Typographie et papier, c’est Inuit de Jeremy Tankard

Perfect English version under this link : http://www.typogabor.com/Inuit-Jeremy-Tankard/ {by Jonathan Munn}

billet rédigé par Jonathan Munn associé-partenaire de design & typo et typoGabor•com

Avant-propos

L’année dernière — même si, quelque part, l’argument doit probablement être contemporain de Gutenberg — un débat sur l’effet de surcharge de fontes [Typographic Overload ] a secoué la blogosphère. L’argument de base consistait à dire que trop de fontes étaient produites, qu’il y en avait beaucoup trop à disponibilité. En conséquence, affirmaient les initiateurs du débat, plus aucun cerveau humain n’était capable d’absorber toutes ces informations : il n’était simplement plus possible de choisir une police pour effectuer un travail donné.

Une position que je ne partage pas.

Nous avons besoin de nouvelles fontes : il y a toujours de nouveaux besoins de communiquer, de nouvelles idées à partager, sans oublier le besoin de communiquer d’anciennes idées, mais d’une nouvelle manière. Pour tous ces besoins, la typographie a encore son mot à dire.

Jeremy Tankard – Frutiger introduit cette question par une analogie avec les vins rouges. Mais le plus ennuyeux ce sont ces versions sans fin d’encore et toujours les mêmes fontes, tel que Bodoni à titre d’exemple. Mais il y a toujours une bonne raison à toutes ces variations, en dépit de leur côté obsessionnel :-) La plupart des gens n’envisagent que l’aspect financier comme motivation pour dessiner une nouvelle police, mais parfois (souvent même) la raison en est tout autre. Pour des questions de promotion, comme avec le AW Inuit, ou le besoin de rajouter des caractères dans une police pour suivre l’élargissement de l’Europe, ou pour profiter des avantages d’une nouvelle technologie (OpenType).

C’est donc avec grand plaisir que nous devons accueillir Arjowiggins Inuit, dessinée par Jeremy Tankard, dans notre palette de designer [ou dans notre gestionnaire de fontes — personnellement, j’utilise Linotype FontExplorerX, et vous?]. Et merci à Arjowiggins d’avoir commandité cette police, de la promouvoir, et enfin de nous l’offrir.

JT – À noter que c’est la société britannique Blast qui a effectivement lancé la commande de la police. Le studio Blast est responsable du design visuel de la marque Inuit.

Je signale que la police s’appelle officiellement « Arjowiggins Inuit ». Pour les besoins de ce document, j’ai abrégé ce nom en ‘Inuit’, sans mauvaises intentions, simplement par commodité.

Ce document est une transcription étendue de la courte présentation que j’ai faite lors du lancement de la fonte Arjowiggins Inuit, à Intergraphic, Paris, France, le 16 janvier dernier. J’ai complété mes notes avec des commentaires et des remarques qui n’avaient pas leur place dans une présentation de 15 minutes ou que j’ai dû éliminer faute de temps. J’ai aussi rajouté, autant que possible, des liens vers des sites et des sources externes pour que les lecteurs intéressés puissent continuer leurs propres recherches.

Les commentaires qui ne faisaient pas partie de mes notes d’origine — comme cet avant-propos — sont signalés par un changement de couleur du texte.

N’hésitez pas à laisser vos observations, à me contredire, ou à compléter mes remarques. La Typographie est un plaisir, mais aussi une conversation qui se poursuit dans le temps, poursuivons-la ensemble.

JT – Là, je ne vais pas me gêner !

[JM — les commentaires additionnels — toujours précédés de ‘JT’ — apparaissent là où Jeremy Tankard a porté ses annotations et corrections à ce document. C’est l’interactivité à fond aujourd’hui !]

Un contexte pour Arjowiggins Inui

présentation ‘Inuit’ - avec la permission d’Arjowiggins

-:: inuit paper – utilisé avec la permission d’Arjowiggins ::-

Inuit c’est deux choses à la fois. C’est une fonte électronique disponible gratuitement auprès d’Arjowiggins. C’est aussi une nouvelle gamme de papier de cette même maison. Arjowiggins a commandé la fonte auprès du concepteur de typographie anglais, Jeremy Tankard. Mon rôle est de présenter cette fonte, et de la placer dans un contexte, historique et culturel.

Donc, je ne vais pas me contenter de parler uniquement de la fonte Inuit. Je chercherai à situer le travail de Jeremy, tout d’abord dans le contexte de sa démarche personnelle ; ensuite je chercherai à situer la fonte dans les courants actuels de la typographie, en l’attachant à un courant particulier ; finalement, j’espère vous démontrer que Jeremy travaille dans une tradition fondamentalement anglaise de la typographie. En cours de chemin, nous allons étudier la police Inuit, et partager ensemble — j’espère — le plaisir que j’ai eu à la découvrir.

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-:: Disturbance, © Jeremy Tankard ::-

Je commencerai par présenter une autre police de Jeremy Tankard appelée Disturbance [ce qui pourrait dire, Dérangement]. Jeremy nous raconte qu’au départ, il s’agissait d’une tentative de création d’une police de 26 signes [sans distinction entre caps et bas-de-casse] — un exercice auquel les dessinateurs de fontes se sont essayé à différentes reprises. En poursuivant son travail, il s’est rendu compte que le projet n’était guère viable, mais il a gardé l’idée du mélange des caps et des bas-de-casse du projet initial. La police a été nommée Disturbance, parce que c’était la réaction de la plupart des gens à qui il la montrait.

JT — J’ai commencé à travailler sur Disturbance pendant que je suivais les cours au Royal College of Art [école prestigieuse de Londres]. Je lisais Bradbury Thompson et étais captivé par ses expériences avec ‘Alphabet 26’ utilisé dans les éditions pour Westvaco. Il utilisait Baskerville , ainsi que des petites capitales de Baskerville, en caractères d’imprimerie, parce que les hauteurs respectives correspondaient bien. Son choix des 26 signes, du moins pour moi, créait des problèmes visuels. Par exemple, il pouvait y avoir un « i » en cap suivi d’un « n » en bas-de-casse pour faire « in » (c’est un dotlessi — i-sans-point, suivi d’un « n »). Or, pour moi, ça faisait l’effet d’un « m » bas-de-casse mal imprimé. J’ai commencé alors à utiliser ces 26 signes pour écrire dans mon carnet de notes. J’ai conservé ceux qui me venaient naturellement sous la plume pour qu’ils figurent dans la police. En prenant ces notes, j’ai créé tout aussi naturellement une dizaine de ligatures. Ces dix formes supplémentaires ont été ajoutées pour faciliter l’écoulement des textes. J’ai aussi rajouté des ascendants et des descendants pour lier le texte verticalement, et diminuer l’impression qu’on avait de ne travailler qu’en petites capitales. Initialement, la police s’appelait, assez banalement, ‘AntiBrad’, mais mes professeurs m’ont dit que je ne pouvais pas faire ça à l’alphabet, que c’était trop dérangeant : d’où le nom.

Et, pour revenir à mes remarques devant situer son travail dans une tradition spécifiquement anglaise, il dit avoir trouvé son inspiration auprès de notre vieil ami, Baskerville.

JT – En fait, moi, j’ai utilisé Sabon comme point de départ. Puis, le tout a été redessiné avant d’être édité par FontShop International en 1993.

On le voit bien, Jeremy Tankard n’a jamais eu peur de relever des défis…

JT – J’adore la typo et les lettres, peu importe où elles m’emmènent. Je suis constamment émerveillé par ce qu’on arrive à faire avec des structures aussi simples. Actuellement je suis plus inspiré par des formes plutôt traditionnelles. Mais parfois, je suis capable de partir complètement en tangente. Mon projet actuel est prévu pour un lancement en 2010. Mais si j’arrive à le terminer plus tôt, c’est tant mieux. L’autre jour j’ai eu l’idée d’une série de fontes pour compléter mes fontes, ‘The Shire Types’. Nous verrons bien. Je pense parfois revenir sur Disturbance pour la (re)faire en police OpenType étendue, et en plusieurs graisses, et voir comment elle peut se comporter en body.

caslon

L’autre tradition typographique à laquelle je cherche à rattacher la fonte Inuit, est l’emploi des formes géométriques plutôt que calligraphiques pour le dessin des lettres. Même si l’on peut estimer que typographie et calligraphie avaient déjà commencé à diverger à l’époque du Garamond , où l’on commençait à voir des formes dessinées pour leur attrait esthétique et qui tenaient compte du processus d’impression sur les presses mécaniques plutôt que de l’interaction de la plume, de l’encre et du papier comme en calligraphie, il y a un point de rupture très clair au tout début du XIXe siècle. Dans un catalogue de fontes provenant de la fonderie Caslon, figure une police sous le nom « Two Lines English Egyptian » [une Égyptienne anglaise à deux lignes]. D’après son nom, on pourrait supposer qu’il s’agit d’une Égyptienne [ou Mécane] avec ses patins carrés, à qui, justement, on aurait tranché net les empattements à la serpe. Ainsi nous avons là, dans toute sa beauté, une des premières formes géométriques qui allait donner naissance par la suite à toutes les polices dites Grotesques.

