La lettre et le corps | Le Tango, expression calligraphique du danseur argentin

un reportage qui s’est transformé en étude photographique de la danse la plus calligraphique que l’homme n’ait jamais pratiqué1.

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pour voir toutes les photos du reportage, cliquez-ici !

1 Danse de salon bien entendu ! Il y a longtemps que j’avais fait le lien avec la danse classique et le modern jazz, voire même les danses africaines.

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4 | Herb Lubalin: son génie des lettres, des logotypes et de la mise en page

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Permettez-moi de revenir dans ce chapitre sur l’essentiel qui fait le génie de Lubalin, je veux dire son amour des lettres. On ne le répétera sans doute jamais assez, Herb n’était pas doué pour la parole, aussi sa relation avec l’alphabet frise l’obsessionnel. L’aphasie l’a plongé dans une relation amoureuse avec les signes alphabétiques qui lui permettait de s’exprimer par procuration. Logotypes, lettrages, titres de magazines ou de jaquettes de livres sont autant de moyens pour lui de dire à la face du monde qu’il n’est pas silencieux, qu’il sait même hurler ou chuchoter. Il représente dans l’histoire de la typographie le plus bel exemple d’oralité masqué-dévoilé dont parle Mac Luhan dans sa Galaxie Gutenberg.

Webherb_lubalin_66Lubalin entre à la Cooper Union parce qu’il rate ses exams d’entrée dans une école d’avocat. Pas étonnant, toujours l’aphasie. Et brusquement il se découvre un talent pour la calligraphie malgré son handicap de gaucher. C’est là dans le tracé élégant des pleins et déliés, dans la juste apposition des gras et des maigres, des grands et petits, d’une réflexion sur la grammaire typographique gutenbergienne qu’il va se découvrir sa véritable vocation. Et il dessine, alphabets après alphabets, avec toute la patience nécessaire à un travail monacale. Tantôt dans le silence, tantôt en écoutant du Jazz, il dit à sa main gauche de dire ce que sa bouche et sa langue ne peuvent exprimer. De ce fait il résume à lui seul tout le passage que l’humanité accomplit en quelques cinq cents ans, la transition d’une civilisation orale et tribale à une civilisation du visuel-urbain. Mais Herb a aussi de la chance.

Webherb_lubalin_65_1Parce qu’au moment très exact où son travail se met en place, le XXe siècle bascule vers la civilisation du «consommer». Il s’agit bien entendu d’un constat, et non de faire l’apologie de cette société d’après-guerre entièrement tournée vers le matérialisme, dénoncé par la suite sur le campus de l’université de Berkeley en 68. On peut tout au plus affirmer que les années 30 à 45 ont vu un monde occidental manquer de tout. Le renversement de tendance était donc historiquement inévitable. (Il suffit de voir la Chine de nos jours pour constater les mêmes modèles de comportements). Le développement industriel, vertigineux à l’excès a transformé les règles de jeux sur les marchés. Désormais on parle d’offre et de demande, de parts de marchés, de marketing et de Publicité.

Celle-ci prend son envol, convainc les clients à investir sur les marques, leur identité visuelle, sur les packagings, pour mieux vendre dans un environnement concurrentiel de plus en plus effréné.

Webherb_lubalin_64_1Un client reprocha un jour à David Ogilvy qu’il lui coûtait deux fois trop cher (il parlait de son budget publicitaire), Ogilvy lui répondit : «si l’on savait sur quelle moitié économiser, ce serait plus simple». C’est donc dans un contexte économique à forte croissance que les talents comme ceux de Lubalin vont s’exprimer. Et il n’économise ni ses efforts, ni sa peine. Commence tôt le matin, avec un café-croissant qu’il finit rarement pour autant que sa main gauche est déjà en train de «gribouiller» son carnet de croquis avec des solutions graphiques qui s’empilent jusqu’à la fin de la journée. Là les éléments d’exécution, titres, textes sont passés en commande dans les ateliers de compo, puis montés le lendemain matin en studio d’exécution (artwork). Herb profite également des derniers soubresauts d’une civilisation qui prône encore la division du travail. Ainsi chaque professionnel avec une responsabilité limitée qu’il devait exercer avec talent. Pas de place à l’amateurisme. Herb travaille avec les meilleurs (Seymour Chwast, Aaron Burns, Bob Fiore, Gerry Gersten, Irwin Glsker, Helmut Krone, George Lois, Fred Papert, Larry Muller, Sam Scali, Arthur Singer, Bernie Zlotnick)

