner les épreuves à corriger tant on avait peur que le «papier» ne soit prêt pour le dîner du Club. Cette habitude d’enrichir ses textes sans cesse de corrections et de rajouts lui valurent à l’atelier de composition du Times, le doux sobriquet «d’ami des compositeurs» (The Printer’s Friend), qui étaient ravis d’augmenter leurs factures de prestations au gré de ses nombreuses corrections. Et pourtant, Morison était en réalité vraiment l’ami des imprimeurs si vastes et nombreuses furent ses apports au monde de la typographie, par d’une part ses créations d’alphabets et d’autre part ses graphic-conceptions pour l’édition, en général culturelle.

LE «BACKGROUND» TYPOGRAPHIQUE
En 1889 la mécanisation fait une timide apparition dans les ateliers de composition, la majorité d’entre eux n’ont qu’un lointain rapport avec leurs ancêtres de 400 ans. La norme des goûts typographiques montrait une légère amélioration depuis quelques dizaines d’années. À de rares exceptions les textes courants étaient composés dans un style typo dérivé du «modern style», légère, fine qui n’étaient pas superbement servi par une impression de mauvaise ou moyenne qualité. Les gens de la presse commencèrent à s’intéresser petit à petit aux caractères qui ont juste précédé les modern styles. Ce mouvement débuta dès 1840 lorsque l’imprimerie «Chiswick Press» fit faire une gravure par William Caslon I. Ces circonstances ne sont pas étrangères au goût qui se développa chez le jeune Stanley Morison pour les «belles impressions». En tous cas ces expériences ont suffisamment motivé les fondeurs de caractères dans les années 1860 pour qu’un Figgins fassent ressusciter leur romans les plus anciens, cependant que d’autres comme Miller et Richard gravaient des poinçons adaptés de dessins du 15e siècle. Les fameux «old style». Puis ce mouvement s’éteignit pour la raison qu’aucune grande fonderie ne daigna se pencher sur la question du bon caractère pour le bon roman. Et les programmes de recherches stoppèrent pour faute… de clients. Il y eut cependant cette tentative faite par la Chiswick Presse dans les années 1850 de graver un alphabet du début du 16e siècle utilisé par Johann Froben de Basle. Bien que d’une facture correcte et pas vraiment de succès à l’arrivée, il attira l’attention de William Morris qui était un médiévaliste acharné. Celui-ci utilisa le nouveau caractère pour deux éditions qu’il avait en préparation pour les imprimer. Morris était intimement persuadé que pour éditer un livre concernant l’époque médiévale, il fallait utiliser un caractère de la  période d’origine. En particulier un caractère Vénitien, comme par le plus grand des hasards celui de Nicolas Jenson qui servait déjà comme «Golden type» dans son imprimerie «Kelmscott Press books». Il fut suivi dans cet opinion par d’autres initiatives privées comme par D.B.Updike dans son ouvrage «Printing types», les caractères de labeur, ou si vous préférez les caractères pour la lecture courante. Updike estimait pour lors que le Jenson romain n’avait jamais été égalé. C’est le défi que Morison allait devoir relever.

En 1889 le monde de l’imprimerie anglaise faisait peu de cas de la conception nouvelle de caractères se contentant en général de trois sortes de polices pour composer livres et publications diverses. Des «old style» (15e-16e siècle), quelques «modern» (18e) et quelques alphabets fantaisies qu’il classait par nom. Les caractères traditionnels étaient désignés par le nom de la fonderie dont ils étaient issus ainsi qu’éventuellement un chiffre, celui du corps usuel disponible pour la composition des textes courants. On compte bien sûr parmi les fantaisies les plus connues le Clarendon (et ici) utilisé à l’époque exclusivement dans sa version bold (gras). Bien entendu les goûts typographiques s’amélioraient avec le temps, mais la question entière restait de savoir si l’on ne devait pas remonter aux origines même des gravures de caractères pour trouver la meilleure adéquation entre le livre et la police qui le compose. Les nombreux essais assez tendancieuses, pseudo médiévalisantes de William Moris et consorts lui valurent d’être taxé d’archaiste pré-Raphaléien.

