Melingo | Tango Fatal

Melingodsc_1990_2

J’aurais pu aussi bien appeler cette note «Mister Jekyll, Mister Hide, tant il est vrai que Melingo est un être profondément double. Au Divan du Monde le 19 de ce mois d’octobre, chaloupant entre fils et micros, il s’approche du bord de la scène et vous regarde droit dans les yeux, un entrechat et prend sa tête entre ses immenses mains de bûcheron et devient brusquement nostalgique et surtout très ironique. L’histoire des hommes ne lui est pas inconnue… Il perce l’obscur en nous et révèle le meilleur, l’amour. Le tango argentin c’est comme la musique tzigane, celle que nous a révélé Kusturica, avec le rythme très particulier syncopée par le bandonéon de cette belle musicienne, gracile et mystérieuse. Le concert était déjà terminé, que j’étais certain d’avoir assisté à un miracle, une sorte d’étoile filante de la scène latino. Pour en savoir plus je vous invite à lire l’excellent article de Télérama signé par Eliane Azoulay.

Et puis si vous avez le disque de Melingo (Santa Milonga, 1 CD Mañana/Naïve), plugez le CD dans votre lecteur découvrez en même temps la galerie de photos de ce merveilleux concert.

Melingodsc_1949_1

Publié dans Les Photos | Commentaires fermés sur Melingo | Tango Fatal

EnVille | design réussie d’un urban magazine gratuit

Enville_dsc_0723

Voilà quelque temps que j’ai découvert ce magazine gratuit dans les lieux «branchés» de la capitale (plutôt l’est de paris). Mise en page : William Hessel, un jeune graphiste de 25 ans qui nous propose de revisiter l’univers du magazine urbain avec un brio, un sens du rythme et de l’élégance digne de Vogue ou du HARPER’S.

J’ai voulu aller voir de plus près le fonctionnement graphique et typographique d’une telle réussite. Et pour plusieurs raisons. D’abord parce que par mes sensibilités musicales et typographiques je me sens très proche de sa démarche, ensuite parce qu’après avoir analysé le design du nouveau Figaro, j’avais besoin d’un peu d’air frais et d’apporter une explication irréfutable au malaise que traverse la presse française et peut-être internationale.

Je soulignais précédemment la nécessité pour la Presse de repenser ses modèles économiques au risque de voir continuer sa longue descente infernale. Le magazine EnVille est une démonstration éclatante de ce que l’on peut faire avec un bon concept éditorial, une design strategy, et avec le talent.

Un concept éditorial

À mi-chemin entre la mode et les chroniques urbaines, la musique et les vêtements, les styles de vie et des sujets d’actualité culturelle, EnVille nous fait voyager dans un Paris tactile et poétique. Le sommaire  nous entraîne vers les salles, les sons, les bonnes tables, les expos, vers la mode, et aussi à nous faire rêver vers des voyages de photographes en mal de lointain. Quelques articles décalés avec des entrées dignes du meilleur éditing de Libé : «… Ils ont cru qu’on pouvait s’installer à Marseille comme dans n’importe quelle ville de France. Mais l’adaptation a échoué, et ces Néo-Marseillais n’ont fait que passer».

Enville_dsc_0757

EnVille ne ressemble pas à Zurban ni à aucun autre News culturel. D’abord par le format et l’impression: 265x380mm, on s’approche du petit tabloïd d’un quotidien et cette impression de faux-cheap est renforcé par le papier journal de 60-70g tiré en roto-offset sur une presse italienne qui fait des miracles de qualité compte tenu de ce qu’un tel papier doit boire l’encre comme si vous buviez un litre et demi d’eau en 2 minutes. La photogravure est faite par des professionnels qui ont le sens de l’équilibre de la chromie et des pourcentages d’engraissement de trame journal qui au passage, autre miracle semble s’approcher d’un 175lpi (line per inch).

Je ne vois qu’un exemple de réussite de cette valeur dans la presse, c’est l’édition de Upper & Lower Case lancé par la firme International Typeface Corp dans les années 70, gratuit distribué dans le monde entier à 600.000 ex. afin de promouvoir la création typographique auprès de tous les directeurs artistiques d’agences de pub du monde entier.

Un design strategy excellentissime et le talent en plus:

Un magazine n’est pas seulement du papier divisé en 3-4 ou 6 colonnes avec du titrage, des chapôs, des interlignes et du texte. Comme je le montrais dans mes notes sur Hermann Zapf ou Neville Brody, c’est aussi une oeuvre picturale-tactile. Et William Hessel est particulièrement doué à ce jeu. L’originalité de son design ne réside pas dans ses choix typos. Ce n’est pas l’usage d’un simili Bauhaus pour le titrage, ni l’Abadi de la Monotype (merci Jean-François) qui font l’originalité de ces belles mises en page. Et ne croyez surtout pas que c’est le format, parce que là encore, et nous en avons eu l’exemple avec le Figaro qui dispose de 740 x 500 mm de format ouvert et n’en profite aucunement pour créer un spectacle graphique et/ou typographique.

De fait William Hessel fait de la mise en page-peinture. Il se libère des contraintes d’une grille omniprésente et réductrice, en installant des mosaïques de grilles sur la hauteur des pages (cf.ici). Mais comment fait-il pour que ça ne se «casse pas la gueule» (avec la voix de Paul pour ceux qui l’ont connu)? Il n’utilise quasiment aucun filet séparateur dans tout le magazine, ni vertical ni horizontal. Scandale chez les typos de la presse et des journalistes qu’on a bassiné pendant leurs études sur l’importance des filets. Mais la typo comme je l’expliquais, utilise des formes alphabétiques phonétiques,  et l’absence de signe ou de filet, c’est comme en musique, du silence. WH fait silence entre les pavés par l’utilisation de blancs qui nous font oublier les ruptures de grille. Du coup quelle souplesse, quelle mobilité. La page semble peinte avec la typographie et les images font office d’interstice avec les textes. Élégance, rythme, musicalité sont les adjectifs qui s’imposent le mieux.

Et puisqu’on parle de design strategy, n’oublions pas le rôle essentiel que tient la direction de la photo.
EnVille est un magazine tendance-urbaine. Les photos jouent un rôle doublement important. Elles situent, marquent un territoire de référents catégoriels mais aussi permettent à la rédaction d’embrayer sur une stratégie commerciale. Les pubs présentes en nombre croissant bien que loin d’être bons marché, participent à cette fête visuelle. EnVille choisit apparemment ses annonceurs en fonction de leur accord pour participer visuellement à l’aspect général du News. Pas de pub commerciale marketing, uniquement des pubs de marques, des pubs corporate. Une photo, une marque.

Enville_dsc_0724

Du coup la pagination rédactionnelle se renforce par la qualité visuelle de la Pub. Le jour où les journaux comprendront leur responsabilité à ne pas voir passer n’importe quelle pub au nom de la raison d’état, l’argent, ils feront un saut en avant considérable. Obligeant les annonceurs à créer des annonces qui renforcent la qualité du support au lieu de l’altérer. Bien sûr ce n’est pas nouveau comme concept, mais là pour un gratuit la démonstration est éclatante. Cette stratégie est vraiment payante, et à long terme.

Les photos sont d’une grande facture. Et on en vient à se demander si ce n’est pas Christian Caujolle qui tire les ficelles de cette qualité (juste un hommage à celui qui a transformé Libé en un lieu d’exposition photo permanente).

Enville_dsc_0732

Choix et cadrages au plus près du sujet. Une originalité et une qualité des images digne des plus grands magazines de mode. Un légendage littéraire. La photo et le texte se renvoient la balle qui rebondit au centre de nos imaginaires collectifs.

