© juste-une-humeur-militante | design et typo
…et au détour encore, d’une visite dans mes fils RSS je retombe sur les galeries de documents de Alki1 sur Flickr, explosion de sensations de bonheur. Des documents, encore des documents pour apprendre, comparer, analyser, reconnaitre, aimer, détester, se laisser surprendre par tant de richesses visuelles et toujours up-to-date, l’old school ça n’existe pas. Les techniques changent, le tire ligne s’est mué en courbes de Bézier, la gouache en palette Photoshop, la plume en formes de dessin sur tablette Wacom, mais les idées, la structure, les concepts sont toujours là, vivants, universels et permanents. Plus de 2000 visuels rassemblés par une dame qui prétend avoir quelques 80 ans… j’en doute, mais pourquoi pas, je vais bien en avoir bientôt 60. Et je me sens jeune. Le judo peut-être? ou d’être issu d’une famille de survivants.
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Au détour d’un voyage qui m’a fait visiter la Typography Planet, petit tour de monde initiatique que chacun peut faire à condition d’avoir quelques clés, je découvre en fin d’après-midi le site de Post Typography créé et animé par Nolen Strals and Bruce Willen. J’y découvre tout ce que j’ai toujours aimé, la transgression, le DaDa moderne de deux graphic-designers en rupture de bans avec les conventions et les règles largement diffusées par tous les manuels de typographie qui fleurissent à chaque coin de rayonnage dans les bonnes librairies graphiques. Difficile de ne pas évoquer les travaux de Catherine Zask ou de Pierre di Sciulio tant le mode opératoire dans les recherches et expérimentations est similaire. Déstructuration de l’espace graphique et typographique, mise en scène des punctums qui vont ‘attiser’ l’œil du spectateur etc. Je vous laisse découvrir tranquillement cette œuvre assez gigantesque qui ne touche pas, bien évidemment, qu’à la seule mise en scène typographique, mais aussi aux logos, affiches, packaging, couvertures de livres etc.
Pour ce qui est du Manifeste (extrait ci-dessous) publié par les deux créateurs on peut esquisser un sourire en se disant que nous autres européens n’avons pas attendu l’arrivée du Desktop Publishing pour partir en guerre contre les conventions et la ‘Typocracy’. Le mouvement DaDa a accompli un travail sournois et constant qui se révèle au grand jour dans les créations contemporaines. Il s’agit d’ailleurs autant d’une posture esthétique que politique.
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Home page de Post Typography
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© Post Typography, avec l’aimable autorisation de Bruce que j’ai contacté par téléphone en fin de soirée.
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Parfois je me demande s’il faut toujours écrire qq chose, bien que la légende soit des plus nécessaires, mais ici sur cette photo —comme disait Barthes, “une photo sans légende, est saturée de sens”.— on pourrait donc délirer pendant des heures. Quand je l’ai vu par exemple j’ai immédiatement pensé à le typo, aux pleins et déliés, au corps, à l’épaisseur light d’une Dax FF, et surtout à des approches très serrées… Sex spacing typography, disait Hermann Zapf. J’ai enfin trouvé la parfaite illustration de son propos. D’autres photos de Guy Bourdin et également des images d’une grande intensité érotique via ponyExpress… Et vous? ça vous fait penser à quoi?
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Christian et Soheil se sont mis d’accord sur la cathédrale de Notre Dame de l’Apparition réalisée par l’architecte Oscar Niemeyer, à Brasilia. Bien vu:-)
Un site très intéressant publié par le M.I.T. qui décrit dans les grands domaines scientifiques l’état de la recherche sur le campus de la célèbre université. Entre autres vidéo, celle qui montre Bruce Sterling qui nous explique l’hostilité soulevé par les innovations technologiques.
une série de vidéo à visionner ici. In English, of course.
Au fait avez-vous jeté un coup d’œil sous les onglets, en haut du site. >Blogs>John Maeda … c’est là que le petit grand génie parle de ses expériences quotidiennes, de ses lois sur la simplicité…
Enfin voilà un billet court qui peut vous amener très loin. That’s it.