INFLUENCE DE LA CALLIGRAPHIE
À la fin du 19e siècle le lettrage professionnel (dessins de titres et d’initiales) avait atteint une situation terriblement dépréciée, voire inexistante. John Ruskin avait bien tenté de stimuler l’intérêt pour les «belles écritures» et W.Moris avait déjà étudié et tenté de copier les manuscrits du moyen âge, mais contre toute attente c’est Edward Johnston qui fit revivre le phénix de ses cendres. Il redécouvrit l’habileté manuelle perdue de la calligraphie ancienne et exerça une influence grandissante et transversale sur tout ce qui se comptait comme artisan du lettrage en Grande Bretagne. Le calligraphe rencontra un jour d’épais brouillard en 1898 W.R. Lethaby, Principal du Central School of Arts and Crafts*, qui fût si surpris et impressionné par le talent et le travail de Johnston qu’il lui confia immédiatement le soin de créer une classe de lettrage et d’enluminure. La premier cours débuta en septembre 1899 et compta parmi les premiers élèves le (futur) très célèbre Eric Gill. L’enseignement de E.Johnston connut un succès fulgurant, l’année suivante la classe compta un nouvel élève, un jeune prêtre fraîchement ordonné, Adrian Fortescue qui allait jouer un des rôles les plus influents dans la vie de Stanley Morison.
* craft : métier manuel, artisanat par ext. habileté manuelle…

C’est en 1913 quelques mois avant la première guerre que Morison rencontre Johnston pour la première fois. Il était déjà très impressionné par le travail caractéristique, maniaque et extrêmement soigné de celui qui publia un livre qui reste dans les annales de la calligraphie, Writing and Illuminating and Lettering. Il trouvait que la lettre de chancellerie italique que Johnston y publie était l’une des plus rationnelles, des plus rapides de tous ceux qu’il connaissait parmi les écritures humanistiques. C’est ainsi qu’il l’adopta ipso facto pour en faire sa propre écriture courante. L’écriture, ou plutôt la Script de Morison était définitivement reconnaissable à ses amis fidèles parce qu’à la fois très individuelle mais aussi très particulière. Il prit avec le temps élégance et vitesse qui n’entama en rien ses qualités premières. Sa proximité avec le livre de Johnston lui fut aussi très utile lorsqu’il se retrouva dans l’expectative d’être à déterminer la meilleure italique devant accompagner un caractère romain.

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manuscrit de Stanley Morison | 1939

LES MACHINES MONOTYPES
C’est en 1897 qu’aboutit la réalisation de la première composeuse mécanique Monotype, la même année où La Lanston Monotype Corporation fut créé (le nom en fut changé en 1931 en Monotype Corp. Ltd) sans pour autant vouloir contourner la loi américaine sur le copyright. C’est après de nombreuses expérimentations et d’échecs que cette machine fut enfin rendue à la commercialisation à partir de 1899 sur le marché britannique.

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clavier de la Monotype | il est à remarquer que par ses nombreuses touches correspondants à ce qu’on appelle aujourd’hui des glyphes, ce clavier était la seule à offrir la possibilité de composer des ouvrages de Mathématique (et ce jusqu’au milieu des années 70).
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boîtier de transmission des touches vers les glyphes puis vers le boîtier des Matrices ci-dessous.
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Dissocié du clavier, il s’agit de la machine qui fondait les caractères au fur et à mesure de la frappe du claviste. C’est ainsi que cette machine rendit obsolète l’industrie traditionnelle des fondeurs de polices en plomb qui remplissait les volumineuses casses des ateliers de composition (composing rooms).

Le succès en fut assez limité au début et la compagnie eut à se battre sur le front des préjugés du marché des imprimeurs autant que celui des fonderies qui voyaient d’un très mauvais œil et pour cause, l’arrivée d’une machine qui allait diminuer leurs ventes de plomb destiné aux composteurs manuels. Mais dès les premières décennies du 20e siècle la situation s’améliora. Et ce grâce au concours des D.B. Updike, Frederick W. Goudy, Bruce Rogers et d’Henri Lewis Bullen. Le succès fut au rendez-vous et les machines Monotype sortirent peu à peu de l’anonymat pour connaître une expansion florissante. Restait cependant l’attitude timide de la compagnie pour le choix des caractères proposés à leur catalogue.