Mais j’arrête là ce panégyrique dithyrambique pour vous laisser feuilleter cette très belle réussite graphique. Vos commentaires sont les bienvenus, et j’en profite pour remercier tous ceux qui ont déjà participé activement à alimenter ces notes de leurs avis pertinents.

Typo | remarques complémentaires :

J’ai également été très agréablement surpris de la qualité des réglages typo, qui contrairement au Figaro respectent le «code typo» et nous font cadeau de beaux fers à gauche correctement travaillés.

Enville_dsc_0740

Enville_dsc_0765

Publié dans EnVille (1ère partie), Typographie de magazine | Commentaires fermés sur EnVille | design réussie d’un urban magazine gratuit

Typographie des Home Pages de l’information (2)

En examinant les home-pages ci-dessous, on perçoit toute la logique marketing et gutenbergienne.

Les sites d’informations du Monde, Nouvel Obs et Le Figaro traduisent graphiquement le souci de publier du texte journalistique. Les portails apparaissent clairement comme des journaux issus du Papier et de la longue tradition de l’imprimé. Quelques concessions sur le site du Monde qui de loin est le plus complet, le mieux organisé intérieurement. On y comprend très vite que le multimédia est un apport supplémentaire et non restrictif du travail journalistique. Les menus déroulants, le desk, les référents permettent à l’abonné de «naviguer» au plus près de ses centres d’intérêts sans jamais perdre de vue l’essentiel, le fond de commerce d’un journal, l’information et l’actualité raffraîchie en permanence.

Le Nouvel Obs rame un peu derrière mais a fait un choix de logique économique. Il va à l’essentiel, la reprise des contenus papiers mis en ligne. Ne se perd pas dans l’organisation d’une présentation à la Bloomberg dont il n’a pas les moyens. Même chose pour Le Figaro. qui me semble infiniment mieux réussi que la version Papier. Plus rythmé, plus accrocheur. C’est d’ailleurs un comble que les webdesigners du Figaro aient réussi là ou le print design semble piétiner lourdement.

Quant aux autres portails d’information, France Télévision en tête, France Inter et même France Culture, ils semblent se situer ailleurs. Ce sont des portails socio styles et essentiellement catégoriels.  Vous choisissez les plus belles images auxquelles vous vous identifiez le mieux. France-Inter pourraît très bien prêter l’image de son site à une compagnie d’assurance vie. Le contenu en est absent au premier regard, sauf à rentrer en profondeur dans les sites et encore, j’en doute pour France 2. Je n’ai pas montré la TV5 qui est pourtant une très belle réussite quant au contenu spécifique et culturel (un reportage vidéo sur les meilleurs artisans de France par ex).

Il est à regretter que France Culture ne se soit pas habillée plus culturellement. Ça sent ni le papier, ni l’encre, ni le théatre, ni la musique… ni la culture… La Cité des Sciences fait mieux.

Et j’ai gardé Libé pour la fin, parce qu’autant nous en aimons le papier, la direction de la photo, la qualité d’écriture, autant le site ressemble plus à un site racoleur qu’au portail d’un journal d’opinion crédible et sérieux.

Publié dans Lisibilité et Visibilité | Commentaires fermés sur Typographie des Home Pages de l’information (2)

Figaro | une design-analyse (2)

Figaro_dsc_0693


Nouveau Figaro |  la mise en page intérieure

J’ai eu l’occasion de travailler avec mon confrère Jean Bayle lors de son intervention sur le nouveau Libération (dénommé Libé III) lors de son lancement en septembre 1994. A cette occasion il m’avait demandé de créer 4 polices de caractères devant servir à composer le journal. Et j’ai pu à cette occasion le côtoyer et apprendre à connaître son mode de fonctionnement. Plus tard en 95 il me redemanda une autre police pour les Échos. Un Utopia medium. Jean Bayle est un graphiste qui aime profondément la presse et en connaît tous les recoins, toutes les ficelles, tous les codes. De plus il nous donne à voir et à lire un nouveau Le Figaro (pour reprendre l’expression du LCL) complètement assagi, poli comme un galet sur une plage de sable fin, neutre et incolore.

Sur une largeur de 370mm il nous présente une lecture en six colonnes composée en Centennial si j’en crois mon confrère Jean François Porchez  et je cite …« Les pages sont plus plates, l’effet est trop calme et livresque, pas assez tonique. Un seul bon point, c’est d’avoir monté le corps du caractère qui était ridiculement petit et dans une caractère peu adapté au texte courant (Linotype Centennial). Par contre, utiliser de l’Utopia, c’est un peut triste connaissant le nombre important de caractères de qualité sur le marché, destinés à la presse quotidienne, voyez Hoefler, Font Bureau, Carter, pour les plus connus, etc.»
Je partage entièrement cet avis, et j’ajouterai que cette mise en page est plus Suisse que Suisse pour les aficionados du graphisme helvétique des années 50. Tellement rigoureux dans ses alignements verticaux, tellement bien alignés les colonnes, les images, les titres… Rien ne dépasse, rien ne vient boursoufler ni accidenter cette mise en page, qu’elle en est si parfaite et si scolaire qu’elle gomme toute actualité à l’actualité. C’est comme si un acteur déclamait du Beaumarchais sur le ton monocorde d’un présentateur de Météo.

Le paysage concurrentiel de la presse écrite : radios, télévisions, internet et blogosphères nous présente chaque jour une info de plus en plus vivante, close-up aux actus et profondément analytique lorsqu’il s’agit des contributions des internautes de la blogosphère. Le Nouveau Figaro, bien que Nicolas Beytout se défend d’une enveloppe qui permet à chacun de trouver sa vitesse de lecture ne tient aucun compte de la nécessité de la relance et des emphases chers à la presse quot. J’oserai dire que Le Monde fait figure de presse underground à coté de cette nouvelle maquette de la socpress de Monsieur S.Dassault.

Lemondeune

Sage, sage sage, trop sage le patron, sages vous demandent-on aux journalistes, l’opinion gommée par une forme insipide et sans saveur ne se manifestera plus et la phrase de Beaumarchais ne trouve aucun écho dans ce calme olympien. Jean Bayle voulait déjà convaincre Serge July d’utiliser un éditing qui s’étale sur toute la largeur d’une page. Il est vrai que c’est joli. Mais ça manque de punch, d’efficacité de l’esprit reportage voire grand reportage. Certes ce n’est pas Libé, mais bobos de gauche ou bobos de droite les lecteurs sont avant tout des curieux qui payent chaque jour leur dîme à leur curiosité. Ils ont besoin d’être un peu bousculés, rythmés par l’actualité. Vous imaginez cette mise en page transcrite oralement, sur France Info… plus un auditeurLongtemps je me suis demandé d’ailleurs pourquoi un tel ton d’emphase sur cette radio nationale, la réponse m’est venue en relisant Marschall Mac Luhan (Galaxie Gutenberg). La typographie gutenbergienne nous a fait oublier la transmission orale. Petit à petit les lecteurs au cours des siècles écoulés ont cessé de marmonner les mots, pour laisser leurs yeux juste englober et effleurer les textes. Nos cordes vocales ne vibrent plus en lisant un journal, alors qu’à l’époque des manuscrits de l’antiquité jusqu’au moyen âge, les lecteurs lisaient à haute ou demi voix.

