Serge Lutens | Architecte de la Mode | intro

Décidément encore une intro, vous allez me dire que je commence des articles que je ne termine pas… pas tant que cela, pas tant… Juste Stanley Morison que je dois encore finir d’ici avril, continuer les travaux entamés sur les Portails de Presse, Libé entre-autres, et puis bien sûr vous présenter l’interview complet de Jacques Séguéla. Rendez-vous est pris avec Jean-Charles Baudot pour dérusher cette semaine, et j’espère bien que d’ici vendredi soir ce sera fait.

Mais voilà les choses se précipitent. L’autre jour j’étais tombé dans ma bibliothèque sur le livre incroyable de Serge Lutens. L’Esprit Serge Lutens. Et me suis souvenu brusquement que j’y ai un tout petit peu participé en digitalisant la fonte qu’il avait dessiné spécialement pour cet ouvrage édité aux Éditions Prosper Assouline en 1992. Je le reprends et l’examine attentivement… nouveau coup de foudre. Comment ai-je pu laisser cette œuvre de côté, alors qu’il a sa place pleine et entière au sein des seins du graphisme contemporain. C’est la faute à Voltaire… non, mais sans doute au fait que l’on oublie très souvent les créateurs de mode lorsqu’on s’attaque à l’histoire des Arts Graphiques, la preuve, Michel Wlassikoff ou même Edward Gottschall n’ont pas fait grande place à cette profession qui touche d’aussi près le design graphique. J’ai téléphoné aux éditions Assouline pour leur demander l’autorisation de publier les belles pages de ce livre, décidément épuisé… et là les choses se sont formidablement emballés. «Oui pas de problème de notre coté, mais vous devriez aussi demander l’avis de Serge Lutens… voici ses coordonnées…» et je tombe un quart d’heure après sur son compagnon-assistant production-designer depuis trente ans. Le contact passe, et il me propose d’en parler à Serge… Je lui demande par la même occasion s’il ne voyait pas d’inconvéniant à organiser une rencontre avec l’artiste, qui au passage habite à Marrakech… Vingt quatre heures après j’avais une réponse qui m’enchantait. Rendez-vous est pris dans un grand hôtel parisien le 3 mars pour l’interviewer (podcast et photos) sur le making of de cet ouvrage et d’une manière plus générale sur son œuvre et la place que prend la typographie, le graphisme et surtout l’architecture dans sa démarche créative. Voici donc en avant première quelques unes des premières pages de l’Esprit Serge Lutens, en attendant la suite qui je suis sûr vous enchantera et nous permettra d’aborder les rapports de la mode avec la typo.

Photos de l’ouvrage spécialement autorisées pour design et typo, toute reproduction interdite, usage strictement académique et droits réservés pour l’éditeur et l’artiste Serge Lutens et ses ayants droits.



Photos de l’ouvrage spécialement autorisées pour design et typo, toute reproduction interdite, usage strictement académique et droits réservés pour l’éditeur et l’artiste Serge Lutens et ses ayants droits.

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Jacques Séguéla reçoit design et typo | intro

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Jacques Séguéla parle typographie

Vendredi dernier (9 février 2007) Jacques Séguéla vice-président d’Havas a eu la gentillesse de me recevoir pour un interview de son expérience et sa vision de la typographie. Cela fait bientôt trente ans que je suivais la carrière de Jacques et admirait autant ses idées de fils de pub, que de communicateur de génie (n’ayons pas peur des mots :-). Au cœur de toutes les campagnes les plus importantes, de tous les combats publicitaires mais aussi politiques, j’étais persuadé que le manager, directeur de création, journaliste (Paris-Match avec Roger Thérond) avait sans doute sa vision personnelle du signe graphique, de sa place au cœur du dispositif marketing et publicitaire. Voici un avant goût de l’interview, que je publierai dans son intégralité courant de la semaine prochaine, une fois que Jean-Charles Baudot (Designer Interactif) et moi même l’auront dérushé. «Le Son qui émane d’une typographie…»

voici l’intégrale de l’interview

Publié dans Opinions et Im-pertinences, Typographie et typographies | Un commentaire

les blondes et les luttes anti-raciales | le buzz des années 60-70

Allez, je m’y colle. Je n’aurais sans doute jamais soulevé la question si Étienne Mineur n’avait pas publié ces deux videos. Et puis je vais faire court pour une fois parce qu’un peu débordé de toutes parts ;-) Enfin court… je croyais! Tout le monde peut se tromper.
Saviez-vous l’origine des histoires de Blondes et leur apparition comme actrices débiles dans les sit-com et la pub communicante? Sans doute pas ;-)

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Premier Acte:
Il faut remonter aux années 1930-1965 aux États-Unis pour en découvrir l’origine. Comme vous le savez la publicité comparative est et en tous cas était légale dans ce grand pays de Cow-Boys sans états d’âme (j’rigole). La ségrégation raciale battait son plein dans les années après la dépression. Eh oui les mêmes causes: pauvreté, famine, insécurité sociale, inégalités et injustices provoquent à peu près les mêmes effets partout dans le monde. Jean-Marie Le Pen n’a même pas inventé ça! Alors au plus fort de l’influence des Klu-Klux-Klan et des lynchages de noirs (lire absolument le roman de Boris Vian, j’irai cracher sur vos tombes), les agences de publicité se servaient de l’image négative des minorités noires pour discréditer des produits concurrents.

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Deuxième Acte:

Dans les années 60 la lutte anti-raciale a repris le dessus, I have a dream: Cette phrase, ce cri d’espoir est illustre bien au-delà des États-Unis, à travers le monde entier. Le discours fut prononcé sur les marches du Lincoln Memorial pendant la Marche vers Washington pour le travail et la liberté à Washington DC le 28 août 1963. Dans ce discours, Martin Luther King exprime avec toute la force de son éloquence son vif désir d’une Amérique où Blancs et Noirs coexistent harmonieusement en tant qu’égaux.

À force de travail et de convictions partagées les organisations et lobbies anti-raciales réussissaient à limiter de plus en plus, jusqu’à faire interdire l’usage négative des noirs dans la communication. La guerre du Vietnam avec son brassage socio-ethnique et ses milliers de victimes achevèrent le travail.

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Troisième Acte:
Les publicitaires ont recouru alors à un subterfuge qui faillit tromper tout le monde: remplacer les noirs par les femmes brunes et les blancs par les femmes blondes. Il était fréquent alors de voir dans une pub télé, une Brune pousser un caddy plein à craquer entourée d’une marmaille de quatre enfants qui la tirait à hue et à dia. Pendant ce temps, la Blonde, accompagnée de son chevalier de gentleman, posait délicatement quelques produits dans un caddy que celui-ci poussait délicatement vers les caisses enregistreuses. Gantée de blanc jusqu’au coude bien sûr, cela va de soi.

Quatrième Acte:
Les Associations anti-raciales rejointes par les féministes d’avant garde ont inventé alors une des premières campagnes de communication virale. Un Buzz à l’échelle d’un pays de 180.000.000 d’habitants. Et sans l’aide d’Internet, s’il vous plait. Ils ont lancé massivement des blagues ridiculisant les blondes, les affublant d’une débilité incommensurable. Journaux, télés, magazines, toute la presse a relayé ces campagnes au point que les publicitaires ont dû peu à peu faire marche arrière et cesser d’utiliser les Brunes comme les faire-valoir des blondes.

