Mise en page intérieure
ELLE, FEMME ACTUELLE, HARPER’S, MARIE CLAIRE
quelques exemples de pages intérieures: ELLE
édito de ELLE ainsi qu’une ouverture et suite d’article
quelques exemples de pages intérieures
Femme Actuelle
Là nous sommes bien en présence de l’équation:
actualité + référents + photographies + légendes = MODE
Ce système de MODE que décrit Roland Barthes se décline à l’infini. Avec Femme Actuelle nous sommes en présence d’un lectorat très large C voire C– ou C—, rarement C+. Plus d’un million et demi de lecteurs-lectrices. Le phénomène est largement transversal et, par catégories CSP et par régions françaises concernées. Il s’agit donc pour ce magazine de coller à l’actualité et de «tirer» le lecteur vers le système identificatoire tout en douceur. Les pouvoirs d’achats sont limités mais existent. La rédaction ne fera donc pas l’économie du passage par l’actu. Les décrets de MODE sont amenés en douceur et dans la double préoccupation de ne pas dériver ni de lectorat, ni de l’objectif économique: vendre la MODE. Nous verrons comment la mise en page s’adapte bien à ce marketing. Car là encore il ne s’agit pas de dire si nous trouvons les MP beaux ou pas mais d’analyser comment et pourquoi ça fonctionne.
Rubrique Actu | enquête | Femme Actuelle | La société a changé, la solidarité aussi.
HARPER’S | infiniment plus MODE
Ce magazine qui tient d’une longue tradition puisque née bien avant la 2e guerre mondiale, et porté au firmament des magazines de MODE par un Brodowitch exilé à New York, découvrant des photographes comme Richard Avedon, le HARPER’S devient le synonyme de la MODE. Ils peuvent aujourd’hui shinter l’actualité comme référent (mais nous y reviendrons). Les décrets sont dictés au travers du «people», catégorie sociale jouant avec complicité (comme en France) le jeu des référents et de la Mode par procuration. Je dis plus MODE, mais je ne devrais pas. De fait tous les magazines que nous comparons sont des Mag’ de MODE. HARPER’S se permet juste une forme d’impertinence qui consiste à entrer dans le vif du sujet sans passer par la case départ: l’Actu. On navigue dans le sous entendu, le happy few, le joke entre amis. Ils n’ont plus à faire la preuve de ce que tous leurs lecteurs savent. Ils pilotent la MODE, sans concurrence majeure et donc ils ont pu faire l’économie d’un item de cetté équation: actualité + référents + photographies + légendes = MODE en supprimant l’actualité. On est dans le sous voir du sous entendu.
Marie-Claire
quelques pages du magazine
On ne dit plus magazine de MODE, mais féminin, masculin.
Avec Marie-Claire comme avec ELLE, nous sommes sur des territoires CSP+, CSP++. Ce sont les épouses de ceux qui «ont fait mai 68», quand elles n’y ont pas participé elles-même. Mais le lectorat se puise également dans les générations post 68. Cependant il y a des différences avec ELLE. Elles tiennent à la fois de l’histoire et des terrtoires conquis. Mais en feuilletant Marie-Claire on se surprend parfois de croire que nous sommes dans un Mag généraliste. Faux. Les pages MODE sont bien là. Ils rythment le rédactionnel et invitent en permanence la lectrice à «chauffer» ses cartes de crédit.
BoBo, Ecolo, ouvert sur le Monde, une façon élégante de dire le ici-et-maintenant. En se préoccupant d’autrui. On peut dire en cela, que nos trois magazines français sont coulés sur le même moule même si graphiquement très différents voires opposés, ils ont tous pour lieu commun l’altérité humaine et la préoccupation des faits sociaux. On pourraît dire par exemple que la MODE au sens large en France en est encore à ses débuts, ne sachant pas comment couper avec l’item de l’actualité. Ce qui ne veut pas dire que le modèle soit mauvais. C’est peut-être aussi un symptôme typiquement français. Qui a dit que nous étions refermés sur nous-mêmes?
Analyse des mises en page.