L’expression-perception humaine a basculé de l’oral vers le tactile. Or la mission première d’une radio c’est de faire entendre la voix, donc les émotions. Faire traduire l’importance d’une actualité dans le «son» d’une radio. (Quelquefois démesuré et outrancier – parce que déclamer le cours de la
bourse sur le même ton que l’enlèvement de Florence Aubenas est tout
aussi exagéré). C’est, avec la télévision (Arte par ex) deux médias qui reviennent vers l’oralité de nos vieilles perceptions.

Nous avons beau chercher dans le cahier du Figaro consacré à l’Actualité générale un peu de bousouflure de cette actualité, il nous faut attendre les pages du cahier «culture-loisir-art de vivre-détente-luxe et mode» pour trouver un peu de ce rythme qui manque au journal.

Il ne s’agit pas tant de critiquer la structure du journal que la manière dont la direction artistique quotidienne va pervertir, voire subvertir cette structure pour nous rendre l’actualité un peu plus vivante. C’est effectivement pas une question de typo. Ni de largeur de colonnes. La presse pour être facile à lire doit s’accommoder de règles de composition facilitant la lecture. Les études qui ont été menés sur ce sujet par Bror Zacchrisson ou François Richedeau, ou encore Herbert Spencer montrent bien que la lecture se trouve facilitée dès lors que notre rétine ne traîne pas trop longtemps sur une même ligne. Le risque étant de voir l’oeil décrocher de la ligne par une fatigue excessive. D’où une composition en colonnes de 35 à 40 signes pour la moyenne de la presse dans le monde entier  (alphabet latin). Il ne s’agit pas non plus de critiquer les erreurs de jeunesse d’un code typographique mal digérée par les programmes de composition du nouveau Figaro. Les règles de césure et justifications (C&J) devant être mieux réglés. Les fers à gauche évités afin de ne pas tomber dans des aberrations de ce style. Et encore ici. Les interlignes mieux gérés. Et les apostrophes minutes chassés de toute la composition du journal afin de laisser place aux vrais apostrophes typographiques. Mais nous sommes nombreux à être convaincus qu’il s’agit là uniquement d’erreurs de jeunesse d’une administration technique de la fabrication du journal et que l’esprit typo soufflera de nouveau sur Le Figaro.

En conclusion :

Par delà les analyses graphiques et typographiques, il est deux questions que nous devons nous poser à l’heure où les journaux comme Le Monde (qui confie à Ally Palmer la refonte de sa maquette) et Libération songent à reformuler leur design :

  1. Quelle est la nature de la crise qui voit l’audience de la presse quotidienne écrite baisser depuis 50 ans.
  2. Peut-on se contenter d’études marketing managés au fil du rasoir, qui accordent autant d’importance aux socio-styles des lecteurs d’un journal et aussi peu à la nature profonde d’une presse dont la vocation jusqu’à la fin des années 70 était de transmettre autant l’actu que l’opinion. Presse de droite, presse de gauche, il y avait des différences.

Il y a une aberration dans la crise que traverse la Presse. On n’a jamais autant édité, publié sur papier ou sur internet que durant les 500 années passées sous l’ère gutenbergienne. Or le public achète de moins en moins le Journal quotidien. Toutes les pistes de réflexion sont ouvertes et vos commentaires les bienvenus.

En premier : la nature économique de l’acte d’achat du journal. Le portefeuille du lecteur s’est vu partagé-déchiré depuis cinquante ans dans le vaste consumérisme de l’offre médias. L’ancien modèle économique a vécu, où trop de journalistes trop bien payés avec des avantages sociaux assez extraordinaires faisaient la fermeture des bars au petit matin de la Rue Réaumur. Les journaux se sont restructurés, adaptés. L’avènement de la composition par la PAO, a fini d’introduire la multivalence sur les plateaux de rédaction et avec la modernisation des flux de production, les réseaux de transmission, la photographie numérique transmise par satellites, l’impression des plaques offset en CTP (copy to plate), l’abandon de sanctuaires immobiliers et la concentration des groupes de presse, les points de rentabilités ont été optimisés au maximum. Ce n’est pas l’arrivée de la 3G dans la téléphonie qui va contribuer à faire gagner plus de rentabilité. Keynes parlait de la baisse tendancielle des taux de profits. Nous y sommes. Et la Presse n’obtiendra rien de plus à faire encore et encore la nième modernisation technologique. Des miettes en tous cas.
Une concurrence accrue sur Internet, une ouverture touts horizons pour un lecteur connecté qui peut parcourir l’équivalent d’un kiosque de journal sans sortir de chez lui. Chercher sur Google Actus (personnalisé) des infos que son quotidien est incapable de lui fournir.

En deuxième : la presse veut survivre elle doit réinventer son modèle économique. Parce que les annonceurs et les centrales d’achat ne sont pas dupes. Les tarifs s’adaptent aux mesures OJD et personne ne peut plus tromper personne.

20minutes

Le lancement des gratuits a fini par déstabiliser un marché en perdition et c’est là où nous ne comprenons plus l’actuelle refonte du Figaro. La vidéo de Nicolas Beytout nous donne l’impression qu’on n’a rien compris puisque fondamentalement rien n’a vraiment bougé. Il suffit de regarder l’ancien Fig et le nouveau… Même format, à peu près le même nombre de col et pour un lecteur peu averti aucune différence dans l’éditing ni dans la typo.

On a un peu l’impression que le journal a fait une étude marketing sur son lectorat traditionnel, constaté que les revenus des clients ont décuplé en 20 ans et tenté de s’approcher d’un socio-style de la bourgeoisie bien pensante, catholique, libérale et bouclé ainsi une maquette pour juste fidéliser cette clientèle. Mais alors le nouveau patron du Fig. n’est pas un chef d’entreprise, tout au plus un gardien de phare, qui remplace les ampoules de ses projecteurs. Car en liftant ainsi le journal il lui a fait perdre son âme de journal. Tout juste un rapport annuel bon pour la COB. Et quand on songe que sur ce registre graphique le paysage est complètement saturé, autant dire que son journal va continuer à dégringoler doucement. La disparition dans la dilution. La Banalité ne payera jamais sur un secteur où l’émotion l’a toujours emporté dans les réflexes d’achat. J’achète mon journal. C’est celui de mes opinions, pas la copie conforme du rapport annuel que ma banque m’envoie pour m’inviter à investir dans telles ou telles actions. D’ailleurs le maintien du format est symptomatique.

Le journal déplié fait 740 mm sur 500 mm. Vous n’imaginez même pas ouvrir ce format dans les transports en commun, quant à trouver la place sur la table de votre salon…veut dire que votre salon fait au moins 60m2. Oui nous pouvons douter de l’efficacité de cette refonte.

Il me semble assez évident qu’il eut fallu réfléchir au moyen d’élargir un lectorat et non seulement de satisfaire le plaisir (légitime sans aucun doute) de marquer son territoire de nouveau patron de journal. La nature de la crise est sociale, économique et humaine. Le lifting du Figaro ne semble pas tenir compte de ces trois facteurs.

 

Publié dans Typographie de Presse Quot. | Commentaires fermés sur Figaro | une design-analyse (2)

Figaro | une design-analyse de la nouvelle maquette (1)

Pour rédiger cette note il m’a fallu préparer comme à l’habitude une documentation de référence que nous pourrons consulter en parallèle tout au long de l’article, en voici l’adresse.

Figaro_dsc_0659

En consultant cet album de référence, vous pourrez feuilleter le journal sans être obligé de déplier les  370×500 mm (format fermé) de ce quotidien. Vous pourrez sans doute remarquer que ce format n’a pas vraiment changé à 2-3 millimètres près.