Cinquième et dernier Acte:
Le temps a passé, les publicitaires américains ont renoncé à l’usage de ces subterfuges qui ridiculaisaient toutes leurs campagnes, mais les blagues sont restées. Les Blondes ont traversées les continents et continuent encore à faire rire alors que les luttes raciales ont pris d’autres formes, peut-être encore plus violentes (Nord-Sud, Alters contre le G8, Banlieux contre la Ville du centre etc.). Le thème du Devine qui Vient Dîner ce Soir reste éternel mais grâce au travail des associations, et de graphistes célèbres comme Lou Dorfsman ou Herbert Lubalin voire de cinéastes indé.: Spike Lee pour ne pas le nommer, on ne servira plus jamais de la couleur des peaux pour comparer des produits.

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Allez, ne riez plus jamais des blondes sans penser aux luttes raciales!

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Publié dans De la Modernité, Opinions et Im-pertinences | Commentaires fermés sur les blondes et les luttes anti-raciales | le buzz des années 60-70

Typographie et papier, c’est Inuit de Jeremy Tankard

Perfect English version under this link : http://www.typogabor.com/Inuit-Jeremy-Tankard/ {by Jonathan Munn}

billet rédigé par Jonathan Munn associé-partenaire de design & typo et typoGabor•com

Avant-propos

L’année dernière — même si, quelque part, l’argument doit probablement être contemporain de Gutenberg — un débat sur l’effet de surcharge de fontes [Typographic Overload ] a secoué la blogosphère. L’argument de base consistait à dire que trop de fontes étaient produites, qu’il y en avait beaucoup trop à disponibilité. En conséquence, affirmaient les initiateurs du débat, plus aucun cerveau humain n’était capable d’absorber toutes ces informations : il n’était simplement plus possible de choisir une police pour effectuer un travail donné.

Une position que je ne partage pas.

Nous avons besoin de nouvelles fontes : il y a toujours de nouveaux besoins de communiquer, de nouvelles idées à partager, sans oublier le besoin de communiquer d’anciennes idées, mais d’une nouvelle manière. Pour tous ces besoins, la typographie a encore son mot à dire.

Jeremy Tankard – Frutiger introduit cette question par une analogie avec les vins rouges. Mais le plus ennuyeux ce sont ces versions sans fin d’encore et toujours les mêmes fontes, tel que Bodoni à titre d’exemple. Mais il y a toujours une bonne raison à toutes ces variations, en dépit de leur côté obsessionnel :-) La plupart des gens n’envisagent que l’aspect financier comme motivation pour dessiner une nouvelle police, mais parfois (souvent même) la raison en est tout autre. Pour des questions de promotion, comme avec le AW Inuit, ou le besoin de rajouter des caractères dans une police pour suivre l’élargissement de l’Europe, ou pour profiter des avantages d’une nouvelle technologie (OpenType).

C’est donc avec grand plaisir que nous devons accueillir Arjowiggins Inuit, dessinée par Jeremy Tankard, dans notre palette de designer [ou dans notre gestionnaire de fontes — personnellement, j’utilise Linotype FontExplorerX, et vous?]. Et merci à Arjowiggins d’avoir commandité cette police, de la promouvoir, et enfin de nous l’offrir.

JT – À noter que c’est la société britannique Blast qui a effectivement lancé la commande de la police. Le studio Blast est responsable du design visuel de la marque Inuit.

Je signale que la police s’appelle officiellement « Arjowiggins Inuit ». Pour les besoins de ce document, j’ai abrégé ce nom en ‘Inuit’, sans mauvaises intentions, simplement par commodité.

Ce document est une transcription étendue de la courte présentation que j’ai faite lors du lancement de la fonte Arjowiggins Inuit, à Intergraphic, Paris, France, le 16 janvier dernier. J’ai complété mes notes avec des commentaires et des remarques qui n’avaient pas leur place dans une présentation de 15 minutes ou que j’ai dû éliminer faute de temps. J’ai aussi rajouté, autant que possible, des liens vers des sites et des sources externes pour que les lecteurs intéressés puissent continuer leurs propres recherches.

Les commentaires qui ne faisaient pas partie de mes notes d’origine — comme cet avant-propos — sont signalés par un changement de couleur du texte.

N’hésitez pas à laisser vos observations, à me contredire, ou à compléter mes remarques. La Typographie est un plaisir, mais aussi une conversation qui se poursuit dans le temps, poursuivons-la ensemble.

JT – Là, je ne vais pas me gêner !

[JM — les commentaires additionnels — toujours précédés de ‘JT’ — apparaissent là où Jeremy Tankard a porté ses annotations et corrections à ce document. C’est l’interactivité à fond aujourd’hui !]

Un contexte pour Arjowiggins Inui

présentation ‘Inuit’ - avec la permission d’Arjowiggins

-:: inuit paper – utilisé avec la permission d’Arjowiggins ::-

Inuit c’est deux choses à la fois. C’est une fonte électronique disponible gratuitement auprès d’Arjowiggins. C’est aussi une nouvelle gamme de papier de cette même maison. Arjowiggins a commandé la fonte auprès du concepteur de typographie anglais, Jeremy Tankard. Mon rôle est de présenter cette fonte, et de la placer dans un contexte, historique et culturel.

Donc, je ne vais pas me contenter de parler uniquement de la fonte Inuit. Je chercherai à situer le travail de Jeremy, tout d’abord dans le contexte de sa démarche personnelle ; ensuite je chercherai à situer la fonte dans les courants actuels de la typographie, en l’attachant à un courant particulier ; finalement, j’espère vous démontrer que Jeremy travaille dans une tradition fondamentalement anglaise de la typographie. En cours de chemin, nous allons étudier la police Inuit, et partager ensemble — j’espère — le plaisir que j’ai eu à la découvrir.

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disturbance_JT

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-:: Disturbance, © Jeremy Tankard ::-

Je commencerai par présenter une autre police de Jeremy Tankard appelée Disturbance [ce qui pourrait dire, Dérangement]. Jeremy nous raconte qu’au départ, il s’agissait d’une tentative de création d’une police de 26 signes [sans distinction entre caps et bas-de-casse] — un exercice auquel les dessinateurs de fontes se sont essayé à différentes reprises. En poursuivant son travail, il s’est rendu compte que le projet n’était guère viable, mais il a gardé l’idée du mélange des caps et des bas-de-casse du projet initial. La police a été nommée Disturbance, parce que c’était la réaction de la plupart des gens à qui il la montrait.

JT — J’ai commencé à travailler sur Disturbance pendant que je suivais les cours au Royal College of Art [école prestigieuse de Londres]. Je lisais Bradbury Thompson et étais captivé par ses expériences avec ‘Alphabet 26’ utilisé dans les éditions pour Westvaco. Il utilisait Baskerville , ainsi que des petites capitales de Baskerville, en caractères d’imprimerie, parce que les hauteurs respectives correspondaient bien. Son choix des 26 signes, du moins pour moi, créait des problèmes visuels. Par exemple, il pouvait y avoir un « i » en cap suivi d’un « n » en bas-de-casse pour faire « in » (c’est un dotlessi — i-sans-point, suivi d’un « n »). Or, pour moi, ça faisait l’effet d’un « m » bas-de-casse mal imprimé. J’ai commencé alors à utiliser ces 26 signes pour écrire dans mon carnet de notes. J’ai conservé ceux qui me venaient naturellement sous la plume pour qu’ils figurent dans la police. En prenant ces notes, j’ai créé tout aussi naturellement une dizaine de ligatures. Ces dix formes supplémentaires ont été ajoutées pour faciliter l’écoulement des textes. J’ai aussi rajouté des ascendants et des descendants pour lier le texte verticalement, et diminuer l’impression qu’on avait de ne travailler qu’en petites capitales. Initialement, la police s’appelait, assez banalement, ‘AntiBrad’, mais mes professeurs m’ont dit que je ne pouvais pas faire ça à l’alphabet, que c’était trop dérangeant : d’où le nom.