À signaler aussi un argument qui suggère que le nom égyptienne a été utilisé simplement pour profiter de l’engouement du public de l’époque pour les typos très grosses et grasses. Il n’y a aucune preuve cependant qui viendrait trancher la question sur la théorie du retranchement des serifs.

futura

Faisons un bond jusqu’au XXe siècle, jusqu’à l’une des tentatives les plus radicales de réformer la typographie : les dessins de Paul Renner pour la police qui allait devenir le Futura.

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Il est intéressant de noter la radicalité de son approche. Examinez ces « g » bas-de-casse, totalement délirants. Je suis un peu attristé qu’ils aient été abandonnés dans la fonte finale.

JT – Toutefois, on peut l’obtenir en fonte numérique — The Foundry en propose une version .

Puis constatez ce qui s’est passé une fois que les typographes ont mis la main dessus…

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La géométrie pure de l’approche de Paul Renner a été assimilée par la tradition typographique. Je ne vais pas prétendre que c’est une mauvaise chose, en particulier si l’on tient compte de la qualité des presses d’imprimerie au début de XXe siècle, et du succès devenu phénoménal de la famille Futura. Mais on peut rêver…

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-:: Dessins de Paul Renner, pour ‘a’ bas-de-casse ::-

Lorsque j’ai retrouvé ce croquis, je l’ai tout de suite adoré. C’est tellement proche des croquis de Jeremy pour l’Inuit. À idées similaires, problèmes similaires. Nous sommes clairement face à une approche et une tradition semblables.

Sans doute aurait-il été pertinent de faire référence à Bliss, ainsi qu’à l’école anglaise de la sans-serif humaniste — Johnston, Gill, et al. Je n’en ai simplement pas eu le temps. Aussi délicieuses soient-elles, ces polices ne sont pas pour autant au centre des recherches devant aboutir à des sans-serifs géométriques… ce sera pour une autre fois alors.

Pour continuer avec les sans-serifs géométriques, je voudrais présenter Variex, une police de la fonderie Emigre, dessinée par Zuzana Licko et Rudy Vanderlans en 1988. C’est une police totalement étonnante — elle l’est tout autant pour l’époque qu’encore aujourd’hui — et je voudrais fournir un contexte.

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-:: Variex — image copyright Emigre ::-

À l’origine, les polices créées par Emigre étaient des fontes écran [bitmap]. C’est-à-dire, qu’elles étaient dessinées pixel par pixel, point par point. Il existe un courant dans la typographie contemporaine qui emploie de tels systèmes de grilles pour dessiner des fontes [mais on pourrait remonter plus loin, je peux aussi vous fournir des exemples comme Arrighi, ou Dürer qui cherchent à exploiter de telles grilles de construction]. On peux aussi y inclure le ‘Romain du Roi ’ de l’Imprimerie Nationale, créé à partir d’une grille de 2314 petits carrés, dans l’esprit de rationalité de l’époque des lumières. Ces systèmes cherchent à susciter des possibilités, à la fois créatives et esthétiques, par l’emploi d’une grille dans la création d’une fonte fonctionnelle.

Ce que je trouve intéressant à noter c’est que, lorsque la technologie PostScript est arrivée et que les dessinateurs d’Emigre ont cessé d’être confinés aux pixels de l’écran, ils ont, tout de même, cherché à concevoir un autre système dans lequel travailler.

Dans le cas de Variex, ils ont cherché à réduire les formes des lettres à des formes géométriques et basiques. Toutefois les lettres n’étaient pas placées sur une ligne de base, mais équilibrées symétriquement autour de leur axe horizontal central. On constate ensuite, d’après le croquis, que les graisses étaient construites en augmentant la largeur des traits, encore une fois, à partir du milieu. [Ce qui veut dire que chaque graisse possède une hauteur d’œil différente, ou ce qui peut passer pour un hauteur de l’œil quand tout provient du centre.]

Mais le dessin est étonnamment efficace, et quand on regarde Variex dans la perspective d’Inuit, l’emploi formelle d’une géométrie pure démontre clairement un air de famille.

JT – Comme pour le Futura, la géométrie pure est une illusion. On ne peut pas créer une police réussie avec seulement de la géométrie.

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-:: Variex – image copyright Emigre ::-

Mais prenons la tangente un instant, il est intéressant de voir ce que Zuzana Licko est en train de faire aujourd’hui avec des polices comme Mrs Eaves [et la somptueuse Filosofia]. Mrs Eaves est son travail sur Baskerville, avec une approche à la radicalité propre à Emigre, mais d’une manière plus subtile. Même si certains typographes venant d’une tradition purement calligraphique vont lever les mains au ciel en horreur, personnellement — et ceci n’engage que moi — je pense que c’est un travail formidable, et j’attends ardemment que quelqu’un m’offre ces deux familles. [Pour poursuivre sur notre tangente, il est intéressant de rapprocher le cheminement typographique de Zuzana Licko à celui de Jan Tschichold qui, lui aussi, professait une typographie radicale dans sa jeunesse, avant de travailler dans le fil de la tradition et de nous donner une police comme Sabon.]

Je voudrais aussi mentionner deux polices de Jeremy Tankard, autres que Disturbance, qui emploient des systèmes formels. Dans ce cas, il y a deux références évidentes :

  • Aspect, où l’idée était de créer une police de type ‘script’ y compris ses ligatures et fioritures, mais redressée, à la verticale [et linéale qui plus est]. C’est une proposition totalement en contradiction avec tout ce que l’on sait sur les scriptes, mais le résultat fonctionne.
    JT – Aspect a été commanditée pour la nouvelle Christchurch Art Gallery, Nouvelle Zélande.
  • Blue Island, où Jeremy a tenté de créer une fonte basée entièrement autour des ligatures. Les lettres individuelles ont un peu de mal à exister, mais une fois combinées en mots, la nouveauté de l’idée est apparente. [Je ne sais pas ce qu’il met dans ses céréales au petit-déjeuner qui lui donne des idées comme celle-ci, mais c’est une idée fascinante, et à ma connaissance, unique dans le champ de la typographie.]
    JT – Blue Island fait partie de la collection Adobe Originals.

-:: Copyright Neville Brody ::-

En discutant avec Jeremy au téléphone ce matin, nous avons tous les deux caractérisé Inuit comme police de titrage. Toutefois, a noté Jeremy, en tant que fonte ‘body’ [pour le corp de texte], elle aurait très bien pu avoir sa place dans un support tel que The Face, du temps où Neville Brody en était le directeur artistique, pour faire pendant aux expérimentations formelles de Brody dans ce magazine.

C’est une remarque intéressante car Brody, comme Jeremy, ne vient pas non plus de la tradition calligraphique de la création typographique : lui aussi aimait à expérimenter des formes purement géométriques pour ses lettrages. Personnellement j’irai jusqu’à lier les déformations en photocopie, les lettrages à la main, et la découpe avec transformation des formes avec cette Caslon ‘égyptienne’ — je suis sûr que c’est un esprit semblable qui aurait trouvé totalement logique de tailler les serifs, de libérer les formes et de s’aventurer dans des territoires vierges.

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-:: image copyright Pierre di Sciullo ::-

Pour revenir à l’Inuit, Jeremy note qu’au départ, il avait été question de créer un alphabet Inuktitut — l’alphabet syllabique utilisé par les peuples natifs du nord canadien. L’idée a été abandonnée assez rapidement car mélanger les formes pour les langues occidentales avec celles d’origine s’est avéré être un travail d’une trop grande complexité.