Toujours l’éternel Clarendon flanqué de quelques Old Style, Modern Style et Grotesques (linéales). Puis l’on vit peu à peu les premiers signes d’un revirement, d’une véritable renaissance. Timides au début. Certes mais les ingénieurs de la compagnie étaient de plus en plus ouverts aux propositions, aux projets d’éditeurs pour la mise au point de nouvelles gravures. Et lorsque J.M. Dent offra l’opportunité au directeur de la Corporation, H.M. Duncan, celui-ci en homme d’affaires autant avisé qu’homme d’action décida presque immédiatement de mettre en fabrication un nouveau dessin qui allait rompre avec les sempiternels pseudo dessins authentiques de W.Morris. Les graveurs se mirent en quatre pour réaliser une Véronèse issue du plus pur dessin d’un caractère original du 15e siècle. Il allait servir pour la production des œuvres publiées par «Everyman’s Library» de J.M. Dent. Ce caractère marqua très exactement la transition dans la conception des caractères propres aux imprimeries-éditeurs à celle des dessins destinés au grand public et donc bien sûr aux imprimeries de labeur.
Et c’est bien la gravure de l’Imprint en 1913, une typographie spécialement dessinée pour la machine Monotype qui marqua dès lors l’événement majeure de cette transformation, chef d’œuvre de dextérité disait de lui Beatrice Warde qui rajoutait : qu’enfin il était possible d’envisager une production typographique qui allait réveiller la créativité et l’habileté des artisans de la belle typographie.

Imprint

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La série 618 du Neo-Clarendon de la Monotype Corp. Ltd. Le Clarendon est un compromis très agréable entre les caractères old style et surtout modern style comme la didot et les égyptiennes terriblement grasses et manquant de nuances. Ce caractère fut décliné également en Light et Regular lui conférant un véritable statut de caractère de labeur alors que les égyptiennes sont restées réservées à la composition des titres.

 

L’Imprint, portait le nom de la publication à laquelle elle était destinée, dirigée par Gerard Meynell de la Westminster Press (ici Press veut dire imprimerie), l’un des pionniers de la renaissance de l’imprimerie avant la deuxième guerre mondiale. Celui-ci avec un groupe qui comprenait J.H. Mason fonda l’Imprint avec pour objectif de promouvoir la qualité de l’impression commerciale. Sorte de Johnatan Seybold avant l’heure. Et pour marquer ce moment quasi historique il lui (leur) semblait tout indiqué de faire concevoir une typographie adaptée à la circonstance. D’autant que, puisque la modernité était au cœur de leur préoccupation, il allait de soi de confier à un atelier équipé en machines Monotype le soin d’en composer les papiers. Et c’était parti. Cependant, le designer Mason n’aimait pas l’idée de concevoir une «modern face», un caractère post médiéval, lui préférant un Caslon. Meynell consulta Duncan qui lui rétorqua qu’un tel caractère dessiné selon les exigences de Mason, gravé en c.18 était techniquement impossible. Discussions après discussions, Mason dut se résoudre à dessiner une nouvelle typo basé sur le modèle du Caslon mais un œil bas de casse plus large et une italique qui s’harmoniserait étroitement avec le romain. Cet Imprint fut généralement très bien accueilli par le monde du labeur désireuse comme on l’a vu précédemment de rompre avec les traditions qui ont conduit l’imprimerie privée à une impasse.
Toujours en 1913, la Compagnie Monotype saisit l’occasion de revisiter une typographie presque oubliée, le Plantin. Les hommes de Duncan en avaient assez de travailler sur des polices aux noms presque tragiques ou inconnus. Il leur fallait enfoncer le clou en faisant revivre un vieux caractère presque oublié. Leur choix se porta sur une version du Plantin dont le poinçon se trouvait à Anvers. En 1910 P.M. Shanks & Company redessinèrent une version du Plantin Old Style qui malgré tous ses mérites et notamment une italique superbement équilibrée, semblait plus proche des Caslon que du caractère original qui était exposé à Anvers. Mais le succès relatif de ce dessin, gravé, indiquèrent à Duncan qu’il était temps alors pour la Monotype de créer une série vraiment nouvelle basée sur l’original qui se trouvait au Moretus Museum à Anvers. Appelée Plantin série 110, cette nouvelle typographie connut un succès mondial, et elle est encore aujourd’hui utilisée pour de nombreux ouvrages.