Et, pour revenir à mes remarques devant situer son travail dans une tradition spécifiquement anglaise, il dit avoir trouvé son inspiration auprès de notre vieil ami, Baskerville.

JT – En fait, moi, j’ai utilisé Sabon comme point de départ. Puis, le tout a été redessiné avant d’être édité par FontShop International en 1993.

On le voit bien, Jeremy Tankard n’a jamais eu peur de relever des défis…

JT – J’adore la typo et les lettres, peu importe où elles m’emmènent. Je suis constamment émerveillé par ce qu’on arrive à faire avec des structures aussi simples. Actuellement je suis plus inspiré par des formes plutôt traditionnelles. Mais parfois, je suis capable de partir complètement en tangente. Mon projet actuel est prévu pour un lancement en 2010. Mais si j’arrive à le terminer plus tôt, c’est tant mieux. L’autre jour j’ai eu l’idée d’une série de fontes pour compléter mes fontes, ‘The Shire Types’. Nous verrons bien. Je pense parfois revenir sur Disturbance pour la (re)faire en police OpenType étendue, et en plusieurs graisses, et voir comment elle peut se comporter en body.

caslon

L’autre tradition typographique à laquelle je cherche à rattacher la fonte Inuit, est l’emploi des formes géométriques plutôt que calligraphiques pour le dessin des lettres. Même si l’on peut estimer que typographie et calligraphie avaient déjà commencé à diverger à l’époque du Garamond , où l’on commençait à voir des formes dessinées pour leur attrait esthétique et qui tenaient compte du processus d’impression sur les presses mécaniques plutôt que de l’interaction de la plume, de l’encre et du papier comme en calligraphie, il y a un point de rupture très clair au tout début du XIXe siècle. Dans un catalogue de fontes provenant de la fonderie Caslon, figure une police sous le nom « Two Lines English Egyptian » [une Égyptienne anglaise à deux lignes]. D’après son nom, on pourrait supposer qu’il s’agit d’une Égyptienne [ou Mécane] avec ses patins carrés, à qui, justement, on aurait tranché net les empattements à la serpe. Ainsi nous avons là, dans toute sa beauté, une des premières formes géométriques qui allait donner naissance par la suite à toutes les polices dites Grotesques.

À signaler aussi un argument qui suggère que le nom égyptienne a été utilisé simplement pour profiter de l’engouement du public de l’époque pour les typos très grosses et grasses. Il n’y a aucune preuve cependant qui viendrait trancher la question sur la théorie du retranchement des serifs.

futura

Faisons un bond jusqu’au XXe siècle, jusqu’à l’une des tentatives les plus radicales de réformer la typographie : les dessins de Paul Renner pour la police qui allait devenir le Futura.

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Il est intéressant de noter la radicalité de son approche. Examinez ces « g » bas-de-casse, totalement délirants. Je suis un peu attristé qu’ils aient été abandonnés dans la fonte finale.

JT – Toutefois, on peut l’obtenir en fonte numérique — The Foundry en propose une version .

Puis constatez ce qui s’est passé une fois que les typographes ont mis la main dessus…

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La géométrie pure de l’approche de Paul Renner a été assimilée par la tradition typographique. Je ne vais pas prétendre que c’est une mauvaise chose, en particulier si l’on tient compte de la qualité des presses d’imprimerie au début de XXe siècle, et du succès devenu phénoménal de la famille Futura. Mais on peut rêver…

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-:: Dessins de Paul Renner, pour ‘a’ bas-de-casse ::-

Lorsque j’ai retrouvé ce croquis, je l’ai tout de suite adoré. C’est tellement proche des croquis de Jeremy pour l’Inuit. À idées similaires, problèmes similaires. Nous sommes clairement face à une approche et une tradition semblables.

Sans doute aurait-il été pertinent de faire référence à Bliss, ainsi qu’à l’école anglaise de la sans-serif humaniste — Johnston, Gill, et al. Je n’en ai simplement pas eu le temps. Aussi délicieuses soient-elles, ces polices ne sont pas pour autant au centre des recherches devant aboutir à des sans-serifs géométriques… ce sera pour une autre fois alors.

Pour continuer avec les sans-serifs géométriques, je voudrais présenter Variex, une police de la fonderie Emigre, dessinée par Zuzana Licko et Rudy Vanderlans en 1988. C’est une police totalement étonnante — elle l’est tout autant pour l’époque qu’encore aujourd’hui — et je voudrais fournir un contexte.

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-:: Variex — image copyright Emigre ::-

À l’origine, les polices créées par Emigre étaient des fontes écran [bitmap]. C’est-à-dire, qu’elles étaient dessinées pixel par pixel, point par point. Il existe un courant dans la typographie contemporaine qui emploie de tels systèmes de grilles pour dessiner des fontes [mais on pourrait remonter plus loin, je peux aussi vous fournir des exemples comme Arrighi, ou Dürer qui cherchent à exploiter de telles grilles de construction]. On peux aussi y inclure le ‘Romain du Roi ’ de l’Imprimerie Nationale, créé à partir d’une grille de 2314 petits carrés, dans l’esprit de rationalité de l’époque des lumières. Ces systèmes cherchent à susciter des possibilités, à la fois créatives et esthétiques, par l’emploi d’une grille dans la création d’une fonte fonctionnelle.

Ce que je trouve intéressant à noter c’est que, lorsque la technologie PostScript est arrivée et que les dessinateurs d’Emigre ont cessé d’être confinés aux pixels de l’écran, ils ont, tout de même, cherché à concevoir un autre système dans lequel travailler.

Dans le cas de Variex, ils ont cherché à réduire les formes des lettres à des formes géométriques et basiques. Toutefois les lettres n’étaient pas placées sur une ligne de base, mais équilibrées symétriquement autour de leur axe horizontal central. On constate ensuite, d’après le croquis, que les graisses étaient construites en augmentant la largeur des traits, encore une fois, à partir du milieu. [Ce qui veut dire que chaque graisse possède une hauteur d’œil différente, ou ce qui peut passer pour un hauteur de l’œil quand tout provient du centre.]

Mais le dessin est étonnamment efficace, et quand on regarde Variex dans la perspective d’Inuit, l’emploi formelle d’une géométrie pure démontre clairement un air de famille.

JT – Comme pour le Futura, la géométrie pure est une illusion. On ne peut pas créer une police réussie avec seulement de la géométrie.

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-:: Variex – image copyright Emigre ::-

Mais prenons la tangente un instant, il est intéressant de voir ce que Zuzana Licko est en train de faire aujourd’hui avec des polices comme Mrs Eaves [et la somptueuse Filosofia]. Mrs Eaves est son travail sur Baskerville, avec une approche à la radicalité propre à Emigre, mais d’une manière plus subtile. Même si certains typographes venant d’une tradition purement calligraphique vont lever les mains au ciel en horreur, personnellement — et ceci n’engage que moi — je pense que c’est un travail formidable, et j’attends ardemment que quelqu’un m’offre ces deux familles. [Pour poursuivre sur notre tangente, il est intéressant de rapprocher le cheminement typographique de Zuzana Licko à celui de Jan Tschichold qui, lui aussi, professait une typographie radicale dans sa jeunesse, avant de travailler dans le fil de la tradition et de nous donner une police comme Sabon.]