JT – Le brief exact était de dessiner une fonte dans le style syllabique Inuktitut que l’on pouvait employer pour composer du texte occidental. Donc il a toujours été question de faire une version ‘occidentale’. Il aurait été intéressant, en effet, de faire une police purement pour l’alphabet Inuktitut, mais ça ne faisait pas partie de la commande initiale.

Toutefois, il y a ici un parallèle évident avec le travail de Pierre di Sciullo sur la création des alphabets pour le Touareg. Le travail de Pierre di Sciullo est trop complexe pour le développer convenablement ici, et ce serait à la limite de l’insulte de le traiter en quelques mots. Au lieu de cela, je vous propose une série de liens afin que vous puissiez étudier ce travail par vous-même.

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-:: image copyright Pierre di Sciullo ::-

En revanche, je voudrais attirer votre attention sur le fait que, encore une fois, nous traitons un langage qui ne possède pas une forte culture écrite, et encore une fois, nous avons des formes de lettres basées sur la géométrie, plutôt qu’ancrées dans la tradition typographique de la calligraphie. Un autre parallèle avec les autres travaux de Pierre di Sciullo peut être tiré de l’habitude qu’il a d’exploiter des systèmes et des grilles comme cadres ou conteneurs pour sa créativité.

Des liens pour Pierre di Sciullo

Arjowiggins Inuit

inuit_1

Vous avez à votre disposition des informations complètes sur l’approche créative de Jeremy pour ce travail aussi bien sur le site d’Arjowiggins pour le papier que sur le propre site de Jeremy Tankard. Je vous recommande particulièrement de télécharger le document « Footnote N°. 5 » qui contient ses notes à propos d’Inuit.

ligatures

Pour moi, cette illustration démontre un autre pont entre le travail de Jeremy pour Inuit et la tradition typographique. Les ligatures étaient très présentes dans les premières fontes. À tel point qu’elles constituent souvent un moyen de déterminer qui a copié qui, et ainsi de remonter à l’original. Le dessinateur d’origine prenant fierté à fournir une fonte la plus complète possible avec fioritures et ligatures. Mais les ‘copieurs’, qui devaient généralement travailler le plus rapidement et le moins cher possible, ne pouvaient fournir que le minimum syndical, ou rien du tout. Tout dépendait aussi de leur matériel source pour la copie. Certaines ligatures étaient rares, voire très rares, et il se peut que les textes à partir desquels les copies étaient réalisées ne nécessitaient tout simplement pas la présence de ces formes.

JT – L’emploi des signes alternatifs et des ligatures va à l’encontre de la simplicité de la structure d’un alphabet syllabique, mais la police AW Inuit est devenue quelque chose à part, et elle suit donc sa propre structure.

Les chiffres en bas-de-casse [appelés les chiffres d’ancien style, ‘old-style figures’, en anglais] sont un autre attribut typographique qui [à juste titre] fait un retour, et je suis ravi de les voir proposés ici.

chiffres

La création des formes

inuktitut
-:: l’alphabet inuktitut ::-

inuit_flipped

L’alphabet Inuktitut emploie des formes en rotation et en miroir. C’est un trait qui est totalement étranger aux alphabets occidentaux modernes, et on peut voir ici le moment où Jeremy abandonne les tracés occidentaux [calligraphiques] qui ne se prêtent pas du tout à l’exercice. La typographie basée sur des traits de plume a recours à des pleins et des déliés spécifiques. Il n’est pas possible de faire tourner simplement ces formes, ou de leur donner un effet miroir sans qu’elles ne paraissent esthétiquement ‘moches’ à nos yeux. Il faut les redessiner complètement en tenant compte des nouvelles positions. Or, dans ce cas, les lettres perdent leur nature de formes en rotation ou en réflexion. C’est donc à partir de ce moment que Jeremy a adopté une approche géométrique.

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-:: exemple premier alphabet syllabique par James Evans ::-

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-:: exemple de sténographie Pitman ::-

L’alphabet Inuktitut est probablement basé sur le système de sténographie d’Isaac Pitman. Ce qui est un point de départ logique, car ce système de sténographie s’appuie aussi sur une découpe syllabique des mots et encourage l’emploi de formes basiques, mises ensuite en rotation. Une autre similarité est l’utilisation de petites formes, comme des lettres en exposant.

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On ne doit pas les confondre avec les formes pour les majuscules et bas-de-casse — lesquelles ne sont pas employées en Inuktitut. Jeremy explique qu’elles sont, en fait, plus proches des mots abrégés couramment utilisés dans les langues occidentales. Mais la généralisation d’une telle approche pour un alphabet occidental n’est pas forcément une chose que nos yeux sont prêts à accepter aisément.

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Pendant un moment, Jeremy a aussi joué avec l’idée d’utiliser le signe de l’accent tonique — sous forme d’un point, ou de l’accent « ° » [o-ring] que l’on trouve dans les langues scandinaves — comme un moyen de signifier les majuscules.

stress

Cela aurait pu être un autre moyen de respecter l’apparence et la texture graphique propre à l’écriture Inuktitut. Mais il a finalement abandonné cette approche du fait qu’elle n’était pas pratique [sans parler de son utilisation pour les langues scandinaves, où la présence de cet accent aurait pu créer une confusion entre les majuscules et les signes en bas-de-casse qui en sont déjà dotés.] Toutefois, il a retenu la forme de l’accent tonique pour la ponctuation, ainsi que pour les points sur les « i » et « j » bas-de-casse. Pour lui, cette présence était suffisante pour garder en vie l’esprit et les spécificités de l’alphabet Inuktitut dans ce qui était devenu sa propre création.

alphabet

La semaine prochaine, Arjowiggins doit mettre cette police en téléchargement libre et gratuit à partir du site consacré au papier Inuit. Chacun sera alors libre de l’utiliser, de l’adapter à ses besoins, de la changer, de l’étendre, de lui donner vie.

Pour conclure, j’aimerais proposer qu’Arjowiggins étudie la possibilité de rendre cette fonte disponible sous une licence Creative Commons, pourquoi pas la licence « Paternité / Pas d’Utilisation Commerciale / Partage des Conditions Initiales à l’Identique ». Ceci devrait assurer que les droits des uns et des autres seront respectés, mais aussi permettre à d’autres de prolonger le travail que Jeremy a commencé — pourquoi pas en l’adaptant à d’autres langues européennes, ou encore en créant d’autres graisses.

Remerciements :

  • à Benoît Higel qui a animé la présentation et m’a fourni un aperçu fascinant de sa conférence sur le thème du Noir et Blanc ;
  • à Saïda Berrahal, d’ArjoWiggins, pour m’avoir invité à participer, et qui a fait en sorte que tout se passe bien ;
  • à Étienne Hervy, du magazine Étapes, qui m’a si gracieusement passé ses notes préparatoires quand il a dû annuler sa présence à la dernière minute ;
  • à Peter Gabor, pour m’avoir encouragé à participer et simplement, d’y aller à fond ;
  • à Alain Pastor, pour la relecture et les corrections de cette traduction française ;
  • et surtout à Jeremy Tankard, pas seulement pour une fonte qui je suis sûr prouvera son utilité en apportant du plaisir à beaucoup lors des années à venir, mais aussi pour avoir pris le temps de répondre au téléphone à mes questions sans queue ni tête avec beaucoup de patience. Il a aussi été très aimable de m’envoyer une masse de fichiers et de documents complémentaires. Et finalement, il a gentiment rajouté ses propres notes et corrections à ce document. Un très grand merci.

billet rédigé by jonathan

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Publié dans Lisibilité et Visibilité, Typo fonderies, Typographie et typographies | Commentaires fermés sur Typographie et papier, c’est Inuit de Jeremy Tankard

typographie en couleur | conversations typographiques (1)

de la lisibilité des textes en couleur.

Peter : je voudrais revenir sur une critique d’un lecteur que je sais que tu partages également puisque nous en avons souvent discuté. Pourquoi j’utilise des textes en couleurs dans mes posts? Il faut revenir à la structure bio-morphologique de la lecture. Comme je l’ai déjà expliqué dans mes articles sur la lisibiité, il y a une grande différence entre la lecture sur papier et la lecture sur écran. Lumière réfléchie contre lumière incidente. Nos rétines sont agressées par les contrastes trop fort. C’est un fait. Cela a été tant et si bien constaté dès le XIXe siècle que les scientifiques qui étudiaient les paramètres de la lisibilité avaient déjà conseillé d’imprimer le texte sur des papiers légèrement teintés (en jaune-gris-jaune). Ces thèses ont été largement repris par Herbert Spencer dans son ‘The Visible Word’. Alors vous pourriez me poser la question pourquoi n’a t-on pas conseillé d’imprimer plutôt du texte gris sur papier blanc.