Nicolas Beytout, le nouveau patron du journal nous donne une assez bonne description des changements intervenus à l’adresse ici. Une petite vidéo où il nous explique les points suivants :

  1. Pourquoi et comment conçoit-on une nouvelle maquette?
  2. En quoi cette maquette répond-elle à l’attente des lecteurs?
  3. Quels sont les points clés de la nouvelle formule?
  4. Cela induit-il une autre manière de concevoir l’actualité
  5. Y-a-t-il d’autres évolutions prévues pour le Figaro?

Il constate tout d’abord ce que nous savions tous, l’érosion du lectorat des quotidiens. Il ne nous en donne pas vraiment les raisons, et surtout il ne fait aucune référence à la concurrence rude des gratuits (metro et 20 minutes qui se sont taillé une véritable part de marché sur ce segment de la presse). Pour autant il souligne la nécessité de construire un journal pour deux sortes de lectorat, ceux qui ont le temps de lire, en profondeur l’ensemble d’une actualité, et ceux qui à l’instar de la télé ou d’internet zappent «picorent» l’information, et dont il faut canaliser l’attention par des entrées, des brèves, des éditoriaux qui leur permettent de se relancer en lecture ou au contraire de zapper intelligemment dans le journal.
Une chose est certaine, Nicolas Beytout prend ses lecteurs au sérieux et leur propose une nouvelle formule qui telle une maison leur offre des pièces à vivre-lire avec des places immuables afin de capter l’attention et de les fidéliser sur des rubriques qu’ils peuvent retrouver d’un jour sur l’autre.

Analyse:

Le Titre-Logo et la Une.

Lorsqu’on aperçoit le journal en kiosque, plié comme sur la photo ci-dessus, on découvre un titre logotypé en bleu au blanc. Très tendance comme l’on dit certains de mes confrères. Bleuisation de la presse aussi bien papier qu’internet. Problème : avant de lire le titre mes rétines sont attirés par un cartouche rectangulaire bleu anonyme. Autrement dit je lis comme nous l’avons déjà indiqué, les contreformes bleus et non la typo du titre qui vient après quelques millisecondes juste après. Ce n’est pas gênant si le Figaro était dépositaire de la couleur bleue et des rectangles au format du titre, mais dès lors que n’importe quel autre journal peut logotyper son titre en blanc sur fond bleu, cela banalise considérablement un titre qui par ailleurs représentait une image forte et au plan formel et au plan de la mémorisation (taux de mémorisations) des lecteurs. Quand on prend le risque de déconstruire la mémoire d’un titre autant la redessiner et proposer une nouvelle forme graphique et typographique qui la remplace avec force et conviction. L’enfouissement de l’ancien titre dans ce cartouche bleu signe un véritable escamotage de ce qui fait le fond de commerce de la Une d’un journal, son titre, canal-historique. Le designer de presse Jean Bayle, a fait un travail remarquable. Cela ne fait de doute pour personne. Mais la Une pose un autre problème. Le journal plié, le titre presque escamoté par un bandeau banalisé, la perception que je reçois dans un kiosque, c’est l’absence de perception. Je veux dire que ce qui fait qu’un journal ressemble à un journal, les codes de la presse d’information quotidienne ont été gommés. Un «pauvre» titre en police Minion maigre (ce n’est pas une blague de collégien mais un excellent caractère dessiné par le très talentueux Robert Slimbach, deux colonnes de texte et une photo couleur excellente de notre premier ministre. Ça ne ressemble pas à la Une d’un journal, qui démarre sur un titre fort, qui engage le lecteur sur un édito et un visuel choc. Pour ma part j’ai plus le sentiment de nous retrouver dans une page d’ouverture d’un rapport d’entreprise (très sage cependant) que dans une ambiance de Presse Quot. Et de fait lorsqu’on s’attelle à créer la Une d’un journal fut-ce Le Figaro, on doit toujours tenter de concentrer l’essentiel du journal sur la moitié supérieure de la Une, seul espace visible en kiosque.

Kiosquejourno

De fait quand on déplie la Une, elle commence prendre les allures d’un quotidien, par la présence de brèves sommérisés qui nous renvoient comme à l’habitude dans les pages intérieures.

Globalement la Une est remarquablement sobre, sans doute trop, dire qu’elle en élégante, non par le choix des typos et des manques de contrastes évidents qui diluent l’attention du lecteur. Seule événements de taille : la photo. Une direction très Libé, ou dossier du Monde, N.Beytout fait de l’excellent benchmarking en ce domaine et il en a parfaitement le droit s’il estime que ses parts de marché sont à gagner sur les concurrents directs. (J’en doute et nous y reviendrons).

Réponse en temps réel à Estève Gili : Voici effectivement un bleu sur lequel nos rétines peuvent glisser sans s’impliquer. Nous reviendrons sur cette affaire de la perception, et on pourraît presque se poser les questions de fond : Nicolas Beytout a-t-il été chargé de «fossoyer» Le Figaro, ou bien est-il si BCBG qu’il ne sait plus ce qu’est un noir et blanc… Plus que des gris ! Mieux que le Frankfurter Allgemeine. Sur la crise de la presse allemande, un excellent article nous invite à réfléchir, et en ce qui concerne Le Figaro, il est dommage que l’étude de l’environnement concurrentiel n’ait pas conduit les animateurs de ce projet à se poser la question éternelle… comment faire pour élargir un lectorat et non de se restreindre à servir la soupe à une clientèle qui dans les trente dernières années a vieilli comme vous et moi, mais enrichi en moyenne plutôt 10 fois plus que la moyenne nationale. Mais j’y reviendrai dans mon analyse.

Publié dans Typographie de Presse Quot. | Commentaires fermés sur Figaro | une design-analyse de la nouvelle maquette (1)

Typographie des Home Pages de l’information

appel à commentaires

Voici quelques home pages de sites de presse connus. J’aimerais connaître vos observations sur les différences que vous notez à propos de ces home-pages. Le seul commentaire que je vous demande de vous interdire, c’est : «j’aime ou j’aime pas», ce serait contre-productif si l’on veut tenter de comprendre comment fonctionnent ces pages. Si vous avez lu quelques unes des notes précédentes (ex.), vous disposez d’un certain nombres de codes, d’une grammaire et d’un vocabulaire pour pouvoir contribuer à cette étude comparative. Ceci s’adresse autant à mes étudiants qu’à n’importe quel visiteur curieux de participer à une analyse collective de l’influence d’une scénographie sur la perception subjective de l’information dite objective (par défaut) que nous recevons chaque jour par les médias de l’internet. Message is Massage disait Marschall Mac Luhan en étudiant le rôle de la forme sur le contenu. (pour comprendre les Médias.) Et mon travail d’analyse sur la nouvelle mise en page du Figaro n’échappera pas à cette règle. On ne peut  critiquer constructivement une scénographie que si l’on en comprend les intentions éditoriales et politiques. 

UnelciUnenouvelobsFiletnoir_10

UnedumondeUneexpressFiletnoir_11
UnefigaroUnelibeFiletnoir_12
Unefrance2
Filetnoir_13
Unefranceinter

Unefrculture
|
Filetnoir_16

La Presse c’était ça au XIXe.
Une presse d’opinion avant la presse d’information

|
|Unejaccuse_1

Publié dans Lisibilité et Visibilité | Commentaires fermés sur Typographie des Home Pages de l’information

L’ère typo-plasticienne (suite et fin)

Designtypofloubr

1sur5


Il serait parfaitement incongru pour moi ici de faire un cours sur l’art plastique voire sur l’art tout court.

