La Mode mise en page | dans les ateliers de l’imprimerie Dreager | 1962-1964

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Le 15 septembre 1964, les ateliers d’impression Dreager Frères mettaient sous presse cette revue éditée par l’association de l’élégance masculine française. Collection automne-hiver 64.

 

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Recherches typographiques, anamorphoses (optiques).

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double pages stylisme

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hommage aux créateurs de mode mais aussi aux graphistes qui mettent en scène La Mode.

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Des photos qui ne sont pas sans rappeler nos collections styles de vie.

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Il est à remarquer que c’est depuis peu le triomphe des photographes. La couleur ayant apporté ce «supplément de vérité» qui permet à la mode de se confondre avec la réalité. Mais la typographie est présente. rappelant ainsi les principes de Roland Barthes pour qui (système de la mode) une photo sans légende est saturée de sens. Seule celle-ci peut amener la lectrice-consommatrice à l’acte d’achat.

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Mises en page monumentales, blancs tournants

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typographie minimaliste.

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Où l’on voit déjà le plaisir du jeu typographique. Cette petite flèche, ci-dessus, ça ne vous rappelle pas les jeux graphiques de Neville Brody?

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Pleines pages, graphisme vs photo. Les deux expressions contribuent à halluciner le spectateur pour l’étourdir d’une vision «hors normes».

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Ne soyez pas si surpris que ça. On découvre l’Amérique, ses légendes. C’est l’époque des John Wayne et d’Henri Fonda. Il y a là un clin d’œil à la française qui ne gâche en rien les structures rigoureuses de la mise en page. 4 col (1+2+1) juxtaposée à une page sur une seule colonne.

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Idem mais à l’envers, et la flèche qui occupe la première colonne renvoie bien l’œil vers les photos de la page de gauche. James Bond vient de sortir des studios de United Artistes.

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Photos détourées, textes en habillage, tout ceci composé en plomb, manuel ou monotype. Les détourages de chaque personnage, de chaque chaussure nécessitait des journées entière de retouches, de contretypies multiples et de montages manuels sur tables lumineuses.

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La diagonale dans les principes de mise en page, déjà initiée sous l’époque des constructivistes trouve ici un application au service de l’élégance et du dynamisme. La Mode, c’est ici et maintenant.

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Les typographes suisses ne sont pas loin. Ils se propagent en France (Hollenstein, Frutiger), en Allemagne, aux States.

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L’aventure de cette revue de mode avait commencé dès 1960.

 

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Mise en page épurée. Un semblant de transgression très sage (les filets oranges). On vend du rêve. Pas de la révolte.

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Où l’on voit la parfaite adéquation entre le damier de la course au service d’une mise en page rigoureuse et expressive. Le coup de crayon, c’est la course rêvée. On vend de la Mode, pas des voitures.

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Idem. Une scène d’un Américain à Paris. Le graphisme fait «avaler» tous les (mauvais) goûts, y compris cette chaise Louis quelque chose. Les filets à la Mondrian viennent soutenir avec complicité ces juxtapositions anachroniques.

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Des pantalons pour ne pas oublier qu’on était enfants… en pantalons courts.

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Là le graphisme fait le jeu du produit. Vous n’imaginez même pas le travail de photogravure que représente cette double page. Les logiciels Adobe? ils n’arrivent vraiment dans la production graphique qu’en 1993.

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Une double page que n’aurait pas renié Robert Delpire… en 1975.

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Là la mise en page joue sur les concepts. Chaussures et roues ne sont que les prolongements de notre corps. Et le graphisme permet de structurer une pensée qui émerge doucement de siècles de réclames «barbares».

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Il faut avoir osé, cette couleur parme-violette. Couleur cléricale par excellence, mais au diable la religion si ce n’est celle de la nouvelle société de consommation. On peut songer à une forme de transgression qui fait avancer le client vers le futur.

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Ce sont là les pages les plus simples mais qui nous rappellent que la mode commence dans les cartons à dessin. Dommage que les magazines d’aujourd’hui ne montrent pas plus la démarche du créateur. Car si la Mode est futile par définition, elle n’est pas pour autant inutile. Elle fait vivre des millions de gens dans le monde, depuis les filières textiles jusqu’aux bureaux de design et la distribution…

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Les blancs tournants dans la mode participent du principe de l’énonciation, du décret. Hors tout contexte, le vêtement devient un objet unique dont la seule présence photographique suffit à déclarer ce vêtement comme celui d’aujourd’hui. Du maintenant. Le vêtement détouré est hors du temps, hors de tout discours. Il est déclaratif. Impératif.

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Idem ci-dessus, à ceci près que l’on a mis en scène ce vêtement dans un univers coloré. Résolument futuriste. Vous souvenez-vous de David Vincent… Les envahisseurs en manches de nylon. La Matière est neuve et va révolutionner le temps conjugal (ou célibataire). Plus de repassage.

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Cette double page est assez extraordinaire. Aujourd’hui on trouve des DVD dans les magazines. En 1960, on insérait des échantillons de textile. Un façonnage sans doute très coûteux… Mais après tout, que vend la mode? Le textile et du rêve.

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Une photo pour finir, Le neuf et l’ancien. On ne parle pas encore de déchets et de développement durable. Le renouvellement du parc automobile est encore du domaine du rêve. Le photographe en plaçant ces débris au premier plan, ce petit garçon en bleu de chauffe en train d’admirer cette «Versailles» de la marque Simca, c’est le gosse de l’ouvrier qui admire le travail de papa. Peut-être qu’il l’emmènera faire un tour un jour. Non, un jour je m’achèterais cette merveille pour laisser les débris sur le bas coté.