L’ENFANCE DE STANLEY MORISON
Ce n’est certes pas une injure que de rapporter les conditions modestes qui virent naître le jeune Stanley. Son père, obscur coursier, représentant de la City ne pouvait se passer de laisser sa mère aller travailler chez un marchand de quatre saisons, grossiste à Camden Town, ce qui fera dire plus tard à S.Morison qu’il n’a jamais autant mangé de fruits frais qu’à cette époque de sa vie. Ce n’est rien de dire que lorsqu’un père est défaillant dans l’éducation d’un enfant, c’est bien souvent la mère qui prend le relais. Ce fut le cas et Morison dut à sa mère de se voir pousser à lire, à se cultiver, à étudier. Il partit tôt en pension où il reçut une éducation assez primitive. C’était ce genre de pension à la Dickension Charitable Institution qui furent mis en place dans les années 1870 par l’Education Act que fréquentait les orphelins de la couronne.

Puis ce fut une «seconderay school» dirigée par un syndicat corporatif de la City qui pourrait aujourd’hui être situé comme une «grammar school». On se paya ce luxe grâce aux connections dont disposait le père de Morison qui obtint des tarifs privilégiés dans cette école. Stanley y resta jusqu’à l’âge de 16 ans et put non seulement s’y adonner à une passion de la philatélie mais aussi pour les chemins de fer, le cricket et surtout pour la lecture. Rien dans l’environnement de l’adolescent ne pouvait présager de l’intérêt qu’il allait porter à la lettre et à l’imprimerie. Malgré la présence d’une communauté de peintres qui s’y installait pour des raisons économiques, le quartier où il vivait à Camden Town était peu fréquenté par les imprimeurs et professionnels de la lettre qui lui préférait l’oasis de Bloomsbury. Il n’eut pas la chance de son compagnon Francis Meynell qui lorsqu’il étudiait voyait ses parents devant leur table à corriger des épreuves d’impression.
Il est possible parfois de faire l’impasse des influences éducatives et religieuses dans la vie d’un homme mais ce n’est pas le cas de Stanley dont la vie se transforma progressivement par l’intérêt croissant qu’il portait à la religion allant jusqu’à se convertir au catholicisme en 1909, c’était donc peut-être le premier signe de cette prédisposition qu’il allait développer pour les livres, les textes et sans doute pour leur mise en forme.

La maman de Morison était une fervente adepte des doctrines de Thomas Paine et durant quelques temps Stanley la suivit dans ses pas. Paine était un déiste, mais il y avait un lien étroit entre déisme et rationalisme, de ce fait le jeune et futur typographe commença à lire Bradlaugh, Aldous Huxley, Spencer et l’allemand Ernst Haeckel, il s’éloigna progressivement du déisme pour d’abord l’agnosticisme puis le catholicisme, mais il continua jusqu’à la fin de sa vie à adhérer aux solides idées humanistes de Paine qui firent de lui un véritable penseur d’une gauche démocrate et sociale. Il dénonça tant que se peut les iniquités du système libéral bien que vers la deuxième moitié de sa carrière il pouvait enfin profiter des mannes de ce capitalisme privé qu’il abhorrait tant.
Est-ce sa rencontre avec un Jésuite étranger qui lui enseigna progressivement les rudiments théologiques, toujours est-il que Morison fréquenta la Jesuits’s Farm Street et aussi Adrian Fortescue, avec qui il paracheva sa conversion au catholiscime.

En 1905 il fut employé pour la première fois par un cabinet de clercs à la British & Foreign Bible Society. Il y travaillait dur et pour ses employeurs mais surtout pour lui-même, découvrant l’écriture et sa complexité dialectique. C’est bien plus tard, quatre ans s’étaient écoulés, lorsqu’il avoua sa conversion catholique, que les membres protestants de la Society, pour satisfaire le dogme, l’éloignèrent en le faisant recruter dans une banque de leur réseau à la City. Toujours insatisfait de son sort, il continuait de dévorer les livres, lisant toutes ses nuits jusqu’à l’épuisement. Il est peu probable là encore, que son goût pour la typographie ait pu se développer dans ce contexte, On connaît le rationalisme et le conservatisme qui caractérisait la British & Foreign Bible Society. Leur production ne dépassait guère la publication d’œuvres relatives aux musiques liturgiques chrétiennes (plain-chant) et l’on était encore et encore à utiliser le Caslon old Style de la Chiswick Press pour imprimer des œuvres grégoriens devant concurrencer les missels de Plantin d’Anvers.