Finalement une chose est certaine. C’est bien le contenu rédactionnel qui va rythmer chacun de nos exemples. Avec en tête Femme Actuelle qui jongle avec un rédactionnel très fourni, voire empiète sur les terrtoires de généralistes, il se sont contraints à être lisibles, foisonnants et ont inventé en France le système de la lecture-zapping il y a vingt cinq ans. Constatant qu’on ne peut demander à la Ménagère de Base de rester assise pendant deux heures d’affilée pour lire son magazine. Marmots, école, boulot, mari, linge, paperasse, ménage laissent peu de temps à cette stackanoviste moderne. Prisma Presse a donc fait d’innombrables pré-tests pour déterminer le contenu et la forme idéale qui serait aussi bien perçus dans le fin fond de l’Auvergne ou de la Bretagne que dans la banlieue parisienne. Il y a eu depuis des changements. La mise en page (MP) s’est calmée, et les lectrices ont évolué. Les entrées d’articles, même si le 4 colonnes nous semblent un peu stressantes ressemblent à ceux d’un Express d’il y a 15 ans. Grande photo, textes sobres, initiales-lettrines bleues (discrétion du bleu catholique). Texte composé en Times et les titres dans un Myriad un peu brutal (j’aurais sans doute préféré dans le même style un Frutiger mieux dessiné):
Un bémol typographique à cette qualité populaire, les fers à gauche qui sont calamiteux. Aucune règle n’est respectée. Ni celle qui interdit dans le code typo les césures en mode drapeau, ni celle de ne pas laisser traîner en fin de lignes des articles ou signes seuls. (ci-dessous)
ELLE et Marie Claire semblent plus sophistiqués. Pourquoi?
Le magazine ELLE, pourtant composé avec un jeu de caractère de l’époque du Bauhaus, le Futura (dessiné par Paul Renner entre 1925-1927) a détourné ce caractère de ses origines socio-culturelles. Les textes sont sur-interlignés, et cela faisant se donnent à lire tant il est confortable pour l’œil de ne pas être stressé par les lignes trop serrées. Les titres et sous titres s’alternent avec un futura medium et un ultra-light que j’ai eu le plaisir de leur dessiner il y a pas mal d’années. Les contrastes typographiques tirent vers le mode binaire, gras-maigre, qui est l’expression sans nuance du langage de la MODE. N’oubliez pas, la MODE, c’est ici-et-maintenant. Et il se décrète. Donc la typo est mise en scène pour souligner cette binarité. C’est Peter Knapp, aux cotés d’Hélène Lazareff fondatrice de ELLE qui a installé ces typos déjà dans les années 60.
photographie Brodovitch
D’origine suisse, il fut influencé par Brodovitch et le HARPER’S qui à l’époque se permettaient des jeux graphiques extraordinairement constructivistes. ELLE a une place particulière parmi les «féminins» français. Venue du journalisme Hélène Lazareff a révolutionné le regard que les femmes portaient sur elles mêmes. Aujourd’hui encore ce magazine, malgré un lectorat vieillissant incarne la naissance du féminisme et de l’émancipation des femmes. Il y a donc un jeu subtil entre la typographie et la photographie. Sans doute fortement influencé encore aujourd’hui par le HARPER’S, le directeur artistique de ELLE, Yves Goube pratique la découpe aux «ciseaux» (virtuels) des placards de textes venant pervertir les photos. Une manière de dire à la lectrice: «là tu es chez nous, chez toi, dans la partie rédactionnelle de Ton Magazine». En contraste avec les pubs des annonceurs qui jouent les pleines pages à fond perdus. Et si vous avez le moindre doute de ces filiations retournez quelques clics de souris plus haut pour voir combien il y a de similitudes entre les MP du magazine de la cinqième avenue et ELLE. Bien sûr on peut se poser une question, d’ailleurs elle s’impose: pourquoi diable les magazines féminins sont ils tellement conservateurs (la binarité gutenbergienne des mises en page est là pour en attester)? Il y a plusieurs réponses.