On peut parler d’une oeuvre graphique à partir du moment où l’ensemble du travail d’un artiste reflète la volonté d’un discours, d’une vision unique et d’une continuité dans sa logique de création. C’était le cas de Lubalin. Ses logos, ses papiers en-tête, ses mises en page sont toutes marquées du sceau de la plus excessive rigueur. Des artistes contemporains comme Philippe Apeloig en France par exemple ou Zuzana Licko en Californie peuvent prétendre à ces degrés de précision «au fil du rasoir» dans leur création graphique.

Voici encore quelques exemples de création de H.Lubalin :

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Comme vous l’avez entre-aperçu, juste au-dessus de la jaquette (Yes I Can) d’un livre de Samy Davis Junior, la couverture du Magazine Avant Garde. Nous y reviendrons dans le prochain billet pour aborder l’autre versant du génie de Herb Lubalin, la création de TypeFace. Cette aventure nous mènera tout naturellement à évoquer la saga d’International Typeface Corp, et son émanation la plus prestigieuse, le magazine Upper & Lowercase auquel collabora Lubalin durant 11 ans, jusquà son départ vers le ciel des typographes.

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Publié dans Herbert Lubalin Tribute | Commentaires fermés sur 4 | Herb Lubalin: son génie des lettres, des logotypes et de la mise en page

3 | Herb Lubalin | une méthode, une approche tactile du type-directoring

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Un de mes bons amis, Michel Chanaud, co-directeur de Pyramyd et d’Etapes Graphiques me disait un jour : «ce qui va au papier, doit venir du papier». Ce propos il me le tenait en 1991 alors que le Mac était en train d’envahir les studios, les agences et transformait en un temps record sous nos yeux les structures de production dites traditionnelles. Nous constations tous les deux une évolution assez catastrophique d’une nouvelle génération de graphistes qui évitaient le papier pour aller directement créer leurs pages à l’ordinateur. Avec le recul je modulerais ce genre de critique et, parce que notre rapport au clavier et l’écran ont évolué considérablement, et parce que les logiciels sont devenus également plus intuitifs, plus souples d’emploi, mais globalement le précepte reste assez vrai. Et pour avoir vu les story-board d’un Terry Guilliam lors d’une expo au Palais Tokyo et encore d’un David Lynch, on se rend bien compte qu’une création print ou cinéma a besoin de naître sur papier pour plusieurs raisons:

D’abord parce que la main est plus proche du cerveau que l’écran-clavier-souris, prolongements de la main. Il s’agit d’une prise en direct sur nos capacités créatives et d’introduire un interface ne peut que ralentir voir empêcher la naissance d’une idée. Bien entendu cela nécessite une connaissance des structures d’une page ou d’un écran de cinéma, un savoir-faire de dessin des masses graphiques et typographiques, mais l’exemple ci-dessus, d’un rough de Herb Lubalin démontre qu’il n’est point besoin d’en savoir tant que ça. Certes son rough est magique de précision, mais l’exécution finale révélera les inattendus de son dessin. Il n’empêche que la relation du graphiste au papier est essentielle pour faire naître un concept, une design-stratégie qui curieusement ont besoin de naître dans un certain flou perfectible. Un rough ordinateur est quasiment trop précis et n’autorise pas le «à peu près» nécessaire à faire évoluer ce concept. Je veux dire qu’il y a danger de rougher une maquette à l’écran dans la mesure où ce que nous voyons devient vite une exécution finale et nous aliène de toute possibilité de remettre en question la création, alors qu’elle est peut-être loin d’être aboutie. Ce danger, que nous connaissons aujourd’hui, les générations antérieurs, Lubalin pour exemple mais des milliers d’autres graphistes ayant fait des écoles dans le monde entier, ne l’ont pas connu. Ils entretenaient naturellement cette relation tactile avec la chose imprimée, par le fait que cela faisait partie du process de production naturel de ces époques. J’imagine que même Gutenberg, dont nous n’avons pas beaucoup de documents intermédiaires, devait s’astreindre à cette discipline tactile, ne pouvant se permettre de composer une page sans l’avoir prévisualisé auparavant sur papier.

