Lou Dorfsman | le design global triomphe à la CBS

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Les vacances sont terminées, Design et Typo reprend ses publications. Et pour marquer ce «come back» je voudrais vous présenter (en tous cas pour celles et ceux qui sont venus à la vie professionnelle après les années 80) un homme d’exception. Avec lui nous allons découvrir un style, une exigence, une rigueur, une simplicité et surtout beaucoup d’humour et de perspicacité marketing.

Il est extrêmement rare de nos jours de voir des figures de la communication d’entreprise tenir plus de 4-6 ans un poste dans la même société. Les temps ont changé, depuis le milieu des années 80, les enjeux économiques se sont déplacés. L’entreprise est devenue un lieu de stratégie non seulement pour son activité propre mais également pour son positionnement industriel sur le marché mondial. Les fusions-acquisitions ont démodé l’investissement interne et c’est avec beaucoup de difficultés que les R&D peinent à se faire voter leur budget annuel. Les actionnaires préférant racheter la technologie du concurrent plutôt que de prendre les risques capitalistes classiques que nous avons connu durant l’ère de l’industrialisation. (bien entendu ce constat devient obsolète dès lors que les entreprises se retrouvent seules en tête, détenant la quasi monompole de leur activité. Alors ils sont obligés de revenir aux fondamentaux capitalistiques de l’investissment).

Pour illustrer cette mutation en profondeur je ne citerai que le cas très symbolique de Vivendi. Voilà une entreprise du CAC 40, précédemment vouée à l’exploitation de l’eau qui sous la direction contestée de Jean-Marie Messier a pris le virage à 180° pour se consacrer aux fluides de l’entertaitement. Contenant et Contenu. Leur logo, ce machin malhabilement dessinée qui vient de changer récemment (voir mon article dans “étapes) ne traduit toujours pas le positionnement ni la puissance industrielle d’un des groupes les plus influents du monde de l’édition, papier, film & video et musical. Sans doute que les directeurs de la communication se succèdent à un rythme soutenu et sans doute aussi n’y a-t-il pas à la tête de Vivendi un véritable coordinateur artistique pour veiller à la cohérence visuelle du groupe.

Mais tenir 40 ans à la tête de la direction artistique d’une firme comme CBS relève tout de même du prodige. C’est cette aventure que je souhaite vous présenter, celle de Lou Dorfsman, Lou «Who» comme il plaisait à se décrire lui même, qui a façonné jour après jour, décades après décades le style graphique et corporate d’une des plus prestigieuses société de broadcasting américaine.

L’aventure commence dans les années de la grande dépression, en 1935 lorsqu’en dépit de son goût pour les sciences médicales et biologiques, pour des raisons financières, les parents de Lou acceptent de voir leur fils partir à la Cooper Union for the Advancement of Science and Art, école entièrement gratuite. Louis Dorfsman ne se souvient pas d’avoir particulièrement été passionné par la publicité. Plutôt par le design, l’architecture et le graphisme. Là il rencontrera Herb Lubalin avec qui il partagera durant de longues années, les galères et la passion d’un métier qui les a vu s’associer à plusieurs reprises.

Lou a grandi dans le Bronx et tel Woody Allen il goûtera le plaisir du travail urbain bien que profondément attaché à la nature et aux choses vraies.
Son enrôlement durant la guerre, qui le vit en poste à Dallas ayant échappé de justesse au planning du débarquement en Normandie, il le passa à dessiner des poster’s avec pinceaux et aérographes. Mais faut-il le préciser le jeune Lou voyait déjà son père dessiner et peindre des lettres dans sa petite entreprise de signalétique, ceci expliquant sans doute cela.

Lorsque la guerre touche à sa fin Lou et Herb partageaient un studio à New York et peu de temps après il trouva un poste d’assistant à la CBS auprès de son Art Director, Bill Golden. Là commencera une carrière exemplaire qui le vit grimper au firmament d’une profession qui toute entière lui reconnaîtra l’exemplarité d’une exigence et d’une qualité de travail par de nombreuses récompenses.

DORFSMAN À CBS

La psychologie de Dorfsman lui interdisait de se sentir trop fier de sa réussite. Gromelant toujours quelque chose pour se déconsidérer jusqu’à même exprimer librement son désaccord d’être surpayé estimant qu’il serait bien plus créatif et libre si son travail était un peu moins estimé. Sous la Direction de Golden, il apprit toutes les techniques du métier, des planches contacts aux techniques offset en passant par la maquette et les mises en page. Pas vraiment jaloux mais terriblement sensible à l’habileté de Lubalin avec qui il entretenait cette relation privilégiée d’anciens camarades d’études, il faisait souvent appel au talent de Herb pour élaborer les structures et les titres de ses annonces.

