La photo ci-dessus est le portrait d’Edward Benguiat, qui a présidé au Jury du 8e awards des Type Directors Club de New York en 1985. L’Annual des awards a été édité en ’86. Nous sommes donc bien 4 à 6 ans avant l’arrivée massive du langage PostScript qui allait révolutionner le monde des Arts Graphiques et d’une manière générale introduire le monde numérique d’aujourd’hui. Les travaux que vous allez voir sont donc tous réalisés de façon «traditionnelle». Est-ce à dire à la main? Non pas tout à fait.
Il existait déjà à l’époque des procédures de fabrications numériques. Mais les machines étaient aux mains d’une industrie (photocomposition, photogravure, retouches photos, épreuvages etc.) qui comptait «à la louche» environ 250.000 à 300.000 salariés dans le monde.
Par comparaison aujourd’hui, avec la propagation des technologies du numérique, vous pouvez mutiplier ce chiffre par 10 à 40 si vous voulez avoir une idée du nombre de personnes qui ont accès à ces technologies. Et c’est sans compter les nouvelles technologies qui apparaissent sur les smartphones qui proposent des applications à 0,79€.
Les travaux que vous allez voir ci-dessous ont été primés. Ils représentent ce qui se faisait de plus élégant, de plus efficace et de plus créatif aux yeux d’un jury très exigeant. Des tours de force de la création si l’on songe que les artistes devaient préparer des maquettes qui étaient exécutés ensuite par une «chaîne graphique» de professionnels qui travaillaient en ignorant ce qui était fait en amont et en aval.
J’ai rencontré Edward Benguiat à plusieurs reprises à Paris, Hambourg, Berlin et New York où il m’a invité dans un des restaus les plus agréables du quartier des publicitaires autour de la 42e rue. Pour mémoire je citerai l’une des ses créations les plus connues, la collection de caractère dit «Souvenir ITC» qui servit à Roger Excoffon pour la composition des feuilles de déclaration d’impôts de 73 (alors que Giscard d’Estaing était ministre des finances).
Nous sommes à l’aube de la naissance du monde numérique grand public. Depuis peu (1993) Adobe Photoshop propose des calques qui n’existaient pas encore l’année précédente, Illustrator permet depuis la version 3.0 de vectoriser des textes. Le monde numérique est en marche [forcée].
Ce Graphis Annual, entièrement consacré à la Typographie, tente de faire la somme de ce qui s’est créé de plus illustre et de plus exigeant dans ce vaste champ d’expériences visuelles qu’est le Type Design. D’ailleurs ne nous y trompons pas: Graphic Designers et Typographers ont toujours fait bon ménage… au moins du côté des pays anglo-saxons et de Madison Avenue. Faut-il vraiment s’étonner qu’il n’y ait jamais eu de Type Director en France*, alors que le Type Director Club de New York publie chaque année les plus belles réalisations dans son célèbre Annual of Type Directors. Nous n’ouvrirons pas aujourd’hui cette vieille polémique franco-française.
* à part Madame Allison Gillard, d’origine anglaise qui fut longtemps la seule Type Director parisienne qui officiait chez J.Walter Thomson à Paris.
Voilà donc une série de pages des plus intéressantes qui vous permettent de retracer une histoire de la typographie tout autant que du graphisme. Bien sûr vous pourrez regarder chacune de ces doubles pages en cliquant pour zoomer.
Bonne lecture et surtout Vive la création typoGraphique.
Je dédie particulièrement ce post à mes étudiants d’e-artsup qui j’espère découvriront avec plaisir toute cette créativité foisonnante. Peter Gabor | directeur d’e-artsup
C’est en 1973 que les Éditions du Chêne publient ce magnifique recueil des posters et illustrations du Graphiste-Illustrateur Milton Glaser. L’ouvrage reçoit un préface du non moins talentueux Jean-Michel Folon (connu pour sa célèbre animation-générique d’Antenne 2) et pour lors nous n’avons pu trouver un numéro ISBN, puis-qu’à l’époque la norme internationale des libraires ne devait pas encore fonctionner. J’ai cherché si l’éditeur avait re-sorti cette publication, nenni… autant en faire profiter tous les étudiants qui s’intéressent de près ou de loin au design graphique du XXe siècle.