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Il s’agit ici d’un générateur de tee-shirt pour «typographic design aficionado» avec possibilité de varier la forme du vêtement et surtout d’y adapter en simulant tous les caractères présents sur le site. Via Underconsideration.
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Où Paul Nini analyse en détail les difficultés que rencontrent les gens en vieillissant pour l’accomodation de leur vision. Il décrypte sur le site de l’AIGA, quelques paramètres à contrôler, caractère par caractère, afin de faciliter le travail du metteur en page qui s’adresse à un lectorat plus ou moins âgé. Je vous laisse en sa compagnie dans la langue de Shakespeare que je suis sûr vous maniez aussi adroitement que votre serviteur. Les nuances sont indispensables.
Associate Professor, Department of Design (College of Art | Ohio University
• Visual communication design
• Corporate and institutional identification design
• Environmental graphic design
• Design process and research methodology
Professor Nini actively consults with organizations on and off campus on design issues. He worked with the OSU Department of Transportation and Parking to develop and implement new parking design standards and parking garage signage. He is also part of a university committee working to develop a directional way-finding signage program for the university. Professor Nini’s writings have appeared in EYE, THE INTERNATIONAL REVIEW OF GRAPHIC DESIGN (UK); INFORMATION DESIGN JOURNAL (UK); DESIGN ISSUES(US); STATEMENTS, THE JOURNAL OF THE AMERICAN CENTER FOR DESIGN; and VOICE, the journal of the American Institute of Graphic Arts. He has presented papers at many industry conferences. Professor Nini has served as editor and designer of the Industrial Designers Society of America’s Annual Education Conference Proceedings, and is a past member of the board of the Graphic Design Education Association.
Education
• MS, Visual Communication Design, Institute of Design, Illinois Institute of Technology
• BFA, Graphic Design, Miami University
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Secouez un livre ou un journal, il en tombera des milliers… Les virgules forment le vulgum pecus, la piétaille de la ponctuation, mais c’est grâce à la piétaille qu’on remporte les victoires! Beaucoup d’écrivains révèrent ce signe, le considèrent comme l’incarnation du style, ce que résume Cyrano de Bergerac dans la pièce éponyme d’Edmond Rostand, qui, à l’idée qu’on pourrait corriger l’un de ses vers, s’écrie: «Mon sang se coagule, / En pensant qu’on y peut changer une virgule.»
Enlever ou ajouter des virgules fait partie du quotidien des correcteurs! N’y voyez pas pure maniaquerie: elles peuvent modifier le sens d’un phrase. Les débats passionnés qu’occasionne dans le cassetin (réduit exigu où officient les correcteurs) la place d’une virgule semblent bien souvent disproportionnés par rapport à la petitesse de ce signe. Les typographes ont d’ailleurs affublé par dérision les correcteurs du nom de «virguleux»! Du temps de l’imprimerie au plomb, la virgule reçut, quant à elle, le surnom de «larme du compositeur». Pas seulement par analogie avec sa forme lacrymale, mais parce qu’elle causait bien des tracas: il fallait du doigté pour la saisir, la placer sur la ligne, et sa manipulation ralentissait le travail.
La virgule est l’une des plus anciennes marques de ponctuatioin. Son nom, sa forme ont beaucoup varié, mais elle a toujours été le signe le plus faible de segmentation de la phrase. Elle reçut son appellation définitive des premiers imprimeurs: ceux-ci avaient fait leurs humanités et, considérant d’abord son aspect, choisirent fort à propos pour la nommer le mot latin virgula («petite baguette, rameeau»), dérivé de virga («verge, baguette»).