Herbert Lubalin va pousser cet art du sketch jusqu’à l’oeuvre d’art. L’ensemble de sa création est marqué du sceau de la préparation à l’extrême de ses copies de composition. Dans le process industriel de l’époque (pas si éloignée tout de même puisqu’elle a perduré jusqu’à 1989), chaque titre, chaque texte devait être transmis à l’atelier de photocomposition et de phototitrage après avoir été préparée avec minutie. Les textes devaient être calibrés, au corps près, à l’interlignage près, à la virgule près. A l’agence Delpire à Paris, un préparateur de copie, Alain Gautier ne faisait que cela, et lorsqu’il commandait des textes au fer-à-gauche, il reprenait chaque fin de ligne pour en éliminer les aberrations (articles, prépositions etc. bannies) et faisait recomposer une deuxième fois chaque pavé.
Lubalin était passé maître dans l’art de la prévision de ses maquettes, il «sentait» à l’avance le résultat final, un peu comme Beethoven qui, devenu sourd, «entendait» les notes dans sa tête.

Et du coup son oeuvre se  ressent d’une spiritualité bien plus forte que les créations de l’époque. D’autant qu’en France par exemple à la même époque (et encore aujourd’hui) il n’y avait pas de place pour cette fonction essentielle de Type Director. Ce faisant les créations publicitaires françaises sont assez pauvres au plan typographique. Et l’on peut déplorer que même aujourd’hui, alors que le Mac trône sur tous les bureaux de DA parisiennes, la place et surtout le temps consacré à la recherche typo des annonces et affiches reste endémique. Exception faite dans les bureaux de design packaging où l’écriture du produit et de la marque sont des acteurs essentiels de cette forme de communication majeure révélé en France par Gérard Caron.

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2.2 | Herb Lubalin | Sex Spacing Typographie

Situer l’oeuvre d’Herbert Lubalin sur le plan graphique et visuel, c’est encore et encore rappeler les filiations historiques. De l’invention de la lettre en plomb de Gutenberg à celle de la lettre de lumière (photo type-setting) il va s’écouler quelques 450 ans. Le travail de Lubalin s’inscrit à ce moment précis de l’histoire de la technologie typographique.

Patrick Bazin nous dit ceci :

En 1944, enfin, Higonnet
et Moiroud (deux ingénieurs français, spécialisés dans les connexions
éléctromagnétiques)
français déposent le brevet de la photocomposition
qui marque la rupture définitive avec le plomb et l’avènement de la
lettre de lumière.

C’est à Lyon que le premier livre en langue française est imprimé (1476), ainsi que le premier ouvrage illustré en France (1478). Au début du XVIe siècle, Lyon est avec Venise et Paris l’un des principaux foyers européens de diffusion du livre: l’imprimerie se perfectionne, la librairie prospère, les humanistes, comme Rabelais, viennent s’y faire éditer, la littérature s’épanouit.

Deux siècles plus tard, Jacquard y préfigure l’informatique en utilisant des cartes perforées pour automatiser les métiers à tisser des canuts. En 1895, après avoir trouvé le premier procédé de photographie en couleurs, les frères Lumière y inventent le cinématographe. En 1944, enfin, Higonnet et Moiroud y déposent le brevet de la photocomposition qui marque la rupture définitive avec le plomb et l’avènement de la lumière. Il n’est pas jusqu’à la soie elle-même – cette trame quasi immatérielle et programmée, support d’impression et métaphore possible du continuum numérique – qui ne symbolise la passion de Lyon pour la recherche d’une inscription toujours plus agile des signes.

Autrement dit, à travers l’imprimerie, la programmation, la photographie, le cinéma, la photocomposition et même l’industrie textile, une bonne partie des ingrédients qui vont converger vers le multimédia inscrivent leur polyphonie dans l’histoire d’une ville. C’est pourquoi, en tant que bibliothécaire lyonnais, je trouve si pertinente la façon dont le grand bibliographe McKenzie défend une conception délibérément extensive de la textualité: «L’étymologie même du mot «texte» confirme qu’il est nécessaire d’étendre son acception usuelle à d’autres formes que le manuscrit ou l’imprimé.

Le mot dérive, bien entendu, du latin «texere», qui signifie «tisser» et fait donc référence, non pas à un matériau particulier, mais à un processus de fabrication et à la qualité propre ou à la texture qui résulte de cette technique (…) sous le terme «texte», j’entends inclure toutes les informations verbales, visuelles, orales et numériques, (…) tout ce qui va de l’épigraphie aux techniques les plus avancées de discographie» (Bazin, Patrick, «Vers une métalecture», BBF, 1996, n° 1, p. 8-15).