Mais Neville Brody s’approche remarquablement du sujet quand il dit : «Nous sommes à cheval entre deux mondes : le monde de la prépublication et le monde de sa réception, c’est-à-dire que nous sommes ceux qui traduisent les concepts invisibles dans des formes emballées, nous convertissons des pensées et des actions en images mentales et en attitudes.…La police que nous choisissons, la photo que nous sélectionnons et recadrons, la manière dont nous utilisons l’espace – tout cela influence notre réaction en tant que lecteurs. Un Shakespeare imprimé en Franklin Gothic 36 pts n’aura pas le même effet qu’en Garamond 10 pts.»

Ça c’est la définition du graphisme-graphiste comme un artisan des arts appliqués.

Mais plus loin il nous dit : «Je vis dans un monde qui me fait oublier l’intuition, l’instinct, l’art, le naturel, l’analogue. Un monde dans lequel mes réponses-formules et mes productions technologiques sont mécaniques, ou scientifiques… Aujourd’hui, je calcule au lieu de créer. J’ai oublié comment travailler avec mes mains, modeler des choses comme de l’argile, assister à la naissance de nouvelles formes et émotions.»

Et encore : «Il en est de même des marques. A la base, il n’y a que peu de différences entre Starbucks, Nike, Virgin, Ford, Macdonald’s… Dans ce Matrix de l’imagination, il n’y aura jamais de vraie révolution, et toute véritable différence est détruite comme un véritable ennemi.»

2sur5

Mais le plus significatif et le plus important de son discours c’est cette phrase: «…La qualité de la création est extraordinairement élevée, les normes de fabrication incomparables, et le savoir-faire superbe. Mais, d’une façon ou d’une autre, on a une sensation de déjà-vu. On admire les normes esthétiques et techniques, mais on se retrouve comme vides, ou blasés.»

Neville Brody se fait l’écho de la révolution technologique qui a balayé l’ancien monde. Et il en pointe les changements radicaux. Le travail manuel a disparu, le tactile, pour être remplacé par l’intervention informatisé sur les images et les textes. Cela conduit la plupart des graphistes à intégrer plusieurs expressions qui auparavant était le fruit d’une collaboration entre spécialistes de l’image du texte, de la musique et du cinéma. Cela fait qu’une seule et même personne détient désormais les moyens d’une production visuelle et s’en sert en alternance et permutations constantes. Les logiciels graphiques nous permettent de créer des transparences aussi aisément qu’un far breton. De fait les éditions publicitaires, les packagings, les affiches sont aujourd’hui à la fois le fruit d’une réflexion en amont mais surtout des produits visuels fabriqués selon des normes informatiques qui si elles se développent chaque jour ne nous éloignent pas pour autant de la sensibilité tactile d’un métier qui employait encore il y a dix-quinze ans la planche à dessin, la carte à gratter et la colle gutta.
3sur5

Le résultat est là. Pas une page publicitaire, pas une affiche ou un flyer qui ne soit l’écho de ces nombreuses possibilités. Et notre perception change. Nous nous nous habituons à décoder des messages superposés comme à regarder des films avec des effets spéciaux. La balle qui rentre au ralenti dans la chair humaine, c’est aussi irréel que l’utilisation infinie des calques dans photoshop ou illustrator. Nous ne faisons plus des photos mais des images. Et notre oeil s’habitue. De superpositions en surimpressions, l’espace bi-dimensionnel s’est transformé en tri voire quadridimensionnel. Tri, pour la profondeur créé par les nombreuses couches d’informations superposées, quadri, parce que du coup la dimension temps intervient. Nous hiérarchisons l’espace en profondeur donc nous suggérons la notion de durée. Quand Brody crée le Blur, caractère dérivé d’un haas mais passé à la moulinette du floutage dans photoshop et de la revectorisation des nouvelles formes, il s’était certainement d’abord extasié sur les possibilités graphiques que les logiciels nous ont fournis. Et il s’en est servi.

Brodymoyenage

Notre regard et notre perception des espaces graphiques ont radicalement changé, il faut remonter à la renaissance pour trouver une comparaison. C’est l’époque où la perspective fut introduite dans la représentation artistique. Les gens ont appris à regarder l’éloignement et le rapprochement des scènes. Auparavant et jusqu’au Moyen Age on superposait les scènes de la vie, cléricale, royale ou sociale. Les tableaux et tapisseries étaient construites avec des strates verticales où les codes étaient parfaitement connus. D’abord le clergé tout la haut quand il n’y avait pas la main de Dieu qui pointait vers l’homme, puis les instances royales et ensuite plus bas les suzerains et les vassaux.

Brodyrennaissance

4sur5

Tout ceci a été transformé par la perspective qui a permis de rapprocher ou d’éloigner les sujets. Mais aujourd’hui avec les effets spéciaux, les superpositions, les floutés, les ralentis et accélérés informatisés, notre perception change. Sans compter les conséquences qu’ont sur nous les médias eux mêmes. Portables, écrans à tous les étages, dans tous les bureaux. Le plateau des directeurs artistiques d’une grande agence sur les champs élysées ressemble autant à un lieu de création qu’une agence de réservation de billets d’avion. Notre perception des actes créatifs, autant que la perception de notre production ont donc été profondément modifiées.

Comment les deux mondes vont ils cohabiter? J. F. Truffaut avait prédit la disparition des livres dans Farenheit 451, mais on n’a jamais autant vendu de livres qu’aujourd’hui et même s’ils sont devenus des produits markettés et emballés comme le souligne Brody, les gens continuent de lire. Internet aussi, ma contribution à ce blog est le témoignage vivant d’un retour à l’écriture alors qu’il y a encore quelques mois, je préférais regarder un film, ou aller voir un concert. Certes j’y passe des nuits blanches, mais me dit que les humanistes du 16-17e devaient en faire autant à la lumière des bougies. Et cette immense toile d’écriture se tisse chaque jour grandissante. Les liens s’entrecroisent, rebondissent de page en page et l’information verticle se voit concurrencée par la transversalité du web collaboratif. Donc deux mondes vont sans doute cohabiter, et nous devons aiguiser nos grilles de lecture pour comprendre et savoir décoder les langages de chaque média. Le print, le web, la télé, le cinéma sont autant régis par des codes que la peinture surréaliste ou symboliste.

5sur5

Gutenberg a été donné pour mort depuis le début de l’ère électrique, mais les moyens de production de l’ère informatique n’ont fait que démultiplier la mobilité de ses caractères. Les cultures ne se sédimentent pas, ça ne fonctionne pas comme des rajouts de savoirs et de techniques. Au contraire il y a récupération, détournements, subversion des expressions traditionnelles par les nouvelles technologies. Nous avons le droit d’être plus optimiste que Neville Brody parce nous ne sommes pas au bout de cette révolution. Et qu’elle profite au plus grand nombre. Certes des métiers ont disparu dans tous les secteurs de la production artistique, ou sont en voie de l’être. Des étapes dans la production ont sauté comme d’innombrables verrous, l’on envoie aujourd’hui directement des fichiers PDF à nos impirmeurs, plus de films, plus de cromalins, mais pour autant l’oeil d’un Brody, son savoir et sa culture sont indispensables à la réussite d’un projet. Et s’il est vrai que ce monde permet le pire (cf mes notes sur la SNCF ou le Crédit Lyonnais, il permet aussi à des talents incontestables de produire mieux dans un confort extraordinaire.

Le plus paradoxale dans le discours de Brody et si vous avez eu le courage de lire ces quelques notes c’est qu’il dénonce pêle mêle une société vouée à la post production, à la banalisation des formes et des styles, mais en filigrane, il dénonce aussi et surtout les effets d’un  système capitaliste financier et cela n’a échappé à personne. Alter mondialiste dans son discours, il l’est, mais cela ne l’a pas empêché à une certaine époque de récupérer à des fins de mode, les codes graphiques de la Russie Soviétique et communiste. Il y a là comme un pied de nez à la psychologie attachante de Brody.