Jonathan : Peter, ça c’est clair comme de l’eau du roche. Si tu veux, je te réfère au pain blanc [réservé aux nobles] et le pain gris ou noir [resérvé au peuple]. Au-delà de tout problème de lisibilité, le blanc se refère à la purêté, à la noblesse; le gris aux saletés, à l’usure. Oui, certains supports ont tenté l’aventure de s’imprimer sur des papier colorés, mais ces essais restent minoritaires. Le papier blanc à trop de ‘poids’ historique et culturels.

Je peux même te proposer des anecdotes à ce sujet : John Baskerville [celui-même de la police pour nos lecteurs non-typophiles] a quasiment révolutionné seul l’art de l’impression avec deux choses — la forme de ses lettres, les premiers de ce type qu’on appelle ‘transitionel’ avec une contraste marqué entre les pleins et les déliés. Mais, pour pouvoir imprimer ces lettres il a fallu aussi qu’il invente le papier couché [ou du moins son ancètre] parce que les papiers de l’époque était trop gris, trop spongieux, trop mou pour donner vie à sa vision du dessin. Puis, il a fallu qu’il améliore la presse à imprimer puis la formulation de l’encre de son époque afin de donner le mordant [ou l’embrassade, les anglophones parle comme les caractères ‘kiss’ le papier]. Ses livres, une fois imprimés, ont fait controverse. Les traditionnalistes ont été choqué entre la contraste très [voir trop] nette entre la forme cisélée des lettres et le noir profond des encres, sur ce papier d’un blanc éclatant. D’autres, dont le jeune Bodoni, se sont tout de suite vus dans cette renaissance de l’art typographique. Et c’est d’ailleurs en voulant faire pélerinage à Birmingham pour rencontrer Baskerville, que Giambattista Bodoni serait tomber malade à Parme, où finalement il s’est établi, et d’où est parti sa réputation.

Pour revenir à tes propos, à l’époque, les gens disait qu’il était malsain de lire un livre composé en Baskerville — et en Bodoni c’est enccore pire ! — que ça allait rendre les lecteurs aveugles ! Des ‘scientifiques’ publiaient même des études montrant que ces ‘nouvelles’ polices étaient ‘moins lisibles’ que les anciennes. Or, les études de lisibilité sont sujettes à caution, car les gens préfèrent généralement ce qu’ils connaissent, et donc, les ‘nouvelles’ partaient avec un désavantage très clair vis-à-vis des nouvelles.

Toutefois, en ce qui concerne le travail sur écran — à cause de la nature des écrans qui émettent de la lumière, contrairement au papier qui ne fait que de reflechir, imparfaitement, la lumière ambiente — les études montrent que le gris sur fond blanc, ou un noir sur fond grisé, sont mieux apprécié. Et là, on ne peut pas dire que c’est la force de l’habitude qui l’emporte.

Mais je crois que c’est plutôt une autre question pour les textes de couleur. Traditionnel, on imprimait peu les textes en couleur en quadri, à cause de l’imprécision des presses offset. Imaginons une couleur avec 80% de cyan et 50% de magenta. Si le répérage n’était pas parfait, on avait plutôt l’impression de voir un mauvais film en 3D, sans les lunettes appropriés, qu’un comfort de lecture optimal.

Peter : Et je sais que c’est une des divergeances que nous avons l’un et l’autre. Mais aujourd’hui les machines offset ont fait des progrès remarquables et notamment pour ce qui est du calage électronique et informatisé des plaques-offset. Je l’expérimente chaque mois en réalisant un magazine pour Radio Latina où j’utilise des typos en couleurs à profusion et même des textes en couleur sur fond gris ou noir. Aucun problème de repérage désormais. C’est un fait, je le constate. Donc effectivement on pourrait résoudre les problèmes de contrastes trop élevées qui grillent tel la lame de couteau de l’affiche du Chien Andalou de Luis Bunuel, les bâtonnets de nos rétines.

Mais qu’en est-il du web et de mes textes en couleur dans mes billets. Ici nous ne lisons pas du texte en noir sur fond blanc; mais du texte en noir sur fond de lumière directe sur nos rétines. Et c’est une agression continue que tous les ophtalmologues recommandent d’atténuer par le port de lunettes teintées. En utilisant des textes en couleur, je diminue considérablement ce contaste et cela me permet dans le même temps de créer des relances de lecture (billets très longs) ou tout simplement des couleurs repères qui viennent baliser mes billets et permettent aux lecteurs d’abandonner l’écran et d’y revenir assez facilement là où la lecture fut interrompue.

Edgar Morin avait écrit un texte magnifique sur les vitraux des cathédrales qui selon lui, jouaient le même rôle fascinatoire que la lumière incidente de nos écrans. Utilisés ces vitraux permettaient de conditionner les fidèles dans les églises pour en acroître la foi et la soumission à l’ordre religieux. On croirait entendre les spécialistes de l’audimat quand ils analysent les chiffres de TF1… qu’en penses-tu Jonathan ?

Jonathan : Si tu veux parler vitraux, je te répond les vitraux de Pierre Soulages pour l’abbaye de Conques — du noir et du blanc.

(lien: http://www.atelier-fleury.com/pages/conques/conques.html)

Sinon, j’ai eu la chance l’autre jour de discuter rapidement avec Benoît Higel — ex de Carré Noir — qui venait de faire une présentation sur le thème du ‘Noir et Blanc’ pour Arjowiggins lors du dernier Intergaphic. Il a beaucoup réflechi à la question, et va beaucoup plus loin que mon ‘pain noir, pain blanc’. S’il veut bien, il faudrait qu’on l’invite à une conversation typographique pour faire part de son point de vue.

Peter : Je préfère d’ailleurs qu’on parle désormais de confort de lecture que de lisibilité. J’ai montré dans design et typo un texte entièrement composé en Textura (la gothique que Gutenberg utilisa pour sa Bible en 42 lignes). Les lecteurs ont été asez surpris de constater que ce n’était pas si illisible que cela. Mais si tu retiens la notion de confort, on est bien obligé de constater que dans la pratique l’ensemble des éditeurs de presse comme de livres ont l’habitude de faire composer leurs ouvrages dans une garalde ou éventuellement un transitionnel (une réale classif. Vox) aux sérifs et déliés assez prononcés. Ainsi pour exemple, on a souvent décrié le Times comme un caractère aux contrastes trop forts. Et Mattew Carter a ravalé ces oppositions en émoussant le caractère. Mais si on réfléchit deux secondes, Stanley Morison a dessiné (fait dessiner) cette typo pour être composé sur un papier journal de 1930, imprimé en typo (c’est à dire en relief). La frappe du plomb sur le papier, et l’encre pénétrant un papier bon marché qui devait boire un max, ont certainement du donner à ce Times une apparence beaucoup moins fine que celle que nous utilisons sur nos Macintosh ou PC. Et les progrès de l’offset aidant, aujourd’hui un Times imprimé paraît beaucoup plus maigre et contrasté qu’à l’époque. Cela justifie amplement le travail de Carter pour le Georgia. On pourraît d’ailleurs parler aussi de la notion «d’habitudes de lecture»…

Jonathan : Il est évident — du moins à mes yeux — que le Times était destiné à remplacer des caractères de labeur — je dirais en anglais, « workhorse characters » — comme le Plantin. Or, sur les presses, et avec le papier, de l’époque, je suis sûr que le Times ressemblait beaucoup plus au Plantin que cette version trop cisélé que nous avons l’habitude de voir. Il y a quelques années je lisais un livre de Stephen Jay Gould — chez Seuil si je me souviens bien — composé en Times. Et la police était extrèment agressive, très ciselée : les pages étaient craquantes tellement le dessin de la police était présente.

En parlant de confort, je peux constater, un livre, que — tout simplement — je n’ai pas pu lire. On m’a offert « Le Dernier Soupir du Maure » de Salman Rushdie [chez Plon]. C’était composé avec une police avec un oeil tellement petit [du genre Cochin, mais je ne me souviens plus exactement], trop gros et avec une interligne trop serré. Au bout de deux pages, j’ai arrêté, j’avais littéralement mal à la tête à force de lire [et il faut dire que j’adore Rushdie, ayant lu la plupart de ces livres, nouvelles, et collections d’essais — sans oublier « Haroun et la Mer des histoires »].