Herbert Lubalin, libéré des servitudes du plomb, peut enfin approcher les lettres, les déformer et quand, suprême résilience de l’alphabet, celui-ci lui résiste alors il le redessine. Ce faisant nous sommes à la croisée de deux univers de la perception visuelle, juste avant l’arrivée des Neville Brody et surtout d’un David Carson. Bénéficiant de la rupture numérique, ceux-là vont explorer la profondeur de la matière graphique en créant des couches superposées, des calques dira-t-on aujourd’hui. Mais cette technologie ne date que de 1993-1995, date à laquelle Photoshop d’Adobe a permis d’aborder une pratique multi couche des images.

Pour comprendre l’oeuvre de Lubalin,il faut avoir présent à l’esprit les contraintes techniques auquel l’époque était soumis. Ses compositions, poussées à l’extrême des contrastes (qui d’ailleurs sont insupportables vues sur l’écran d’un ordinateur), les approches ultra resserrées, l’emploi systématique du principe grand-petit pour créer des champs de force donc d’intensité de lecture, et ce célèbre punctum dont parle R.Barthes, sont autant de figures de style qui se révélaient à l’époque révolutionnaire. Et en examinant chacun de ses créations, on s’aperçoit qu’elles n’ont pas pris une ride.

Publié dans Herbert Lubalin Tribute | Commentaires fermés sur 2.2 | Herb Lubalin | Sex Spacing Typographie

2 | Herb Lubalin, l’un des plus brillants directeurs artistiques de New-York.

Avant d’aborder la sensibilité typographique de H.Lubalin, il m’a semblé naturel de vous entraîner vers l’univers visuel du bonhomme. Précisément à cause ou grâce à cette aphasie légendaire qui laissait son entourage dans un silence quelquefois gênant, Herb exprimait toute sa sensibilité au travers des images et des mises en pages époustouflantes qu’il commettait. Que ce fut pour la publicité (advertise) ou l’édition (publishing) ou pour la presse, Herb trouvait toujours le ton juste et décalé que nous retrouvons aussi bien dans l’oeuvre d’un Woody Allen que dans la musique de George Gerschwin. Voici quelques exemples de ce travail d’analyse et de solutions graphiques.

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Typo monumentale, habillage du texte, minimaliste, l’oeil est tout autant attiré par le grand que renvoyé à la lecture du texte en petit corps 11 ou 12. Un chapô en Helvetica Bold étroit pour une lecture en diagonale permet de résumer, de pitcher le texte de l’annonce. Il s’agit aujourd’hui d’un moyen graphique très répandu, mais nous sommes dans les années 50-60, bien avant la flower generation, et bien après les années russes que nous avons détaillé dans une note précédente.

On peut bien sûr rapprocher ces compositions graphiques de ceux montrés dans le Manuale Typographicum d’Hermann Zapf, parce que tous, gutenbergiens convaincus pratiquent les mêmes logiques de mises en page.

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Mais Herb vit à New York, et son travail de typographe n’est qu’un élément visuel, certes des plus prégnants, cependant il vit au coeur du commercial (prononcer en anglais) c’est à dire d’une pratique mercantile qu’Hermann Zapf n’a jamais abordé à ma connaissance. Zapf, c’était le théoricien, Lubalin le praticien. Et loin de moi de condamner l’un ou de faire l’apologie de l’autre. Ils agissent sur deux registres. Zapf aime la Lettre, et Lubalin l’adore, vous me direz la différence. Quand Lubalin, profitant des progrès de la photo-composition et du photo-titrage rapproche les lettres à l’excès pour en constituer des mots-images, Zapf balaie le style d’un revers de main : «ah ! sex spacing typography? ». Mais les deux ont raisons. La publicité et l’édition n’ont jamais fait bon ménage, et pour la raison simple que les temps de lecture ne sont pas les mêmes, la première s’adresse à vous en sachant que le temps d’une page dure quelques dixièmes de secondes, l’autre en sachant pertinemment que vous êtes confortablement installé dans un fauteuil pour déguster le texte d’un roman ou d’une revue d’art. N’empêche que Lubalin arrive à nous toucher avec bon goût et élégance.