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Il n’y avait pas moins de 100  graphistes, dessinateurs, maquettistes assis dans le studio  de Dreager et Frères pour dessiner, et créer les maquettes des clients. L’imprimerie se transforma en agence de publicité (Wallace et Dreager) pour déposer le bilan dans les années 80. Le directeur artistique en charge du studio en 1964. Monsieur Pampusac
.

À découvrir le catalogue des vins Nicolas réalisé par Dreager Frères et Jean Latour avec le peintre Bernard Lorjou.

© design et typo | février 2006 |

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Typographie en danger | cri d’alarme

Texte intégral d’un cri d’alarme paru dans Libération le 16 février dernier. Faites le circuler le plus largement possible et agissez si vous le pouvez !

Pour éviter sa dispersion, le patrimoine de l’Imprimerie nationale doit être valorisé. La typographie en danger

par Elisabeth BADINTER et Yves BONNEFOY et Roger CHARTIER et Jacques RIGAUD et TARDIEU Michel | QUOTIDIEN LIBÉRATION : jeudi 16 février 2006

Elisabeth Badinter écrivaine, Yves Bonnefoy écrivain, professeur honoraire au Collège de France, Roger Chartier directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, Jacques Rigaud conseiller d’Etat honoraire, écrivain, Bernard Stiegler philosophe, et Michel Tardieu professeur au Collège de France.

Les injonctions européennes ont soldé la guerre d’usure qui opposait depuis le XVIIIe siècle l’Imprimerie nationale aux imprimeries privées, celles-ci n’acceptant pas qu’une part des travaux lucratifs leur échappe. Sommée de se confronter aux réalités économiques et à la concurrence, l’Imprimerie nationale a été transformée en société anonyme en 1994. Elle a perdu de gros marchés, vendu une bonne partie de ses usines et son site historique parisien. D’un point de vue industriel, le groupe Imprimerie nationale SA n’est plus qu’une PME modeste et précaire. Si rigoureuses qu’elles soient, les règles européennes seraient cependant un bouc émissaire trop commodément désigné comme responsable du triste destin promis à un bien commun de valeur universelle.

L’Imprimerie nationale était, en effet, bien autre chose qu’une grosse imprimerie. François Ier fonda le corps des imprimeurs du roi pour favoriser la diffusion de la pensée. Richelieu créa l’Imprimerie royale, pour asseoir le pouvoir du roi, mais aussi pour aider le monde des lettres et des arts à rayonner dans toute l’Europe. A côté de sa production administrative, elle est devenue l’imprimerie du monde savant et du beau. Cela n’a été possible qu’avec la conviction permanente que, derrière les techniques d’impression, il y a la lettre, l’écrit. Il fallait conserver les poinçons qui ont servi à fabriquer les caractères de Garamond et des milliers d’autres pour être en mesure de les étudier, pour en dessiner de plus modernes ou pour en réaliser des interprétations numériques. Il fallait comprendre l’écriture chinoise pour graver les bois qui servirent à l’édition du Dictionnaire chinois-latin-français de Guignes en 1813. Sans cette typothèque unique au monde, constamment maintenue à jour et élargie, les études orientalistes n’auraient tout simplement pas existé. Ce sont ces activités, d’un poids économique pourtant bien faible, qui ont fait la réputation mondiale de l’Imprimerie nationale.

Un petit groupe de personnes et cette collection d’objets sont ceux qui pâtissent aujourd’hui d’un démantèlement presque achevé. Des mesures ont pourtant été prises : alors que les dernières activités industrielles de l’Imprimerie nationale sont pour l’essentiel rassemblées à Douai, le Cabinet des poinçons et l’Atelier du livre, trésors de l’Imprimerie nationale, et le personnel qui les anime ont été mis à l’écart dans une zone d’activités de la banlieue parisienne. Pourquoi ? Avec quel destin ? S’agit-il d’un lieu de stockage pour les centaines de milliers de poinçons, les presses et les livres classés monuments historiques ? Les uns sont sensibles à l’humidité, d’autres à la chaleur, tous sont fragiles… S’agit-il d’un musée ? Rien n’est prévu pour montrer, conserver, ces pièces ni en permettre l’étude. S’agit-il alors d’un musée vivant, où les élèves des écoles d’art pourraient venir apprendre les techniques anciennes auprès des derniers compagnons à les connaître ? L’exiguïté des lieux, le manque d’infrastructures physiques ou universitaires, l’interdisent. S’agit-il d’un atelier commercial ? Le marché est bien maigre…

La direction de l’entreprise a certes isolé son département patrimonial, mais pour en faire quoi? Elle a eu pour cela l’aval de sa tutelle, le ministère des Finances, dont relevait l’Imprimerie nationale pour des raisons historiques et non culturelles. Mais est-ce au propriétaire d’en décider seul ? Que font les ministères de l’Education nationale et de la Culture? Une pétition a pourtant rassemblé plus de 20 000 signatures, dont un bon quart hors de France. James Mosley, historien britannique et l’un des meilleurs connaisseurs de l’histoire de la typographie française, écrivait récemment : «Beaucoup peut encore être fait si la volonté existe. Si nous en laissons passer l’opportunité, les futures générations nous le reprocheront à juste titre.»