LE «SUPPLÉMENT IMPRIMERIE» DU TIMES

C’est très exactement la journée du 12 septembre 1912 qui marqua le tournant dans la carrière de Morison. Il rentrait de la City et acheta en passant à la station de King’s Cross un exemplaire du Times qui y consacrait un supplément au monde de l’imprimerie. Il découvrit alors la modernité, et l’extraordinaire production dont le journal se faisait écho. C’est ce jour qu’il décida sans aucun doute possible de se consacrer à l’étude de la typographie et du type design. Ce supplément du Times, très supérieur à celui édité par la suite en 1929, mais qui n’en joua pas moins un rôle tout aussi prépondérant, initia le jeune Morison à l’histoire du caractère d’imprimerie et par voie de conséquence à tous ses aspects commerciaux collatéraux.

Un passage surtout retint son attention, en référence à l’univers clos de William Morris : «besoin de nouveaux caractères, adaptés à chaque usage, à chaque publication afin d’en faciliter la lecture et l’identité.» L’article y stigmatisait le besoin vital de nouveautés de toutes sortes pour exprimer la variété de la pensée humaine.
Un billet sur la Calligraphie et l’imprimerie soulignait également la nécessité de créer de nombreuses variétés de polices pour satisfaire les besoins de tous les imprimeurs de labeur, ou privés, mais surtout la nécessité de recourir aux tracés originels de la calligraphie pour la construction des nouveaux alphabets. Morison ne pouvait qu’adhérer à ce point de vue, lui qui était déjà très sensibilisé à cet art divin de l’écriture manuscrite. C’est donc la pratique de la Calligraphie qui donnera la virtuosité et l’élégance au concepteur de caractères. Ce sont les caractères de base que l’on composait à la casse, qui serviront de modèles pour les futurs matrices et moules des machines mécanisés, et, au passage l’enseignement du bon usage des approches et des marges de composition lui serviront de guide pour la composition mécanique. Ce supplément du Times lui donna l’occasion de découvrir quelques célèbres pages du Kelmscott et Ashendene books qui lui en apprit beaucoup sur les styles typographiques en vigueur dans la presse privée (nb : entendez par presse privée, les imprimeries intégrées à l’activité économique d’un éditeur). Et, son regard fut brusquement attiré par une page publicitaire du supplément. Un futur journal, l’Imprint y sollicitait une souscription pour l’édition de ses premiers numéros. S. Morison acheta le premier exemplaire de l’Imprint paru le 13 janvier 1913, et c’est en en parcourant les colonnes qu’il découvrit cette annonce : «nous recrutons les services d’un jeune homme de bonne éducation avec une première expérience dans l’édition… suivait l’adresse d’Imprint, 11, Henrietta Street, Covent Garden, London… Les trois coups du destin professionnel de Stanley Morison. (la suite est ici).

 

 

 

 

 

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Typo et Photo

«Difficile de blogger et de produire»

Où l’on voit toute la diffculté de tenir la distance pour un blogger aussi chevronné qu’il fût. Il suffit que l’agenda se remplisse avec des dates de présentations et de production et pffft, plus rien. J’espère que mes fidèles lecteurs ne m’en tiendront pas trop rigueur, mais il s’agit après tout d’une publication personnelle. DOOP (Direct One to One Publishing). Ça pose évidemment problème quand on a à cœur de fournir de la matière analytique et expérimentale d’un bon niveau constant. Bref cette semaine et sans pour autant vouloir me plaindre, j’ai dû finaliser un projet typographique pour un rapport d’activité et annuel, un article assez conséquent sur un grand typographe disparu prématurément, Albert Hollenstein pour la revue Étapes Graphiques, donner mes cours le samedi, et entrer en bouclage mensuel sur le magazine de Radio Latina… c’est en fin de compte assez (voire beaucoup) pour le p(tit) homme que je suis (sourire appuyé). Tiens donc voilà deux doubles pages du prochain Latina’mag concernant un hommage posthume à deux musiciens de génie que j’ai eu la chance de photographier en 2004. Chacun pour des raisons très différentes, mais aussi en raison de leur universalité, leur talent inégalé et de leur humanisme, étaient des véritables extraterrestres, et quand je songe parfois à l’autre monde, au paradis des typographes et artistes graphiques, je me dis que peut-être j’aurai la chance de revoir un jour ces immenses figures de la musique latine.

Doubleguedon

Doublebarretto

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