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Bien entendu je ne vais pas vous assommer de tous les visuels et exemples de cet immense travail, vous pouvez consulter à votre aise la galerie des oeuvres de H.Lubalin ici.

Vos commentaires sont les bienvenus

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1 | Herb Lubalin ou l’histoire d’un juif newyorkais né gaucher, daltonien et aphasique

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Le beau-père de Herb Lubalin Salomon Kushner, se demandait ce que ferait sa fille ainée Silvia devenu adulte. De fait elle se maria avec un artiste daltonien, gaucher et complètement aphasique. Mais Monsieur Kushner était un tailleur pour hommes et pas un prophète. Il n’était pas vraiment qualifié pour prédire l’avenir. Ne pouvant deviner que Herb Lubalin allait devenir l’un des plus fameux graphic designer américain, internationalement connu et récompensé pour son oeuvre, l’un des géants d’une industrie géante dont la situation reflétait la réussite économique du pays.

Herbert Lubalin, n’était pas à proprement parler autiste, mais plutôt et complètement aphasique, il ne parlait pas, ou bien par grognements, uhhghg, eherhg. Mais Herb entendait très bien, et il jouait de la musique, et surtout il aimait la typographie expressive des mots. Les mots qui faisaient sens, dont le graphisme prolongeait la sémantique pour aller projeter au plus profond de nos inconscients une image qui allait nous marquer à jamais.

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Herbert Frederick Lubalin fit ses premiers pas au milieu d’une renaissance de la publicité tôt dans la première moitié du XXe, à New York City.

A la fin du 19e siècle l’industrie de la communication aux États-Unis était essentiellement vouée à faire la part belle à quelques grandes secteurs industriels. Tout confondu les agences, moins d’une centaine, dépensaient environ 7 million de dollars pour les budgets dont elles avaient la charge.

En 1984, on recensait environ 10.000 agences de publicité et le montant de leur chiffres d’affaires atteignait 12 billion de dollars, pour faire la publicité et la promotion des ventes de la production industrielle nationale au travers des médias traditionnels, films télé et cinéma, radio et presse imprimée.

Né en 1918 d’une famille d’émigrés germanique (coté maternel) et russe (paternel) Herb fut baignée toute son enfance dans une ambiance d’amour familiale et d’expression artistique (sa mère était chanteuse et son père jouait de la trompette dans un orchestre professionnel. Membre du premier orchestre radiophonique américain. Son intérêt pour l’art fut donc bien évidemment encouragée.

Malgré ses difficultés à dessiner un paysage «reconnaissable» son talent pour dessiner des lettres et des logos fut appuyé par ses professeurs. La grande dépression des années trente laissa la famille de Herb exsangue. Et l’on décida qu’il ferait des études de médecine ou d’avocat, mais ses résultats scolaires étaient si déficients qu’il dût renoncer à «assurer» son avenir dans des métiers «rassurants» et se dirigea vers une école d’art, la Cooper Union où il fut admis avec difficulté 64e sur 64 candidats.

Ses cours de Calligraphie:
(au commencement de la connaissance typogaphique, il y a l’amour des lettres)

On raconte que l’étudiant Herb étant gaucher, son professeur de calligraphie n’a eu cesse de l’obliger à travailler de la main droite. Tant il est vrai que l’attaque des plumes sur le papier ne pouvait se faire qu’avec celle-ci. (on a inventé depuis des plumes pour gaucher). Mais Herb avait une trop grande dextérité de la main gauche, alors il fit croire à tout le monde que désormais il travaillait de la main droite et remporta un premier prix à la Cooper pour l’excellence de son talent de calligraphe. Mais son sens de l’humour lui fit révéler le pot aux roses le jour des remises de prix, devant 500 personnes. Aphasique certes mais pas si timide.

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En sortant diplômé de la Cooper Union, il était assez naturel de commencer sa carrière comme Hand Letterer, dessinateur de titres (displays). Un métier peu reconnu dans la sphère des agences, assimilé aux roughmans, mais un métier tout de même extrêmement florissant aux Etats-Unis. Il faut savoir que les States, pays majoritairement protestant ou anglican sont le deuxième berceau de la calligraphie moderne. L’on dit par exemple qu’on reconnaît l’université dont est issu un étudiant au style calligraphique de ses notes. Il existe aujourd’hui plus de 1000 associations et sociétés de calligraphie disséminés sur les 49 Etats.