Je voudrais aussi mentionner deux polices de Jeremy Tankard, autres que Disturbance, qui emploient des systèmes formels. Dans ce cas, il y a deux références évidentes :

  • Aspect, où l’idée était de créer une police de type ‘script’ y compris ses ligatures et fioritures, mais redressée, à la verticale [et linéale qui plus est]. C’est une proposition totalement en contradiction avec tout ce que l’on sait sur les scriptes, mais le résultat fonctionne.
    JT – Aspect a été commanditée pour la nouvelle Christchurch Art Gallery, Nouvelle Zélande.
  • Blue Island, où Jeremy a tenté de créer une fonte basée entièrement autour des ligatures. Les lettres individuelles ont un peu de mal à exister, mais une fois combinées en mots, la nouveauté de l’idée est apparente. [Je ne sais pas ce qu’il met dans ses céréales au petit-déjeuner qui lui donne des idées comme celle-ci, mais c’est une idée fascinante, et à ma connaissance, unique dans le champ de la typographie.]
    JT – Blue Island fait partie de la collection Adobe Originals.

-:: Copyright Neville Brody ::-

En discutant avec Jeremy au téléphone ce matin, nous avons tous les deux caractérisé Inuit comme police de titrage. Toutefois, a noté Jeremy, en tant que fonte ‘body’ [pour le corp de texte], elle aurait très bien pu avoir sa place dans un support tel que The Face, du temps où Neville Brody en était le directeur artistique, pour faire pendant aux expérimentations formelles de Brody dans ce magazine.

C’est une remarque intéressante car Brody, comme Jeremy, ne vient pas non plus de la tradition calligraphique de la création typographique : lui aussi aimait à expérimenter des formes purement géométriques pour ses lettrages. Personnellement j’irai jusqu’à lier les déformations en photocopie, les lettrages à la main, et la découpe avec transformation des formes avec cette Caslon ‘égyptienne’ — je suis sûr que c’est un esprit semblable qui aurait trouvé totalement logique de tailler les serifs, de libérer les formes et de s’aventurer dans des territoires vierges.

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-:: image copyright Pierre di Sciullo ::-

Pour revenir à l’Inuit, Jeremy note qu’au départ, il avait été question de créer un alphabet Inuktitut — l’alphabet syllabique utilisé par les peuples natifs du nord canadien. L’idée a été abandonnée assez rapidement car mélanger les formes pour les langues occidentales avec celles d’origine s’est avéré être un travail d’une trop grande complexité.

JT – Le brief exact était de dessiner une fonte dans le style syllabique Inuktitut que l’on pouvait employer pour composer du texte occidental. Donc il a toujours été question de faire une version ‘occidentale’. Il aurait été intéressant, en effet, de faire une police purement pour l’alphabet Inuktitut, mais ça ne faisait pas partie de la commande initiale.

Toutefois, il y a ici un parallèle évident avec le travail de Pierre di Sciullo sur la création des alphabets pour le Touareg. Le travail de Pierre di Sciullo est trop complexe pour le développer convenablement ici, et ce serait à la limite de l’insulte de le traiter en quelques mots. Au lieu de cela, je vous propose une série de liens afin que vous puissiez étudier ce travail par vous-même.

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-:: image copyright Pierre di Sciullo ::-

En revanche, je voudrais attirer votre attention sur le fait que, encore une fois, nous traitons un langage qui ne possède pas une forte culture écrite, et encore une fois, nous avons des formes de lettres basées sur la géométrie, plutôt qu’ancrées dans la tradition typographique de la calligraphie. Un autre parallèle avec les autres travaux de Pierre di Sciullo peut être tiré de l’habitude qu’il a d’exploiter des systèmes et des grilles comme cadres ou conteneurs pour sa créativité.

Des liens pour Pierre di Sciullo

Arjowiggins Inuit

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Vous avez à votre disposition des informations complètes sur l’approche créative de Jeremy pour ce travail aussi bien sur le site d’Arjowiggins pour le papier que sur le propre site de Jeremy Tankard. Je vous recommande particulièrement de télécharger le document « Footnote N°. 5 » qui contient ses notes à propos d’Inuit.

ligatures

Pour moi, cette illustration démontre un autre pont entre le travail de Jeremy pour Inuit et la tradition typographique. Les ligatures étaient très présentes dans les premières fontes. À tel point qu’elles constituent souvent un moyen de déterminer qui a copié qui, et ainsi de remonter à l’original. Le dessinateur d’origine prenant fierté à fournir une fonte la plus complète possible avec fioritures et ligatures. Mais les ‘copieurs’, qui devaient généralement travailler le plus rapidement et le moins cher possible, ne pouvaient fournir que le minimum syndical, ou rien du tout. Tout dépendait aussi de leur matériel source pour la copie. Certaines ligatures étaient rares, voire très rares, et il se peut que les textes à partir desquels les copies étaient réalisées ne nécessitaient tout simplement pas la présence de ces formes.

JT – L’emploi des signes alternatifs et des ligatures va à l’encontre de la simplicité de la structure d’un alphabet syllabique, mais la police AW Inuit est devenue quelque chose à part, et elle suit donc sa propre structure.

Les chiffres en bas-de-casse [appelés les chiffres d’ancien style, ‘old-style figures’, en anglais] sont un autre attribut typographique qui [à juste titre] fait un retour, et je suis ravi de les voir proposés ici.

chiffres

La création des formes

inuktitut
-:: l’alphabet inuktitut ::-

inuit_flipped

L’alphabet Inuktitut emploie des formes en rotation et en miroir. C’est un trait qui est totalement étranger aux alphabets occidentaux modernes, et on peut voir ici le moment où Jeremy abandonne les tracés occidentaux [calligraphiques] qui ne se prêtent pas du tout à l’exercice. La typographie basée sur des traits de plume a recours à des pleins et des déliés spécifiques. Il n’est pas possible de faire tourner simplement ces formes, ou de leur donner un effet miroir sans qu’elles ne paraissent esthétiquement ‘moches’ à nos yeux. Il faut les redessiner complètement en tenant compte des nouvelles positions. Or, dans ce cas, les lettres perdent leur nature de formes en rotation ou en réflexion. C’est donc à partir de ce moment que Jeremy a adopté une approche géométrique.

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-:: exemple premier alphabet syllabique par James Evans ::-

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-:: exemple de sténographie Pitman ::-

L’alphabet Inuktitut est probablement basé sur le système de sténographie d’Isaac Pitman. Ce qui est un point de départ logique, car ce système de sténographie s’appuie aussi sur une découpe syllabique des mots et encourage l’emploi de formes basiques, mises ensuite en rotation. Une autre similarité est l’utilisation de petites formes, comme des lettres en exposant.

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On ne doit pas les confondre avec les formes pour les majuscules et bas-de-casse — lesquelles ne sont pas employées en Inuktitut. Jeremy explique qu’elles sont, en fait, plus proches des mots abrégés couramment utilisés dans les langues occidentales. Mais la généralisation d’une telle approche pour un alphabet occidental n’est pas forcément une chose que nos yeux sont prêts à accepter aisément.

