Les vins Nicolas, la typographie et Lorjou, le peintre

Rencontre entre les vins Nicolas, l’Atelier Dreager, Jean Latour le metteur en page et le peintre Bernard Lorjou (1908-1986)

Bernard Lorjou est l’un des artistes français les plus fascinants du XXème siècle. Par son œuvre et par sa personnalité, il dérange, voire bouleverse le monde artistique de son temps.
Alors que la mode est à l’art pour l’art, il crée, à l’instar de Goya, des tableaux monumentaux souvent inspirés des événements tragiques de l’actualité. Il organise, dans les lieux les plus insolites, des expositions extraordinaires qui se transforment en véritables tribunes où il attaque violemment l’ordre établi ainsi que les tenants de l’art abstrait.
Autodidacte, il cultive seul son art souvent qualifié d’expressionniste où se manifeste un grand lyrisme né de sa sensibilité d’écorché vif, de sa capacité de rêver en partant des choses banales, de son don inné de coloriste et de son talent de dessinateur hors du commun. Créateur complet – peintre, sculpteur, graveur et céramiste – il est indéniable que Lorjou fait partie des artistes les plus importants du siècle.

Junko Shibanuma

Nicolas_lorjou_11

C’est en 1969 que Jean Latour met en page ce catalogue annuel des vins Nicolas au sein de l’Imprimerie des Frères Dreager que je vous avais déjà présenté lors d’un billet précédent. De la mise en page, on ne peut pas en dire grand chose. L’utilisation du Futura Black pour le titrage (desssiné par Paul Renner au sein du Bahaus en 1928) n’y fait rien, le rythme n’y est pas, les corps se multiplient et l’utilisation d’un papier type velin d’arches en enlève toute modernité. On peut tout de même saluer l’audace des couleurs pour un catalogue aussi sérieux quand on regarde l’énumération des vins. Autrement dit le charme de cette plaquette vient & tient presque entièrement à la présence des peintures de Bernard Lorjou, figure emblématique d’une école indépendante et rebelle sinon atypique. Juste une dernière remarque pour la typo, les petits textes sont composés en Gill maigre et les lettres des titres, hormis les lettrines en Futura Black sont d’un style Brasilia Hollenstein de l’époque… On voit dans tous ces mélanges malgré tout un manque de cohérence chronologique et stylistique. Quant aux chiffres des dates ils sont composés de façon callamiteuses. Les approches ne sont pas les mêmes d’une colonne à l’autre… La perfection Dreager n’y était plus.

Voici donc cette plaquette assez rare, édité en 1969, soit un an après l’insurrection des étudiants de mai 68. La publication de ces plaquettes de Nicolas se faisait en général en fin d’année à l’occasion des achats de Noël et témoignait de l’intérêt (réel ou pas) du négociant pour les œuvres d’art. Le début du Mécénat d’Entreprise en quelque sorte.

Nicolas_lorjou_01Nicolas_lorjou_06Nicolas_lorjou_02Nicolas_lorjou_03Nicolas_lorjou_07Nicolas_lorjou_04Nicolas_lorjou_05 Nicolas_lorjou_08Nicolas_lorjou_09Nicolas_lorjou_12Nicolas_lorjou_13Nicolas_lorjou_14Nicolas_lorjou_15Nicolas_lorjou_16Nicolas_lorjou_17Nicolas_lorjou_18Nicolas_lorjou_19Nicolas_lorjou_20Nicolas_lorjou_21Nicolas_lorjou_22Nicolas_lorjou_23Nicolas_lorjou_24

Dire que la mise en page de Jean Latour laisserait à désirer, serait également exagérée… surtout lorsqu’on regarde quelques unes des double pages où il joue avec une composition en habillage autour de l’espace rectangulaire du format. Disons que le jeu des contrastes entre le vert et le rose ne me convainct pas complètement, bien que ce «fut» très tendance à l’époque. Il suffit de se reporter aux créations de l’agence Delpire pour la 2CV de Citroën pour comprendre que l’on était alors en train de sortir d’un glacis graphique qui durait depuis la fin de la deuxième guerre. Mai 68 a eu un effet bénéfique à bien des égards, et notamment d’avoir fait sauter des interdits et des attitudes graphiques timorées sinon old-school… C’est peut-être que tout simplement il y a une opposition singulièrement paradoxale pour ne pas dire antinomique entre le Futura du Bauhaus et une peinture expressioniste qui s’exprime sur un autre registre… je suis resté un peu sur ma soif ;-) Qu’en pensez-vous?