Ce diminutif laisse à penser qu’elle joue un rôle négligeable, alors qu’elle est la seule parmi les signes de ponctuation à pouvoir entraîner dans la phrase des bouleversements importants et parfois même des cataclysmes!
billet paru le 24 janvier 2007.
billet rédigé par Jonathan Munn associé-partenaire de design & typo et typoGabor•com
L’année dernière — même si, quelque part, l’argument doit probablement être contemporain de Gutenberg — un débat sur l’effet de surcharge de fontes [Typographic Overload ] a secoué la blogosphère. L’argument de base consistait à dire que trop de fontes étaient produites, qu’il y en avait beaucoup trop à disponibilité. En conséquence, affirmaient les initiateurs du débat, plus aucun cerveau humain n’était capable d’absorber toutes ces informations : il n’était simplement plus possible de choisir une police pour effectuer un travail donné.
Une position que je ne partage pas.
Nous avons besoin de nouvelles fontes : il y a toujours de nouveaux besoins de communiquer, de nouvelles idées à partager, sans oublier le besoin de communiquer d’anciennes idées, mais d’une nouvelle manière. Pour tous ces besoins, la typographie a encore son mot à dire.
Jeremy Tankard – Frutiger introduit cette question par une analogie avec les vins rouges. Mais le plus ennuyeux ce sont ces versions sans fin d’encore et toujours les mêmes fontes, tel que Bodoni à titre d’exemple. Mais il y a toujours une bonne raison à toutes ces variations, en dépit de leur côté obsessionnel :-) La plupart des gens n’envisagent que l’aspect financier comme motivation pour dessiner une nouvelle police, mais parfois (souvent même) la raison en est tout autre. Pour des questions de promotion, comme avec le AW Inuit, ou le besoin de rajouter des caractères dans une police pour suivre l’élargissement de l’Europe, ou pour profiter des avantages d’une nouvelle technologie (OpenType).
C’est donc avec grand plaisir que nous devons accueillir Arjowiggins Inuit, dessinée par Jeremy Tankard, dans notre palette de designer [ou dans notre gestionnaire de fontes — personnellement, j’utilise Linotype FontExplorerX, et vous?]. Et merci à Arjowiggins d’avoir commandité cette police, de la promouvoir, et enfin de nous l’offrir.
JT – À noter que c’est la société britannique Blast qui a effectivement lancé la commande de la police. Le studio Blast est responsable du design visuel de la marque Inuit.
Je signale que la police s’appelle officiellement « Arjowiggins Inuit ». Pour les besoins de ce document, j’ai abrégé ce nom en ‘Inuit’, sans mauvaises intentions, simplement par commodité.
Ce document est une transcription étendue de la courte présentation que j’ai faite lors du lancement de la fonte Arjowiggins Inuit, à Intergraphic, Paris, France, le 16 janvier dernier. J’ai complété mes notes avec des commentaires et des remarques qui n’avaient pas leur place dans une présentation de 15 minutes ou que j’ai dû éliminer faute de temps. J’ai aussi rajouté, autant que possible, des liens vers des sites et des sources externes pour que les lecteurs intéressés puissent continuer leurs propres recherches.
Les commentaires qui ne faisaient pas partie de mes notes d’origine — comme cet avant-propos — sont signalés par un changement de couleur du texte.
N’hésitez pas à laisser vos observations, à me contredire, ou à compléter mes remarques. La Typographie est un plaisir, mais aussi une conversation qui se poursuit dans le temps, poursuivons-la ensemble.
JT – Là, je ne vais pas me gêner !
[JM — les commentaires additionnels — toujours précédés de ‘JT’ — apparaissent là où Jeremy Tankard a porté ses annotations et corrections à ce document. C’est l’interactivité à fond aujourd’hui !]
-:: inuit paper – utilisé avec la permission d’Arjowiggins ::-
Inuit c’est deux choses à la fois. C’est une fonte électronique disponible gratuitement auprès d’Arjowiggins. C’est aussi une nouvelle gamme de papier de cette même maison. Arjowiggins a commandé la fonte auprès du concepteur de typographie anglais, Jeremy Tankard. Mon rôle est de présenter cette fonte, et de la placer dans un contexte, historique et culturel.