Dans les années 50 la télévision frappait ses trois coups et la CBS s’adaptait en créant sa propre chaîne devenue depuis légendaire. C’est le moment que choisit Golden pour propulser Dorfsman à la tête de la direction artistique du département Radio qui devenait par la force des choses le parent pauvre. Et du coup Lou D. obtint presque carte blanche pour élaborer le style graphique d’une Radio déjà très ancienne mais qui désormais n’était plus au centre des préoccupations des actionnaires. C’était idéal pour Dorfsman. Ne pas se sentir sous les feux des projecteurs. De pouvoir prendre des risques visuels et graphiques, élaborer un design global qui allait du logo, en passant par la papeterie (stationery) pour se décliner finalement sur les campagnes d’affichage, d’annonces et surtout sur le design architectural du Siège de la CBS où Dorfsman va démontrer ses talents de scénariste d’exposition qu’il avait déjà expérimenté à l’armée.

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EXPRIMER LE BUSINESS DU CLIENT

Lou Dorfsman en prenant ses fonctions d’Art Director prit la chose très au sérieux. De fait la Radio n’était pas seulement son employeur mais aussi son client. Et c’est ainsi qu’il reconsidéra tout son approche de la communication. Il s’intéressa à tout ce qui composait les paramètres économiques de la CBS. Ses annonceurs et sponsors, les partenaires sociaux, les syndicats et employés, les animateurs et journalistes, jusqu’aux actionnaires pour qui il avait le plus profond respect. Il savait que la Radio ne reviendra jamais au premier plan du business face à la télévision mais était persuadé qu’elle pouvait rester rentable et il s’employa à façonner son image pour lui faire revêtir les habits de lumière que nous connaissons encore. Le maître mot de Lou, la cohérence visuelle n’était pas qu’une vague intention. Il en fit son exercice quotidien durant les quarante ans qu’il passa au service de la CBS.

IL APPREND À IDENTIFIER LES OPPORTUNITÉS

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Terriblement impliqué dans la destinée économique de l’antenne, Lou ne ratait jamais l’occasion de repérer les argumentaires qui allaient permettre soit de gagner de l’audience (il était un fervant lecteur des rapports Nielsen), soit de gagner annonceurs ou sponsors. C’est par exemple cette idée qui lui est venu après avoir remarqué que la plupart des grandes compagnies américaines étaient précédés du nom générique de Général (General Foods, General Electric, General Motors ou General Mills). Il inventa alors le General  Agreement, un concept de communcation pour conquérir de nouveaux clients. «Si c’est bon pour les grands annonceurs, alors c’est bon pour vous». De même que cette annonce Be Sociable qui était une récupération d’annonce de Pepsi pour démontrer la place de la CBS dans le media planning de Pepsi… Tel était Dorfsman, non seulement designer et art director mais aussi homme de marketing et pourquoi ne pas le dire homme du business.

ASSUMER LA RESPONSABILITÉ

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Au début des années 60 alors que la campagne annuelle de la Ligue du football était déjà lancée Lou prit un pass à la Ligue et se pointa sur les terrains de jeu avec son appareil photo. Il en tire une série de clichés très pédagogique et une campagne «How to watch football». Il réussit à convaincre la fédération de lui acheter un livre qui sera par la suite distribué à titre éducatif dans les écoles, universités etc. Une idée généreuse marqué du sceau de la qualité photographique et graphique qui permit à CBS de remporter les contrats de couverture de la saison. Donner pour recevoir… Investir d’abord pour cueillir ensuite, des banalités qui n’ont plus cours de nos jours.