Milton Glaser fit ses études dans la même école que Herb Lubalin, la Cooper Union et il donna lui-même des cours durant une quinzaine d’années à la célèbre School of Visual Arts. Il créa le Push-Pin Studio avec Seymour Chwast et produisit une œuvre des plus prolixe. Glaser fut appelé par Paris-Match et l’Express à différents reprises pour tenter de redonner une jeunesse à leur mise-en page.
Milton Glaser (je cite Jean-Michel Folon) est aussi un des fondateurs du New York Magazine dont il fut le directeur artistique et l’illustrateur de nombreux livres ; il a obtenu en 1972 la médaille d’or de l’American Institute of Graphic Arts et a présidé en ’73 le congrès d’«Aspen Design».
Bonjour à tous, vous connaissez les aventures de Tom Sawyer, le personnage mythique de Mark Twain… Quel enfant voire adolescent n’a pas été bercé par les histoires rocambolesques, la soif de liberté et l’amour des chemins buissonnières que nous enseigne ce roman. Mark Twain à l’instar de nombreux auteurs américains a publié Des histoires.
Parce que l’Histoire avec une grande Hache, échappait aux États-Unis, trop jeune état pour se sourcer dans les mythes de l’Antiquité ou les chansons de geste du Moyen Âge, les américains ont développé une véritable culture non pas du romantisme mais de la romance comme nous le suggère Denis de Rougemont dans son essai sur l’Amour en Occident. Ce faisant ils ont inventé le Story Telling, qui est non pas l’art de raconter mais bien plus l’art d’embellir une histoire, la plus banale qui soit. Et N.Rockwell sera là une des figures les plus emblématiques de cette catégorie plutôt journalistique que littéraire.
Norman Rockwell est pour le versant de l’Illustration le grand représentant d’une lignée d’artistes qui vont peindre et dépeindre une Amérique tantôt exsangue par la crise de 29, tantôt flamboyante de puissance vers 1969 lorsque la NASA fait alunir le LEM pour déposer sur la Lune l’Astronaute Neil Armstrong. Rockwell aura traversé ce XXe siècle de part en part avec cette même gourmandise, cette même passion pour le dessin quotidien, qu’un journaliste peut suivre d’élections en élections, de Tour de France en Tour de France les actualités de quelque 50 ans d’activités humaines. Rockwell est pour cela un génie de l’observation et si je parle de journalisme, bien sûr, il suffit de voir son œuvre pour comprendre que c’était là, avec le Saturday Evening Post, sa principale source de revenus durant au moins les deux-tiers de sa carrière.
Voici l’ouvrage. C’est du lourd comme dirait Fabrice Lucchini. Épuisé depuis la nuit des temps. Et bien entendu celui-ci est là pour vous donner du plaisir, l’envie de dessiner, de devenir à votre tour un illustre illustrateur… C’est tout le mal que je vous souhaite :) Zoomez dans les pages. Un vrai plaisir de voyageur en images.
C’est sous le numéro ISBN : 2-04-720152-7 que l’ouvrage complet de Johannes Itten a été publié la dernière fois dans une réédition en 2004. Depuis cet ouvrage est épuisé et je ne peux qu’encourager les Éditions DESSAIN & TOLRA, dont on connaît la passion pour les métiers de la création d’envisager sérieusement la réédition de cet œuvre majeure de Johannes Itten.