Peter : Je n’ai jamais lu Rushdie, mais une histoire semblable m’est arrivé il y a quelques années… Je m’étais mis en tête de lire Ulysse de James Joyce… c’était l’époque des magazines littéraires que j’éditais avec Léon-Marc Lévy. Il m’avait tellement parlé de Joyce et de ses loghorrées interminables. De l’Irlande et des pubs qui sentaient bon la bière et la sueur, des textes impénétrables et si proches de notre histoire intérieure. Bref me voilà avec une édition de poche en train de découvrir une composition en corps 8 inter 8 autant dire que j’ai commencé à avoir mal au crâne au bout d’une dizaine de pages. Je te jure Jonathan, je suis allé au Divan, qui était la librairie phare de Gallimard, coin Saint-Germain-des-Près et de la rue Bonaparte… leur demande s’ils n’avaient pas une édition d’Ulyssse en corps 9 ou 9.5… parce que je trouvais l’édition en corps 8 illisible… Les libraires ont doucement souri à ma sortie (ils ont vraiment dû se dire: quel con et/ou snob celui-là)… Et ils n’auraient pas eu tort. Quelques temps après mes maux de têtes persistant, j’ai consulté un toubib qui m’a envoyé chez un ophtalmo… eh oui, j’étais en train de passer dans le camp de la presbytie… très joycien la presbytie… tu trouves pas? Et Joyce dans tout ça…? toujours aussi illisible… chute de l’histoire.

Mais pour revenir à la typo en couleur. Je me demande à partir de quand a-t-on blanchi les papiers. Parce qu’il est certain que Gutenberg et ses successeurs imprimaient sur des papiers presque jaunes, couleur naturelle de la pâte à papier, d’où un contraste de lecture moindre. J’imagine que c’est milieu ou fin du XIXe que l’industrie papetière a commencé à mettre sur le marché des papiers à la pâte blanchie. Quant aux couchés mats ou brillants, ils ne datent que du XXe je crois.

La blancheur du papier, phénomène récent et porteur d’un certain message élitiste comme tu le fais remarquer plus haut a contribué à accentuer considérablement les contrastes de lecture. Et mis à part les spécialistes de la lisibilité, enfermés dans leur labos d’universités, personne ne se souciait véritablement de savoir quel est le degré de confort de lecture en terme de ratio de contraste. Je rappelle à nos lecteurs une étude que j’avais mené il y a pas si longtemps sur design & typo concernant la lecture en noir au blanc. Il s’agit d’une étude assez systématique pour déterminer sur une grille comparative, la valeur de gris sur noir qui favorisait le meilleur confort de lisibilité. La grille de structure identique fait varier la graisse, les approches, le choix des sérifs ou sans sérifs, et la chasse (largeur) des caractères. Où l’on s’aperçoit clairement qu’une Didot à valeur de gris égal est moins lisible qu’une Times/Georgia et encore moins qu’une Frutiger/Verdana… La rupture de lisibilité intervenant à des valeur de tonalités différentes, cette étude ne peut être menée avec autant de succès sur fond blanc. Ça c’est intéressant. en cherchant on comprend assez rapidement que l’œil lit en Noir sur Blanc un tracé noir fait de formes et de contreformes sur un fond blanc. Alors qu’en lecture d’un texte en Noir au Blanc, l’œil lit les tracés mais surtout la lumière. Si elle est violente elle nous éblouit, si elle est insuffisante, elle empêche le cerveau de décoder les signes alphabétiques. Je me propose donc de tenter quand même d’établir une grille comparative en Noir sur Blanc avec des textes dont je ferai varier la tonalité.

Alors pourquoi des textes en couleur me demanderas-tu?
De fait si j’étais simplement dans une logique de lisibilité et donc de réduction des contrastes, il eut suffit de composer les textes en valeurs de gris variables. Mais j’ai voulu répondre à une autre exigence. La relance de la lecture. Lorsqu’un lecteur commence un texte, il n’est pas sûr qu’il ait le temps de le finir dans la continuité. Peut-être sera-t-il obligé de répondre à un coup de fil, à un collègue de passage, peut-être tout simplement il en aura assez de se concentrer sur un texte trop long à son goût, et il abandonne la lecture. Les paragraphes en couleurs variables (des gris colorés surtout) lui permettent de revenir plus facilement au texte, là où il l’a interrompu. La couleur comme marque-texte (marque-page). D’ailleurs lorsqu’on regarde un long texte avec des paquets de couleurs différentes, le texte en paraît déjà plus court. Moins ennuyeux. Au fond je ne cesse de répéter que notre métier est d’être des faciliteurs de la communication. Quand tu règles tes CSS à l’espace fine près tu ne fais rien d’autre que de faciliter le confort de lecture. Lorsque tu analyses et compare le Trébuchet avec ses patés à la régularité et aux espaces irréprochables du Verdana, tu ne fais rien d’autre que de réfléchir à la manière la plus simple de rendre un texte plus confortable. Je n’ai pas l’impression que nous soyons si éloigné dans notre démarche.

NDLR : cette note comme son titre l’indique est une conversation entamée avec Jonathan il y a quelques semaines. Je le publie en l’état, sachant que nous allons encore le poursuivre et l’illustrer par de nombreux exemples. Cependant comme elle s’inscrit dans nos préoccupations quotidiennes j’ai voulu le mettre à dispo de nos lecteurs afin que vous puissiez aussi réagir et intervenir dans le débat.

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Logo d’Orange | une confusion peut en cacher une autre

Je voudrais revenir sur le billet de Jonathan concernant les logos d’Orange.

Une commentateur, Sam je crois nous rappelle à juste titre que le logo d’Orange présent dans Wikipedia , la première version donc n’aurait pas été composé en Arial mais en Trade Gothic. Observation des plus juste lorsqu’on regarde le ‘a’ et peut-être le ‘e’, mais qu’en est-il du ‘g’?

helvetica-vs-tradegothic.gif

où l’on voit bien que le ‘g’ du Trade Gothic est dessiné selon la vieille tradition des garaldes et non des europes initiés par Paul Renner en 1925… De fait il y a un doux mélange de dessins de lettre propres à justifier des tarifs de design original. Une pincée de Trade, une pincée d’Helvetica, une cuillère d’Arial et hop… la pillule est avalée. Mais je voudrais juste rappeler l’essentiel du billet de Jonathan. Si j’ai bien compris il se pose la question de savoir quel opérateur allait remporter le deal avec Apple pour l’i-phone. Celui-ci étant charté en Helvetica, si c’est SFR* ou Bouygues* qui emportent le marché, il y aura bien une bataille d’identité visuelle entre l’opérateur historique qui communique déjà en Helvetica et le futur opérateur d’Apple, si ce n’est pas eux*. Belle confusion en perspective ;-). J’ai presque l’impression de revenir quelques années en arrière, au Bello Visto (Lurs en Provence), une bataille rangée entre José Mendoza, Ladislas Mandel, Roger Excoffon et Paul Gabor en train de discuter de l’Antique Olive. Et Roger de poser la question, naïf: «au fait si j’avais touché des royalties sur toutes les devantures de boucherie composées en Banco… je serais milionnaire…»

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design & typo à Intergraphic

Un petit mot rapide pour dire que Jonathan [directeur-partenaire de design et typo et typogabor.com] sera présent [au pied levé] à Intergraphic Paris, demain après-midi pour la conférence d’Arjowiggins « Inuit, ethno-concept à l’état pur : comment Arjowiggins a développé avec le typographe Jeremy Tankard un concept typographique autour de la marque Inuit. » Le conférence a lieu Salle 150, de 16h30 à 18h00.
Jonathan remplace Étienne Hervy, rédacteur en chef adjoint du magazine Etapes, qui a se dû désister pour des motifs familiaux [nos condoléances à Étienne et à sa famille].
Si des lecteurs de Design & Typo se trouvent à Intergraphic, manifestez-vous à la fin de la séance si vous avez envie de faire connaissance et de prolonger des débats que nous avons lancé dans ces colonnes.
Suite à la conférence, nous prendrons probablement l’occasion de vous faire part de nos remarques typographiques et amicales.

