Figaro | une design-analyse (2)

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Nouveau Figaro |  la mise en page intérieure

J’ai eu l’occasion de travailler avec mon confrère Jean Bayle lors de son intervention sur le nouveau Libération (dénommé Libé III) lors de son lancement en septembre 1994. A cette occasion il m’avait demandé de créer 4 polices de caractères devant servir à composer le journal. Et j’ai pu à cette occasion le côtoyer et apprendre à connaître son mode de fonctionnement. Plus tard en 95 il me redemanda une autre police pour les Échos. Un Utopia medium. Jean Bayle est un graphiste qui aime profondément la presse et en connaît tous les recoins, toutes les ficelles, tous les codes. De plus il nous donne à voir et à lire un nouveau Le Figaro (pour reprendre l’expression du LCL) complètement assagi, poli comme un galet sur une plage de sable fin, neutre et incolore.

Sur une largeur de 370mm il nous présente une lecture en six colonnes composée en Centennial si j’en crois mon confrère Jean François Porchez  et je cite …« Les pages sont plus plates, l’effet est trop calme et livresque, pas assez tonique. Un seul bon point, c’est d’avoir monté le corps du caractère qui était ridiculement petit et dans une caractère peu adapté au texte courant (Linotype Centennial). Par contre, utiliser de l’Utopia, c’est un peut triste connaissant le nombre important de caractères de qualité sur le marché, destinés à la presse quotidienne, voyez Hoefler, Font Bureau, Carter, pour les plus connus, etc.»
Je partage entièrement cet avis, et j’ajouterai que cette mise en page est plus Suisse que Suisse pour les aficionados du graphisme helvétique des années 50. Tellement rigoureux dans ses alignements verticaux, tellement bien alignés les colonnes, les images, les titres… Rien ne dépasse, rien ne vient boursoufler ni accidenter cette mise en page, qu’elle en est si parfaite et si scolaire qu’elle gomme toute actualité à l’actualité. C’est comme si un acteur déclamait du Beaumarchais sur le ton monocorde d’un présentateur de Météo.

Le paysage concurrentiel de la presse écrite : radios, télévisions, internet et blogosphères nous présente chaque jour une info de plus en plus vivante, close-up aux actus et profondément analytique lorsqu’il s’agit des contributions des internautes de la blogosphère. Le Nouveau Figaro, bien que Nicolas Beytout se défend d’une enveloppe qui permet à chacun de trouver sa vitesse de lecture ne tient aucun compte de la nécessité de la relance et des emphases chers à la presse quot. J’oserai dire que Le Monde fait figure de presse underground à coté de cette nouvelle maquette de la socpress de Monsieur S.Dassault.

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Sage, sage sage, trop sage le patron, sages vous demandent-on aux journalistes, l’opinion gommée par une forme insipide et sans saveur ne se manifestera plus et la phrase de Beaumarchais ne trouve aucun écho dans ce calme olympien. Jean Bayle voulait déjà convaincre Serge July d’utiliser un éditing qui s’étale sur toute la largeur d’une page. Il est vrai que c’est joli. Mais ça manque de punch, d’efficacité de l’esprit reportage voire grand reportage. Certes ce n’est pas Libé, mais bobos de gauche ou bobos de droite les lecteurs sont avant tout des curieux qui payent chaque jour leur dîme à leur curiosité. Ils ont besoin d’être un peu bousculés, rythmés par l’actualité. Vous imaginez cette mise en page transcrite oralement, sur France Info… plus un auditeurLongtemps je me suis demandé d’ailleurs pourquoi un tel ton d’emphase sur cette radio nationale, la réponse m’est venue en relisant Marschall Mac Luhan (Galaxie Gutenberg). La typographie gutenbergienne nous a fait oublier la transmission orale. Petit à petit les lecteurs au cours des siècles écoulés ont cessé de marmonner les mots, pour laisser leurs yeux juste englober et effleurer les textes. Nos cordes vocales ne vibrent plus en lisant un journal, alors qu’à l’époque des manuscrits de l’antiquité jusqu’au moyen âge, les lecteurs lisaient à haute ou demi voix.

L’expression-perception humaine a basculé de l’oral vers le tactile. Or la mission première d’une radio c’est de faire entendre la voix, donc les émotions. Faire traduire l’importance d’une actualité dans le «son» d’une radio. (Quelquefois démesuré et outrancier – parce que déclamer le cours de la
bourse sur le même ton que l’enlèvement de Florence Aubenas est tout
aussi exagéré). C’est, avec la télévision (Arte par ex) deux médias qui reviennent vers l’oralité de nos vieilles perceptions.