C’est plus tard que Herb conquit l’image d’un graphic designer concepteur d’idées et pas seulement de formes. Mais pour comprendre son évolution il faut rappeler le rôle joué par l’émigration des designers allemands pendant la deuxième guerre.

Dans plusieurs notes précédentes j’ai évoqué l’immense rôle du Bauhaus dans l’évolution de nos perceptions gutenbergiennes. Herb n’y a pas échappé. L’arrivée de Herbert Bayer, d’Alexey Brodovitch sur la 5e avenue, dans les magazines comme le Harper’s, Esquire, Vogue, l’apport de leur conception fonctionaliste (ou structuraliste) de la page révolutionna le regard de toute la publicité américaine.
Pour la première fois l’image et la typographie ne faisait plus qu’un, pour former un message fort et évocateur. Ils révélèrent de jeunes talents parmi les photographes ou graphistes comme Richard Avedon ou Paul Rand. Herb va fréquenter tout ce milieu artistique et s’en inspirer pour parachever ses sensibilités et ses méthodes de travail.

C’est aussi la période et le lieu pour faire exploser les idées fonctionalistes du Bauhaus :  un public, un produit, un message et le média adapté à la diffusion de celui-ci. Presse, Télé, Radio…

En 1945, les GI’s reviennent à la maison et commence alors la grande transformation des trente glorieuses. L’économie, dépressive des années trente, tournée entièrement vers l’effort de guerre entre 1939 et 45, se recentre sur la nouvelle économie, celle des ménages où l’homme et la femme travailleront tout autant. L’industrie de la consommation (consumérisme) peut alors frapper ses trois coups : habitat, automobile, vêtements, électroménager, audio-visuel, loisirs (et toujours l’alcool, le tabac, les armes), voyages…

Dans les agences le travail sous l’influence éducative des nouveaux talents européens, se structure, désormais le directeur artistique va travailler de concert (en team) avec le concepteur rédacteur. L’image des mots, et leur sens va de pair…

En 1945 Herb Lubalin entre comme art director chez Suddler & Hennessey, une agence de publicité médicale. Il y travaille avec un stylo à bille et 20 illustrateurs, photographes, dessinateurs de titres, compositeurs, retoucheurs qui vont suivre les concepts-tendances de Herb. C’est là que l’on va voir naître la légende Lubalin.

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Sa méthode de travail va devenir mythique. Le matin en arrivant au bureau, il commence à dessiner des roughs des pages de pubs, de catalogues ou de spots TV. Chacun de ses Type-Rough est un véritable bijou de perfection typographique, rien n’est laissé au hasard, ni les choix typos, ni les tailles (corps), ni les approches qu’ils prémaquette au dixième de millimètre. Dans l’après-midi arrivent les free lance, dessinateurs de titres, photographes, illustrateurs, à qui il distribue minutieusement leur tâches respectives. Sa capacité de travail était impressionnante, il ne s’arrêtait jamais, pour faire le tour du pâté de maison ou pour un clavardage…

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Ses maquettes-roughs étaient calés avec une précision redoutable, parce qu’il utilisait des calques pour prévoir chaque succession d’alignement vertical ou horizontal. Ses calques devinrent plus tard des véritables collectors faisant l’objet d’exposition internationales (royal collège à londres par exemple). Il n’était jamais satisfait, remettant sans cesse l’ouvrage sur le métier. Ouvert aux opinions des autres, prêt à changer de design stratégie à la moindre critique positive.

Son studio verra passer les meilleurs illustrateurs et graphiste de New York : Seymour Chwast en tête (qui créa le Push Pin studio avec Milton Glaser).

La force de Herbert Lubalin réside dans la conjugaison de deux univers, le texte et l’image. Le texte devient image et l’image renforce le texte. Attitude profondément juive par la tradition talmudique et de la recherche constante de sens multivalents mais d’essence Bauhausienne dans la mesure où il ne s’agit pas tant de poser des questions que d’apporter des solutions graphiques à un message. Lubalin, c’est Gutenberg sur la cinquième avenue qui profite des technologies d’avant garde de studios de photo-lettrage comme ceux inventés par Edward Rondthaler en 1927 qui créa la première société de phototitrage (Photolettering Inc.).

De succès en succès, de récompenses en nominations, le jeune Herbert va bientôt rejoindre le Board de Suddney & Hennessy pour y assurer un rôle majeure de Directeur de la Création.

