Voici un texte que j’ai écrit en novembre 1980. Vous cliquez ici et vous recliquez sur l’image pour la voir au format 2935 x2136 pixel… tout à fait lisible. Je n’ai pas voulu le retaper pour plusieurs raisons… la première étant que je me méfie des extraits réducteurs qui prendraient prétexte de ce document pour en critiquer tout ou partie.
Car il faut replacer ce témoignage dans son contexte. Je dirigeais depuis 1973 un atelier de typographie à façon du nom de typoGabor et nous utilisions des technologies de phototitrage et de photocomposition de deuxième génération, entendez par là des systèmes de composition basé sur l’insolation à la volée de lettres par procédé photographique (donc analogique) qui donnaient des résultats extraordinairement fidèles aux dessins d’origine. Machines Berthold essentiellement.
Mais voilà, pour des raisons plutôt anecdotiques ces machines (Diatronics) étaient arrivés à la limite des performances, qui les rendaient tellement fragiles, que mon atelier essuyait panne sur panne entre 78 et 80.
Du coup j’ai dû chercher d’autres technologies et c’est en juillet 1980 que tombant par hasard sur une annonce de la Monotype j’ai visité un atelier belge dirigé par Pierre Leguerrier et un technicien hors de pair Raymond Aubry. C’était une fabrication de la firme Alphatype qui avait innové en créant pour la première fois un système de composition informatisé basé sur l’insolation de lettre digitales de très haute définition (à 5200 pixel par pouce). Dès novembre typoGabor installait ces outils ultramodernes pour aborder les eighties avec une vision technologique d’avant garde.
Dans la foulée je lançais le premier magazine de promotion typographique au format a3 (cf photo ci-dessus) en France (reprenant sans doute l’idée d’Aron Burns avec son Upper & Lowercase—U&lc) pour promouvoir la créativité typographique instillée par les techniques de la composition informatisée.
C’est donc assez naturellement que j’en suis venu à me projeter dans un futur anticipant les nombreuses inventions qui allaient bouleverser le monde, à commencer le lancement du Macintosh en 1984-1985 et surtout, surtout l’invention du Postscript™ par John Warnock fondateur d’Adobe entre 1985 et 1989 et de tout ce qui allait en dériver (le What You See Is What You Get avec l’Adobe Type Manager et les polices de Type I ancêtres de l’Open Type).
Reste que mes prévisions sur la mise en réseau mondial qui se réalisent en 1996-1997 avec le WWW sont assez antérieurs à leur avènement et font de ces textes de petites «merveilles d’anticipation» pour l’époque. Ne vous y trompez pas. J’étais loin d’être le seul à croire à ces arguties. Et, somme toute, il était assez naturel d’imaginer un monde où les documents pouvaient enfin circuler sur un réseau, dès lors que les données graphiques étaient transformées en données digitales (on dirait aujourd’hui numériques)…
Mais voilà on peut imaginer l’avenir, sans s’y préparer.
Sans même avoir les moyens de s’y préparer. Et surtout, puisque je suis loin d’être parfait, je n’avais jamais imaginé la propagation grand public (mass market) de toutes ces technologies (donc et surtout leur diminution tarifaire — un MacPlus de 512Ko de Ram, sans disque dur avec juste un lecteur de disquette 3,5″ coûtait 9100 euros ttc en 1985). Ce faisant, lorsqu’en septembre 1989 je vis arriver l’ATM à San Francisco, annoncé en grande pompe par Warnock, que je vis arriver également Steve Jobs avec sa machine toute noire (le Next), je compris très vite qu’il était trop tard et que mon entreprise allait subir de plein fouet une modernité dont elle ne se relèverait jamais.
À partir d’octobre 1989, un mois après l’annonce sur la côte californienne, je commençais à perdre 50 clients par jour, c’est-à-dire qu’en trois mois j’ai perdu les 3/5e de ma clientèle que j’ai conquis patiemment durant une vingtaine d’années.
Moralité, on peut avoir des visions et ne pas être forcément capable d’anticiper sur le management de son entreprise. Mais rassurez-vous, je n’ai jamais considéré cette aventure comme un échec… plutôt même une chance de pouvoir faire de ma vie ce que j’ai toujours rêvé. Graphic designer et typographe, aujourd’hui directeur d’une école de création numérique et interactive, ma vie n’a jamais été aussi riche d’expérience, d’échange culturel, de passion pour l’éducation et au travers de ce blog d’un partage d’expérience que je n’ai jamais pu rêver au moment où j’écrivais ce texte d’anticipation.
L’expérience des réseaux sociaux aussi, Facebook que je critiquais, Twitter que j’ai quelque mal à apprivoiser tant j’ai l’impression de perdre toute intimité en étalant sous les flux de surveillance planétaire une vie, qui après tout n’est qu’une vie. Jamais trop aimé les feux de la rampe et pourtant il faut avancer et du coup je m’y retrouve parfois sans forcément l’avoir rêvé. «C’est le business chéri» comme disait Patrick Cauvin (sous le pseudo de Claude Klotz) dans un de ces romans-polars que j’affectionnais, dans lequel son héros Reiner, allumait une cigarette d’une marque différente à chaque page. Toute ces nouvelles «filières» de la communication à 360° que je pratique en ayant parfois le sentiment qu’il s’agit de «trends» et non de «needs», mais que par atavisme professionnel je me dois d’essayer…pour, ne serait-ce qu’en décrypter les perversions graphiques et sociales…
Il est assez rare que je parle de moi-même sur ce lieu d’écriture… et si je devais résumer ma vie, c’est réfléchis, avance, sois vigilant mais avance… regarde le passé, il est là, présent, chargé de toutes les leçons universelles qu’il nous offre à chaque instant, mais bon sang que l’avenir est passionnant, et plein d’embûches, et de surprises, bonnes et mauvaises. Dans un monde, où l’innovation et le design sont devenus les maîtres mot, et qu’il sont plus que jamais nécessaires, pour la survie de nos économies, tâchons de garder la tête froide pour sélectionner ce qui fera avancer l’humanité vers la lumière et non l’enfoncer dans l’obscurantisme.
merci de cette publication ainsi que pour vos explications.