L’histoire du Times New Roman | l’œuvre de Stanley Morison (2)

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La modernité d’un caractère tient au moins pour moitié à la manière dont on le compose et met en page. (©design et typo)


THE IMPRINT NEWS

Stanley Morison proposa sa candidature bien que n’ayant pas une grande expérience dans les domaines de l’édition et de la publicité. Il compensa cet inconvénient par l’impression très favorable qu’il fit sur Gerard Meynell, concernant ses idées sur le monde de l’imprimerie. Morison se dit fatigué de travailler comme clerc de banquier et Meynell d’en sourire et de le trouver si sympathique qu’il l’engagea sur le champ. Bien que l’Imprint connut une courte apogée dans l’univers de l’édition spécialisée, cela suffit à Morison d’en apprendre davantage qu’il ne pouvait l’espérer. Tout d’abord sur la mise en page moderne et d’une manière générale sur les technologies de l’impression et de la composition mécanisée. Mais surtout, il pouvait mettre en pratique enfin son goût pour l’écriture. Son premier article «Notes on some Liturgical Book» confirma s’il en était besoin que son attirance pour les beaux ouvrages de bibliophiles lui était venu de sa pratique antérieure des textes religieux.

BURNS & OATES
Nécessité fait loi, et le l’Imprint News du déposer assez rapidement son bilan faute d’avoir trouvé un lectorat suffisant pour financer les charges fixes. Une nouvelle direction pour Morison, mais pas anarchique du tout. Recruté par l’oncle de Meynell, Wilfrid Meynell, le jeune débutant pouvait enfin associer son goût pour le beau livre et la théologie. L’oncle Meynell était le directeur général d’un éditeur d’obédience catholique, la firme Burns & Oates. Morison était d’autant plus heureux de le rejoindre qu’on y défendait l’idée d’associer bel ouvrage avec belle typographie. Loin d’être des suiveurs, les collaborateurs de Burns & Oates étaient à l’avant garde des découvertes et recherches typographiques. Morison fut nommé assistant du jeune Francis Meynell, à peine 21 ans et déjà en charge du design graphique des éditions de son père.
La chance commençait à se confirmer, car non seulement il a pu continuer dans sa quête théologique en rencontrant plusieurs auteurs catholique de renom, (Morison aimait discuter avec eux non seulement pour se cultiver, mais pour développer chez lui un sens de la rhétorique théologique. Bien des années après il leur rendit grâce au travers d’une collection, la English Prayer books) mais aussi des personnages intenses comme Eric Gill et Bernard Newdigate. Ce dernier était à l’époque l’imprimeur de Meynell, et bien plus tard lorsque son Newdigate Ardin’s press fut racheté par W.H. Smith & Son, il continua à en conseiller les nouveaux propriétaires.

Il est des coïncidences qui confirment les chances successives de Morison. L’un des auteurs de Burns & Oates n’était autre que Adrian Fortescue, souvenez-vous celui qui entra à la Central School of Arts and Crafts aux cours d’Edward Johnston. Fortescue était devenu calligraphe et surtout un prêtre paroissien. Les qualités manuelles de Fortescue étaient somme toute moyennes, mais il était aussi doué pour l’illustration puisqu’il en ornait ses propres ouvrages ainsi que les ex-libris de ses amis auteurs. Adrian était un sacré personnage. Autoritaire, pourfendeur de toutes les mauvaises foi et un esprit logique qui n’admettait pas l’irrationnel, il exerça sur Stanley une influence considérable tant par ses tournures d’esprit, son habileté à pratiquer plusieurs langues que par son style d’habillement. Morison ne pouvait s’empêcher de l’admirer, tel peut-être le frère qu’il n’a pas eu où le père qu’il avait espéré. Sans doute que le clou de cette influence (d’après Canon G. Vence) se retrouva un jour sur la tête de Morison sous la l’aspect d’un chapeau haut de forme très English. Mais les qualités typographiques de Fortescue étaient solides. Il dessina plusieurs alphabets qui nous sont parvenus jusqu’à nos jours. Morison apprit de son compagnon tout ce qu’il pouvait, buvant littéralement sa culture et ses savoirs ce qui confirme une fois de plus les qualités premières de l’inventeur du Times, sa capacité d’écoute et de partage des cultures.

Pendant cette période très faste chez Burns & Oates, Stanley qui assistait donc le jeune Francis, créèrent le graphisme de nombre d’ouvrages. Ils travaillaient harmonieusement, en toute entente et complicité à des livres qui allaient s’imprimer à Oxford en police Fell dont il était largement question dans le fameux supplément du Times dont je parlais peu avant.
Les deux compères partageaient pas mal de points de vues, de passions en politique, religion etc. Ils développèrent également une série de création de vignettes ornementaires qui étaient à l’époque encore assez peu usité. Je ne sais pourquoi ils les appelèrent des Florid Flowers mais, ils en décorèrent des ouvrages de poèmes surprenant plus d’un fondeur de caractères qui ignoraient tout de ces charmants petites illustrations décoratives. Le jeune Meynell persuada l’atelier de composition d’Oxford University de lui donner deux casses de Fell type dans un corps usuel de composition (English size). Ce fut encore une nouvelle aventure pour Morison. Francis installa un petit atelier de composition dans sa salle à manger au 67 de Romney Street à coté de Westminster, et là ils se mirent à composer des ouvrages d’exception comme celui des Dix Poèmes d’Alice Meynell.

 

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Mais voilà, l’inconcevable guerre, la première fut déclarée. Et les deux jeunes gens d’un commun accord se déclarèrent objecteurs de conscience, non pas tant pour éviter d’aller au combat mais surtout pour toutes les raisons socio politiques et religieuses que nous avons déjà évoqué.
Après avoir fondé à eux deux une petite association, la Guilde of Pope’s Peace, Morison dut comparaître en cour martiale en conséquence de quoi il partit… faire de la prison. Londres, en prison ce n’est pas très gai mais il continue d’avoir quelque chance encore. Le chef du corps des gardiens R. Palme Dutt était un communiste. Celui-ci ayant trouvé en ce jeune homme, seul catholique enfermé dans cette prison des qualités humaines, un sens de l’humour et une élégance d’esprit hors du commun entretint avec lui, malgré leur éloignement d’opinions, des rapports de discussions interminables. Transféré à Wakefield Gaol, il y retrouva d’autre objecteurs politiques dont Walter Holmes à qui il enseigna la calligraphie de chancellerie. Holmes s’en servira en-tête de ses articles «Holmes Worker’s notebook» dans le Daily Worker durant quelques années. La prison est le dernier lieu de rencontre où l’on apprend l’allemand, mais c’est bien ce que fit Morison en suivant les cours de Dona Torr, autrefois bibliothécaire du Old Herald. Cette langue qui représentait alors des tabous géopolitiques allait beaucoup servir par la suite dans les recherches typographiques de Stanley Morison. (suite à venir)

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© design et typo pour l’article sur le Times

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