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Helvetica : Apple vs Orange | Communication(s) en conflit

{billet rédigé par Jonathan Munn}


i-phone-rectoverso.jpg

Puisque Peter a parlé de l’iPhone d’Apple — et pendant que nous y sommes, suis-je la seule personne sur Terre à trouver ce nom d’une banalité? — j’y vais de mon grain de sel, pour Design & Typo.

OS X, la version de Mac OS X qui tourne sur cet iPhone, n’utilise pas Lucida Grande comme police système [ou devrais-je dire fonte système, car, de base, il n’y a pas d’autre graisse/style que le roman]. Non, ce système utilise Helvetica.

Et principalement de courtes textes en Helvetica Light. Dans le passé, lorsque d’autres systèmes ont essayé d’utiliser cette police — je pense aux fameuses machines NeXT d’un certain… comment s’appelait-il déjà ? Oui, un Steven P. Jobs, c’est ça — le rendu des glyphes n’était pas des plus heureux, à cause des technologies d’affichage et de la résolution des écran de l’époque.

Par contre, sur l’écran à plus de 160 dpi de l’iPhone, aux dires de tous ceux qui ont pu tenir la bestiole en main, la netteté et le rendu est fabuleux. Or, en prenant le métro l’autre jour, je suis tombé sur les affiches de l’opérateur de Télécoms, orange. Cette société britannique, racheté par l’opérateur historique français FT pour des sommes faramineuses au plus fort de la dotcom boom, et qui, depuis, est en train de remplacer la marque maison ‘wanadoo’, utilise aussi — du moins en France, et pour sa communication presse/affichage — la police Helvetica.

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[Correction by JM – le logo auquel je référais était le logo ‘historique’ de la maison, visible d’ailleurs à Wikipedia, et qui utilise effectivement Arial. Le logo que Peter a trouvé, et qui s’affiche ci-dessus, emploie bien l’Helvetica. On imagine que ce ‘conflit’ n’a donc pas échappé aux instances chargés du design/marketing chez FT. Bravo.]

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Ce qui est ironique si on examine le logo, car le ‘a’ provient plutôt de la police Arial [regardez vous-même, la lettre ne possède pas l’éperon de jointure en bas à droite présent dans les ‘a’ bas de casse de l’Helvetica]. Mais, ce n’était pas mon propos. La communication d’orange utilise assez un Helvète maigre, dans de courtes phrases, sur un fond noir. À tel point, pour qui a vu les copies d’écran de l’iPhone, qu’on dirait des jumeaux séparés à la naissance.

i-phone-main.jpg

Or, supposons maintenant que lorsque l’iPhone arrive en France, qu’un autre opérateur en décroche l’exclusivité ; c’est assez logique de penser qu’Apple va appliquer le même système d’exclusivité qu’aux US, et pour les mêmes motifs de nécessité d’adapter le soft du réseau. Quelle confusion pour les consommateurs!
Helvetica maigre sur fond noir sur l’iPhone, Helvetica maigre sur fond noir pour orange, et Helvetica maigre sur fond noir pour l’opérateur bidule. Bien sûr, les cadres d’orange peuvent tenter d’utiliser cet argument afin d’appuyer leur demande de license/exclusivité, après tout, d’après le Figaro, il se sont bien mis d’accord avec Apple pour proposer un MacBook à des abonnés ADSL. Les pommes et les oranges dans le même panier de services ?*

helvetica-exp-jetset.jpg

* Pour les non-anglophones parmi les lecteurs, il faut aussi savoir que l’expression — on ne mélange pas les torchons et les serviettes, peut se traduire par, aussi différent que des pommes et des oranges — apples and oranges.

[ndpg : Jonathan est d’origine anglaise et parfaitement bilingue ;-) ]

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On l’on Trebuche(t) sur la lisibilité du texte… sur Libération.fr

{billet rédigé par Jonathan Munn}

Récemment j’ai affirmé des choses à propos de Trebuchet [les lecteurs avertis savent que le nom correct de cette fonte est ‘Trebuchet MS’, avec leur permission je vais continuer d’utiliser la version courte du nom], il serait intéressant d’appuyer mon argument avec quelques faits. J’ai préparé le schéma ci-dessous rapidement dans Firefox.

trebuchet-libe2.gif
Chaque fonte est présenté en titraille corps 14, puis dans la corps la plus petite pour être lisible par la majorité des lecteurs [oui, je sais que verdana peut probablement être descendu un corps ou deux, mais ce n’est pas le but] toute en gardant la forme des lettres. Ce texte est présenté avec un inter à 14, puis avec l’interligne par défaut pour cette fonte. Encore une fois, une inter de 14 à été choisi pour être un minima pour éviter que d’éventuel lézards dans le texte créé des blocs entre les lignes au détriment du sens de lecture horizontale. La première chose que l’on constate, à cette taille, est l’étonnant ressemblance entre l’Helvetica et l’Arial. Ce qui est normal dans le mesure est Arial était conçu pour être un clone de l’autre.

Quasiment la seule différence visible est la forme des ‘a’ dans la titraille. Par contre, dans l’interligne par défaut, l’arial s’en sort un peu mieux avec un inter plus fort. Dans le pavé en 11/14, la perception des blocs est virtuellement identique. [ Designers, pour du texte à cette taille vous pouvez spécifier donc indifféremment et sans problème font-family:arial,helvetica,sans-serif; ou font-family:helvetica,arial,sans-serif; dans vos feuilles de style. ]

Pour Verdana, il est absolument clair que le pari de Matthew Carter de commencer le dessin des lettres avec le dessin de la police bitmap [c’est-à-dire, les pixels réellement présent à l’écran] avait été une stratégie gagnante. Bien sûr, les dessinateurs d’Arial et de Helvetica n’avait pas cette possibilité, les caractères existant [bien] avant la généralisation des polices sur écran. Carter [et son équipe] ont pu optimisé à la fois le dessin, et les pixels ‘grisés’, ceux qui ‘lissent’ les formes. Les approches sont aussi particulièrement soigné.

On peut trouver Verdana un peu pâle — particulièrement dans ce test, en comparaison avec les autres fontes — mais on ne trouvera guère de plus lisible. Reste Trebuchet, alors. Commençons pas la titraille, et justement par ce mot. Il saute aux yeux qu’il y a un problème avec les approches, non seulement le bloc ‘ail’ est beaucoup plus serré que le reste du mot, mais le ‘tr’ est très lâche. On voit presque deux mots — tit & raille. [Regardez comment le dessin des lettres pour les autres fontes élimine ce problème.]

Regardez maintenant le bloc en 10/14. Il est clairement le moins lisible des quatre exemples de ce type. Les problèmes combinés des approches et le dessin des formes créent des ‘grumeaux’ visuels qui apparaissent plus dense dans le gris du texte — le ‘te’ sur la première ligne, le ‘se’ sur la seconde, etc. De plus le blanc intermot est un cheveux trop faible broyant aussi l’aisance de lecture sur l’ensemble. Sur les autres, visuellement, là où les lignes deviennent des barres grises, une ligne composé en Trebuchet devient une enfilade de perles. Et la lecture bute sur chaque ‘perle’. Ce problème est encore plus présent avec l’interligne par défaut du seconde bloc.

Sauf que maintenant les ‘grumeaux’ ou ‘perles’, à cause de la proximité des lignes créent des blocs qui englobent plus d’une ligne. Il y a un trait très net, par exemple, entre les quatre lignes — je renforce l’effet:

this is a test lorem ipsum
dolor sed est toto est à
la maison, et voici notre
point de vue

On peut penser qu’il y a pas de polices moches, simplement des polices mal employées, et c’est souvent le cas. L’outil à disposition des typographes et designers pour diminuer ce problème est souvent l’optimisation de micro-espaces [blancs] de la page : l’interlettre, l’intermot, l’interligne. Mais dans l’état actuel des technologies du Web [et je pense aux CSS, Cascading Style Sheets] — sauf à faire ce travail ailleurs et à employer systématiquement des images — il est quasiment impossible d’apporter le même degré de précision que nous avons à disposition dans nos autres logiciels — illustrator, XPress, InDesign… Oui, et je l’affirme, j’ai déjà vu de la titraille en Trebuchet qui restait lisible, agréable même, et qui correspondait correctement au message, au ton, au besoin de communication. mais c’est un cas rare en l’absence de la possibilité d’intervenir lettre par lettre tant cette fonte possède de problèmes.

trebuchet-libe1.gif

Tiens, un dernier exemple tiré du Libé du jour: et savourez la pâté ‘Ség’ en comparaison avec le ‘1 er’ qu’on dirait deux mots séparés, tellement l’approche est lâche. Mais même le ‘ie’, ‘nd’ et ‘dr’ dans ‘soutiendrait’ posent problème. J’espère donc avec ce papier, vous avoir démontré que le Trebuchet MS pose de graves problèmes de lisibilité, particulières pour un site de presse, là où précisément la lisibilité devrait primer.