La France dispose d’un trésor, mais ne sait qu’en faire! Nous le regardons seulement comme un trésor du passé alors que c’est surtout de notre avenir qu’il s’agit. La typographie va bien au-delà du seul savoir des imprimeurs, qui d’ailleurs passe désormais inévitablement par l’ordinateur. La lisibilité de nos écrans relève de la typographie, la mise en page sur le Web ne peut se faire avec succès qu’avec des connaissances typographiques, la messagerie multilingue sur Internet (même via Unicode) est une affaire d’encodage typographique. On n’a pas su répondre à Google que la difficulté de la numérisation de toute la bibliothèque du monde n’est pas qu’un problème de droit ou de nombre total de caractères à reconnaître, mais aussi de compétence à situer chacun de ces signes dans un contexte linguistique, culturel, social et temporel que seule permet une connaissance approfondie de l’écrit, imprimé ou non.

La France dispose encore des savoirs relatifs à l’écrit, au livre, à la typographie et dispose aussi du mobilier (au sens archéologique) qui leur est associé. Elle dispose enfin d’écoles d’art graphique, d’universités et de lieux de recherches multidisciplinaires (l’école Estienne, l’EPHE, l’EHESS, l’ENST, l’Inria, pour n’en citer que quelques-uns), et de bibliothèques dont les livres sont à la fois moyens et objets d’étude. Des lieux et des structures d’accueil peuvent être trouvés. On peut notamment évoquer le site de l’ancienne imprimerie de l’Illustration que l’université Paris-XIII rénove et développe. Profitons de ces atouts conjugués pour créer un conservatoire de l’imprimerie, de la typographie et de l’écrit qui associera à l’entretien de biens matériels et immatériels les exigences de la formation, de la recherche et de la production. Ses missions s’étendront de la formation aux arts graphiques et à la typographie, à la recherche de niveau international sur l’histoire de la typographie, sur les pratiques d’écriture et le transfert de ces acquis dans les technologies de demain. Ses ateliers de production contribueront à la diffusion des cultures savantes, artistiques et techniques.

La difficulté n’est pas financière. Elle est de comprendre que ce melting-pot doit conduire à des approches multiples : artistiques, culturelles, historiques et techniques, résolument tournées vers l’avenir. Si une volonté existe pour surmonter les obstacles, l’agrégation de ces enjeux pourra se révéler riche de promesses culturelles et économiques.

Sans un projet ambitieux, quel sort risque de connaître ce patrimoine? On assisterait alors à une dispersion dans les musées européens de l’imprimerie des collections de poinçons et de matrices rassemblées depuis quatre siècles. L’Atelier du livre continuerait à décliner quelque temps dans son entrepôt perdu ; de départs à la retraite en démissions, le transfert des savoir-faire ne serait bientôt plus assuré. Au moment où la recherche internationale reconnaît la nécessité d’étudier des ensembles cohérents d’objets, une telle option irait à l’encontre de l’intention déclarée de requalification culturelle des instruments de techniques périmées. Ce serait là détruire d’irremplaçables archives qui permettent aux regards historiens et anthropologiques d’explorer toutes les dimensions sociales et symboliques de nos pratiques lettrées, dépassant largement le seul contexte français.

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Typographie | Les approches dans le texte | le gris typo en question

Le réglage des approches entre lettres nous conduisent naturellement à examiner les conséquences de ces variables sur la composition des textes. Approches horizontales, mais aussi approches verticales ou plus précisément l’interlignage contribuent à définir ce que j’ai appelé dans la note précédente «la couleur typographique» ou, si vous préférez le gris typo.

Nous allons examiner ces variables sous l’angle de quatre polices de caractère. L’Adobe Jenson, très belle Humane qui n’est pas sans rappeler l’ITC Berkeley, l’ITC Garamond, Garalde transitionnelle, le Meta Book du graphic-designer Eric Spiekerman et le Futura Book d’après le dessin de Paul Renner (1927).

J’ai pris ces quatre exemples parce qu’ils présentent une parfaite symétrie de problèmes dans leur anatomie:

Mais voyons d’abord les images. Cliquez pour agrandir et voir la typo à la bonne résolution:

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Forte disproportion pour le Jenson entre les hauteurs de cap et l’œil des bas de casses

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Faible différence pour l’ITC Garamond entre les hauteurs de cap et l’œil des bas de casses

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Forte disproportion pour le Futura Book entre les hauteurs de cap et l’œil des bas de casses

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Faible différence pour le Meta entre les hauteurs de cap et l’œil des bas de casses

Ces quatre polices de caractères focalisent la question que nous nous posons chaque fois que nous abordons la mise en page d’une publication. Petit œil ou grand œil, that is the question.

A corps égal, un petit œil me permettra de caler plus de signes dans une composition, mais c’est là une faible consolation si l’on songe que l’on perd en visibilité de la lettre. Je dis visibilité parce que la taille d’une lettre influe d’abord et avant tout sur sa visibilité c’est à dire sur la distance où l’œil peut lire confortablement une ligne de texte (voyez les planches d’opticiens & ophtalmos). Je ne peux comparer la lisibilité de deux caractères qu’à hauteur d’œil des bas de casse égale. Si tant est qu’on puisse parler de différences de lisibilité entre deux Garaldes ou bien entre une Garalde et une Linéale. J’ai toujours privilégié la notion de confort de lecture sur la notion par trop réducteur de lisibilité. Mais j’ai déjà publié plusieurs notes sur ce sujet et nous y reviendrons. Nous disions que sur le plan économique un caractère à petit œil me permet de gagner en nombre de caractères. Bien. Mais en agrandissant le corps d’une police à petit œil, afin de la mettre à égal niveau de celui à grand œil, je perds du coup cet avantage économique et doublement. 1) parce que je rentrerai moins de signes par lignes, 2) parce que je devrai augmenter l’interlignage en proportion de l’augmentation du corps.