Donc, je ne vais pas me contenter de parler uniquement de la fonte Inuit. Je chercherai à situer le travail de Jeremy, tout d’abord dans le contexte de sa démarche personnelle ; ensuite je chercherai à situer la fonte dans les courants actuels de la typographie, en l’attachant à un courant particulier ; finalement, j’espère vous démontrer que Jeremy travaille dans une tradition fondamentalement anglaise de la typographie. En cours de chemin, nous allons étudier la police Inuit, et partager ensemble — j’espère — le plaisir que j’ai eu à la découvrir.
-:: Disturbance, © Jeremy Tankard ::-
À gauche la X1 ‘francis francis’ pour Illy, à droite la ‘cube’ de Krups pour Nespresso. La machine Illy permet à la fois l’usage de dosettes E.S.E. et de café moulu de façon traditionnelle.
La France est venue assez tardivement aux machines expresso domestiques. Pourtant il y a café et café. Le café filtre, et le percolateur, dans les deux cas l’eau chaude ne fait que caresser la fine mouture, pour couler finalement dans votre tasse sans la saveur et la force d’un ‘espresso’.
Nespresso a transformé le porte-filtre des machines expresso traditionnels en un concept simple. Une capsule métallique ultra fine, posée horizontalement dans une loge, sur lequel on rabat un levier qui emprisonne ladite capsule pour la percuter avec une dizaine de trous. En déclenchant le bouton de marche, une vapeur compressée à plus de 9 bars vient attaquer et traverser cette capsule, emmenant avec elle l’essentiel du breuvage, l’arôme qui coule, savoureux, épais et surmonté d’une mousse, depuis longtemps symbole de l’expresso italien. Contrairement aux idées reçues, l’expresso est moins caféiné qu’un café filtre traditionnel. L’eau n’a pas le temps de laver les particules de graines marron pour en soutirer la quintessence de la plante. La vapeur entraîne un liquide noir dont la couleur dépend de la quantité de temps que celui-ci aura été activée. Pour évaluer la concentration de votre café, il suffit de tremper un morceau de sucre dans votre tasse, plus le sucre est noir plus le café est «fort en goût» et inversement. Lire l’histoire complète du café ici.
Bien avant que Nespresso ait déposé son brevet de capsule, une grande marque de café avait inventé le concept de dosette-filtre-papier. Illy, dès le début des années 70 sélectionnait les meilleurs mélanges dans le monde entier pour construire un équilibre des plus subtils qui s’adressait aux véritables amateurs éclairés. La mouture Illy est enfermée dans une petite dosette en papier pré-perforé qui se voit traversé par une vapeur à 10-12 bars de pression.
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© photographies de Sebastião Salgado pour Illy Café
Les clients d’Illy se comptent par dizaines de milliers dans le monde entier. Illy avait inventé le café ésotérique, une sorte de mélange de modernité et de tradition puisqu’aussi bien lorsque vous ouvriez un sachet contenant 36 dosettes de 6,94g chacune, vos narines sont littéralement envahis par une explosion d’effluves caféinés «caractérisée par un goût équilibré, exalté par de précieuses notes de caramel, chocolat, pain grillé et légèrement fleuries la torréfaction foncée, caractérisée par le corps intense et le goût franc d’un espresso plus fort, dans lequel les notes de cacao et de pain grillé se fondent avec de légères nuances de caramel».
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Avec Nespresso point d’effluves. Plus d’odeur «avant» le geste magique (abaisser le levier et appuyer sur un bouton). Seul subsiste l’arôme final du café dans la tasse. Maigre consolation. Il est très bon. Mais imaginez un œnologue qui serait privé de ses gestes rituels… verser le vin dans un grand verre, y faire tourner le liquide, puis porter le nez au-dessus de la couleur (sens visuels) pour en capter les arômes (sens olfactifs), pour ensuite prendre en bouche une gorgée, que l’on fait passer d’un côté puis de l’autre de notre langue pour apprécier la rondeur et les qualités gustatives. En fin de rituel, on avale certes, mais pas forcément. Dans les dégustations de vin le crachoir est là, presque toujours pour permettre de ne pas s’enivrer au fil du jour qui passe.