Nous avons beau chercher dans le cahier du Figaro consacré à l’Actualité générale un peu de bousouflure de cette actualité, il nous faut attendre les pages du cahier «culture-loisir-art de vivre-détente-luxe et mode» pour trouver un peu de ce rythme qui manque au journal.

Il ne s’agit pas tant de critiquer la structure du journal que la manière dont la direction artistique quotidienne va pervertir, voire subvertir cette structure pour nous rendre l’actualité un peu plus vivante. C’est effectivement pas une question de typo. Ni de largeur de colonnes. La presse pour être facile à lire doit s’accommoder de règles de composition facilitant la lecture. Les études qui ont été menés sur ce sujet par Bror Zacchrisson ou François Richedeau, ou encore Herbert Spencer montrent bien que la lecture se trouve facilitée dès lors que notre rétine ne traîne pas trop longtemps sur une même ligne. Le risque étant de voir l’oeil décrocher de la ligne par une fatigue excessive. D’où une composition en colonnes de 35 à 40 signes pour la moyenne de la presse dans le monde entier  (alphabet latin). Il ne s’agit pas non plus de critiquer les erreurs de jeunesse d’un code typographique mal digérée par les programmes de composition du nouveau Figaro. Les règles de césure et justifications (C&J) devant être mieux réglés. Les fers à gauche évités afin de ne pas tomber dans des aberrations de ce style. Et encore ici. Les interlignes mieux gérés. Et les apostrophes minutes chassés de toute la composition du journal afin de laisser place aux vrais apostrophes typographiques. Mais nous sommes nombreux à être convaincus qu’il s’agit là uniquement d’erreurs de jeunesse d’une administration technique de la fabrication du journal et que l’esprit typo soufflera de nouveau sur Le Figaro.

En conclusion :

Par delà les analyses graphiques et typographiques, il est deux questions que nous devons nous poser à l’heure où les journaux comme Le Monde (qui confie à Ally Palmer la refonte de sa maquette) et Libération songent à reformuler leur design :

  1. Quelle est la nature de la crise qui voit l’audience de la presse quotidienne écrite baisser depuis 50 ans.
  2. Peut-on se contenter d’études marketing managés au fil du rasoir, qui accordent autant d’importance aux socio-styles des lecteurs d’un journal et aussi peu à la nature profonde d’une presse dont la vocation jusqu’à la fin des années 70 était de transmettre autant l’actu que l’opinion. Presse de droite, presse de gauche, il y avait des différences.

Il y a une aberration dans la crise que traverse la Presse. On n’a jamais autant édité, publié sur papier ou sur internet que durant les 500 années passées sous l’ère gutenbergienne. Or le public achète de moins en moins le Journal quotidien. Toutes les pistes de réflexion sont ouvertes et vos commentaires les bienvenus.

En premier : la nature économique de l’acte d’achat du journal. Le portefeuille du lecteur s’est vu partagé-déchiré depuis cinquante ans dans le vaste consumérisme de l’offre médias. L’ancien modèle économique a vécu, où trop de journalistes trop bien payés avec des avantages sociaux assez extraordinaires faisaient la fermeture des bars au petit matin de la Rue Réaumur. Les journaux se sont restructurés, adaptés. L’avènement de la composition par la PAO, a fini d’introduire la multivalence sur les plateaux de rédaction et avec la modernisation des flux de production, les réseaux de transmission, la photographie numérique transmise par satellites, l’impression des plaques offset en CTP (copy to plate), l’abandon de sanctuaires immobiliers et la concentration des groupes de presse, les points de rentabilités ont été optimisés au maximum. Ce n’est pas l’arrivée de la 3G dans la téléphonie qui va contribuer à faire gagner plus de rentabilité. Keynes parlait de la baisse tendancielle des taux de profits. Nous y sommes. Et la Presse n’obtiendra rien de plus à faire encore et encore la nième modernisation technologique. Des miettes en tous cas.
Une concurrence accrue sur Internet, une ouverture touts horizons pour un lecteur connecté qui peut parcourir l’équivalent d’un kiosque de journal sans sortir de chez lui. Chercher sur Google Actus (personnalisé) des infos que son quotidien est incapable de lui fournir.

En deuxième : la presse veut survivre elle doit réinventer son modèle économique. Parce que les annonceurs et les centrales d’achat ne sont pas dupes. Les tarifs s’adaptent aux mesures OJD et personne ne peut plus tromper personne.

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Le lancement des gratuits a fini par déstabiliser un marché en perdition et c’est là où nous ne comprenons plus l’actuelle refonte du Figaro. La vidéo de Nicolas Beytout nous donne l’impression qu’on n’a rien compris puisque fondamentalement rien n’a vraiment bougé. Il suffit de regarder l’ancien Fig et le nouveau… Même format, à peu près le même nombre de col et pour un lecteur peu averti aucune différence dans l’éditing ni dans la typo.