Voyons maintenant la couleur typographique induite par les deux facteurs: les approches et les interlignages.

Les Approches : le Adobe Jenson

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Tout d’abord permettez-moi de m’excuser pour cete mise en forme un peu poussive mais le dispositif des blogs est assez contraignant lorsqu’il s’agit de faire ainsi une démonstration qui sur papier, dans une brochure à l’italienne par exemple permettrait de mettre en perspective les différences de gris typos.

Donc pour profiter pleinement de cette étude il vous faut absolument cliquer sur les images. Maintenant que remarquez-vous? Que vous composiez un texte en approche normale ou avec +20, +40 ou +80 unités additives, le texte reste tout aussi lisible. Les deux choses qui changent fondamentalement sont le gris typo, on va du plus foncé vers le plus clair, aérien, et le nombre de signes que vous entrez dans un espace contraint. Il va de soi que plus vous interlettrez plus vous diluez les mots-objets. Ce faisant le déchiffrage est plus délicat, parce que l’œil commence à percevoir les lettres au détriment des mots. Je sais que très récemment l’Éducation Nationale est revenue des méthodes d’apprentissage de lecture globale, mais on voit bien dans ces extrêmes (approche normale et interlettrage +80) que nous devons bien examiner la texture d’une composition au regard de la perception des mots tout autant que des lettres. Cela n’a évidemment aucune importance lorsqu’on interlettre des mots pour les logotyper, mais il n’en va pas de même pour un pavé de texte. Voyons maintenant les autres caractères subir les mêmes expérimentations:

Les Approches : l’ITC Garamond

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où l’on voit bien que les mêmes effets produisent les mêmes causes. Plus on interlettre plus on fait disparaître les mots au profit des lettres, donc le sens même du texte. Et finalement une règle commence à s’imposer : dangereux de dépasser un interlettrage de 40 unités (dans InDesign). A 80 nous ne lisons plus que des lettres éparpillés dans un pavé de texte.

Même essais avec les deux autres caractères, le Meta et le Futura:

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Vous avez cliqué sur les images, analysé la perception que vous aviez des pavés de textes. N’avez-vous rien remarqué? Curieusement mais pas tant que ça, tout ce que je viens de vous dire au sujet de l’éparpillement des lettres en approches +80, est moins vrai en Adobe Jenson et Futura Book, qu’en ITC Garamond et Meta Book. Cela tient à l’anatomie des caractères. Le fait est que d’avoir des disproportions importantes entre capitales et bas de casses augmente considérablement la lisibilité des mots. Et je ne parle plus des lettres. Mais des mots. Ceux-ci restent plus perceptibles en Jenson ou Futura parce que les futs des lettres montantes donnent une meilleure lecture de l’alphabet. Ils permettent la différenciation des lettres, donc du coup les mots restent plus cohérents. Je ne veux pas paraître prétentieux, d’autant que moi même j’ai cédé à cette mode des caractères à gros œil, mais je dois vous avouer que depuis les années 70, alors que Herb Lubalin et Aaron Burns installaient les nouveaux dispositifs de création d’alphabets en privilégiant l’œil agrandi des bas de casses, on n’a jamais fait réellement attention aux dégats que créaient cette mode sur des générations de lecteurs. Alors me direz-vous, y a-t-il des solutions pour contourner cette difficulté. Oui et nous allons voir dans les planches suivantes le rôle primordial de l’interlignage.

Les Interlignages :

Même expérience. Composition de trois pavés dans quatre caractères. Interligne compact (c’est-à-dire minimum par rapport à une composition en plomb), surinterlignage de 1,5 pt et surinterlignage de 3 pt. Nous allons voir que c’est là que réside la solution des problèmes de lisibilité. Pour comprendre le phénomène cette fois nous allons faire suivre les pavés de textes dont l’interligne est identique.

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Vous voyez tout de suite que ce que je vous disais précédemment se vérifie. L’Adobe Jenson et le Futura Book laissent filtrer les mots bien plus que l’ITC Garamond Light ou le Meta Book. Ah les gris typos sont beaux mais trop denses avec les deux dernières typos. Voyons maintenant un surinterlignage de 1,5

pt:

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Interitcgaramsur1
Interfuturabooksur1

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Vous commencez à «sentir» le bonheur de voir vos yeux respirer autour des mots. La fatigue diminue et la rétine se déplace assez agréablement dans le texte. Mais ajoutez y  encore 1,5 pt et ce bonheur sera total :

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Interitcgaramsur2
Interfuturabooksur2
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Et pour le coup nous pouvons revenir à nos études récentes de comparaisons entre caractères. Bien sûr que l’ITC Garamond et le Meta sont formidables d’élégance  et de modernité. Mais à condition d’être considérablement surinterlignés. Là nous retrouvons de la lisibilité parce que nos rétines n’ont plus tendance à décrocher des lignes et à se mélanger les pinceaux si vous me permettez cette trivialité. On peut même désserrer les approches sans trop perdre en lisibilité. Plus vous composez lache, plus il vous faudra surinterligner.