Le club Nespresso compte désormais près de 3 millions et demi de membres à travers le monde. C’est à la fois beaucoup et peu si l’on considère les cinq continents. Beaucoup si l’on considère que le chiffre d’affaires de Nespresso se fait aussi bien sur la vente des capsules (environ 2400 par client et par an) que celui des machines et des produits dérivés (épicerie fine, vaiselle, tasses etc.). Il faut ajouter à ces trois millions et demi de clients membres du club, ceux, occasionnels qui achètent les capsules pour eux mêmes ou comme cadeau à leurs proches.
Si vous vous penchez sur les articles de Stratégies ou de l’Express, on vous explique les raisons de ce succès par le branding de la marque. Par la publicité aussi et le rôle désopilant que tient George Clooney, désinvolte, comme le héros malgré lui de cette saga de Nespresso. What else…
Nespresso a lancé en décembre son dernier temple du café-encapsulé (comme le postscript :-) surfant sur un succès envahissant qui frise presque l’impertinence en ces temps de crise des subprimes + les pertes de la Société Générale + les gaffes de notre président + une croissance très faible malgré les affirmations optimistes de notre ministre de l’économie + une balance commerciale dont le déficit atteint des sommets.
Pouvez-vous raisonnablement vous contenter des explications que vous donnent Stratégies pour comprendre les raisons de cette conquête victorieuse. Peut-être que non. J’ai tenté de lire entre lignes de cette réussite, d’analyser l’engouement grandissant pour ces minuscules capsules qui contiennent quelques dizaines de grammes de cette poudre marron si précieuse qu’elle est facturée au kilo à près de 62 euros (0,31 euros les 5g. soit environ cinq fois plus cher qu’un kilo de café Malongo ou Jacques Vabre.
Regardez bien les photos que j’ai pris ce week-end dans le magasin des champs Elysées. La marque omniprésente, certes. Mais surtout les rayonnages de capsules. Un temple de capsules, un lieu sans odeur, clean où les hôtesses font assaut de civilité, toutes plus jolies les unes que les autres. Mais vous n’êtes pas plus chez Mme Claude que dans un magasin de café.
Si vous êtiez dans un magasin de café, vous sentiriez les effluves de la torréfaction, le café plus ou moins vert. Vous entendriez les moulins à café et votre être tout entier serait pénétré par la densité odorifère de votre boisson préféré. Ici, point d’odeurs, et le moulin à café ne tourne plus depuis longtemps. Nespresso ne s’adresse pas à votre nez mais à vos yeux, exclusivement. Obligé, puisque le concept des capsules enferme définitivement la poudre venue d’Affrique ou du continent sud-américain. On ne vend plus le café, mais un conditionnement de café, un habillage, multicolore dont l’agencement dans les rayonnages (qui n’est pas sans rappeler le magasinage des textiles) tient autant d’un décor abstrait et métaphysique qu’un magasin de jouet pour enfant. Les couleurs, jeunes, vives, contrastées, ne sont pas sans rappeler les coloris des jouets de noël, nous sommes tous des enfants, c’est bien connu.
Mais au delà de ces considérations esthético-consumériste, je voudrais attirer votre attention sur une évidence qui personnellement m’a frappé: nous n’achetons plus le café d’antan, mais une technologie de café, d’où l’on a évacué tous les inconvénients, les moulins, les machines à nettoyer après chaque usage, le marc de café à jeter sans en mettre à côté, et les sachets de café qui une fois ouvert perdent en très peu de temps la concentration de leurs parfums. Faire un Nespresso, what else, est d’une simplicité radicale. On «positionne» le café encapsulé et on appuie sur un bouton. Voilà. Et le résultat est parfait. Nespresso a inventé le méta-café technologique qui satisfait une population plutôt aisée et rompue au confort Minority Report et à la facilité d’une vie quotidienne aisée. C’est la même population qui, il y a soixante ans dans «Mon Oncle» de Jacques Tati, découvrait le confort de l’aspirateur qui se vend désormais dans tous les magasins d’art ménager.
