Avec l’aimable autorisation de Frank Adebiaye.
« TypoGabor présente » N°7 Le Monde Numérique
Même si certaines manifestations graphiques sont en germe dès 1968, typoGabor est fondée en 1973 par Paul et Peter Gabor. L’activité de la société est double : atelier de création graphique autour des clients historiques de Paul Gabor et société de services typographiques sous l’égide de Peter Gabor.
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Les premières années de typoGabor sont rythmées par le fonctionnement coûteux et limité des Diatronic de Berthold. Tant et si bien qu’à la fin des années 1970, la continuité d’exploitation semble compromise. C’est à la faveur d’une annonce dans la revue CARACTÈRE que Peter Gabor découvre l’Alphatype. Il y voit l’amorce d’une révolution du digital. Ce sera son ami (depuis) Raymond Aubry, chef d’Atelier de Graphiservice à Bruxelles qui achèvera de le convaincre. Un système de composition américain venant de Chicago, qui pour la première fois, propose non plus d’acheter mais de louer (prix dérisoire) des polices de caractères, ce qui porte l’offre et la diversité typographiques à un niveau inédit : 1 000 polices contre 80 sur Diatronic auxquels s’ajoutent 16 polices supplémentaires tous les mois.
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« typoGabor présente » naît en 1980 de deux constats. Il ne s’agit plus de faire de la Pub pour une entreprise, mais d’informer et d’éduquer un marché. La Publicité. Un marché où s’affrontaient une trentaine de concurrents proposant tous à peu près les mêmes services (24 / 24, coursiers, catalogues de calibrage gratuits et qualité de composition supérieure à celle de l’édition ou de la Presse). typoGabor connaît alors le succès. Les Directeurs Artistiques affluent et les commandes doublent de volume en l’espace de 2 an. Mais la formule marketing du magazine ne plaisait plus à Peter Gabor. Il y préféra une formule nouvelle autorisant toutes les expérimentations typographiques.
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Le magazine littéraire de typoGabor était né. Plusieurs directeurs artistiques vont se succéder dans les cuisines typographiques de la maison Gabor. Bill Butt, Jérôme Binda, Philippe Duriez et pour finir Paul Gabor qui revient en 89 par une magistrale œuvre consacré aux Droits de l’Homme. L’Âge d’Homme.
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L’expérience de la photocomposition fut de courte durée. Le Postscript arrive sous la forme commercialisée d’Adobe Type Manager et tous les prestataires de composition perdent 50 clients par jour à partir de 1990. Peter Gabor tenta encore d’adapter son entreprise en devenant le premier compositeur qui a basculé la totalité de son fonds sur Macintosh. Mais les dettes s’accumulant et victime d’un administrateur judiciaire peu scrupuleux, il finit par baisser les bras, non sans avoir personnellement créé 4 polices de caractères pour le Journal Libération en 1994.
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Une aventure de vie passée à promouvoir la diversité et la qualité de composition, parce que comme l’aimait à rappeler son père Paul, d’après une phrase de Jean Cocteau : « Le style n’est pas une danse mais une démarche ».
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Ce n’est sans doute pas la couverture que je préfère. Le dessin n’est pas terrible, et le traitement graphique est à vomir. Mais l’intention était là. Se poser une question. Pourra-t-on un jour numériser la matière « humaine ». Bien entendu de nombreux auteurs de Science Fiction avaient décrit ce processus. J’avais dévoré ces auteurs pendant mon adolescence.
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Et l’irruption du numérique dans mon secteur d’activité était comme une bouffée d’air frais dans un monde dominé jusqu’alors par la mécanique très souvent défaillante. Il faut savoir que Berthold avait choisi une technologie 2ème génération où un Schtelwerk, une sorte de boîte noire en fonte, faisait monter / descendre et se faire déplacer latéralement une plaquette de caractère rectangulaire de 10 cm de coté (long). Chaque lettre exposée (pendant un millième de seconde) arrivait en face de l’objectif de la photocomposeuse pour faire la place à la suivante. La vitesse de « flashage » atteignait difficilement les 20.000 caractères heure. Alors que dans le même temps les machines qui fonctionnaient sur le principe de la lumitype (disque rotatif) permettaient d’atteindre des vitesses 2 à 3 fois supérieures.
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L’arrivée d’Alphatype avec le principe de numérisation des polices nous a fait sauter d’un bond gigantesque. L’on pouvait désormais « flasher » à près de 100.000 caractères / heure et nous avions installé deux de ces appareils dans l’atelier. Nous venions de nous lancer dans l’espace intersidéral de la vitesse (toute relative pour l’époque). La productivité a toujours été au cœur des inquiétudes des industriels, fussent ceux de services de composition. Mais le fait est, que lorsqu’on choisissait la marque d’un matériel, on était poings et mains liés pour le Front-end (les écrans de travail) et le Back-end (les flasheuses et les polices de caractères spécifiques à chaque marque).
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Il faudra attendre l’arrivée tragi-comique et miraculeuse du Postscript pour enfin se dégager de ces contraintes de systèmes propriétaires. Tragi-comique parce que si la profession des compositeurs n’a pas survécu à cette révolution, ça n’était que le début d’une remise en question de toute l’industrie du service (tertiaire). Bientôt tous les métiers allaient être touchés pour arriver aujourd’hui à l’expression d’ubérisation de la société. Disons que le métier de photocompositeur a été la première à se faire ubériser en 1989 et que personne alors ne s’inquiétait des conséquences de cette révolution étendue à toutes les pratiques professionnelles.
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L’article ci-dessus se termine par la phrase «Demain, il n’y aura plus de communication, que pointue, précise, bien ciblée». Me trompais-je ? Fier d’avoir écrit ce long texte (cliquez pour zoomer) qui résume la relation entre les typographes et les Agences de Publicité.
Un très bel article en hommage à un viel ami de la famille. José Mendoza y Almeida. Il travailla pour Roger Excoffon sur les caractères de l’Antique Olive, Nord Compact, et fut le créateur du Photina, grande commande de la fonderie Monotype sous la direction artistique de John Dreyfus. Dix ans de travail assidu pour créer une des plus belles séries de caractères qu’on n’ait jamais vu.
Un magnifique texte d’Andrée Simons peu de temps avant qu’elle mette fin à son existence si précieuse pourtant.