l’Histoire des Magazines typoGabor N°6 | La Calligraphie | Albert Boton et Ed Benguiat

Avec l’aimable autorisation de Frank Adebiaye.

« TypoGabor présente » N°6 | La Calligraphie |
Albert Boton et Ed Benguiat | Janvier 1983

Même si certaines manifestations graphiques sont en germe dès 1968, typoGabor est fondée en 1973 par Paul et Peter Gabor. L’activité de la société est double : atelier de création graphique autour des clients historiques de Paul Gabor et société de services typographiques sous l’égide de Peter Gabor.

Les premières années de typoGabor sont rythmées par le fonctionnement coûteux et limité des Diatronic de Berthold. Tant et si bien qu’à la fin des années 1970, la continuité d’exploitation semble compromise. C’est à la faveur d’une annonce dans la revue CARACTÈRE que Peter Gabor découvre l’AlphaType. Il y voit l’amorce d’une révolution du digital. Ce sera son ami (depuis) Raymond Aubry, chef d’Atelier de Graphiservice à Bruxelles qui achèvera de le convaincre.

Un système de composition américain venant de Chicago, qui pour la première fois, propose non plus d’acheter mais de louer (prix dérisoire) des polices de caractères, ce qui porte l’offre et la diversité typographiques à un niveau inédit : 1 000 polices contre 80 sur Diatronic auxquels s’ajoutent 16 polices supplémentaires tous les mois. « typoGabor présente » naît en 1980 de deux constats.

Il ne s’agit plus de faire de la Pub pour une entreprise, mais d’informer et d’éduquer un marché. La Publicité. Un marché où s’affrontaient une trentaine de concurrents proposant tous à peu près les mêmes services (24 / 24, coursiers, catalogues de calibrage gratuits et qualité de composition supérieure à celle de l’édition ou de la Presse). TypoGabor connaît alors le succès. Les Directeurs Artistiques affluent et les commandes doublent de volume en l’espace de 2 ans. Mais la formule marketing du magazine ne plaisait plus à Peter Gabor. Il y préféra une formule nouvelle autorisant toutes les expérimentations typographiques. Le magazine littéraire de typoGabor était né.

Plusieurs directeurs artistiques vont se succéder dans les cuisines typographiques de la maison Gabor. Bill Butt, Jérôme Binda, Philippe Duriez et pour finir Paul Gabor qui revient en 89 par une magistrale œuvre consacré aux Droits de l’Homme. L’Âge d’Homme.
L’expérience de la photocomposition fut de courte durée. Le Postscript arrive sous la forme commercialisée d’Adobe Type Manager et tous les prestataires de composition perdent 50 clients par jour à partir de 1990. Peter Gabor tenta encore d’adapter son entreprise en devenant le premier compositeur qui a basculé la totalité de son fonds sur Macintosh.

Mais les dettes s’accumulant et victime d’un administrateur judiciaire peu scrupuleux, il finit par baisser les bras, non sans avoir personnellement créé 4 polices de caractères pour le Journal Libération en 1994.

Une aventure de vie passée à promouvoir la diversité et la qualité de composition, parce que comme l’aimait à rappeler son père Paul, d’après une phrase de Jean Cocteau : « Le style n’est pas une danse mais une démarche ».

Nous sommes en janvier 1983. typoGabor vient de renaître de ses cendres. En effet c’est peu dire que nous revenions de loin. Début 1980 la Maison était au bord du dépôt de bilan. Tous les indicateurs étaient dans le rouge. Les machines Berthold étaient systématiquement en panne un jour sur deux. Les techniciens de Berthold défilaient quotidiennement sans pour autant être capable de stabiliser la situation. Parallèlement nous sortions d’une crise sociale difficile. La CGT du livre s’était mis en tête d’avoir « la peau » de l’entreprise. Sans raison valable.

C’est seulement une vingtaine d’années plus tard que j’ai eu la fin mot de cette histoire. Je m’étais fait un ami à San Francisco lors d’une réunion du Seybold Report. Et plus tard en 1995 il m’avoua que la CGT n’avait rien contre typoGabor. Juste qu’ils voulaient faire un exemple dans la profession. Ils étaient mal tombés. J’ai toujours été un combattif et d’être né dans un pays communiste (la Hongrie) m’avait donné une culture des luttes syndicales qui dépassaient de loin ce qu’on apprend en sociologie à René Descartes (3 ans d’études).


Nous sommes donc enfin sur le bon chemin. L’outil de production Alphatype ayant remplacé avantageusement les Diatronic de Berthold, nous lancions un programme de communication annuelle qui débordait d’inventivité et de présence dans les agences de publicité. Ici une couverture entièrement calligraphiée par Albert Boton. Lui avais donné ce texte un peu grandiloquent mais qui résumait bien la foi que nous avions dans l’avenir des technologies numériques. Au point d’ailleurs que Berthold s’était mis en tête de racheter la société Alphatype pour proposer les mêmes technologies à leurs clients.