 

Publié dans Neville Brody | Commentaires fermés sur L’ère typo-plasticienne (suite et fin)

L’ère typo-plasticienne

Brody2

|

Publié dans Neville Brody | Commentaires fermés sur L’ère typo-plasticienne

Neville Brody | l’utopie graphique à son apogée

Brody1
|

Le génie «d’ouvrier de la page», de Neville Brody se double d’un musicien réel ou frustré, et c’est là où nous voulions arriver au cours de cette longue (j’espère pas trop fastidieuse analyse). Parce que nous sommes à l’aube des grands changements vers la fin des années 80.
Le style des années 20, celui de Gutenberg, celui de Herb Lubalin et enfin de Brody ont ceci de commun, c’est qu’ils fonctionnent tous sur un rapport étroit de la perception visuelle et auditive.

Filetnoir_4

|
Dans l’image ci-dessus, on voit bien que la mise en page des textes et images contribuent à faire de la musique, du rythme. On a connu ça avec Andy Wharol, ou Lubalin aussi. La répétition des items visuels, l’organisation binaire voire militaire de la typo donnent un effet sonore aux pages. Ce n’est pas par hasard que Brody va prendre en main la destinée de magazines de Mode, ou de groupes musicaux. Il y a chez lui une expression et une sensibilité graphique qui transcende le graphisme pour nous le faire vivre à l’oreille tout aussi bien qu’à nos rétines. C’est ce que j’appellais l’expression orale-tactile de l’ère gutenbergienne. Mais là nous sommes à son apogée. Et la mode se prête formidablement à ce jeu, à ce langage. Et l’oeuvre de Brody va son chemin pendant près de 7-8 ans explorant les moindres recoins de ce vocabulaire graphique. Il traque la demi-mesure, il est un maximaliste de la page. Il suffit de voir ses mises en page de The Face ou d’Arena pour comprendre comment fonctionne ce langage. Le texte, en colonne justifiée la plupart du temps : je chuchote, ce sont les instruments qui accompagnent, les choeurs de la sacristie. Les titres, ils chantent fort, voire ils hurlent parfois, pour renvoyer à l’image qui lui calme le jeu, moderato cantabile. Les filets sont là pour faire respirer les acteurs graphiques, verticaux, ils allongent la page, la rendent monumentale (point besoin d’ailleurs de les tracer jusqu’au bout. Brody sait aussi être minimaliste, il suggère, plus qu’il ne montre quelquefois. Les filets horizontaux sont là pour assoir les visuels ou un message, ou structurer la hiérarchie. On retrouve tout cela dans la mise en page de Herb Lubalin, celle qu’il nous prodiguait avec les magnifiques Upper and Lower Case. Mais Herb était encore empreint de calligraphie, il aimait les contrastes fins, presque baroques. Brody c’est du Rock, de la musique sérielle à la Bério ou Varese ou encore Stockhausen. Nous sommes à la fin des années 80. Et tout va basculer. L’ère du Numérique arrive.

Filetnoir_5
|

Neville Brody dans son blues et son désarroi, ne s’en prend pas à la première cause de ses angoisses. Il ne voit que la conséquence, le résultat, pas les causes. Et si causes il y a, il n’est nullement question ici d’en constester la réalité ou les bénéfices substentiels.
Vers la fin des années 80 une révolution majeure a emporté toutes nos certitudes créant le plus grand maelstrom de progrès que l’humanité n’a connu depuis Gutenberg. Et si Jacques Attali pointe la découverte de l’amérique avec son 1492, nous pouvons en toute certitude lui affirmer que Gutenberg a plus modifié nos perceptions et le développement de la pensée universelle que dix Christophe Colomb n’auraient pu faire.

Mais en cette fin des eighties, la révolution nous arrive des Etats Unis où un certain John Warnock, président d’une petite société californienne, Adobe, va envoyer un message extraordinaire à l’humanité. «Mesdames et messieurs (nous sommes à San Francisco à un séminaire du célèbre Seybold Report, devant un parterre de 1500 professionnels de la typographie, de l’informatique et de créateurs de logiciels), nous avons décidé de rendre publique le langage ©Postscript, pour que l’humanité puisse profiter des progrès que nous engendrons. Nous vous remettons les codes sources de ce langage qui vous permettra de fabriquer des machines à encoder les textes et les images grâce à un langage universel». Et dans le même temps, avec Steve Jobs assis au premier rang de la salle de conférence, il annonce l’arrivée d’un petit logiciel, on dira un utilitaire aujourd’hui, l’ATM (Adobe Type Manager).

Filetnoir_6

|
Et le monde à ce moment là précis bascule dans les plus formidables changements que nous évoquions. Qu’est-ce que l’ATM pour ceux et celles qui l’ignorent. Un petit ouvrier informatique, un utilitaire qui va permettre l’affichage lissé des caractères d’imprimerie à l’écran.

Trois mois après cette annonce, pas quatre, seulement trois, les médias, les agences de publicité les professionnels du design et du graphisme se ruaient sur l’achat de Macintosh et des logiciels graphiques ©Quark X-Press, ©Illustrator, ©Photoshop, pour n’en citer que les principaux (sans oublier les ©Page Maker, Freehand etc.). Dans le même temps, les ordinateurs PC adoptaient les mêmes normes de langage pour piloter les imprimantes, et grâce aux ©Laserwriters de toute sortes tout un chacun pouvait désormais composer, mettre en page, produire, éditer etc.

Filetnoir_7

|
Le blues de Neville Brody, c’est celui de la dépossession de son art. Ce n’est pas un hasard que les étudiants de l’époque se sont mis tous à faire du sous Brody! Mais sans l’informatique et le ©Postscript ce ne serait pas arrivé. Imaginez la même révolution au temps des années 20. Rodchenko, immense graphiste boulimique aussi, un vrai stakanoviste de la typo, se serait vu déposséder tout autant de son art. Et vous pouvez imaginer sans peine que l’oeuvre de Vasarely n’aurait eu qu’un succès d’estime si ces moyens informatiques avaient existé au temps où Victor Vasarely faisait travailler un studio de 20 à 40 dessinateurs pour exécuter ses compositions. Un seul suffirait aujourd’hui pour produire la même oeuvre. Et encore cet oeuvre n’aurait plus rien d’unique.

Et je ferai court sur les développements ultérieurs de l’html qui nous vaut aujourd’hui de pouvoir communiquer, écrire, éditer, partager instantanément tout projet éditorial ou graphique avec l’autre bout du monde.

Brody a fait des choix de sensibilités et de stratégies dans sa carrière d’artiste. Elles correspondaient à sa culture, à sa passion pour la musique, au fait qu’il avait réussi à traduire sa mélomanie en graphic-manie.

Mais il y travaillait dur, et sans relache, et il n’y en avait pas deux comme lui. Avec l’arrivée du numérique, sa culture graphique s’est dilué dans le langage binaire universel de la planète.