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Pendant un moment, Jeremy a aussi joué avec l’idée d’utiliser le signe de l’accent tonique — sous forme d’un point, ou de l’accent « ° » [o-ring] que l’on trouve dans les langues scandinaves — comme un moyen de signifier les majuscules.

stress

Cela aurait pu être un autre moyen de respecter l’apparence et la texture graphique propre à l’écriture Inuktitut. Mais il a finalement abandonné cette approche du fait qu’elle n’était pas pratique [sans parler de son utilisation pour les langues scandinaves, où la présence de cet accent aurait pu créer une confusion entre les majuscules et les signes en bas-de-casse qui en sont déjà dotés.] Toutefois, il a retenu la forme de l’accent tonique pour la ponctuation, ainsi que pour les points sur les « i » et « j » bas-de-casse. Pour lui, cette présence était suffisante pour garder en vie l’esprit et les spécificités de l’alphabet Inuktitut dans ce qui était devenu sa propre création.

alphabet

La semaine prochaine, Arjowiggins doit mettre cette police en téléchargement libre et gratuit à partir du site consacré au papier Inuit. Chacun sera alors libre de l’utiliser, de l’adapter à ses besoins, de la changer, de l’étendre, de lui donner vie.

Pour conclure, j’aimerais proposer qu’Arjowiggins étudie la possibilité de rendre cette fonte disponible sous une licence Creative Commons, pourquoi pas la licence « Paternité / Pas d’Utilisation Commerciale / Partage des Conditions Initiales à l’Identique ». Ceci devrait assurer que les droits des uns et des autres seront respectés, mais aussi permettre à d’autres de prolonger le travail que Jeremy a commencé — pourquoi pas en l’adaptant à d’autres langues européennes, ou encore en créant d’autres graisses.

Remerciements :

  • à Benoît Higel qui a animé la présentation et m’a fourni un aperçu fascinant de sa conférence sur le thème du Noir et Blanc ;
  • à Saïda Berrahal, d’ArjoWiggins, pour m’avoir invité à participer, et qui a fait en sorte que tout se passe bien ;
  • à Étienne Hervy, du magazine Étapes, qui m’a si gracieusement passé ses notes préparatoires quand il a dû annuler sa présence à la dernière minute ;
  • à Peter Gabor, pour m’avoir encouragé à participer et simplement, d’y aller à fond ;
  • à Alain Pastor, pour la relecture et les corrections de cette traduction française ;
  • et surtout à Jeremy Tankard, pas seulement pour une fonte qui je suis sûr prouvera son utilité en apportant du plaisir à beaucoup lors des années à venir, mais aussi pour avoir pris le temps de répondre au téléphone à mes questions sans queue ni tête avec beaucoup de patience. Il a aussi été très aimable de m’envoyer une masse de fichiers et de documents complémentaires. Et finalement, il a gentiment rajouté ses propres notes et corrections à ce document. Un très grand merci.

billet rédigé by jonathan

Perfect English version under this link : http://www.typogabor.com/Inuit-Jeremy-Tanquard/ {by Jonathan Munn}

Publié dans Lisibilité et Visibilité, Typo fonderies, Typographie et typographies | Commentaires fermés sur Typographie et papier, c’est Inuit de Jeremy Tankard

typographie en couleur | conversations typographiques (1)

de la lisibilité des textes en couleur.

Peter : je voudrais revenir sur une critique d’un lecteur que je sais que tu partages également puisque nous en avons souvent discuté. Pourquoi j’utilise des textes en couleurs dans mes posts? Il faut revenir à la structure bio-morphologique de la lecture. Comme je l’ai déjà expliqué dans mes articles sur la lisibiité, il y a une grande différence entre la lecture sur papier et la lecture sur écran. Lumière réfléchie contre lumière incidente. Nos rétines sont agressées par les contrastes trop fort. C’est un fait. Cela a été tant et si bien constaté dès le XIXe siècle que les scientifiques qui étudiaient les paramètres de la lisibilité avaient déjà conseillé d’imprimer le texte sur des papiers légèrement teintés (en jaune-gris-jaune). Ces thèses ont été largement repris par Herbert Spencer dans son ‘The Visible Word’. Alors vous pourriez me poser la question pourquoi n’a t-on pas conseillé d’imprimer plutôt du texte gris sur papier blanc.

Jonathan : Peter, ça c’est clair comme de l’eau du roche. Si tu veux, je te réfère au pain blanc [réservé aux nobles] et le pain gris ou noir [resérvé au peuple]. Au-delà de tout problème de lisibilité, le blanc se refère à la purêté, à la noblesse; le gris aux saletés, à l’usure. Oui, certains supports ont tenté l’aventure de s’imprimer sur des papier colorés, mais ces essais restent minoritaires. Le papier blanc à trop de ‘poids’ historique et culturels.

Je peux même te proposer des anecdotes à ce sujet : John Baskerville [celui-même de la police pour nos lecteurs non-typophiles] a quasiment révolutionné seul l’art de l’impression avec deux choses — la forme de ses lettres, les premiers de ce type qu’on appelle ‘transitionel’ avec une contraste marqué entre les pleins et les déliés. Mais, pour pouvoir imprimer ces lettres il a fallu aussi qu’il invente le papier couché [ou du moins son ancètre] parce que les papiers de l’époque était trop gris, trop spongieux, trop mou pour donner vie à sa vision du dessin. Puis, il a fallu qu’il améliore la presse à imprimer puis la formulation de l’encre de son époque afin de donner le mordant [ou l’embrassade, les anglophones parle comme les caractères ‘kiss’ le papier]. Ses livres, une fois imprimés, ont fait controverse. Les traditionnalistes ont été choqué entre la contraste très [voir trop] nette entre la forme cisélée des lettres et le noir profond des encres, sur ce papier d’un blanc éclatant. D’autres, dont le jeune Bodoni, se sont tout de suite vus dans cette renaissance de l’art typographique. Et c’est d’ailleurs en voulant faire pélerinage à Birmingham pour rencontrer Baskerville, que Giambattista Bodoni serait tomber malade à Parme, où finalement il s’est établi, et d’où est parti sa réputation.

Pour revenir à tes propos, à l’époque, les gens disait qu’il était malsain de lire un livre composé en Baskerville — et en Bodoni c’est enccore pire ! — que ça allait rendre les lecteurs aveugles ! Des ‘scientifiques’ publiaient même des études montrant que ces ‘nouvelles’ polices étaient ‘moins lisibles’ que les anciennes. Or, les études de lisibilité sont sujettes à caution, car les gens préfèrent généralement ce qu’ils connaissent, et donc, les ‘nouvelles’ partaient avec un désavantage très clair vis-à-vis des nouvelles.

Toutefois, en ce qui concerne le travail sur écran — à cause de la nature des écrans qui émettent de la lumière, contrairement au papier qui ne fait que de reflechir, imparfaitement, la lumière ambiente — les études montrent que le gris sur fond blanc, ou un noir sur fond grisé, sont mieux apprécié. Et là, on ne peut pas dire que c’est la force de l’habitude qui l’emporte.

Mais je crois que c’est plutôt une autre question pour les textes de couleur. Traditionnel, on imprimait peu les textes en couleur en quadri, à cause de l’imprécision des presses offset. Imaginons une couleur avec 80% de cyan et 50% de magenta. Si le répérage n’était pas parfait, on avait plutôt l’impression de voir un mauvais film en 3D, sans les lunettes appropriés, qu’un comfort de lecture optimal.