Ainsi donc nous venons d’examiner deux paramètres essentiels dont nous disposons tous sur nos logiciels de mise en page. Que ce soit dans Quark X-Press ou InDesign nous avons la possibilité d’accéder aux réglages les plus fins. Les valeurs d’approches que je viens de vous donner doivent être divisés par 2 au moins dans Quark parce que le logiciel comme vous avez pû vous en rendre compte travaille en millième de cadratin (le cadratin est un espace dont la valeur est égale à la hauteur du corps) alors qu’InDesign subdivise en 2000 ce même cadratin.

Mes conseils : avant toute mise en page, travailler la lisibilité des textes. Vous choissez une grille de mise en page, déterminant pour la largeur des colonnes donc pour la force du corps dans laquelle vous allez composer votre texte. En fonction de ce corps et de ce caractère (qui devra être choisi de sorte à éviter un trop grand nombre de césures) vous devrez faire des essais d’interlignage pour décider du meilleur rapport corps-approche-lisibilité. Pour les paramètres de compostion justifiée je vous invite à relire ma note sur les gris typos où je donne les valeurs de base (qui peuvent être adaptés selon les cas). Vous comprenez aussi la complexité de faire des compromis (le mot est laché) entre les impératifs économiques (de rentrer une quantité de texte dans une page) et les impératifs de lisibilité.

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Typographie | Les approches entre les lettres

Interrogé sur les approches serrées pratiquées par les typographes américains des années 70, Hermann Zapf n’eut qu’un geste de la main : ah! sex spacing typography ?

Les approches typographiques, peu abordés dans les manuels et guides qui traitent de l’anatomie de la composition sont un des éléments les plus essentiels de la mise en page. Certes le choix d’un caractère est déterminant pour la mise en page d’une revue, magazine ou un quotidien, sans oublier toutes les publications publicitaires et culturels. Quelle révolution pour l’administration française lorsque le génie de Roger Excoffon choisit le Souvenir d’Edward Berguiat pour mettre en page les feuilles de déclaration d’impôts sous un Giscard d’Estaing qui n’était encore «que Ministre des Finances». Certes la couleur typographique (ou gris typo) dépend beaucoup du caractère utilisé mais ce n’est pas à mon sens le premier paramètre. Qu’est ce qui détermine cette couleur?

1 | Tout d’abord la graisse d’un caractère. C’est le déterminant absolu. Comme la couleur d’une voiture. Composé en gras (ou bold) un titre, un texte se verra attribué une des premières place dans la hiérarchie de la lecture. Massin a bien exploité cet artifice dans son magnifique ouvrage «La Cantatrice Chauve» d’après l’œuvre d’Eugène Ionesco. Il a fait parler les textes en fonction de la graisse et des tailles des corps. (je consacrerai une note à cet ouvrage prochainement).

2 | La taille aussi de ce texte, bien sûr. Il va de soi que c’est presque à égalité avec la graisse, la première manifestation d’une couleur typographique.

3 | Mais tout de suite derrière vient l’approche. Serrée, la composition se densifie, lache elle se clarifie et devient aérien. C’est tout aussi valable pour la composition d’un titre que de pavés de textes.

4 | Le choix du caractère. Bien entendu il est aussi primordial que les facteurs précédents. Mais là on joue plus sur les perceptions inconscientes du lecteur. Que l’on choisisse une Humane ou une Garalde ou encore une Mécane transitionnelle (Le Clarendon par exemple), on influe considérablement sur le style d’un pavé de texte ou d’un titre. Mais là on emploi des moyens culturels dont la syntaxe appartient à l’inconscient collectif et ne relève pas d’une perception lucide du public. Comme le mobilier ou l’architecture la typographie a évolué au long des siècles au gré des inventions technologiques de la gravure, du papier et des moyens d’impression. Les lecteurs que les études ont poussé jusqu’aux facultés ou grandes écoles sont certainement plus sensibles à ces évolutions que les employés qui ont du s’arrêter en chemin. Mais ce n’est pas pour autant et surtout en France que les formes des caractères sont perçues de la façon la plus lucide et clairvoyante.

Classification Thibodeau vs Classification Vox (des familles de caractères)
(Cliquez sur l’image pour la voir au mieux de sa résolution)
Avertissement : depuis les dernières mises à jour de TypePad, il faut ouvrir les images trop grandes avec le clic droit (ouvrir dans une nouvelle fenêtre ou nouvel onglet) pour pouvoir se déplacer dans les images.

Thibodeauvsvox

Nous allons dans cette note nous intéresser uniquement à l’anatomie des approches des lettres.