Vous trouverez une excellente biographie du maître de la Couleur ici: http://bit.ly/SWQcnk, et bien sûr sur Wikipedia comme d’habitude :). J’ai toujours été fasciné par les théoriciens de la couleur… n’est-ce pas l’une des matières les plus subjectives si l’on se réfère à l’acception populaire «des goûts et des couleurs». Mais dans un monde où le marketing, la mode et le design sont rois, la théorie de la couleur vont bien au-delà d’une approche strictement sensorielle, ou plutôt pousse celle-ci jusqu’au limites du cognitif.
Le livre d’Itten témoigne sinon d’une exacte situation actuelle de nos connaissances, d’une approche phénoménologique qui était parfaitement en adéquation avec l’expérimentation des années 20 du XXe siècle. Chacun sait aujourd’hui que la couleur sur écran a révolutionné notre perception… chacun fait aujourd’hui la différence entre lumière incidente et réfléchie. Mais la lecture de Kandinsky, de Goethe, de Paul Klee restent incontournables pour une approche exhaustive de la question.
Au fond nous avons plusieurs approches possibles: scientifique, esthétique et sensorielle. Selon qu’on place l’homme comme récepteur et interprète d’un message délivré par la lumière (ce qui peut se mesurer) ou bien que l’on se préoccupe de la sociologie des modes et des tendances (ce qui se quantifie pour se ranger dans une catégorie sociale) ou bien encore selon qu’on se préoccupe de notre perception (Merleau-Ponty) de sa phénoménologie.
Le livre L’ART DE LA COULEUR de Johannes Itten est aujourd’hui épuisé (bien qu’il en existe d’occasion à des prix assez élevés). Il est bien dommage qu’il ne soit réédité régulièrement afin de donner à chacun matière à découvrir, connaître, apprendre. Dans un monde où l’image du monde est aussi importante que le monde lui-même, il me paraît important que les étudiants puissent disposer d’ouvrages aussi essentiels à la maîtrise de ce sujet. (peter gabor / directeur d’e-artsup)
AVERTISSEMENT: un certain nombre de pages sont ici zoomables. Au point de rendre la lecture des textes possibles. Observez votre curseur et n’hésitez pas à cliquer. Arrivé sur l’image agrandi, vous re-cliquez pour l’agrandir.
C’est avec l’aimable autorisation des Rencontres de Lure (je remercie Adeline et Nicolas entre autres) que je publie ici ce numéro de Graphê consacré exclusivement au 60e anniversaire des Rencontres de Lure (delure.org). Je l’ai photographié soigneusement de sorte que vous puissiez en caresser le grain du papier. Je n’aime pas les scanners qui écrasent la surface grenelé pour ne montrer que l’objet imprimé. Mais comment ne pas céder à ce plaisir lorsqu’on découvre tous ces textes empreints d’amour, d’amitié et de nostalgie raisonnable. Amour? oui d’un métier, d’un corpus, la typographie. Mais pas le plomb, ou pas seulement. La lettre, la composition, la mise en page, la mise en abîme comme dirait mon ami Jean-Baptiste Levée, d’un univers de lecture et de spectacle. L’année dernière, il s’agissait d’une cession consacrée à la Marge, cette année au Corps Neuf. Et rien que ces titres de séminaires induisent toute la complexité avec laquelle les Rencontres embrassent la diversité intellectuelle et conceptuelle. Car tout est envisagé dans son sens double voire triple (en pensant à la conférence de Deleuze sur le Duel au Cinéma). Deleuze parlait de tiercéité… et c’est bien de Ça qu’il s’agit… Les Rencontres de Lure ne sont pas un lieu de recettes de cuisine pour approfondir ses connaissances professionnelles. Ils peuvent l’être au détour d’une partie de pétanque à deux heures du matin, mais ils sont surtout un lieu de questionnement, de mise en perspective des problématiques les plus variées. Allez jeter un coup d’œil aux programmes des années précédentes, et vous comprendrez mieux mon propos. Mais je vous parlais aussi d’amitié. Et s’il est une chose que nous aimons retrouver chaque année dans ce lieu magique, c’est la chaleur douce d’amitiés qui se nouent au fil des cessions. Certains marchent sur le chemin de Compostelle, d’autres, vont prendre toutes les dernières semaines du mois d’août un coup de Bleu où ils retrouvent comme si le temps, la durée n’existait pas des conversations qu’ils avaient interrompus il y a juste une année. Il s’agit donc bien de nostalgie, mais raisonnable, parce que nous parlons essentiellement de projets, d’avenir et d’exigences professionnelles. La Qualité Graphique comme dirait mon ami Benoît Bodhuin.