Peter : Et je sais que c’est une des divergeances que nous avons l’un et l’autre. Mais aujourd’hui les machines offset ont fait des progrès remarquables et notamment pour ce qui est du calage électronique et informatisé des plaques-offset. Je l’expérimente chaque mois en réalisant un magazine pour Radio Latina où j’utilise des typos en couleurs à profusion et même des textes en couleur sur fond gris ou noir. Aucun problème de repérage désormais. C’est un fait, je le constate. Donc effectivement on pourrait résoudre les problèmes de contrastes trop élevées qui grillent tel la lame de couteau de l’affiche du Chien Andalou de Luis Bunuel, les bâtonnets de nos rétines.

Mais qu’en est-il du web et de mes textes en couleur dans mes billets. Ici nous ne lisons pas du texte en noir sur fond blanc; mais du texte en noir sur fond de lumière directe sur nos rétines. Et c’est une agression continue que tous les ophtalmologues recommandent d’atténuer par le port de lunettes teintées. En utilisant des textes en couleur, je diminue considérablement ce contaste et cela me permet dans le même temps de créer des relances de lecture (billets très longs) ou tout simplement des couleurs repères qui viennent baliser mes billets et permettent aux lecteurs d’abandonner l’écran et d’y revenir assez facilement là où la lecture fut interrompue.

Edgar Morin avait écrit un texte magnifique sur les vitraux des cathédrales qui selon lui, jouaient le même rôle fascinatoire que la lumière incidente de nos écrans. Utilisés ces vitraux permettaient de conditionner les fidèles dans les églises pour en acroître la foi et la soumission à l’ordre religieux. On croirait entendre les spécialistes de l’audimat quand ils analysent les chiffres de TF1… qu’en penses-tu Jonathan ?

Jonathan : Si tu veux parler vitraux, je te répond les vitraux de Pierre Soulages pour l’abbaye de Conques — du noir et du blanc.

(lien: http://www.atelier-fleury.com/pages/conques/conques.html)

Sinon, j’ai eu la chance l’autre jour de discuter rapidement avec Benoît Higel — ex de Carré Noir — qui venait de faire une présentation sur le thème du ‘Noir et Blanc’ pour Arjowiggins lors du dernier Intergaphic. Il a beaucoup réflechi à la question, et va beaucoup plus loin que mon ‘pain noir, pain blanc’. S’il veut bien, il faudrait qu’on l’invite à une conversation typographique pour faire part de son point de vue.

Peter : Je préfère d’ailleurs qu’on parle désormais de confort de lecture que de lisibilité. J’ai montré dans design et typo un texte entièrement composé en Textura (la gothique que Gutenberg utilisa pour sa Bible en 42 lignes). Les lecteurs ont été asez surpris de constater que ce n’était pas si illisible que cela. Mais si tu retiens la notion de confort, on est bien obligé de constater que dans la pratique l’ensemble des éditeurs de presse comme de livres ont l’habitude de faire composer leurs ouvrages dans une garalde ou éventuellement un transitionnel (une réale classif. Vox) aux sérifs et déliés assez prononcés. Ainsi pour exemple, on a souvent décrié le Times comme un caractère aux contrastes trop forts. Et Mattew Carter a ravalé ces oppositions en émoussant le caractère. Mais si on réfléchit deux secondes, Stanley Morison a dessiné (fait dessiner) cette typo pour être composé sur un papier journal de 1930, imprimé en typo (c’est à dire en relief). La frappe du plomb sur le papier, et l’encre pénétrant un papier bon marché qui devait boire un max, ont certainement du donner à ce Times une apparence beaucoup moins fine que celle que nous utilisons sur nos Macintosh ou PC. Et les progrès de l’offset aidant, aujourd’hui un Times imprimé paraît beaucoup plus maigre et contrasté qu’à l’époque. Cela justifie amplement le travail de Carter pour le Georgia. On pourraît d’ailleurs parler aussi de la notion «d’habitudes de lecture»…

Jonathan : Il est évident — du moins à mes yeux — que le Times était destiné à remplacer des caractères de labeur — je dirais en anglais, « workhorse characters » — comme le Plantin. Or, sur les presses, et avec le papier, de l’époque, je suis sûr que le Times ressemblait beaucoup plus au Plantin que cette version trop cisélé que nous avons l’habitude de voir. Il y a quelques années je lisais un livre de Stephen Jay Gould — chez Seuil si je me souviens bien — composé en Times. Et la police était extrèment agressive, très ciselée : les pages étaient craquantes tellement le dessin de la police était présente.

En parlant de confort, je peux constater, un livre, que — tout simplement — je n’ai pas pu lire. On m’a offert « Le Dernier Soupir du Maure » de Salman Rushdie [chez Plon]. C’était composé avec une police avec un oeil tellement petit [du genre Cochin, mais je ne me souviens plus exactement], trop gros et avec une interligne trop serré. Au bout de deux pages, j’ai arrêté, j’avais littéralement mal à la tête à force de lire [et il faut dire que j’adore Rushdie, ayant lu la plupart de ces livres, nouvelles, et collections d’essais — sans oublier « Haroun et la Mer des histoires »].

Peter : Je n’ai jamais lu Rushdie, mais une histoire semblable m’est arrivé il y a quelques années… Je m’étais mis en tête de lire Ulysse de James Joyce… c’était l’époque des magazines littéraires que j’éditais avec Léon-Marc Lévy. Il m’avait tellement parlé de Joyce et de ses loghorrées interminables. De l’Irlande et des pubs qui sentaient bon la bière et la sueur, des textes impénétrables et si proches de notre histoire intérieure. Bref me voilà avec une édition de poche en train de découvrir une composition en corps 8 inter 8 autant dire que j’ai commencé à avoir mal au crâne au bout d’une dizaine de pages. Je te jure Jonathan, je suis allé au Divan, qui était la librairie phare de Gallimard, coin Saint-Germain-des-Près et de la rue Bonaparte… leur demande s’ils n’avaient pas une édition d’Ulyssse en corps 9 ou 9.5… parce que je trouvais l’édition en corps 8 illisible… Les libraires ont doucement souri à ma sortie (ils ont vraiment dû se dire: quel con et/ou snob celui-là)… Et ils n’auraient pas eu tort. Quelques temps après mes maux de têtes persistant, j’ai consulté un toubib qui m’a envoyé chez un ophtalmo… eh oui, j’étais en train de passer dans le camp de la presbytie… très joycien la presbytie… tu trouves pas? Et Joyce dans tout ça…? toujours aussi illisible… chute de l’histoire.

Mais pour revenir à la typo en couleur. Je me demande à partir de quand a-t-on blanchi les papiers. Parce qu’il est certain que Gutenberg et ses successeurs imprimaient sur des papiers presque jaunes, couleur naturelle de la pâte à papier, d’où un contraste de lecture moindre. J’imagine que c’est milieu ou fin du XIXe que l’industrie papetière a commencé à mettre sur le marché des papiers à la pâte blanchie. Quant aux couchés mats ou brillants, ils ne datent que du XXe je crois.