Biographie du Peintre Lorjou:

1908 Naît le 9 septembre à Blois, Loir et Cher, France. 1925 – 31 Travaille comme dessinateur de tissus chez le soyeux Ducharne. Rencontre Yvonne Mottet. 1931 Voyage en Espagne. Y admire El Greco, Velasquez et surtout Goya. 1934 – 37 A l’instar de Goya, commence à créer les œuvres inspirées par les événements politico-sociaux: Février 34, la Conquête d’Abyssinie par les Italiens (détruite), le Couronnement de Goerge VI… 1938 – 44 Se retire à Blois. Peint les horreurs de la guerre: les Surveillés, Déportés… 1945 Première exposition personnelle à la Galerie du Bac à Paris. 1948 – 49 Reçoit le Prix de la Critique. Crée le groupe «Homme Témoin» avec Jean Bouret critique d’art. 1948 – 53 Peint les tableaux colossaux: les Chasses aux Fauves (1948-49), l’Age atomique (1949-50, Centre Georges Pompidou), la Bataille d’Abadan (1951), la Conférence (1951, Musée de Varsovie), la Peste en Beauce (1953)… 1954 Première série de Corridas dont la San Isidro de Jesus de Cordoba qui l’emporte au référendum organisé par la Galerie Charpentier, Paris. 1956 – 58 A partir de 1956, S’installe à Saint Denis-sur-Loire près de Blois. Crée et expose en 1957 Massacres de Rambouillet dans sa propre baraque construite à l’Esplanade des Invalides, Paris. En 1958, transporte sa baraque à Bruxelles dans le cadre de l’Exposition universelle pour son Roman de Renart. 1959 Exposition à la Galerie Wildenstein Le Bal des Fols (Centre Georges Pompidou) inspiré de la folie de sa sœur qui se suicide. 1960 – 61 Crée les oeuvres satyriques sur le Général de Gaulle et la guerre d’Algérie: la Crécelle, le Guide, la Force de frappe, les Rois: de Charlemagne à Charlesdegaulle. 1963 Exposition flottante à Paris sur une péniche naviguant la Seine: Grimau, la Mort de Jean XXIII, le 14 juillet (détruit). 1964 S’inspire de récents événements des Etats-Unis: Dallas Murder Show, Blancs et Noirs. 1965 – 68 Exposition en plein air à Sarcelles: les Centaures et les Motocyclettes. Décore le plafond du Musée de la Chasse et de la Nature de Paris. A la demande de l’ONU dessine une série d’affiche: Vaincre la faim c’est gagner la paix. Réalise avec Yvonne Mottet l’ensemble de peintures murales pour la maison du clergé de Blois. 1968 Voyage au Japon: peint la trilogie de Hiroshima. Mort d’Yvonne Mottet. 1969 – 70 Peint à Marbella (Espagne) l’ensemble de l’Assassinat de Sharon Tate exposé en 1970 au Musée Galliéra de Paris. Crée la Mort de Mishima, écrivain japonais suicidaire. 1971 – 73 Réalise à la Garde-Freinet (Var) les sculptures en bois brûlé et les panneaux en céramique ainsi que les maquettes pour les sculptures en argent et en bronze dont le Cavalier d’argent vendu au cours d’un gala à l’Opéra de Paris au profit des recherches contre le cancer. 1973 Exposition itinérante aux Etats-Unis: New York, Chicago, Los Angeles et Miami. 1974 – 76 Série de Cirques inspirés par le festival de cirque du Monte-Carlo. Série de Corridas en petit format pour une exposition à Bruxelles en 1976. 1977 – 79 En 1977, invité d’honneur du Salon des Artistes français, expose les Sept Nuits, peints sur onze grands panneaux de bois. 1980 – 82 Sous le titre général des Menaces, peint la violence de l’époque: Rue Copernic, Iran, Afghanistan, Solidarité, Sabra et Chatilla… 1984 – 85 Dernières œuvres colossales: le Sida (énormes bâches plastiques), Don Quichotte, Gargantua… Expose dans le Château de Blois: «LORJOU dans les collections privées françaises» (1948) et à Menton: «LORJOU Peintures Dessins Sculptures»(1985): ses premières expositions rétrospectives. Puis à Tours «Gargantua» pour l’Année Rabelais (1985). 1986 Meurt le 26 janvier, jour de la clôture de la dernière exposition de son vivant: le Sida.

©design et typo | 9 octobre 2006

Filetjaune_23

Ce contenu a été publié dans Typographie et typographies. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.