En attendant je vous laisse feuilleter ces quelques pages de Graphê sur lesquelles je vous invite à cliquer pour zoomer et découvrir toute la richesse d’écriture sur les thèmes les plus variés.
C’était hier soir, organisée par le Labo de l’Édition, une conférence débat avec des intervenants des Rencontres de Lure, deux personnalités jeunes mais non moins éminentes se sont produits pour nous conter leur passion qui du papier de l’encre et de la typo, qui de sa passion pour les formes «libres» de la typographie, mais pas que… Frank Adebiaye est un de ces professeurs Tournesol, touche à tout, comptable des chiffres et des lettres, fondeur de caractères, éditeur, communicant, poète de la lettre et des chiffres. Voilà le texte qui a été publié sur le site des Rencontres de Lure :
Binôme typographique avec Morgane Rébulard et Frank Adebiaye, un cycle de conférences proposé par Jean-Baptiste Levée et co-produit par l’IMEC et l’ésam de Caen/Cherbourg, une exposition d’Albert Boton à Amiens : une rentrée typographique dense ! Binôme : typographie avec Morgane Rébulard et Frank Adebiaye
Pour explorer ce que le numérique change à la typographie et au métier de typographe, le Labo de l’édition invite deux typographes qui appartiennent à la même génération mais dont les pratiques diffèrent tant dans les outils de conception qu’ils utilisent que dans leurs choix de diffusion : Morgane Rébulard est ancrée dans la culture du papier tandis que la pratique de Frank Adebiaye est résolument numérique.
Je n’ai pas le temps de trop détailler les contenus de ces conférences, mais sachez qu’on a abordé pêle-mêle des questions relatives au rapport “publication papier et publication numérique” (parfaitement introduits par un expert, Nicolas Taffin.) Que Morgane Rébulard a su transmettre sa passion née de ses années d’études à Estienne avec Franck Jalleau… Dont d’ailleurs est sorti une série de caractères que j’ai re-découvert après les avoir vertement critiqué, les Polyglottes.
Que Frank Adebiaye a su nous expliquer avec une clarté digne d’un chirurgien ses recherches typographiques et surtout ses méthodes de publication. Frank se fait une règle de n’utiliser que des logiciels libres et de ne pas entrer dans le cercle infernal des licences. J’ai commencé à apprécier son travail à l’époque de ses publications sur Velvetyne, mais aujourd’hui grâce à un nouveau départ il nous fait cadeau de nombre de publications, manifestes et travaux collaboratifs et créatifs qui frôlent la boulimie créative. J’aime la boulimie créative. Il en reste toujours quelque chose. Plus tard, quand ma mousse retombe et qu’on fait la somme de ce qui reste. Mais pour avoir déjà publié un livre sur François Boltana, récemment disparu, je lui tire mon chapeau… pas une mince affaire et sans doute un tournant décisif dans la carrière qu’il embrasse depuis. Saltimbanque de la typographie.
Bonjour à toutes et à tous. Entre deux, je vous livre quelques pages d’un ouvrage remarquable édité aux éditions Eyrolles. Stéphane Baril, et Naïts l’ont commis en toute complicité et m’ont autorisé ainsi que les Editions Eyrolles à vous livrer là quelques extraits de cette somme à la fois technique et méthodologique.