La blancheur du papier, phénomène récent et porteur d’un certain message élitiste comme tu le fais remarquer plus haut a contribué à accentuer considérablement les contrastes de lecture. Et mis à part les spécialistes de la lisibilité, enfermés dans leur labos d’universités, personne ne se souciait véritablement de savoir quel est le degré de confort de lecture en terme de ratio de contraste. Je rappelle à nos lecteurs une étude que j’avais mené il y a pas si longtemps sur design & typo concernant la lecture en noir au blanc. Il s’agit d’une étude assez systématique pour déterminer sur une grille comparative, la valeur de gris sur noir qui favorisait le meilleur confort de lisibilité. La grille de structure identique fait varier la graisse, les approches, le choix des sérifs ou sans sérifs, et la chasse (largeur) des caractères. Où l’on s’aperçoit clairement qu’une Didot à valeur de gris égal est moins lisible qu’une Times/Georgia et encore moins qu’une Frutiger/Verdana… La rupture de lisibilité intervenant à des valeur de tonalités différentes, cette étude ne peut être menée avec autant de succès sur fond blanc. Ça c’est intéressant. en cherchant on comprend assez rapidement que l’œil lit en Noir sur Blanc un tracé noir fait de formes et de contreformes sur un fond blanc. Alors qu’en lecture d’un texte en Noir au Blanc, l’œil lit les tracés mais surtout la lumière. Si elle est violente elle nous éblouit, si elle est insuffisante, elle empêche le cerveau de décoder les signes alphabétiques. Je me propose donc de tenter quand même d’établir une grille comparative en Noir sur Blanc avec des textes dont je ferai varier la tonalité.

Alors pourquoi des textes en couleur me demanderas-tu?
De fait si j’étais simplement dans une logique de lisibilité et donc de réduction des contrastes, il eut suffit de composer les textes en valeurs de gris variables. Mais j’ai voulu répondre à une autre exigence. La relance de la lecture. Lorsqu’un lecteur commence un texte, il n’est pas sûr qu’il ait le temps de le finir dans la continuité. Peut-être sera-t-il obligé de répondre à un coup de fil, à un collègue de passage, peut-être tout simplement il en aura assez de se concentrer sur un texte trop long à son goût, et il abandonne la lecture. Les paragraphes en couleurs variables (des gris colorés surtout) lui permettent de revenir plus facilement au texte, là où il l’a interrompu. La couleur comme marque-texte (marque-page). D’ailleurs lorsqu’on regarde un long texte avec des paquets de couleurs différentes, le texte en paraît déjà plus court. Moins ennuyeux. Au fond je ne cesse de répéter que notre métier est d’être des faciliteurs de la communication. Quand tu règles tes CSS à l’espace fine près tu ne fais rien d’autre que de faciliter le confort de lecture. Lorsque tu analyses et compare le Trébuchet avec ses patés à la régularité et aux espaces irréprochables du Verdana, tu ne fais rien d’autre que de réfléchir à la manière la plus simple de rendre un texte plus confortable. Je n’ai pas l’impression que nous soyons si éloigné dans notre démarche.

NDLR : cette note comme son titre l’indique est une conversation entamée avec Jonathan il y a quelques semaines. Je le publie en l’état, sachant que nous allons encore le poursuivre et l’illustrer par de nombreux exemples. Cependant comme elle s’inscrit dans nos préoccupations quotidiennes j’ai voulu le mettre à dispo de nos lecteurs afin que vous puissiez aussi réagir et intervenir dans le débat.

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Logo d’Orange | une confusion peut en cacher une autre

Je voudrais revenir sur le billet de Jonathan concernant les logos d’Orange.

Une commentateur, Sam je crois nous rappelle à juste titre que le logo d’Orange présent dans Wikipedia , la première version donc n’aurait pas été composé en Arial mais en Trade Gothic. Observation des plus juste lorsqu’on regarde le ‘a’ et peut-être le ‘e’, mais qu’en est-il du ‘g’?

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où l’on voit bien que le ‘g’ du Trade Gothic est dessiné selon la vieille tradition des garaldes et non des europes initiés par Paul Renner en 1925… De fait il y a un doux mélange de dessins de lettre propres à justifier des tarifs de design original. Une pincée de Trade, une pincée d’Helvetica, une cuillère d’Arial et hop… la pillule est avalée. Mais je voudrais juste rappeler l’essentiel du billet de Jonathan. Si j’ai bien compris il se pose la question de savoir quel opérateur allait remporter le deal avec Apple pour l’i-phone. Celui-ci étant charté en Helvetica, si c’est SFR* ou Bouygues* qui emportent le marché, il y aura bien une bataille d’identité visuelle entre l’opérateur historique qui communique déjà en Helvetica et le futur opérateur d’Apple, si ce n’est pas eux*. Belle confusion en perspective ;-). J’ai presque l’impression de revenir quelques années en arrière, au Bello Visto (Lurs en Provence), une bataille rangée entre José Mendoza, Ladislas Mandel, Roger Excoffon et Paul Gabor en train de discuter de l’Antique Olive. Et Roger de poser la question, naïf: «au fait si j’avais touché des royalties sur toutes les devantures de boucherie composées en Banco… je serais milionnaire…»

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design & typo à Intergraphic

Un petit mot rapide pour dire que Jonathan [directeur-partenaire de design et typo et typogabor.com] sera présent [au pied levé] à Intergraphic Paris, demain après-midi pour la conférence d’Arjowiggins « Inuit, ethno-concept à l’état pur : comment Arjowiggins a développé avec le typographe Jeremy Tankard un concept typographique autour de la marque Inuit. » Le conférence a lieu Salle 150, de 16h30 à 18h00.
Jonathan remplace Étienne Hervy, rédacteur en chef adjoint du magazine Etapes, qui a se dû désister pour des motifs familiaux [nos condoléances à Étienne et à sa famille].
Si des lecteurs de Design & Typo se trouvent à Intergraphic, manifestez-vous à la fin de la séance si vous avez envie de faire connaissance et de prolonger des débats que nous avons lancé dans ces colonnes.
Suite à la conférence, nous prendrons probablement l’occasion de vous faire part de nos remarques typographiques et amicales.

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Helvetica : Apple vs Orange | Communication(s) en conflit

{billet rédigé par Jonathan Munn}


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Puisque Peter a parlé de l’iPhone d’Apple — et pendant que nous y sommes, suis-je la seule personne sur Terre à trouver ce nom d’une banalité? — j’y vais de mon grain de sel, pour Design & Typo.

OS X, la version de Mac OS X qui tourne sur cet iPhone, n’utilise pas Lucida Grande comme police système [ou devrais-je dire fonte système, car, de base, il n’y a pas d’autre graisse/style que le roman]. Non, ce système utilise Helvetica.

Et principalement de courtes textes en Helvetica Light. Dans le passé, lorsque d’autres systèmes ont essayé d’utiliser cette police — je pense aux fameuses machines NeXT d’un certain… comment s’appelait-il déjà ? Oui, un Steven P. Jobs, c’est ça — le rendu des glyphes n’était pas des plus heureux, à cause des technologies d’affichage et de la résolution des écran de l’époque.

Par contre, sur l’écran à plus de 160 dpi de l’iPhone, aux dires de tous ceux qui ont pu tenir la bestiole en main, la netteté et le rendu est fabuleux. Or, en prenant le métro l’autre jour, je suis tombé sur les affiches de l’opérateur de Télécoms, orange. Cette société britannique, racheté par l’opérateur historique français FT pour des sommes faramineuses au plus fort de la dotcom boom, et qui, depuis, est en train de remplacer la marque maison ‘wanadoo’, utilise aussi — du moins en France, et pour sa communication presse/affichage — la police Helvetica.

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[Correction by JM – le logo auquel je référais était le logo ‘historique’ de la maison, visible d’ailleurs à Wikipedia, et qui utilise effectivement Arial. Le logo que Peter a trouvé, et qui s’affiche ci-dessus, emploie bien l’Helvetica. On imagine que ce ‘conflit’ n’a donc pas échappé aux instances chargés du design/marketing chez FT. Bravo.]