Une des priorités du metteur en page d’un texte, d’un titre est d’équilibrer les approches. Pourquoi? c’est simple, si vous laissez au milieu d’un mot un blanc irrégulier, vous créez un espace de division qui va gêner la lecture. Une des erreurs la plus communément pratiquée consiste à croire qu’il suffit de composer les lettres à égale distance les unes des autres pour en établir la régularité de lecture. Or c’est méconnaître les lois optiques de la perception. L’œil ne lit pas des distances entre les lettres mais des volumes de blanc entre elles. Voici un exemple pour que vous visualisiez le plus facilement ce phénomène.
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J’ai symbolisé dans l’exemple ci-dessus les volumes de blanc par des pastilles grises qui viennent remplir les espaces de lecture tel un liquide ou mieux encore comme des petits cailloux. De fait deux espaces sont à peu près à égale distance lorsque vous pouvez y couler à peu près le même nombre de cailloux. Ci-dessus comme dans les exemples suivants j’ai choisi volontairement les situations les plus périlleuses pour un metteur en page. Lettres obliques accolées à des lettres droites ou rondes etc. Bien entendu le problème se complique d’autant que nous avons décidé d’utiliser des lettres à pâtins et encore plus dans le cas où vous choisissez une mécane (ci-dessous, le Clarendon gras) :
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Dans l’hypothèse d’un choix de Linéales (Antiques), nous avons la possibilité d’adopter deux stratégies. Celui, traditionnel de la composition en plomb, aux approches non imbriquées ou, à peine (composé ici en Helvetica normale (55 | régular) :
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et  l’autre stratégie qui consiste à resserrer les approches au point de presque faire se toucher les lettres. Sex spacing Typography, ainsi nommé par Hermann Zapf, sans doute par humour et référence au mouvement flower génération issue de la guerre du Vietnam et Woodstock. Mais plus sérieusement cette mode ne fut pas le fruit d’un hasard. C’est très exactement entre 65 et 75 que les technologies du phototitrage ont connu leur apogée. Libérée des servitudes du plomb (sa rigidité), les phototitreurs sous la pression de directeurs artistiques aussi renommés qu’Herb Lubalin ou Milton Glaser se sont vu obligés de resserrer les approches au delà du raisonable pluisque la lisibilité n’était pas la priorité de ces DA. Seul comptait l’impact visuel, la tache typographique dans la page blanche :
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Pour vous donner un aperçu d’ensemble d’approches normales et volontairement désserrées voici un exemple de composition décliné avec un caractère de chacune des familles de la Classification Vox (ci-dessus). Où l’on voit le rôle primordial des approches. Parce désserrées elles permettent de logotyper un mot. Désserrées les approches nous font pénétrer inconsciemment dans le champ visuel de l’esthétique et de l’énonciation institutionnelle tant prisé par les designeurs de logotypes. Où il est démontré que cette couleur typographique dont je parlais plus haut dépend bien plus (excepté des caractères gras ou scriptes) des approches que du choix d’un caractère.
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J’ai composé en grisé les scripts et gothiques que jamais nous ne composerons en capitales parce que bien trop illisibles. Et voici encore sur un mot bien plus périlleux à la composition une autre déclinaison qui montre bien qu’en réglant correctement les approches paires on arrive à une homogénéité dans la lecture.
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Cette petite étude anatomique n’était évidemment pas destinée aux nombreux professionnels qui lisent mon blog chaque semaine. Mais à tous ceux, étudiants-élèves d’écoles d’arts graphiques, et web designers qui seraient passés par des filières plutôt informatiques et n’ont pas eu la chance d’expérimenter ces aspects de la typographie, et plus généralement à tous ceux, lecteurs grand public et étudiants d’universités qui s’intéressent à la mise en page et veulent en connaître d’avantage sur la grammaire typographique.

 

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Las Malenas | Festival de Tango au Triton | suite

Dans la petite salle très cosy du Triton, le silence se fait lorsque les six égéries du Tango Argentin commencent à égrener les notes d’une musique éternelle.

samedi 11 février – 21h

Las Malenas est né de la rencontre de six jeunes musiciennes argentines et françaises venues de divers horizons musicaux et réunies par leur passion commune pour le tango. Leur répertoire, mélange de compositions originales et d’anciens tangos revisités, nous révèle toute la sensualité, la violence, et la mélancolie de cette musique. Leur sensibilité féminine donne une couleur inédite à cette musique presque exclusivement composée et interprétée par des hommes.

cliquez ci-dessous pour écouter un extrait de leur interprétation.

Anne Lepape violon
Juliette Wittendal violon
Pascale Guillard contrebasse
Sabine Balasse violoncelle
Marisa Mercade bandonéon
Gabriela Quel piano

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Yorfela | entre Tango et Ballades, la malice

C’était presque des vacances. Les élèves sont partis à la neige et j’ai pris quelques jours de répit en musique… latina, vous l’aurez deviné, puisque c’est la scène que je photographie depuis quelques années. Yorfela, c’est Jérome Palefroy et ses complices musiciens qui renouent avec la tradition de la chanson française. On songe à Julien Loureaux ou Anne Syslvestre en passant par Barbara ou Marie Paul Belle, tant les paroles sont ciselés pour créer des petits tableaux, des scénettes de la vie quotidienne… Avion Privé, Coup de Jennie, Hep ! Garçon, T’iras pas au Mexique, Jamais les bals… sont quelques unes des chansons que Jérome nous sussure accompagné par la sensibilité dextere de ses doigts guitare. Joie pure.

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Thierry “Titi” Robin

Thierry Robin dit “Titi”, musicien autodidacte né à la fin des années cinquante dans l’ouest de la France, a construit son univers musical personnel en empruntant autour de lui, à l’instinct, des éléments de langage musical répondant à sa soif d’expression, les deux univers qu’il côtoyait quotidiennement et l’ayant directement et profondément influencé étant les cultures gitanes et orientales.

Avant que le courant des musiques du monde n’apparaisse, c’est au sein de ces deux communautés qu’il trouvera un écho sensible et encourageant, le milieu musical hexagonal dominant ne comprenant alors pas vraiment sa démarche. Les fêtes communautaires arabes et gitanes lui donnent l’occasion de tester la couleur originale de son approche musicale face à ces traditions riches dont il s’inspire mais qu’il n’imite pas, recherchant obstinément une voie qu’il lui semble exprimer avec le plus de justesse sa condition d’ artiste contemporain. Les musiciens qui l’accompagnent alors sont presque exclusivement originaires de ces minorités. Les deux artistes phares dans sa démarche sont Camaron de la Isla, le cantaor flamenco et le maître irakien du ‘oud, Munir Bachir. Lire la suite ici !