Coloriser les BD… je me souviens deClaire Brétecher pénétrant un jour dans mon bureau avec une pile de dessins, tous noir et blanc. Oui il fallait coloriser. Et là à cette époque, cela se faisait à la main, pas sur Photoshop ni Illustrator. Vous allez découvrir ces pages et j’espère pouvoir joindre Stéphane pour l’interviewer par téléphone et vous livrer en complément un petit podcast sur la naissance de cet ouvrage.
À gauche la X1 ‘francis francis’ pour Illy, à droite la ‘Citiz’ de Nespresso. La machine Illy permet à la fois l’usage de dosettes E.S.E. et de café moulu de façon traditionnelle.
La France est venue assez tardivement aux machines expresso domestiques. Pourtant il y a café et café. Le café filtre, et le percolateur, dans les deux cas l’eau chaude ne fait que caresser la fine mouture, pour couler finalement dans votre tasse sans la saveur et la force d’un ‘espresso’.
Un concept simple
Nespresso a transformé le porte-filtre des machines expresso traditionnels en un concept simple. Une capsule métallique ultra fine, posée horizontalement dans une loge, sur lequel on rabat un levier qui emprisonne ladite capsule pour la percuter avec une dizaine de trous. En déclenchant le bouton de marche, une vapeur compressée à plus de 9 bars vient attaquer et traverser cette capsule, emmenant avec elle l’essentiel du breuvage, l’arôme qui coule, savoureux, épais et surmonté d’une mousse, depuis longtemps symbole de l’expresso italien. Contrairement aux idées reçues, l’expresso est moins caféiné qu’un café filtre traditionnel. L’eau n’a pas le temps de laver les particules de graines marron pour en soutirer la quintessence de la plante. La vapeur entraîne un liquide noir dont la couleur dépend de la quantité de temps que celui-ci aura été activée. Pour évaluer la concentration de votre café, il suffit de tremper un morceau de sucre dans votre tasse, plus le sucre est noir plus le café est «fort en goût» et inversement. Lire l’histoire complète du café ici.
Bien avant que Nespresso ait déposé son brevet de capsule, une grande marque de café avait inventé le concept de dosette-filtre-papier. Illy, dès le début des années 70 sélectionnait les meilleurs mélanges dans le monde entier pour construire un équilibre des plus subtils qui s’adressait aux véritables amateurs éclairés. La mouture Illy est enfermée dans une petite dosette en papier pré-perforé qui se voit traversé par une vapeur à 10-12 bars de pression.
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Les clients d’Illy se comptent par dizaines de milliers dans le monde entier. Illy avait inventé le café ésotérique, une sorte de mélange de modernité et de tradition puisqu’aussi bien lorsque vous ouvriez un sachet contenant 36 dosettes de 6,94g chacune, vos narines sont littéralement envahis par une explosion d’effluves caféinés «caractérisée par un goût équilibré, exalté par de précieuses notes de caramel, chocolat, pain grillé et légèrement fleuries la torréfaction foncée, caractérisée par le corps intense et le goût franc d’un espresso plus fort, dans lequel les notes de cacao et de pain grillé se fondent avec de légères nuances de caramel».
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Avec Nespresso point d’effluves. Plus d’odeur «avant» le geste magique (abaisser le levier et appuyer sur un bouton). Seul subsiste l’arôme final du café dans la tasse. Maigre consolation. Il est très bon. Mais imaginez un œnologue qui serait privé de ses gestes rituels… verser le vin dans un grand verre, y faire tourner le liquide, puis porter le nez au-dessus de la couleur (sens visuels) pour en capter les arômes (sens olfactifs), pour ensuite prendre en bouche une gorgée, que l’on fait passer d’un côté puis de l’autre de notre langue pour apprécier la rondeur et les qualités gustatives. En fin de rituel, on avale certes, mais pas forcément. Dans les dégustations de vin le crachoir est là, presque toujours pour permettre de ne pas s’enivrer au fil du jour qui passe.