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Dès lors qu’on a compris, et c’est ce qui s’est passé pour l’agence FutureBrand en charge du budget Nespresso, le fonctionnement du produit et les motivations d’achat de la clientèle, la stratégie de branding devenait évidente. Puisqu’on ne vend plus le café, mais la représentation symbolique de celui-ci, il fallait inventer les signifiants de ce symbole. Une marque Yin et Yang comme dit l’agence, et les étuis en carton multicolores dont la chromie correspond à un code-couleur précis et immuable. Noir pour le Ristretto par exemple. Si vous examinez le processus. Simple. Vous entrez dans un magasin, (ou vous commandez sur Internet). Une file d’attente rapide (mais qui vous met le café à la bouche), un préposé à la vente, joli garçon, jolie fille, qui prélèvent sur les étagères multicolores le nombre d’étuis désiré, pour les mettre dans un sac Nespresso marron à l’épaisseur de papier confortable. Vous entrez votre code de carte visa, la facture sort automatiquement et vous rentrez chez vous. Le fourreau en carton ouvert, vous prélevez une capsule, que vous posez dans la machine, vous appuyez sur le bouton, et vous buvez. À aucun moment vous n’avez senti, ni touché le café, contrairement à la marque concurrente Illy que je salue au passage d’avoir commandé à Sebastião Salgado ce reportage émouvant sur la culture et la cueillette du café au Brésil. Sauf et juste à la fin, le nez sur la tasse. Quelques secondes de plaisir pour vous payer en retour de cette absence de cérémonial traditionnel. Mais une liturgie en remplace un autre. Et ce saint des saints des Champs Elysées, ressemble bien à une église moderne avec ces murs d’étuis et d’écrans translucides en guise de vitraux et ses serviteurs zélés prêchant la bonne parole.
Au fond l’humanité poursuit un voyage étrange depuis la nuit des temps. du néerdanthal à l’homme moderne, nous avons perdu nombre de sensations, et le monde de l’écran a achevé un cycle originel. Que ce soit pour la typographie, qui ne s’exécute plus à coups de tire-ligne et de péroquets mais grâce aux courbes de Bézier, ou simplement pour changer de chaîne de télé, sans avoir à se déplacer devant le téléviseur; les équipements électroniques des habitacles d’automobiles qui ramassent sous les doigts du conducteur nombre de fonctions de commande en passant par la vie rêvée devant Internet et Google Earth qui vous fait voyager à peu de frais, vous permettant de survoler toute la planète, sans risquer d’être enlevé par les Farc ou vous faire piquer par les mouches tsé-tsé d’Afrique Equatoriale. Le monde dans lequel nous vivons devient lisse, sans aspérité, perdant toute rugosité artisanale qui nous rappellerait que nous avions il n’y a pas si longtemps des mains pour caresser, couper, limer, modeler, ajuster, construire et apprécier le chaud et froid. Un nez pour sentir les bonnes et mauvaises odeurs, une arme redoutable pour les peuples primitifs qui «sentaient» venir le danger. Nos oreilles prolongées par les téléphones portables et les écouteurs bluetooth pour écouter nos MP3. Etc. Reste la bouche et les yeux, symboles de l’oralité œdipienne et de l’abstraction de la représentation d’un monde qui de virtuel devient transparent comme nos écrans d’ordinateurs.
© photographies peter gabor pour design et typo
février 2008
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Nota bene, le café décaféiné contient toujours un peu de caféine. Sept expressos décaféinés dans une journée valent à peu près deux expressos normaux. La couleur bleue pour le décaféiné signifiant un sommeil tranquille la nuit, peut-être trompeuse pour des personnes au cœur réellement fragile.