On a un peu l’impression que le journal a fait une étude marketing sur son lectorat traditionnel, constaté que les revenus des clients ont décuplé en 20 ans et tenté de s’approcher d’un socio-style de la bourgeoisie bien pensante, catholique, libérale et bouclé ainsi une maquette pour juste fidéliser cette clientèle. Mais alors le nouveau patron du Fig. n’est pas un chef d’entreprise, tout au plus un gardien de phare, qui remplace les ampoules de ses projecteurs. Car en liftant ainsi le journal il lui a fait perdre son âme de journal. Tout juste un rapport annuel bon pour la COB. Et quand on songe que sur ce registre graphique le paysage est complètement saturé, autant dire que son journal va continuer à dégringoler doucement. La disparition dans la dilution. La Banalité ne payera jamais sur un secteur où l’émotion l’a toujours emporté dans les réflexes d’achat. J’achète mon journal. C’est celui de mes opinions, pas la copie conforme du rapport annuel que ma banque m’envoie pour m’inviter à investir dans telles ou telles actions. D’ailleurs le maintien du format est symptomatique.

Le journal déplié fait 740 mm sur 500 mm. Vous n’imaginez même pas ouvrir ce format dans les transports en commun, quant à trouver la place sur la table de votre salon…veut dire que votre salon fait au moins 60m2. Oui nous pouvons douter de l’efficacité de cette refonte.

Il me semble assez évident qu’il eut fallu réfléchir au moyen d’élargir un lectorat et non seulement de satisfaire le plaisir (légitime sans aucun doute) de marquer son territoire de nouveau patron de journal. La nature de la crise est sociale, économique et humaine. Le lifting du Figaro ne semble pas tenir compte de ces trois facteurs.

 

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0 réponse à Figaro | une design-analyse (2)

  1. Estève Gili dit :

    PROPOSITION DE REMÈDE AU MALAISE DE LA PRESSE QUOTIDIENNE

    Le quotidien papier du futur sera gratuit.

    Pourquoi parler de futur alors ?
    Il existe déjà, distribué à l’entré du Métro et à la descente des bus. Parceque je vous parle de presse quotidienne de qualité et non-d’aspirateur à publicité, imaginé sur le seul modèle de la rentabilité et au ton rédactionnel d’un sous France-info (pas de dev. pas d’analyse…).

    Je vous propose d’imaginer, Libé, le Monde, le Fig gratuit.

    Pourquoi payer pour un contenu auquel nous avons accés gratuitement ? Puisque les ventes s’effondrent, c’est donc les régies publicitaires qui font vivre les quotidiens. A partir de ce constat, pourquoi faire payer le lecteur pour un produit qui est déjà censé être payé par la publicité ? Donc, c’est l’évidence même, il faut construire un système de presse quotidienne de qualité distribué gratuitement au lectorat. Seul ceux souhaitant le recevoir à domicile prennent un abonnement payant, couvrant les frais de ports.

    J’ai étudié cette logique au moment du lancement de feu « Paris sur la terre » (1999-2005). Notre positionnement était « luxe à tendance féminin ». Nous avons trouvé dès 1999 une petite rentabilité sur une niche très spécifique. Métro et 20 minutes n’existaient pas encore en France, et notre principal problème à l’époque était pédagogique auprès de la plupart des annonceurs qui avaient du mal à comprendre l’idée forte d’un magazine « haut de gamme » entièrement financé par la publicité et tiré à 35 000 ex. Pourtant sans le savoir, la plupart d’entre eux finançaient (via l’achat d’espace) des titres de presse féminine qui sans la pub n’existeraient plus aujourd’hui (Jalouse pour ne citer que celui-ci, à l’époque séduisait fortement les annonceurs mais perdait de manière critique son lectorat). L’idée principale de ce magazine était Nous sommes gratuits, donc pas crédibles, pour le devenir nous avons fait un magazine ayant du contenu, et autre chose que du publi-reportage (pratique très courante dans les mag féminins et dans les gratuits). Donc, pour ce qui est des deux premiers numéros (je ne parle pas de la suite car je n’était plus le DA de l’aventure) nous avons produit plus de 90% des sujets, embauché les photographes, les plumes et les illustrateurs. et dès le numéro deux nous avons trouvé un semblant d’équilibre financier.

    Donc cette logique est viable et avec une bonne organisation, je pense qu’un bon groupe de presse pourrait à son tour ensevelir les 20 minutes et autre Métro en même temps que ses concurrents.

    Imaginez la bombe : Libération* devient un quotidien gratuit…

    * vous remplacez Libération par le nom de votre quotidien préféré.