//jonathan

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micro-espaces et lisibilité sur le web | brève de J.Munn

La semaine dernière je suis tombé sur cet article chez A List ApartWhitespace, by Mark Boulton — à propos de l’utilisation des blancs dans le design web dans le but de donner du sens au contenu. Je le poste ici parce que je crois qu’il est de la première importance dans notre analyse actuel du portail de Libération.fr. Si j’ai le temps, je vais préparer une traduction de l’article, pour les lecteurs non-anglophones.

//jonathan

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Typographie selon Bill Gates | Typography according to Bill Gates

{Billet rédigé par Jonathan Munn }

charcoal-lucida-geneva.gif

Microsoft avait un problème. Non pas que personne ne l’aime — il y a longtemps que Bill Gates & cie. se sont fait une raison en rachetant 98% des entreprises de la planète Terre, ainsi que la plupart de ses habitants. Bien sûr, ça ne fait pas qu’on les aime, mais désormais ils évitent de se faire tabasser à la recré. Non, le problème auquel Microsoft devait faire face en tout début des années 90 — avec leur système Windows 3.x vachement convivial et sympa, ainsi que leur navigateur ultra-cool nommé Internet Explorer — était qu’ils n’avaient à disposition dans leur système d’exploitation que des polices de caractères merdiques. Vraiment merdiques. Avez-vous vraiment vu cette imitation bonne marché d’une police de caractères, appelée ‘MS Sans Serif ‘ qui apparaît par défaut en tant que police système sous Windows [3, NT, 2000, etc.] ? [1] On dirait un Arial [déjà une pâle imitation d’un honnête Helvète, et pas la plus aimée des polices] qu’une âme généreuse aurait emmené dehors pour mettre fin à son agonie derrière les poubelles d’une allée sombre, avant qu’on pietine le corps et le laisse tremper dans les flaques de bière ranci pendant trois jours. Ensuite, cette fonte zombie, la gueule tout de travers, se lève et s’installe sur votre ordi et dis, bonjour, je m’appelle MS Sans Serif. C’est comme ça à tel point que cette police est moche. Pendant ce temps, les Macs avait Chicago, puis Charcoal, Textile, ou (plus tard) Lucida Grande. Des fontes qui — comme Fonzie dans Happy Days — incarnaient le ‘cool’.

chicago-font.jpg

Donc, comme nous l’avons constaté, l’argent ne vous rend pas cool. Mais, au moins, ça permet d’acheter la plupart des autres choses sur la planète. Et dans ce cas précis, ça leur a apporté un certain Matthew Carter, designer de fontes de son métier.

Microsoft décida qu’ils avaient besoin de fontes spécialement conçues pour la lecture sur écran. Ainsi Matthew Carter a produit le Georgia (et, par la suite, Verdana) spécifiquement à cette fin. À un moment donné, ces polices étaient disponibles aussi bien pour des Macs que pour Windows — librement et gratuitement –, et, comme elles tournaient aussi sur la plupart des machines *nixiennes, elles formèrent les bases de ce que l’on considère même aujourd’hui, comme des fontes ‘basiques’ [Core Fonts] pour le Web — c’est à dire, qu’on peut supposer leur présence, installées sur la majorité des machines utilisées pour visiter votre site.

georgia-times.gif

Il est clair que le premier référence pour Georgia est le Times New Roman. Auparavent, cette dernière constituait la police par défaut pour la plupart des browsers, à tel point qu’il suffit de présenter une page en Times, en reserve blanche sur un fond d’étoiles et ciel noir, pour que la plupart des anciens du Net revoient leur premières pages web passer devant leurs yeux. Mais, Georgia n’est pas un simple décalque. Si ses formes viennent aussi d’ailleurs [Bulmer pour le Roman — ITC Cushing, Clearface ou même Bookman par moments pour l’italique], son caractère et personalité sont très américain, peut-être à cause de l’importance de son œil [x-height]. Mais au contraire de ses ancètres, prédécesseurs, et autres éclaireurs, une fois présente dans une page Web, Georgia remplit sa fonction plus qu’honorablement, et reste, dans une large gamme de forces du corp, des plus petits, au plus fort, non seulement très lisible, mais aussi agréable à l’œil.

Pourquoi parler du Georgia ? Nous allons y venir.

Quand Peter m’a contacté, pour donner du répondant sur son série des portails de la presse, j’ai proposé une rapide sélection de sites qui, à mon avis, réussisait la gageure de traduire une expérience de presse en termes du Web. Cette sélectionne n’est pas exhaustive, et reste certainement biaisé par le fait que je suis anglophone. Sachant cela, j’avais proposé :
The New York Times
The International Herald Tribune
puis, des pages du Guardian Online : d’abord la section des ‘blogs’, ‘Comment is free’
et la nouvelle section dédiées aux voyages

[Remarque parenthétique : nous parlons de la conception des portails de presse, mais, jusqu’ici, pas des stratégies de lancement. Or, il est intéressant de noter que The Guardian a changé sa maquette papier en septembre 2005, mais n’a pas encore touché à la maquette du site Web. Par contre, ce que ce journal a effectivement fait a été de lancer une série de nouveaux services/sites ‘satellites’ qui implémentent un design commun et cohérent, sans être pour autant entièrement homogène. Deux de mes exemples — ‘Comment is free’, et ‘Travel’ — en font partie. Je soupçonne que ces ‘satellites’ préfigurent l’aspect visuel du nouvel site central de Guardian Online. Si c’est le cas, cette politique est très astucieuse : non seulement les équipes de production et de design disposent ainsi d’un champ d’expérimentation à taille réelle et ‘pour de vrai’ pour roder les idées — aussi bien techniques que de design pur et d’architecture — avant de lancer le cœur du nouveau site ; mais cette démarche publique familiarise les lecteurs aux grandes lignes d’un nouveau design lentement et depuis les marges. De plus, cette familiarisation vient *avant* le lancement final — une démarche qui désarme d’avance la réaction primaire et atavitiquement négative qui accompagne tout changement — même pour le meilleur — touchant aux choses familières, d’autant plus dans le cas d’un quotidien, pour lequel le choix relève souvent autant de l’affectivité que de l’objectivité.]

Donc, à part leur présentation globalement efficace [hors des problèmes mineurs], ces sites ont quelque chose d’autre en commun : ils utilisent tous le Georgia. Parfois elle n’est présente que par touches, mais suffisement afin d’ajouter du caractère [sic] aux pages. C’est presque comme si — de la même manière que Trebuchet signifie le Web2.0 — le Georgia signifie ‘presse’.

Mais il ne suffit pas de saupoudrer une maquette de Georgia pour tenir une réussite… chaque site utilise, en général, deux fontes, le Georgia plus un sans sérif [mais pas le Verdana, assez absent de la presse, non?], et reste aéré et frais. Ensuite ces sites, chacun à sa manière, utilise des filets, des interlignes et inter paragraphes, des micro-espaces et blancs tournants de manière efficace et claire. Le tout tiré de plus de 100 ans d’expérience de design pour la presse qui, non seulement, réussit à rester lisible, mais reste aussi clairement dans un réferrant de presse, et de presse quotidienne.

Pour terminer avec cette note, je tiens à partager deux autres liens utiles pour qui s’intéresse aux questions du design pour les portails de presse :

– un blog/portail sur le design partout dans le monde en ce qui concerne la presse quot’ et magazine
– un centre d’études et d’informations principalement pour les journalistes, mais touchant, de fait, très largement sur des questions de presse, de lisibilité, et — par extension — de l’architecture de l’information et le design

[1] D’après Wikipedia, MS Sans Serif doit sa création à un Vincent Connare, à l’époque salarié de Microsoft, qui est également célèbre pour être l’auteur de la police la plus décriée de la planète [typographique] — oui, j’ai nommé, le Comic Sans.

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l’esprit en éveil ou comment j’en suis arrivé à bloguer.