Il y a sans doute de quoi déprimer ou d’enrager, outre la perte «relative» de son fond de commerce (au sens noble parce que commerce ne veut pas dire mercantilisme), il perd aussi ses repères, parce qu’il n’arrive plus à fournir de l’unique. Seuls des Picasso ou des Matisse faisaient de l’unique. Dans nos métiers graphiques nous produisons à l’infini avec des langages codés des affiches et de l’édition (print ou web), des créations qui se répètent, se benchmarquent, se mulitplient dès que quelqu’un croit avoir trouvé une nouvelle niche de créativité. Brody a curieusement été victime à son tour du progès technologique que les typographes, les musiciens, les photographes, les architectes ont connu durant ces dernières années. Et quand il dénonce la société de postproduction, il faut lire entre les lignes, il voulait sans doute dire postindustrielle. Il y a quelque chose d’attendrissant de voir que cela est arrivé à celui qui justement avait «récupéré» les codes graphiques de l’époque de l’industrialisation.

On peut polémiquer sur ses constats, lui rétorquer que chaque époque de grande révolution a vu son cortège de conséquences sociales détestables. Mais demandez aujourd’hui à un gamin comment nous vivions sans internet et sans téléphone portable et surtout sans hub… il ouvrirait grand les yeux… heuh parce que c’était comment avant? Et on ne va pas dire comme Burt Lancaster dans le Guépard, qu’il faudrait tout détruire pour pouvoir revivre comme avant.

Ce qui m’intéresse toutefois dans les propos de Neville, c’est la part d’oubli.

Il oublie de dire notamment qu’en tant qu’artiste de talent et confirmé, il a pleinement participé et accompagné ces progrès technologiques. Et nous n’entrerons pas dans les détails, mais la création de nombreux alphabets, de logos etc, demandaient des années de labeur avant l’arrivée des moyens numériques. Il oublie aussi et c’est toute modestie de sa part, parce que c’est un être exquis et jovial, qu’il a accompagné voire précédé le nouvel ère du numérique par ses nombreuses compositions picturales et plasticiennes de très grande facture. C’est loin d’être un laissé du compte de l’art et vous pouvez découvrir quelques uns de ces créations numériques là!.

Mais surtout, et c’est le coeur de mon sujet, Brody nous éloigne par son blues solitaire d’une analyse beaucoup plus fondamentale de la création de ces quinze dernières années.

L’ère typo-plasticienne.

Publié dans Neville Brody | Commentaires fermés sur Neville Brody | l’utopie graphique à son apogée

Neville Brody | dans l’oeil du cyclone

152_nevillebrodywork


Je voudrais revenir après le long texte consacré au discours de l’enfant prodigue, aux raisons du désarroi de Neville, à ce qu’il y a d’universel dans sa longue plainte et en quoi ce texte reflète bien le passage de l’utopie graphique de Gutenberg à l’ère visuel-plasticienne qui est apparu au début des années 90.

Pour rédiger cette note qui me sert en même temps de support de cours pour mes élèves en Arts Graphiques, j’ai d’abord sélectionné les images les plus représentatives de Brody dans deux ouvrages qui lui sont consacré et que vous pouvez, vous procurer dans une librairie spécialisée comme il y en a sur le canal Saint Martin ou sur le boulevard Saint-Germain, à l’angle de la rue Saint-Benoit. Vous trouverez également le site de Neville Brody ici, afin de mieux connaître le professionalisme du bonhomme, le plus génial des graphistes que j’ai rencontré après Herb Lubalin.

Le texte de Neville Brody est d’autant plus surprenant pour ceux qui ne le connaissent pas que sa production témoigne d’un véritable génie de la mise en scène graphique et typographique. On se dit en l’écoutant que c’est le discours que n’importe quel graphiste toutes générations confondus aurait pu tenir. Non, c’est Neville en personne, celui qui a révolutionné le graphisme des années 80, celui que tous les élèves des arts déco, de Créapole ou de l’Esag… se sont mis à copier avec ferveur et passion. C’est celui qui a été publié, dont les livres se sont vendus par dizaine de milliers dans le monde entier, celui qui est reçu comme le pape de la typographie dans toutes les écoles, toutes les conférences internationales.

Mais que cache tant de désarroi, quel mouche a piqué ce fondateur et entraîneur de mouvement graphique ?

Il faut pour cela remonter un peu le temps, et revenir aux grands créateurs du XXe siècle pour l’appréhender.

Filetnoir_2


Retour sur les filiations de Neville Brody

Les compositions ci-dessous sont de Rodchenko 1929-1930.

Graphrusse_comp1

Le stalinisme bat plein régime, Il s’agit pour les graphistes de l’époque de participer à la propagande implacable d’un système qui lamine les classes, pour créer au bout le rêve socialiste de la classe unique. L’expression graphique est forte et ne transige pas avec les ornema-lamentations de l’ancien régime tzariste. Le vocabuaire graphique emploi des alphabets linéales (bâton, ou gothic chez les américains), qui marquent la fin des didots cher au XIXe. Les filets gras jouent pour structurer les espaces selon une rythmique très étudié (remplir les blancs, souligner encadrer). Le communisme est un totalitérisme maximaliste. Le «je ne veux voir qu’une tête» du sergent recruteur se retrouve dans un style où tout est rempli de façon fonctionnelle.

Les lettres en habillage, les bandeaux de titres en noir au blanc pour renforcer l’impact sur le lecteur. On a appelé cela à tort peut-être le constructivisme. On verra à Weimar les mêmes compositions reprises par Mondrian ou Klee, et Mohoy Nagy le photographe magyar. Curieuseument il est à remarquer que ce style, s’il correspond à un régime totalitaire en Russie, symbolise pour nous en occident la montée de l’ère industrielle. Le taylorisme va se propager dans tous les rouages de l’économie, et les graphistes traduisent ce formidable «progrès social» par un style industriel. Les graphismes ressemblent à des affiches d’usine, à des modes d’emploi de machines. Ils plongent le lecteur de l’époque dans la satisfaction identitaire de faire partie du monde qui avance. Les ouvriers ont fui les campagnes et s’entassent dans les faubourgs, les usines fument et la voiture pétaradante et polluante va devenir le symbole du nec plus des classes laborieuses.

Je souligne, je surligne, j’aligne, je superpose les lettres, ou les fais se toucher au maximum. Une sorte de musique faite de touches noires et blanches. A propos de musique, Strawinski commence à révolutionner les formes d’expression et des compositeurs comme Arnold Schönberg, Alban Berg et Anton Webern, deviennent les précurseurs de la musique contemporaine, ils introduisent l’atonalité et le dodécaphonisme et arrive aussi la musique sérielle – tout un programme. Tout concorde, l’époque ampoulée de la renaissance est bien derrière, le monde moderne avance à pas de géant.

Graphrusse_comp2

Filetnoir

Et nous sommes maintenant au beau milieu des années 80. Voici quelques créations de Neville Brody qui datent de ces années.

Graphrusse_comp7Graphrusse_comp6

et encore ces créations magnifiques d’alphabets qu’il a appelé, tiens… l’Industria :

Graphrusse_comp5Graphrusse_comp3

Il n’est point besoin d’être un expert en art pour voir des similitudes de style, une même façon d’organiser les espaces, une même façon d’utiliser les éléments graphiques, lettres, filets, habillages en cercle, couuleurs vives (la gouache se propage) etc.

Neville Brody est un immense artiste, de plus c’est un travailleur boulimique, il produit en quelques années ce que d’autres n’arrivent pas à faire pendant une vie entière.

S’agit-il pour nous d’entamer une polémique sur les aspects plagiaires de l’oeuvre de Neville ou plutôt de nous poser la bonne question, que s’est-il passé dans l’histoire du graphisme pour qu’il en soit revenu à l’expression picturale des années 20.

