Vous vous souvenez certainement d’un des premiers billets de design et typo, SNCF, un logo dyslexique, je voudrais juste revenir quelques instants sur la déclinaison du logo qui pour moi confirme les doutes que j’avais émises il y a deux ans et demi.
Jetez un coup d’œil sur les deux photographies ci-dessous. La première est prise au niveau de la grille d’entrée de la Gare de l’Est, la seconde, aussi mais avec un coup de zoom optique. Qu’est ce que l’on constate?
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Le manque de lisibilité “à distance” de la marque SNCF…
Comparez, le bloc marque rouge-mauve, à l’écriture en capitales de “LA GARE DE L’EST”. L’interlettrage de ces lettres composées dans une “Europe” (Futura) est mille fois plus propice à la lecture que les quatre lettres resserrées du sigle SNCF. Tous les graphistes savent cela. Ça fait même partie des bonnes pratiques en typographie de signalisation que de soigner les approches afin de garder un max. de lisibilité.
Alors que reste-t-il de ce bloc marque, un “misérable” cartouche à la forme imprécise —vue de loin— mais dont les couleurs attirent l’œil au premier regard. “Dites une couleur et un outil…” 90% pour cent des gens répondent rouge et marteau. Effectivement, pourquoi s’en faire.
Pour le logo de la Société Générale la réflexion sur la couleur relevait à peu près du même niveau. Comme pour le rond rouge de la marque ELF au début des années 70. Désolé, on est loin de la qualité de création et de réflexion que méritait cette grande Société Nationale des Chemins de Fer. Mais qui se souvient d’ailleurs du “Nationale” et des Chemins de Fer, à l’heure où le TGV va presque aussi vite que les lignes intérieurs de l’aviation civile?
La question qui me semble essentielle dans ce débat:
Cette marque ne semble pas en être une. Ce bloc-marque ressemble plus à un packaging d’une tablette de chocolat. Il s’agit plus d’une illustration alimentaire que de la représentation d’une entreprise de service de taille industrielle. Les signifiants sont bavards (par la richesse des couleurs) et anecdotiques (la forme du cartouche) et l’on ne voit pas comment on peut l’intégrer dans une stratégie marque-archi-print-web.
Bien sûr qu’il fonctionne sur le site web. On a presque le sentiment qu’il (le bloc-marque) a été conçu pour cela. De même il fonctionnera en Print lorsqu’il s’agira de signer une annonce ou un document. Les yeux à 25cm de la marque… certes. Mais lorsque vous êtes devant un immeuble haussmannien qui devrait porter l’empreinte du prestige de la SNCF, on se retrouve avec la sale impression d’une pièce rapportée à la hâte, style PLV d’une marque alimentaire, en tête de gondole.
Voilà, je peux me tromper. On peut toujours se tromper. On analyse avec ses codes personnels, ses goûts et sa sensibilité…
Je vous laisse le soin d’en débattre si vous le désirez.
Je profite d’un moment de répit pour revenir sur le logo de la SNCF. Je crois que ce qui nous dérange dans ce logo ce n’est pas tant sa forme en elle-même que la manière incohérente dont celle-ci entend signifier le dynamisme. Incohérente parce que contradictoire. En effet, par sa forme générale, issue du TGV, le cartouche dans lequel s’inscrit le nom de la société semble vouloir nous parler le langage de l’aérodynamique. La courbe qui décline vers la droite signifie que nous sommes à l’avant du train et que ce train se déplace de gauche à droite, autrement dit qu’il va dans le sens de l’écriture. La même forme tournée dans l’autre sens nous aurait donné l’impression non pas d’un départ mais d’un retour, ce qui aurait été rassurant, peut-être, mais un peu contrariant aussi et en tout cas pas très dynamique.
L’ennui, pour les concepteurs du logo, c’est qu’une courbe aérodynamique qui fend l’air en se déplaçant vers la droite doit forcément être inclinée dans l’autre sens, ce qui a pour conséquence que, pour être lue comme se déplaçant vers la droite et donner l’impression d’aller de l’avant, la forme générale du logo doit tendre vers la gauche, dans le sens opposé à celui de l’écriture. La courbe qui en résulte, lue de gauche à droite, est une courbe descendante, donc négative (à nos yeux), le genre de courbe qu’aucune société au monde ne souhaite montrer à ses actionnaires.
Il faut dire que, d’une manière générale, l’inclinaison vers la gauche est généralement perçue comme étant rétrograde: pour les graphologues amateurs que nous sommes tous sans le savoir, une écriture inclinée vers la gauche trahit un attachement au passé, elle est un signe d’inquiétude face à l’avenir, pour ne pas dire d’inhibition. Notre écriture nous ressemble, elle est à notre image, par un effet mimétique facile à comprendre: quand nous marchons vite ou que nous courons, notre corps est projeté vers l’avant et nous nous inclinons naturellement dans le sens de la marche. Ainsi en est-il de notre écriture: la cursive s’incline dans le sens de la course, et l’italique, qui en est issue, est elle aussi inclinée dans le sens de la lecture, c’est-à-dire, dans le cas de l’écriture latine, vers la droite.
On voit tout de suite que ces deux dynamismes sont contradictoires. Celui de notre écriture, comme celui du corps humain, exige que la forme penche à droite. Les lois de l’aérodynamique réclament au contraire que, pour opposer une moindre résistance à l’air, la forme d’un véhicule s’incline dans le sens contraire à celui de la marche, qu’il s’agisse du fuselage d’un avion ou de l’avant du TGV. Partagés entre la logique aérodynamique et la logique mimétique, ceux qui ont dessiné ce logo, ou ceux qui l’ont choisi, ont tenté de ménager la chèvre et le chou: ils ont commencé par suggérer la courbe caractéristique de l’avant du TGV, puis, au lieu de laisser cette courbe finir naturellement en pointe en bas à droite, ils l’ont arrêtée net selon un angle de 18° qui semble faire la moyenne des différents angles des quatre lettres en italique (entre 12° et 30°) — un angle qui est peut-être celui d’un homme qui marche à grands pas ou qui court, mais qui ralentirait beaucoup les trains si on les construisait suivant ce modèle.
Il aurait fallu choisir l’une ou l’autre de ces deux logiques et s’y tenir. Les deux langages sont incompatibles, et à trop vouloir les ménager on finit par contrarier tout le monde sans parvenir à satisfaire personne.