Parfois, vous vous demandez comment se forge un esprit caustique comme le mien. En ce début d’année que je souhaite une fois encore des plus agréables et sereines pour chacun(e) d’entre-vous, je vais vous donner une clef qui vous permettra un tout petit peu de mieux me connaître.

Né le 26 février à 10 heures du soir, d’une famille juive, j’ai été déclaré le 27 le lendemain matin né d’une famille protestante. Dans la nuit mes parents avaient reçu le certificat de baptême de toute la famille. Mon grand-père Gyula Gutman avait déjà tenté de gommer ses origines en changeant son patronyme, pour prendre celui de Gabor; ce qui ne lui a pas évité quelques temps plus tard d’être déporté avec toute sa famille. Du côté de ma mère il en fût de même, ce faisant 18 membres de la famille sont morts dans l’holocauste.

Mais on adorait la langue allemande chez les Gabor, ce qui fait qu’entre 5 et 8 ans je recevais des cours particuliers de religion réformée (tout de même minoritaire en Hongrie) et d’Allemand par la même occasion. C’est un fait, je n’ai jamais entendu mes parents prononcer un mot de haine ou de vengeance à l’égard du peuple Allemand. Ils avaient bien identifié les Nazis et le système qui en résulta comme leur principal bourreau.

J’abrège, j’arrive en France le 3 août 1957, et comme mes parents s’adoraient et qu’ils ne s’étaient pas vus depuis huit mois, ils m’envoyèrent en catastrophe dans une colonie de vacances Juive, la dernière qu’ils trouvèrent encore disposée de prendre un gamin de plus. Sur le quai de la gare, ils m’embrassèrent en me disant : «surtout, tu ne leur dis pas là bas que tu es protestant…» oui maman, oui papa… Mais de fait le petit bout de peau qui me tenait lieu de prépuce m’avait été finalement laissé puisque, converti. Alors évidemment sous la douche j’ai été la risée de tous mes petits camarades, oh le goy, oh le goy… Ok

De retour à Paris, en septembre, mes parents m’inscrivirent dans une pension cette fois protestante pour que j’assimile plus vite la langue française. Et sur le seuil de la pension: «surtout tu ne dis pas que tu es d’origine juive», euh, oui maman, oui papa…

Tout cela pour vous dire que ce genre de gymnastique intellectuelle a eu deux conséquences majeures sur ma vie. Une sainte (juive et protestante réunies) horreur du mensonge, le parler vrai étant devenu chez moi presque une obsession.
Et une propension presque maladive d’aller dénicher tous les non-dits, de lire entre les lignes, de trouver plusieurs interprétations à une même énonciation, bref de ne croire à une chose, qu’après l’avoir vérifié des dizaines de fois.

Bien entendu cet anecdote et d’autres m’ont marqué à jamais. D’avoir assisté à l’insurrection meurtrière de Budapest qui fit trois mille morts, d’être issu d’une famille martyrisée par les nazis, ont développé chez moi une passion pour la paix et l’intelligence humaine. Je ne supporte pas trop les conflits et encore moins lorsqu’ils sont fondés sur des dénis, voire des intentions de crimes ontologiques. Ainsi, lorsque George W.Bush déclara la guerre à l’IRAK de Sadam Hussein, il y eut un moment de flottement où il tenta de rallier à lui toutes les nations. vous connaissez les faits. Seuls l’Angleterre de Blair, l’Espagne et l’Italie, un peu le Japon et la Pologne et peut-être l’Australie ont rejoint son camp. Et il partit en guerre.

À l’époque Radio France avait lancé un forum pour débattre de la nécessité de cette guerre, et j’y participai quotidiennement, devinez dans quel camp! bien entendu celui de la légitimité, du dialogue, de la vérité sur les ADM. Et tous les arguments se sont lus sur ce forum. Ceux qui vous disaient que ce serait trahir l’amitié franco-américaine et l’aide qu’ils nous ont apporté durant la deuxième guerre mondiale… bref comme je publiais, chaque jour d’une plume aisée et de plus en plus caustique, un jour je reçus un mail de France-Culture : «voulez-vous participer en direct à une émission de «décalage horaire» sur le thème des débats du forum interactif». Moi: oui bien sûr. en arrivant je m’aperçus être le seul contributeur sur les 600 à peu près, à avoir accepté l’invitation. Et me retrouvais confronté dans un studio, en direct vous disais-je à Yves Michaud le philosophe qui créa les Universités de Tous Les Savoirs, qui défendait contre toute attente, l’interventionisme de George Bush. Certains de mes amis qui ont écouté l’émission m’ont dit plus tard que je n’avais pas dit trop de «conneries»;-)

Internet ce n’est pas que du virtuel : Les politiques modernes l’ont bien compris. Je me demande d’ailleurs ce que pense aujourd‘hui Yves Michaud de cette guerre en Irak. Si tous les arguments que nous (les défenseurs d’une intervention légale et légitimée) nous avancions n’ont pas trouvé écho chez lui, depuis. Une chose est sûre. George W.Bush n’a rien réglé. Cette guerre et cette occupation ont fait déjà 3000 morts chez les Américains et au moins 150000 à 200000 morts chez les Irakiens. Que la condamnation et l’exécution de Sadam Hussein, pour l’extermination de 148 villageois (dérisoire en comparaison aux précédents chiffres), ont été décidées et menées à terme sans qu’il y eut un véritable déballage historique sur ses méfaits. Que tout le monde s’accorde à dire que plus on aurait débattu de la question plus on se serait rendu compte de la co-responsabilité de pays occidentaux dans le soutien au dictateur contre les ayatollah de l’Iran de l’époque. Et puis il y eut l’affaire de Pinochet et de Castro. Tous deux morts et mourants dans leurs draps bien blancs de soie. Et rien. Deux poids, deux mesures. Il y a les dictateurs de l’Axe du Mal et les autres... qu’on tolère. Peut-être n’y avait-il pas assez de pétrole et d’intérêts géopolitiques au Chili et à Cuba?

Mais tout ceci m’éloigne de mon sujet. Le blog. Oui et non. Je me suis fixé comme ligne de ne jamais parler de politique ni de chiens écrasés dans design et typo. Cependant je me devais de vous expliquer, un peu, mes origines et ma croyance au parler vrai, mon désir de paix, d’intelligence et d’humanisme de par le monde.

Porter la bonne parole :
La typographie et le design graphique participent sûrement à la construction d’un monde meilleur parce qu’il s’agit d’un langage. Et que ce langage permet, lorsqu’il est pratiqué avec exigence et un haut niveau de professionnalisme de rapprocher les hommes, de les faire se mieux comprendre. Voilà en tous cas une des raisons de ma passion pour ce métier, et de la nécessité impérieuse que j’ai éprouvé à créer ce blog. Quant à mes fautes d’orthographes et notamment d’accords féminin-masculin vous en connaissez maintenant les raisons. De même que mon amour du bon Français. C’est un tic chez les émigrés, l’amour de la langue d’adoption ;-)

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Le Club Photoshop | les réunions mensuelles reprennent

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j’ai rarement vu un site aussi amateur sur le plan typo, mais j’ai rarement assisté à des réunions aussi pointus sur les process photoshop en vue de produire des images professionnelles. Ce club fondé il y a une dizaine d’années par Dominique Legrand, es-maître photoshop dans les domaines les plus variées, production photogravure, production photo, maîtrise et calibration de toute la chaîne graphique en vue d’un espace couleur maîtrisé continue de plus belle bien que Dominique ait pris une retraite bien méritée. Y défilent des professionnels de la photo de premier plan, des éditeurs de logiciels (pas seulement Adobe, mais aussi tous les logiciels qui tournent autour de Photoshop).

La réunion de jeudi prochain (18h) qui se tient comme d’habitude à la Maison Européenne de la Photo est consacrée à l’étude approfondie d’un appli, le DxO qui permet des corrections en cascade et batch sur toutes les photos issues d’appareils et d’objectifs de marques et focales différentes. Sans doute un beau débat en perspective entre tenants de la correction manuelle et individuelle image par image (dont votre serviteur) et ceux qui ne veulent pas passer des heures de post prod qu’ils pourraîent consacrer à butiner la rose. Le site où vous pouvez vous inscrire aux débats : http://www.clubphotoshop.org/paris/

A mon avis le niveau des conf. dépasse la moyenne des savoirs enseignés dans les écoles. Ceux qui veulent me rencontrer n’hésitez pas, j’y serai ;-)

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