Filetnoir_1

Après la deuxième guerre, la publicité et le design modernes sont nés outre-Atlantique avec des pionniers comme David Ogilvy ou Raymond Loewy. On découvre le consommateur-client (consumérisme) et le marketing. Les investissements pubicitaires grossissent jusqu’à fonder un véritable secteur économique qui bientôt «montera» en bourse. Les artistes d’avant la guerre qui ont en France par exemple, marqué toute une époque de la douce propagande, Paul Colin, Villemot, Capiello, Carlu, Savignac et bien d’autres ne font plus recette. Désormais cela se passe chez les Directeurs Artistiques des agences. Et ils sortent des écoles d’art comme Estienne, Arts Déco, Penninghen etc.

En face d’eux ils trouvent d’autres acteurs qui vont prendre une importance grandissante, les chefs de publicité, les directeurs marketing, les directeurs financiers bien sûr. La publicité se spécialise, se crée ses codes, son vocabulaire, et pour finir produit une quantité de pages et de pages, qui, toutes sont marquées du sceau de l’efficacité commerciale. La photo publicitaire est née au milieu des années 50, après que le NewLook de Christian Dior aient aussi révolutionné la mode. Désormais on ne dessine plus, ou de moins en moins.

Les agences n’achètent plus d’illustrations mais font faire des photos. La typo s’est propagée comme technique d’expression mais pas comme un art majeure (en France particulièrement). Il faut la sagacité et la force de persuasion de grands typographes comme Hollenstein pour faire adopter en France un caractère baton comme le Hass Helvetica (le dessin original de l’Arial plagié par Microsoft qui n’a pas voulu payer des droits à la fonderie Linotype). Et j’ai connu des dizaines de Directeurs Artistiques à cette époque qui utilisaient invariablement 10 ou 20 polices de caractères alors que les catalogues des compositeurs fourmillaient de choix de dessins à l’infini. Les trente glorieuses n’ont pas toujours été en France un moment très marquant sur le plan de la créationf graphique.

C’est dans la grisaille d’un style uniforme et consumérisé que Brody va nous faire re-découvrir la pugnacité d’un graphisme construit, formaliste et symbolique. Il réivente les titres logotypés dans des magazines comme Remarque : nous devons cependant rendre un hommage appuyé à la presse magazine dans son ensemble qui a été à l’avant garde de toutes les expérimentations. Des ELLE, Vogue, Nouvel Obs, ou Actuel, sans parler de tous les magazines undergrounds ou musicaux (Rock surtout) qui à l’instar d’un Rollingstone cherchaient à nous faire partager une scénographie de la lecture débarassée des conventions publicitaires, ils ont été les derniers remparts contre l’uniformisation de la communication visuelle.

Dans l’Angleterre de Brody l’hisoire se reproduit de même, avec cependant une caractéristique plus marquante concerant le glacis typographique. Les Anglais, américains, sont des gens très sensibles à la typographie et la calligraphie. Est-ce parce que dans les cultures protestantes on attache plus d’imortance au texte qu’à l’image? De fait la tradition publicitaire anglosaxonne est beaucoup plus consommatrice de typos, de recherches typographiques, et les 26 lettres de l’alphabet sont pour eux des acteurs visuels aussi importants que l’image photographique ou dessinée.

Il sufit de voir les créations du Push Pin Studio à New York ou de Saul Bass le créateur de logotypes aussi célèbres que UNITED ou CONINENTAL ou encore de la WARNER (j’ai un faible particulièrement pour son affiche de film pour EXODUS). Sans oublier sans doute le plus prolifique et le plus marquant de ces trente années 1950-1980, Herb Lubalin ‘et nous y reviendrons). Mais, grisaille anglosaxonne il y a tout de même. Parce que les agences londoniennes sont à cette époque encore plus conservatrices et font respecter l’ordre Gutenbergien. La calligraphie, le Baskerville Old Face, le Cheltenham ou le Caslon donnent la réplique à nos Franklin Gothic ou News Gothic ou encore l’Imprinta, unique caractère que les DA de l’agence IMPACT avaient le droit d’utiliser. Ces caractères Transitionnels, dont les formes oscillent entre nos Garaldes et les Didots donnent naissance à Londres vers 1935 au célèbre Times de Stanley Morison.

Filetnoir_3

Brody finit ses études d’Art vers la fin des années 70. Il dessine plutôt bien, et a un sens aigu de la dramaturgie. Ses illustrations en témoignent.

D’abord Gutenberg, la composition de témoigne de sa rigueur et de sens de la décoration. Pricipal traits de cette composition : la mise en page en deux colonnes composés dans un fraktur (gothique) des plus lisibles et l’utilisation de relances de lecture par des initiales en couleurs (lettrines), ou voire de débuts de chapitres par des grandes initiales monumentales qui attirent l’attention comme un puctum de R. Barthes. Ses gris typos étaient parfaits (nous sommes bien là en composition avec des caractères en plomb et antimoine). Pas de lézardes ni rivières dans les textes et il se permettait le luxe de rajouter les tirets de sécables en fin de lignes en dehors de la justification. C’est aujourd’hui encore un tour de force pour beaucoup d’arriver à une telle perfection de la compo. Mais on y arrive si l’on veut bien se donner la peine de régler ses préférences dans des logiciels comme Quark X-Press ou InDesign, voire même Photoshop et Illustrator.

L’influence de Gutenberg est frappant chez beaucoup de graphistes, il a fixé à jamais certaines règles de composition. Et nous reviendrons sur les aspects phonétiques de ce style de mise en page, que nous avons commencé à traiter dans la note relative à l’oeuvre de Zapf (archives 28 septembre 2005).

Gut_la_bible4_web


Ensuite il me semble que celui qui a le plus influencé Brody c’est justement
Herb Lubalin. Parce qu’il utilise la typo à la fois comme un décor de théatre (metteur en scène de la page) mais aussi parce qu’il a ce génie du texte logotypé, en n’oubliant pas ce sens aigu de l’architecture de la page que l’esprit rigoureux et exigeant de Brody va reprendre brillament à son compte.

Mais Brody ne pouvait se permettre d’être un sous-Lubalin, personne d’ailleurs, mais en essayant de remonter le désarroi de Neville j’ai cherché à comprendre le fonctionnement du personnage. Il me semble qu’après quelques décennies de typographie très DCBG, très Didot ou Caslon ou Baskerville ou Garamond comme il faut, il avait le besoin de revenir aux fondamentaux de ces formes, les Linéales (caractères bâtons). Fondamentaux, parce qu’on les trouvait déjà 700 avant JC sur les côtes féniciennes, que les grecs ont repris bien évidemment, et qu’il a fallu l’art lapidaire romain pour venir avec l’outil du tailleur de pierre assoir la lettre sur des patins (Incises).

Par ailleurs c’est un metteur en page et un homme de culture, il ne lui pas fallu des années pour comprendre le vide qui séparait les expressions conventionnelles de la fin des années 60-70 et la forme neo-révolutionnaire des années 20-30.

Autrement dit il a fait son casting parmi tous les styles qui avaient existé auparavent et c’est celui des constructivistes des années 20 qui fonctionnait le mieux avec ses projets, et surtout sa sensibilité. Il y a ajouté du génie. Pas un génie inventif, mais un génie de la rigueur.

Là où les Russes faisaient de l’à peu près, lui réglait les espaces, les rythmes, les textes au dixième de millimètre près (cher à Lubalin). Là où les Russes se servait de ce style pour inciter les gens à fumer, ou à travailler pour la cause juste, lui habillait des pages de mode où la futilité le dispute à la beauté plastique ou encore des pochettes de disques, qui d’un seul coup sont sorti de la pagaille des bacs à images et à typos mal réglés.

Suitesuite

 

Publié dans Neville Brody | Commentaires fermés sur Neville Brody | dans l’oeil du cyclone