Le club Nespresso compte désormais près de 4 millions et demi de membres à travers le monde. C’est à la fois beaucoup et peu si l’on considère les cinq continents. Beaucoup si l’on considère que le chiffre d’affaires de Nespresso se fait aussi bien sur la vente des capsules (environ 2400 par client et par an) que celui des machines et des produits dérivés (épicerie fine, vaiselle, tasses etc.). Il faut ajouter à ces quatre millions et demi de clients membres du club, ceux, occasionnels qui achètent les capsules pour eux mêmes ou comme cadeau à leurs proches.
Si vous vous penchez sur les articles de Stratégies ou de l’Express de 2008, on vous explique les raisons de ce succès par le branding de la marque. Par la publicité aussi et le rôle désopilant que tient George Clooney, désinvolte, comme le héros malgré lui de cette saga de Nespresso. What else…
Nespresso a lancé en décembre 2008 son plus beau temple du café-encapsulé (comme le postscript :-) surfant sur un succès envahissant qui frise presque l’impertinence en ces temps de crise des subprimes + les pertes de la Société Générale + les gaffes de notre président + une croissance très faible malgré les affirmations optimistes de notre ministre de l’économie + une balance commerciale dont le déficit atteint des sommets.
Pouvez-vous raisonnablement vous contenter des explications que vous donnent Stratégies pour comprendre les raisons de cette conquête victorieuse. Peut-être que non. J’ai tenté de lire entre lignes de cette réussite, d’analyser l’engouement grandissant pour ces minuscules capsules qui contiennent quelques dizaines de grammes de cette poudre marron si précieuse qu’elle est facturée au kilo à près de 62 euros (0,31 euros les 5g. soit environ cinq fois plus cher qu’un kilo de café Malongo ou Jacques Vabre.
Un temple de capsules
Regardez bien les photos que j’ai pris ce week-end de décembre 2008 dans le magasin des champs Elysées. La marque omniprésente, certes. Mais surtout les rayonnages de capsules. Un temple de capsules, un lieu sans odeur, clean où les hôtesses font assaut de civilité, toutes plus jolies les unes que les autres. Mais vous n’êtes pas plus chez Mme Claude que dans un magasin de café.
Si vous êtiez dans un magasin de café, vous sentiriez les effluves de la torréfaction, le café plus ou moins vert. Vous entendriez les moulins à café et votre être tout entier serait pénétré par la densité odorifère de votre boisson préféré. Ici, point d’odeurs, et le moulin à café ne tourne plus depuis longtemps. Nespresso ne s’adresse pas à votre nez mais à vos yeux, exclusivement. Obligé, puisque le concept des capsules enferme définitivement la poudre venue d’Afrique ou du continent sud-américain. On ne vend plus le café, mais un conditionnement de café, un habillage, multicolore dont l’agencement dans les rayonnages (qui n’est pas sans rappeler le magasinage des textiles) tient autant d’un décor abstrait et métaphysique qu’un magasin de jouet pour enfant. Les couleurs, jeunes, vives, contrastées, ne sont pas sans rappeler les coloris des jouets de noël, nous sommes tous des enfants, c’est bien connu.
Mais au delà de ces considérations esthético-consumériste, je voudrais attirer votre attention sur une évidence qui personnellement m’a frappé: nous n’achetons plus le café d’antan, mais une technologie de café, d’où l’on a évacué tous les inconvénients, les moulins, les machines à nettoyer après chaque usage, le marc de café à jeter sans en mettre à côté, et les sachets de café qui une fois ouvert perdent en très peu de temps la concentration de leurs parfums. Faire un Nespresso, what else, est d’une simplicité radicale. On «positionne» le café encapsulé et on appuie sur un bouton. Voilà. Et le résultat est parfait. Nespresso a inventé le méta-café technologique qui satisfait une population plutôt aisée et rompue au confort Minority Report et à la facilité d’une vie quotidienne aisée. C’est la même population qui, il y a soixante ans dans «Mon Oncle» de Jacques Tati, découvrait le confort de l’aspirateur qui se vend désormais dans tous les magasins d’art ménager.
