(réédition d’un billet paru le 19 février 2006)
«…Rick Poynor est aujourd’hui chroniqueur permanent pour le magazine Eye,
magazine qu’il fonda en 1990 et dont il fut rédacteur en chef pendant
sept ans. Il est aussi chroniqueur régulier pour le magazine Print à
New York. Il écrit sur le design, les médias et la culture visuelle
pour Frieze, Domus, Blueprint, ID, Metropolis, Adbusters et le
Financial Times.
Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Typography Now (1991),
Typographica (2001), Design Without Boundaries (1998) et La Loi du plus
fort édité en français aux éditions Pyramyd.
Rick Poynor donne des conférences en Europe, aux États-Unis et en
Australie ; il est, depuis cinq ans, professeur invité au Royal College
of Art».
Il a publié aux éditions Pyramyd et Laurence King Publishing un ouvrage
essentiel pour comprendre l’évolution plasticienne du graphisme au XXe
siècle.
Comme je le faisais déjà remarquer au sujet de Nam June Paik l’art contemporain ne se mesure pas à l’aune du «c’est beau» ou «c’est pas beau». Il projette le spectateur dans un entre deux et un questionnement permanent. Il provoque, il interroge et l’important, tout le monde l’aura deviné n’est pas La Réponse mais Les Réponses… innombrables, permutables. L’art contemporain est sans doute la meilleure réponse à l’accélération de l’Histoire (Engels). Cette histoire qui s’écrit dans d’innombrables et incommensurables boursouflures. Neville Brody dans son texte de New York en 2003 parle de perte de repères, mais il ne s’agit pas tant de perte que de multiplication à l’infinie. On pourraît résumer cette histoire de l’art par l’artifice qu’employa Marshall MacLuhan, sociologue et professeur de littérature comparée dans les années 60 au Canada. De l’origine de l’humanité au 16e siècle : deux dimensions. La perspective s’invente sous la Renaissance et introduit une troisème dimension, les lignes de fuites. De cette invention naquit une perception révolutionnaire qui permit à la littérature, au théatre d’évoluer, jusqu’à supposer que l’œuvre de Shakespeare n’est pas étrangère à cette invention de la perspective.
Ainsi jusqu’à l’ère de lélectricité l’art de la représentation parce qu’il n’en était pas autrement, se définit par une vision spatiale. Le XXe siècle aura connu plusieurs grandes séries de bouleversements qui causèrent sinon la mort, en tous cas une datation finale de l’art dite traditionnelle. L’électricité entraîna l’industrialisation… la mécanisation, que les deux guerres ne firent que stigmatiser, la télévision et le cinéma (sans compter la photo), le consumérisme des trente glorieuses inventèrent de nouveaux formats d’expression projetés simultanément sur toute la planète (village globale), la fin de la typographie plomb remplacée par les technologies issues de la lumière (photocomposition-composition froide) mirent un terme à des siècles de graphisme gutenbergien enterré définitvement par l’avènement des langages postscript et html et des logiciels d’images et de mise en page permettant une exploration en profondeur dans l’image et la page. Ainsi naquit ce qu’on appela le post-modernisme, résultat de milliers d’années d’évolutions techniques et de notre perception qui en découle.
Le graphisme moderne, terriblement proche de l’art contemporain explore les limites et l’au-delà des possibles de la représentation. Il est provocateur bien entendu (et on y reviendra avec la sortie récente d’un ouvrage [2 kilo] de Kesselskramer), et se fonde comme un système de la rupture. C’est ce système que l’ouvrage de Rick Poynor que je présente ici tente de décrire et d’expliquer.
Jeffery Keedy. Emigre Type Specimen Series (2002).
Doublespace. Fetish, n°2, couverture de magazine et double page, USA (1980).
William Longhausser. The Language of Michael Graves, affiche d’exposition (USA-1983)
Cliff Roman. The Weirdos are Loose, affiche de concert (USA-1977).
Franck Edie. Affiche de concert (USA-1978).
Tom van den Haspel, Hard Werken. Affiche de festival de film (Hollande-1981)
Étudiants à la Cranbrook Academy of Art (USA-1978)
Allen Hori. Typography as Discourse, American Institute of Graphic Arts (USA-1989)
Rudy VanderLans. Emigre n°5, double page de magazine (USA-1986)
John Hersey. Pacific Wave, couverture de catalogue (Italie-1987).
Neville Brody et Jon Wozencroft, The Guardian (GB-1988)
Où l’on s’aperçoit que plus que jamais le signe participe à ce système de la rupture. Il est omni-présent, typo-graphique, calligraphique, manuaire ou taggé, l’alphabet trituré, cassé, déconstruit et altéré vient nous rappeler en permanence qu’il est essentiel à tout système de communication. Les révolutionnaires DaDa l’avaient tout aussi bien compris qui firent du signe typographique le terrain de prédiléction de leur expérimentation.
Non seulement Rick Poynor nous fait partager dans ce magnifique ouvrage sa passion pour l’art contemporain mais nous propose un découpage pédagogique de cette évolution dans un sommaire ultra-simplissime : [Origines], [Déconstruction], [Appropriation], [Techno], [Profession auteur], [Opposition] qui rend compte compte avec intelligence et sensibilité d’une culture en marche et en mutation constante. Editions Pyramyd (2003). Un ouvrage que nous devrions tous laisser trainer à coté de nos tables de travail. Disponibilité, dans toutes les bonnes librairies d’arts graphiques et ici.
Un bref résumé de ce qu’est le mouvement DaDa
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N’y a t-il pas danger à disjoindre les notions de beau et l’art ? J’avais été étonné par une installation « artistique » de Jurgen Bey. http://www.lalettrevolee.net/article-973226.html De votre côté, vous terminez en qualifiant l’ouvrage de Rick Pynor de « magnifique », ce qui est synonyme de beau. Est-ce à dire que ce bel objet, pour autant n’est pas de l’art ? Ou est-ce de l’art malgré sa beauté ? Ou bien sa beauté disqualifie-t-elle toute tentative de faire de ce livre une oeuvre d’art ? Faut-il réserver la beauté à l’artisanat, au spectaculaire ?
Merci en tout cas pour vos articles, toujours passionnants.