D’abord qu’est-ce que j’entends par conservateur. Nous sommes aujourd’hui à l’ère de la typographie plasticienne. Un bon quart des MP modernes se pratiquent avec des superpositions de calques, des profondeurs de pages et d’images où l’œil se perd aussi bien en surface qu’en profondeur. Et notre perception a bien évolué pour avoir appris à lire nouvelles images (voyez Matrix qui est l’exemple au cinéma de ce que David Carson pratique en photographie). La MODE devrait en principe être à l’avant garde des expressions graphiques comme photographiques. Ce n’est pas, plus le cas. Et ce n’est sans doute pas ces incursions de fausses épreuves (bromures) de textes dans les images (que pratiquait déjà Actuel de Jean-François Bizot dans les années 80) qui peuvent connoter une quelquonque modernité. Mais comme on l’a dit la MODE est un terrtoire d’injonction, de décrets. C’est noir ou blanc. Vous êtes UP ou Down, dedans ou dehors, c’est binaire. Ces MP correspondent donc bien à une architecture de la pensée de MODE. L’à peu près, la demi teinte et les jolies recherches d’images modernes n’ont pas cours ici. On y joue avec les oppositions, les juxta-positions. Pour énoncer la MODE, celle-ci curieusement se sent obligée de revétir des constructions démodées, il y a là donc un paradoxe qu’il était important de pointer.
Il y a sans doute au moins une autre raison à ce conservatisme que nous dénotons aussi bien à New York qu’à Paris. Comment se fait-il par exemple qu’un magazine comme ELLE, malgré ses codes de MP très élégantes ne soit pas aujourd’hui encore à l’avant garde de l’expression graphique. Et qu’elle soit rattrapée petit à petit sur ses propres terrtoires visuels par des magazines au tirage plus populaire. J’ai cherché. Ce n’est en aucun cas le vieillissement du personnel graphique de ces rédactions. Un métier où les gens se renouvellent plutôt trop vite que pas assez.
N’y aurait-il pas une explication purement socio-économique. Depuis la première guerre du Golf, les affaires sont plus difficiles. Les pouvoirs d’achat sont rognés quotidiennement, l’insécurité face à l’avenir, donc les achats de MODE se raréfient régulièrement. Les Maisons de Haute Couture ferment ou se recyclent en prêt à porter. Carl Lagarfeld entre au temple du prêt à porter populaire. Bref la MODE traverse une crise plutôt grave au regard de tous les savoirs faire qui se perdent, couturières, dessinateurs-stylistes, fabricants d’accessoires etc. Il suffit d’avoir vu les démélés de Christian Lacroix avec le groupe LVMH pour prendre la mesure de la crise.
Le maître mot dans le commerce depuis une quinzaine d’années c’est vendre, vendre, vendre… au détriment du: qu’en pensez-vous, ce serait bien si, small is beautiful (c’est wolkswagen qui s’était permis une affiche où la coccinelle trônait, minuscule dans une affiche toute blanche… Comment, mais remplissez-moi ce blanc. Il me coûte trop cher…Et pourtant nous sommes nombreux à savoir combien un blanc peut mettre en valeur une image ou un texte. Soyez efficace… pas de blanc, remplissez… et petit à petit on a perdu l’âme des magazines de MODE: la recherche de l’élégant et du surprenant. De l’Avant Garde. Il suffit de voir les travaux de Herb Lubalin pour deviner l’écart qui se creuse chaque jour avec la recherche du vrai NOUVEAU qui est NORMALEMENT la raison d’être de la MODE.
J’arrête donc provisoirement cette analyse qui comme vous vous en doutez ne peut-être exhaustive. Cependant j’en appelle aux contributions et commentaires pour l’étayer voire la développer. Je verrai la forme, soit de réintroduire vos contributions dans l’article soit d’entamer un dialogue dans la partie commentaires. Mais je me connais et je préfére d’avance la première solution bien plus enrichissante pour tous les afficionados de la mise en page de presse. Paris | 1er décembre 2005.
Interressante et passionnante cette étude
un magazine que j’apprécie « Atmosphère »
« Elle » je suis une habituée de longue date quant à « Marie-claire » je ne le lis plus mais « Roland Barthes » toujours et encore…