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Ce qui est ironique si on examine le logo, car le ‘a’ provient plutôt de la police Arial [regardez vous-même, la lettre ne possède pas l’éperon de jointure en bas à droite présent dans les ‘a’ bas de casse de l’Helvetica]. Mais, ce n’était pas mon propos. La communication d’orange utilise assez un Helvète maigre, dans de courtes phrases, sur un fond noir. À tel point, pour qui a vu les copies d’écran de l’iPhone, qu’on dirait des jumeaux séparés à la naissance.

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Or, supposons maintenant que lorsque l’iPhone arrive en France, qu’un autre opérateur en décroche l’exclusivité ; c’est assez logique de penser qu’Apple va appliquer le même système d’exclusivité qu’aux US, et pour les mêmes motifs de nécessité d’adapter le soft du réseau. Quelle confusion pour les consommateurs!
Helvetica maigre sur fond noir sur l’iPhone, Helvetica maigre sur fond noir pour orange, et Helvetica maigre sur fond noir pour l’opérateur bidule. Bien sûr, les cadres d’orange peuvent tenter d’utiliser cet argument afin d’appuyer leur demande de license/exclusivité, après tout, d’après le Figaro, il se sont bien mis d’accord avec Apple pour proposer un MacBook à des abonnés ADSL. Les pommes et les oranges dans le même panier de services ?*

helvetica-exp-jetset.jpg

* Pour les non-anglophones parmi les lecteurs, il faut aussi savoir que l’expression — on ne mélange pas les torchons et les serviettes, peut se traduire par, aussi différent que des pommes et des oranges — apples and oranges.

[ndpg : Jonathan est d’origine anglaise et parfaitement bilingue ;-) ]

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On l’on Trebuche(t) sur la lisibilité du texte… sur Libération.fr

{billet rédigé par Jonathan Munn}

Récemment j’ai affirmé des choses à propos de Trebuchet [les lecteurs avertis savent que le nom correct de cette fonte est ‘Trebuchet MS’, avec leur permission je vais continuer d’utiliser la version courte du nom], il serait intéressant d’appuyer mon argument avec quelques faits. J’ai préparé le schéma ci-dessous rapidement dans Firefox.

trebuchet-libe2.gif
Chaque fonte est présenté en titraille corps 14, puis dans la corps la plus petite pour être lisible par la majorité des lecteurs [oui, je sais que verdana peut probablement être descendu un corps ou deux, mais ce n’est pas le but] toute en gardant la forme des lettres. Ce texte est présenté avec un inter à 14, puis avec l’interligne par défaut pour cette fonte. Encore une fois, une inter de 14 à été choisi pour être un minima pour éviter que d’éventuel lézards dans le texte créé des blocs entre les lignes au détriment du sens de lecture horizontale. La première chose que l’on constate, à cette taille, est l’étonnant ressemblance entre l’Helvetica et l’Arial. Ce qui est normal dans le mesure est Arial était conçu pour être un clone de l’autre.

Quasiment la seule différence visible est la forme des ‘a’ dans la titraille. Par contre, dans l’interligne par défaut, l’arial s’en sort un peu mieux avec un inter plus fort. Dans le pavé en 11/14, la perception des blocs est virtuellement identique. [ Designers, pour du texte à cette taille vous pouvez spécifier donc indifféremment et sans problème font-family:arial,helvetica,sans-serif; ou font-family:helvetica,arial,sans-serif; dans vos feuilles de style. ]

Pour Verdana, il est absolument clair que le pari de Matthew Carter de commencer le dessin des lettres avec le dessin de la police bitmap [c’est-à-dire, les pixels réellement présent à l’écran] avait été une stratégie gagnante. Bien sûr, les dessinateurs d’Arial et de Helvetica n’avait pas cette possibilité, les caractères existant [bien] avant la généralisation des polices sur écran. Carter [et son équipe] ont pu optimisé à la fois le dessin, et les pixels ‘grisés’, ceux qui ‘lissent’ les formes. Les approches sont aussi particulièrement soigné.

On peut trouver Verdana un peu pâle — particulièrement dans ce test, en comparaison avec les autres fontes — mais on ne trouvera guère de plus lisible. Reste Trebuchet, alors. Commençons pas la titraille, et justement par ce mot. Il saute aux yeux qu’il y a un problème avec les approches, non seulement le bloc ‘ail’ est beaucoup plus serré que le reste du mot, mais le ‘tr’ est très lâche. On voit presque deux mots — tit & raille. [Regardez comment le dessin des lettres pour les autres fontes élimine ce problème.]

Regardez maintenant le bloc en 10/14. Il est clairement le moins lisible des quatre exemples de ce type. Les problèmes combinés des approches et le dessin des formes créent des ‘grumeaux’ visuels qui apparaissent plus dense dans le gris du texte — le ‘te’ sur la première ligne, le ‘se’ sur la seconde, etc. De plus le blanc intermot est un cheveux trop faible broyant aussi l’aisance de lecture sur l’ensemble. Sur les autres, visuellement, là où les lignes deviennent des barres grises, une ligne composé en Trebuchet devient une enfilade de perles. Et la lecture bute sur chaque ‘perle’. Ce problème est encore plus présent avec l’interligne par défaut du seconde bloc.

Sauf que maintenant les ‘grumeaux’ ou ‘perles’, à cause de la proximité des lignes créent des blocs qui englobent plus d’une ligne. Il y a un trait très net, par exemple, entre les quatre lignes — je renforce l’effet:

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la maison, et voici notre
point de vue

On peut penser qu’il y a pas de polices moches, simplement des polices mal employées, et c’est souvent le cas. L’outil à disposition des typographes et designers pour diminuer ce problème est souvent l’optimisation de micro-espaces [blancs] de la page : l’interlettre, l’intermot, l’interligne. Mais dans l’état actuel des technologies du Web [et je pense aux CSS, Cascading Style Sheets] — sauf à faire ce travail ailleurs et à employer systématiquement des images — il est quasiment impossible d’apporter le même degré de précision que nous avons à disposition dans nos autres logiciels — illustrator, XPress, InDesign… Oui, et je l’affirme, j’ai déjà vu de la titraille en Trebuchet qui restait lisible, agréable même, et qui correspondait correctement au message, au ton, au besoin de communication. mais c’est un cas rare en l’absence de la possibilité d’intervenir lettre par lettre tant cette fonte possède de problèmes.

trebuchet-libe1.gif

Tiens, un dernier exemple tiré du Libé du jour: et savourez la pâté ‘Ség’ en comparaison avec le ‘1 er’ qu’on dirait deux mots séparés, tellement l’approche est lâche. Mais même le ‘ie’, ‘nd’ et ‘dr’ dans ‘soutiendrait’ posent problème. J’espère donc avec ce papier, vous avoir démontré que le Trebuchet MS pose de graves problèmes de lisibilité, particulières pour un site de presse, là où précisément la lisibilité devrait primer.

//jonathan

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micro-espaces et lisibilité sur le web | brève de J.Munn

La semaine dernière je suis tombé sur cet article chez A List ApartWhitespace, by Mark Boulton — à propos de l’utilisation des blancs dans le design web dans le but de donner du sens au contenu. Je le poste ici parce que je crois qu’il est de la première importance dans notre analyse actuel du portail de Libération.fr. Si j’ai le temps, je vais préparer une traduction de l’article, pour les lecteurs non-anglophones.

//jonathan

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