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Garamond vs Garamond | texture de la composition

Suite de l’article [Garamond vs Garamond | physiologie d’un caractère typographique]

Vous êtes sur le point de faire une mise en page. Un livre, une brochure, une plaquette institutionnelle, ou tout simplement le design d’une nouvelle papeterie. Au moment du choix de la typo, un nombre de possibilités infinies s’ouvre à vous. D’abord parmi tous les styles de familles, Elzéviriens ou Humanes-Garaldes-Réales (ou Transitionnels chez les Anglo-saxons) ou encore les Linéales (Bâtons-Antiques en France, mais Grotesques en Allemagne ou Gothic chez les Américains), ou bien et pourquoi pas une belle Mécane Egyptienne, Sérif-slab chez les Américains). Le choix d’une typo s’impose lors de l’analyse du contenu rédactionnel et du style du document, la Presse, le Livre obéissent à des usages, habitudes de lecture qui pour être transgressables n’en sont pas moins codifiés depuis plus de 500 ans. La publicité se permet à la fois plus de liberté lorsqu’elle travaille à faire connaître des produits nouveaux et modernes, mais s’il s’agit de Beauté, Luxe ou encore de l’institutionnel (Banques, Assurances, Gouvernement, Culture etc.) la tendance est naturellement de revenir à des expressions typographiques traditionnelles connotant des valeurs liées au passé.

Il en va ainsi du Garamond, dont l’usage est de plus en plus réservé au Livre et à l’expression publicitaire pour le luxe. La Presse, depuis que le Times de S. Morison a fait ses preuves tant en économie d’espace qu’en lisibilité s’est orienté plus précisément vers les Réales et nous y reviendrons dans une autre note.

Mais nous voici à analyser, comparer les Garamonds entre eux (voir le billet précédent). Les six dessins, fortement ou peu différenciés vous ont montré l’aspect graphique des tracés. Mais il était indispensable d’en venir à leur utilisation courante, la composition, qui est bien le lieu, la destination finale d’une création de caractère.

Voici six pavés de textes composés en corps 11 interligné 12 points. Notez bien qu’il est absolument indispensable de cliquer sur les compositions pour en voir le détail anatomique, car dans le blogroll ils sont considérablement réduits.

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Six Garamonds, six textes composés tous les six en c.11 inter.12 et vous éprouvez une sensation diffuse. Ce n’est pas du tout le même caractère. Toutes les différences que nous avons relevé dans la note précédente se retrouvent ici dans la texture même des pavés. Le Simoncini, le Garamond, le Monotype sont dessinés avec une hauteur de cap (X-Height) assez petit, il en découle que l’œil de la bdc est aussi assez réduit et du coup le texte composé en c.11 (un talus de 11 points identiques dans tous les cas, cf. note précédente) semble assez petit. Il en résulte tout de même un avantage s’il en est un, on peut entrer plus de signes dans un encombrement identique, avec un léger avantage pour le Garamond d’Adobe qui fait rentrer le texte du tramway sur sept lignes tout juste.

Le Garamond Stempel se compose sur sept lignes et demi et en clignant l’œil pour rétrécir votre champ de vision (jusqu’à ne plus voir que les masses de gris) vous constatez que c’est celui qui se trouve dans un gris médian par rapport aux autres Garamond.
Parce que si les Garamond de Berthold et d’ITC semblent plus présents à notre perception, c’est que soit leur dessin de cap. (et tout l’alphabet qui s’en suit) est vraiment très grand (Berthold), soit l’œil de la bas de casse exagéré pour donner plus de visibilité (Garamond ITC de Tony Stan). Mais du coup nous nous retrouvons avec des impératifs économiques de calibrage désastreux en apparence puisqu’en quelques lignes on prend une moitié de ligne en plus, ou même une ligne entière pour l’ITC.
Autrement dit et c’est un exercice que je vous invite à faire vous même, de composer les six textes avec des corps différents afin d’avoir un encombrement identique pour tous les pavés, et on s’apercevra alors que les Simoncini, Adobe Garamond et Garamond Monotype légèrement agrandis retrouveront leur raison d’être. Vous pensez que c’est aussi simple? Vous vous trompez. Et c’est là où ça se complique. En agrandissant les corps, il faudra aussi interligner un peu plus proportionnellement. Ce qui fait que l’on va reperdre de l’espace de composition. Et qu’au final un Garamond d’Adobe pour paraître d’égale densité qu’un Garamond Berthold ou ITC, aura un encombrement de composition peut-être plus grande. C’est donc une combinaison assez complexe même s’il parait relativement binaire que de faire correspondre le gris typo d’un caractère à celui d’un autre.

Ce sont des questions qui prennent tout leur sens dans l’édition lorsque le choix d’une typo pose le problème non d’une page supplémentaire au livre, mais parce que les pages fonctionnent par cahiers, celui d’être obligé de rajouter un cahier de 16 pages supplémentaires. On mesure là l’importance économique des dessins de caractères aussi bien pour l’édition que la Presse.