Quand une société de 3500 salariés commence à imiter ta stratégie, tu comprends alors que tu n’es pas complètement fou. Me souviens d’un déjeuner homérique où le patron de Berthold France m’invite pour m’annoncer avec fierté le rachat d’Alphatype par sa société et leur intention d’effacer toutes les dettes de typoGabor sur la maintenance désastreuse des Diatronic: « Vous comprenez Monsieur Gabor, avec tout l’argent que nous avons fait grâce à vous… » Je n’étais pas peu fier… les aventures rocambolesques des chefs d’entreprise. Époustouflant.

Voici le Modern ITC dessiné par Edward Benguiat que j’avais rencontré plusieurs fois aux Assemblées Générales de l’ATYPI. Devenu un ami depuis. J’aurais tant de choses à raconter sur Ed Benguiat. Me souviens d’un déjeuner formidable à trois, avec Paul Gabor. Nous avons évoqué la carrière de l’un et de l’autre. Je buvais du petit lait. Avoir eu la chance de connaître les monstres sacrés de nos métiers. Sans doute un des privilèges de ma longue expérience. Mais pas que. J’ai pendant longtemps préféré la compagnie des « hommes d’expérience » que de « jouer » avec les gens de mon âge. Un besoin inné et récurent d’apprendre et encore d’apprendre. Et aujourd’hui bizarrement c’est le contraire qui se passe. J’apprends plus des jeunes que des gens de mon âge. Un besoin vital.

Le Modern ITC est une Transitionnelle (merci Jonathan) classique (Vox l’aurait appelé Réale). Ce qui en fait une police novatrice se trouve inscrit dans la charte de la création de tous les ITC. Des jambages résolument courtes pour permettre de composer des textes avec un œil assez grand et sur-interligner à volonté selon le rythme désiré. Ce qui n’était pas le cas avec les didots classiques aux jambages interminables.

Je connaissais Albert Boton depuis qu’il avait rejoint le studio Hollenstein. Plus tard je l’ai rencontré encore à l’Agence Delpire. Puis à Carré Noir. Nous étions devenus assez vite de grands amis. Puis un jour je lui demandé de participer au programme du Centre de Création Typographique que j’avais créé avec Paul Gabor. Il nous dessina son magnifique Boton… Ici donc un interview du grand Albert. Que j’ai voulu d’abord éclairer par son amour de la musique et de la haute fidélité « ésotérique ». Il faut non seulement regarder le travail d’Albert Boton, mais aussi l’écouter parler. Son phrasé, le timbre de sa voix, un peu texan, sont à eux seuls le témoignage d’une sensibilité à fleur de voix. Je crois qu’il caresse les mots, comme il caresse les lettres. Une unité parfaite. Il est à lui seul un être multimédia, audio-visuel. Dans la suite de l’article on découvre les innombrables logos qu’il dessina au long de sa carrière. Un plaisir sans cesse renouvelé.

Ici sur cette page des exemples de Calligraphies de Claude Mediavilla. Dont j’ai déjà fait mention dans ce blog ici.

Il y a quelque chose de « bizarre » dans le texte ci-dessus qui illustre la page des Baskerville ITC. Nous y évoquons quelques pages du Chien des Baskerville de Sir Conan Doyle. Était-ce une prémonition ou pas ? Toujours est-il que la littérature fait brusquement irruption dans un magazine typoGabor présente, alors même que nous ne savions pas encore qu’un jour de 1986 j’allais inventer la formule des magazines littéraires et typographiques. Sans doute une appétence, une envie refoulée de m’approcher de la littérature.

Penta. Là aussi prémonition. Je ne peux pas expliquer autrement la présence de cet article. J’ai rencontré Yves Droucpeet qui dirigeait la Photogravure Penta, grâce à une responsable de la Fabrication de Carré Noir. J’y ai découvert non seulement un métier dont je ne connaissais que le versant noir et blanc, mais surtout la numérisation en marche de ce métier qui ne voyait pas non plus encore l’arrivée des Macintosh et du Postscript. Cependant, à l’instar de typoGabor ils avaient senti le vent tourner et avaient investi sur des machines lourdes, du Crossfield, si ma mémoire est bonne. Avec une multitude de Disques durs Control Data. Imaginez. Là où un seul disque dur de 300Mo suffisait pour six mois de production de texte en photocomposition, il fallait quasiment un disque dur par image dans une photogravure numérique. Vous le savez bien, aujourd’hui il n’est pas rare d’ouvrir ou de créer des images qui font 500Mo. Cela ne représente plus grand chose. Mais à l’heure de la naissance du numérique, scanner, corriger et flasher une image, une page en numérique demandait des investissements incroyablement lourds. Me souviens qu’Yves Droucpeet me parlait d’une douzaine de millions de Francs pour une unité de production du coté de la rue de Sèvres. Là où nous avions nous investi seulement 1,2 million pour nos unités de photocomposition. Tu fais la même chose aujourd’hui sur un MacBookPro, un bon scanner ou mieux un appareil photo numérique. Tu n’as plus besoin de scanner. Tout simplement. C’était il y a 33 ans. Loi de Moore oblige.

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