IL DÉFINIT LE STYLE DE LA COMPAGNIE

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Dorfsman n’était pas seulement préoccupé par le print mais tout aussi bien par l’apparence architecturale de sa compagnie. Il surveillait et concevait jusqu’aux inscriptions sur les boutons de porte. Il avait même réussi à se faire attribuer la fonction de contrôle de tout ce qui s’accrochait dans les couloirs et bureaux. Travail normatif s’il en faut mais il faudra attendre le milieu des années 80 pour qu’en France une telle attitude devienne réalité. C’est à cette exigence de chaque instant que la CBS doit cette image de qualité légendaire. Lou ne tolérait rien, pas même les photos de famille dans les bureaux. Un jour quelqu’un avait accroché une photo de Richard Avedon et c’est peut-être la seule fois que Lou fit une exception. Papiers à lettres, logotypes des produits dérivés, marquage, signalétique, enveloppes d’expédition, sous sa houlette CBS devint peu à peu une sorte de musée d’art contemporain vivant. Je dois vous avouer que le caractère choisi, ce didot si proche du Firmin Didot que nous connaissons bien confère une réelle élégance à la marque. Le contraste des pleins et déliés, dans la pure tradition modern old style américaine nous met tout de suite dans l’ambiance d’un Dan Rather vétu d’une veste anthracite avec chemise blanche et d’un nœud pap’.

PUBLICITÉ,  SPECTACLE et BUSINESS

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La recherche d’audience télévisuelle et radiophonique grandissait simultanément avec la multiplication des canaux de distribution. Bien que profondément impliqué dans un design de qualité, CBS n’échappait pas à la règle du business. CBS devait peu à peu s’adapter à l’ère de l’entertainement, du divertissement grand public au risque sans cela d’être balayé du paysage audiovisuel. Les émissions de prime time changèrent, proposant les jeux et les plateaux showcase grand public sans que jamais Lou Dorfsman ne renonce au style de qualité institutionnelle qu’avait conquis CBS. Et les actionnaires fidèles, suivaient ses recommandations. Cette marque occupe une place vraiment à part parmi tous les fleurons du PAF international. Peut-être pourrais-je mettre en parallèle les chaînes de la BBC à Londres, mais alors ce serait reconnaître qu’une marque privée peut prétendre à une qualité design aussi remarquable qu’une chaîne ou une Radio d’État. Ce serait encore un paradoxe qui dans l’économie américaine devient presque une obscénité, au bon sens du terme c’est-à-dire littéralement «à côté de la scène», «hors champ» si vous me permettez cette trivialité cinématographique.

LES PROMOTIONS DE L’ANTENNE

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L’intervention de L.Dorfsman ne se limitait bien évidemment pas qu’aux seuls programmes de design. Un compagnie de Broadcast comme CBS produit chaque année des centaines de documents pour le print. Cela va des brochures, aux catalogues et schedules de programmes en passant par les affiches de concerts, théatre ou de conférences ainsi que toutes les promotions, dossiers de presse, études marketing, cartons d’invitation etc. Cela occupe plusieurs dizaines de spécialistes, rédacteurs, graphistes, designers, illustrateurs et photographes. C’est aussi le territoire sur lequel Lou interviendra quotidiennement durant de longues années. Au fond c’est un peu comme si Jean-Christophe Averty, doublé d’un Robial et d’un Peter Knapp (le trois en un) avaient travaillé pendant quarante ans pour la Première devenue TF1. Je ne dis pas que ça n’aurait pas été possible. Mais je doute qu’un tel statut soit un jour reconnu en France. Et surtout en mode interne. Car c’est aussi cela la spécificité de cette aventure Dorfsman. Un service de Direction Artistique entièrement intégré verticalement. Je ne sais pas aujourd’hui ce qu’est devenue cette structure. Quand je me connecte sur le site de la CBS, malheureusement il ne reflète pas cette qualité légendaire et j’en suis profondément déçu. Au point même que lorsque j’ai essayé de lancer quelques videos, mon Firefox a «quitté» opportunément ;-). J’ai voulu seulement vous faire partager mon admiration pour ce créateur d’un autre temps qui nous laisse l’exemple à la fois d’un dictateur de la forme et d’un ouvrier du travail quotidien me faisant parfois penser à cet autre génie de l’Amérique, Wernher von Braun qui permit à la nation américaine d’envoyer un homme sur la lune.

Galerie complète de l’œuvre de Lou Dorfsman ici! et un interview du Maître ici

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0 réponse à Lou Dorfsman | le design global triomphe à la CBS

  1. Jonathan dit :

    J’aimerai trouver la typo qui se trouve dans son livre dont nous avons des extraits, celle concernant ce « ha ha ha » : http://www.typogabor.com/cbs-dorfsman/pages/41-cbs-dorfsman.html ou « NEW HOME OF CBS » juste au dessus. Je pense qu’elles sont semblable.

    Si quelqu’un pouvait m’orienter sur le nom de cette typo pour que je puisse la trouver, ce serai très apprécié.