Note précédente : Garamond vs Garamond | physiologie d’un caractère typographique

 

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Nam June Paik | l’art contemporain en deuil

Un hommage à Nam June Paik décédé récemment, à voir sur Maya Stendhal Gallery
cliquez sur le lien pour voir une video désopilante de ce grand créateur contemporain dont vous pouvez découvrir une bio ici

c’est quoi l’art contemporain :

une rupture avec. une rupture avec nos perceptions pré-codifiées pendant des siècles. il ne suffit pas d’opposer l’art contemporain au figuratif pour en comprendre l’essence, parce qu’il y a du figuratif dans l’AC. celui-ci ne cherche pas à s’imposer comme art mais plutôt comme un entre-deux (Daniel Sibony). une rupture de notre conscience qui regarde une expression qui ne se donne pas. qu’il faut aller dé-busquer, dé-nicher. une rupture de notre regard qui a été façonné pendant des siècles de formalisme académique par l’art de la représentation. l’art contemporain interroge le spectateur, plutôt qu’il ne lui souffle des réponses. le j’aime ou j’aime pas ne fonctionne pas avec l’AC, pas plus que le c’est beau ou pas beau, parce que le propos de l’artiste contemporain n’est pas de faire du beau ni de vouloir séduire le spectateur, mais plutôt de le guider sur une dé-marche en rupture des idées reçues. de provoquer des réactions et des contre-réactions. si vous regardez cette video de Nam June Paik, au bout de 1 mn vous n’en pouvez plus. mais si vous avez la patience de la regarder jusqu’au bout, vous aurez une autre idée de ce qu’est la patience et de votre rapport au temps et au dérisoire. un entre-deux avec vous même et vous même.

nota bene: c’est en hommage à Nam June Paik que j’ai intentionnellement commencé chaque phrase de cette note par une bas de casse. Parce que ça vous questionne :-)

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Paul Gabor | créateur typographe

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Au moment où Paul Gabor quitte son pays natal, il venait de dessiner pour la Fonderie nationale Hongroise (Magyar Betüöntöde) un garamond d’après le dessin original du Tótfalúsi de Kis Miklós (1650). La langue hongroise comporte un certain nombre de signes accentués <o, u> avec doubles accents aigus, ainsi que toutes les déclinaisons des voyelles accentuées en aigu long et trémas, qui n’existaient pas forcément en plomb durant les années «Gutenberg». Il était donc nécessaire d’adapter style et accentuation à une langue riche et expressive qui a donné au patrimoine littéraire mondiale parmi les plus beaux chefs d’œuvres, et de littérature, et de poésie (lire l’excellente note ici).

Il s’agit là d’un exercice de typographie des plus classiques qui mettent en œuvre les qualités d’architecte et de calligraphe du dessinateur.

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On a bien compris en regardant les affiches hongroises de Paul, que c’était là sa passion. Et pour chacune d’entre elles il dessinait un début d’alphabet comme par exemple:

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L’affiche ci-dessus a été dessinée en 1955. Il attendra jusqu’en 1983 pour en dessiner toutes les lettres de l’alphabet lorsque le salon des artistes décorateurs (le SAD) lui demanda de réaliser un programme de recherche sur l’identité visuelle de la République Française. A l’occasion, nous nous sommes réunis avec Paul pour déterminer une design-stratégie. Et il apparaissait assez évident que pour moderniser et rendre une certaine grace à l’image des «papiers» de la France, il fallait utiliser ces très belles lettres, incises, qui n’étaient pas sans rappeler les lapidaires romaines des inscriptions sur la colonne Trajane à Rome. De même que pour simplifier et symboliser la Marianne, nous nous sommes tournés vers une expression calligraphique, où l’écriture se fond avec le sujet.

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Et voici l’alphabet complet terminé ainsi qu’un ou deux exemples de déclinaisons sur les projets de papiers de la République (c’était avant l’informatisation des cartes d’identité).

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Nous n’avions pas voulu toucher aux codes couleurs de ces papiers pour juste démontrer sans aucun effet de manche l’impact d’une belle typographie sur un espace institutionnel.

Plus tard, il dessina dans un registre tout à fait moderne un alphabet corporate pour la banque de la Hénin. Assez fier le Vincent Rode qui en était le directeur de la comm. d’avoir pu imposer à sa direction générale une vision aussi contemporaine.

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Paul aura donc continué de dessiner, quelques alphabets encore jusqu’à la fin de sa carrière. Mais les technologies d’exécution n’étaient pas encore ceux du vectoriel d’aujourd’hui. Les courbes de Bézier étaient réservées à des Fonderies professionnelles et des technologies aux prix inabordables. Il faudra attendre 91-93 pour que l’on puisse enfin exécuter des alphabets dans des conditions de délais autrement plus rapides, sur Macintosh et Fontographer, ou FontLab aujourd’hui.

Deux exemples d’alphabets dessinés à la volée pour l’édition «l’âge d’homme» que Paul réalisa en 88:

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En 90-91 j’ai pu collaborer à son œuvre en achevant la série des Mermoz. La particularité de cette série est d’être parfaitement multiplexée. C’est à dire que les alphabets ne chassent pas plus malgré un engraissement progressif. Utile lorsqu’on compose des formulaires et des documents administratifs.

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En remerciement de la patience que vous avez eu de lire et découvrir cette biographie assez «chargée», je vous invite à télécharger cet alphabet Mermoz dans sa version de base, le Mermoz Book. Faites en bon usage. © peter gabor | janvier 2006.

Download MermozPGBook.otf.zip

Retrouvez l’intégralité du travail de Paul Gabor dans cette galerie consacré à son œuvre.

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