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Le Branding
Dès lors qu’on a compris, et c’est ce qui s’est passé pour l’agenceFutureBrand en charge du budget Nespresso, le fonctionnement du produit et les motivations d’achat de la clientèle, la stratégie de branding devenait évidente. Puisqu’on ne vend plus le café, mais la représentation symbolique de celui-ci, il fallait inventer les signifiants de ce symbole. Une marque Yin et Yang comme dit l’agence, et les étuis en carton multicolores dont la chromie correspond à un code-couleur précis et immuable. Noir pour le Ristretto par exemple. Si vous examinez le processus. Simple. Vous entrez dans un magasin, (ou vous commandez sur Internet). Une file d’attente rapide (mais qui vous met le café à la bouche), un préposé à la vente, joli garçon, jolie fille, qui prélèvent sur les étagères multicolores le nombre d’étuis désiré, pour les mettre dans un sac Nespresso marron à l’épaisseur de papier confortable. Vous entrez votre code de carte visa, la facture sort automatiquement et vous rentrez chez vous. Le fourreau en carton ouvert, vous prélevez une capsule, que vous posez dans la machine, vous appuyez sur le bouton, et vous buvez.À aucun moment vous n’avez senti, ni touché le café, contrairement à la marque concurrente Illy que je salue au passage d’avoir commandé à Sebastião Salgado ce reportage émouvant sur la culture et la cueillette du café au Brésil. Sauf et juste à la fin, le nez sur la tasse. Quelques secondes de plaisir pour vous payer en retour de cette absence de cérémonial traditionnel. Mais une liturgie en remplace un autre. Et ce saint des saints des Champs Elysées, ressemble bien à une église moderne avec ces murs d’étuis et d’écrans translucides en guise de vitraux et ses serviteurs zélés prêchant la bonne parole.
Le monde dans lequel nous vivons devient lisse
Au fond l’humanité poursuit un voyage étrange depuis la nuit des temps. du néerdanthal à l’homme moderne, nous avons perdu nombre de sensations, et le monde de l’écran a achevé un cycle originel. Que ce soit pour la typographie, qui ne s’exécute plus à coups de tire-ligne et de péroquets mais grâce aux courbes de Bézier, ou simplement pour changer de chaîne de télé, sans avoir à se déplacer devant le téléviseur; les équipements électroniques des habitacles d’automobiles qui ramassent sous les doigts du conducteur nombre de fonctions de commande en passant par la vie rêvée devant Internet et Google Earth qui vous fait voyager à peu de frais, vous permettant de survoler toute la planète, sans risquer d’être enlevé par les Farc ou vous faire piquer par les mouches tsé-tsé d’Afrique Equatoriale. Le monde dans lequel nous vivons devient lisse, sans aspérité, perdant toute rugosité artisanale qui nous rappellerait que nous avions il n’y a pas si longtemps des mains pour caresser, couper, limer, modeler, ajuster, construire et apprécier le chaud et froid. Un nez pour sentir les bonnes et mauvaises odeurs, une arme redoutable pour les peuples primitifs qui «sentaient» venir le danger. Nos oreilles prolongées par les téléphones portables et les écouteurs bluetooth pour écouter nos MP3. Etc. Reste la bouche et les yeux, symboles de l’oralité œdipienne et de l’abstraction de la représentation d’un monde qui de virtuel devient transparent comme nos écrans d’ordinateurs.
Nota bene, le café décaféiné contient toujours un peu de caféine. Sept expressos décaféinés dans une journée valent à peu près deux expressos normaux. La couleur bleue pour le décaféiné signifiant un sommeil tranquille la nuit, peut-être trompeuse pour des personnes au cœur réellement fragile.