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Herb Lubalin | Tribute à l’un des plus géniaux typographes du XXe siècle.

Pourquoi un Tribute à Herb Lubalin

C’était au printemps je crois, l’exposition de Yamamoto au Musée des Arts Décoratifs… je faisais un détour par la librairie et tombait par hasard sur un ouvrage intitulé «Graphic Design au XXe siècle» édité par Bis Publisher en 2003 (ISBN 90-6369-051-7) à Amsterdam. Les auteurs, Alston W. Purvis et Martijn F. Le Coutre ont commis ce condensé de l’histoire des Graphic Arts, quelques 470 pages sans penser qu’un jour j’allais feuilleter leur «poulet» et lever un lièvre qui va faire rire toute la communauté des graphistes du Monde entier. Ils ont tout simplement oublié de citer, que dis-je de commémorer la mémoire de l’un des plus grands (par le talent) graphic designer de l’après mauvaise guerre (comme s’il y en avait de bonnes), je veux dire Herbert Lubalin.
J’ai alors réfléchi sur la manière de rétablir un tel oubli. Lorsque j’ai créé ce blog à l’encontre de mes élèves de l’école e-artsup pour leur servir d’abord de support de cours, l’idée avait germé de rédiger une suite de billets sur l’oeuvre et la spiritualité de Herb Lubalin. Pas simple comme tâche et je prie par avance les éditeurs Print et American Showcase (Snyder, Gertrude & Peckolick, Alan, 1985, Herb Lubalin: Art Director, Graphic Designer and Typographer, American Showcase Inc., New York) de bien vouloir m’excuser d’avoir ainsi dû reproduire une partie de leur éditions de 64 et de 85 (magnifiques contributions à la mémoire de Herbert Lubalin que tout un chacun peut s’il en envie trouver dans les bonnes librairies spécialisées comme Artazart ou la Hune ou encore j’imagine les rayons d’arts graphiques de toutes les bonnes Fnac) mais l’enjeu est trop important pour laisser passer les oublis après les oublis. Car ne nous y trompons pas, il s’agit de l’oubli qui tue mieux que la critique, l’indifférence qui renvoi le travail d’un individu dans les limbes de l’inexistant… alors qu’il reçut de son vivant plus de 500 récompenses internationales, pas moins et pas des moindres… (le Art Directors Club et le Type Directors club de New York, L’AIGA, l’ATYPI, le Royal Collège de London, et j’en passe il y en a 495 autres…).

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direction artistique pour le magazine EROS | direction de la photo Herb Lubalin (1962)

à remarquer le bel empreint du concept par Spike Lee pour l’affiche de Jungle Fever plus de vingt ans après.

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Sommaire des billets consacrés à Herb Lubalin :

1 | L’histoire d’un juif newyorkais né gaucher, daltonien et aphasique

2 | Herb Lubalin, l’un des plus brillants directeurs artistiques de New-York.

3 | La méthode et l’approche tactile de Herb Lubalin

4 | Son génie des lettres, des logotypes et de la mise en page

5 | Upper & Lower Case, la success story d’un magazine mis en page par Herb Lubalin | lu par au moins 1 millions de passionnés de la typo pendant une vingtaine d’années.

6 | Herb Lubalin typeface designer

7 | une conclusion s’impose

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Voici la galerie de l’oeuvre de Herb Lubalin qui va nous servir pour illustrer son génie tout au long de ces billets. cliquez ici

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sex, cul, bite, con, clitoris (test métadonnées :-)

Publié dans Herbert Lubalin Tribute | Commentaires fermés sur Herb Lubalin | Tribute à l’un des plus géniaux typographes du XXe siècle.

Paul Gabor

l’histoire d’un graphiste hongrois
chercheur, plasticien, typographe, affichiste, pédagogue et humaniste.
(note en préparation)

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Publié dans Paul Gabor | Tribute | Commentaires fermés sur Paul Gabor

David Carson

Note en préparation : Où l’on voit la typo-plasticienne émerger à la fin des années 80

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Publié dans David Carson Tribute | Commentaires fermés sur David Carson

Typ-ah-graphy | Herb Lubalin

Note en préparation : L’œuvre de Herb Lubalin, le graphiste qui a porté l’expression gutenbergienne à son apogée.

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Publié dans Herbert Lubalin Tribute | Commentaires fermés sur Typ-ah-graphy | Herb Lubalin