Typographie | Elements d’histoire | Familles de caractères

l’histoire de la typographie se confond avec celle de l’écriture de l’alphabet phonétique

suite du cours de typographie concernant la classification des caractères.

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Comme vous avez pu le constater, plus on avance dans l’élaboration d’une histoire de la typographie, plus on cherche à affiner les filiations des caractères. Thibaudeau (1860-1925) a été longtemps la seule référence en France pour une classification des caractères d’imprimerie. Elzévirs, Didots, Bâtons, Egyptiennes. 4 formes alphabétiques de base pour déterminer le style et l’origine d’une police de caractère. Or notre connaissance de la chose imprimée n’a fait que s’affiner tout au long du XXe siècle de l’information. Comment peut-on classer un Bembo, un Garamont et un Times dans la même famille des Elzévirs. C’est pourtant ce que Thibaudeau nous propose. Et de regarder la forme des empattements, les contrastes des pleins et déliés, l’attaque de la partie supérieure d’un <a> bas de casse et l’on s’aperçoit tout de suite de différences notoires. Mais après-tout est-ce que cela sert à quelque chose de savoir classer les caractères?

Dans les années 50-90, pendant près de 40 ans nous avons été envahis dans toutes les agences de pub, de studio de réalisations graphiques par les catalogues de caractères, tels que celui-ci dessous…

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extrait d’un catalogue «Type Book» typoGabor (1988)

Bien avant l’arrivée des Macintosh et des technologies typographiques vectoriels, les ateliers de composition proposaient à leurs clients d’innombrables formes alphabétiques dans des dizaines de catalogues mis à la disposition des directeurs artistiques des agences. Pour s’y retrouver une seule solution, avoir une connaissance intime de la forme des alphabets afin de «pressentir» à l’avance ce qu’on y cherchait. De savoir reconnaître une Elzévir d’une Egyptienne ne suffisait plus. Et Maximilien Vox, fondateur des rencontres graphiques de Lure l’avait bien compris. A l’instar de Giono qui avait créé les rencontres du Contadour, Vox va se réunir avec quelques amis, Jean Garcia, John Dreyfus et plus tard François Richaudeau, Charles Peignot, Roger Excoffon sur les hauteurs du village de Lurs en Provence afin de tenter de jeter les bases d’une réflexion moderne sur la typographie. C’est ainsi que naîtra la Classification Vox qui recueille aussitôt l’assentiment de l’Association Typographique  Internationale.  Les Elzévirs sont éclatés en 3 familles, les Humanes, les Garaldes et les Réales.  Ce que les  Américains jettent pêle-mêle dans une seule catégorie «Old Style» (sans doute Old Style pour tout ce qui précède la naissance des États-Unis), mais avant d’aller plus loin dans cette affaire de classification je vous emmène faire un flash-back sur l’histoire de l’écriture. Ci-dessous un tableau simplifié qui résume la filiation des écritures depuis 700 av JC :

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Bien sûr nous savions que les caractères bâtons, Linéales chez M.Vox n’étaient en rien modernes. Ils ont été tracés, bien avant l’alphabet grec ou phénicien (700 av JC) sur les inscriptions cunéiformes véritable proto-alphabet de celui phonétique qui nous vient tout droit des phéniciens. Mais il est toujours intéressant de rappeler un contexte. C’est celui du support, et de l’outil. Les lettres tracés à l’aide d’une pointe sur une pierre argileuse ou de la cire ne ressemblent en rien aux lettres que les romains nous laissèrent sur la colonne Trajane. Eux se servaient de ciseaux pour tailler la pierre… Remarquez ci-dessus l’élégance des lettres A grecs et la régularité du tracé sur les pierres. (images cliquables).

A peine quelques centaines d’années s’écoulent, 200-300 et nous sommes plongés au cœur de la cité antique romaine qui pratique l’écriture comme moyen politique autant qu’artistique.

Les formes s’affinent, au croisement des tailles de ciseaux, un léger empattement «incise» apparaît, ce qui permit à M.Vox d’installer cette Classe des Incises juste avant les Humanes. On dira aussi des caractères lapidaires, provenant des inscriptions sur les pierres tombales ou les frontispices des monuments romains. Cependant les choses vont très vite.

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Entamée en Asie, l’histoire du papier se poursuit en terre musulmane, où il suscite « un respect frôlant parfois le fétichisme » dès lors que les paroles du Coran s’y trouvent inscrites. Et si les Arabes empruntent, au VIIIe siècle, le papier à la Chine, ils le transmettront à l’Occident, par l’intermédiaire des moulins d’Al-Andalus, l’Andalousie des « trois cultures » (musulmane, juive, chrétienne). Lire la suite !   

Les hommes s’adaptent, taillent des plumes (calame) pour en tremper le bout dans une encre et tracer les lettres sur un épais parchemin. La souplesse du poignet, la vélocité de la main qui parcourt une feuille posée sur la tablette du script (scriptorium) entraîne rapidement à des modifications magistrales dans les formes alphabétiques.

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l’attaque du plat de la plume sur le papier entraîne ipso-facto la naissance des pleins et déliés, mais il faudra attendre le Moyen Âge, l’époque de Charlemagne vers le 8e-9e siècles pour que l’Onciale se voit tracer avec des lettres hybrides d’abord, on dirait aujourd’hui des bas de casses capitalisées ou petites capitales, qui deviennent progressivement des minuscules (puisque la casse de Gutenberg ne verra le jour que vers 1450). La minuscule carolingienne ou caroline représente parfaitement l’ancêtre de nos écritures d’imprimerie moderne.

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Parallèlement nous voyons déjà clairement apparaître les fondamentaux de la mise en page Gutenbergienne. Titres, Lettrines, vignettes décoratives.

Qui ne se souvient de cette scène du Nom de la Rose où des dizaines de moines traçaient les parchemins debout devant l’écritoire… Ainsi il faut toujours se souvenir qu’avant la lettre d’imprimerie, la lettre fut tracée, travaillée selon des techniques calligraphiques de plus en plus raffinées. La gymnastique du poignet se codifiant avec l’expérience des Jan van De Velde, ancêtre de nos calligraphes modernes dont un des plus talentueux descendants Claude Fernand Mediavilla fréquenta l’école de Bernard Aarin, le Scriptorium de Toulouse. Mais je m’avance un peu trop vite, nous ne sommes qu’à l’aube de l’ère du caractère Gothique.

Pour lors les outils se réduisent au pupitre, la lampe, l’entonnoir avec de l’encre, la plume, le fil à plomb, la pierre ponce, et le racloir. Ils n’ont guère beaucoup évolué depuis 500 ans. L’usage du pupitre est toujours recommandé. Comment parler des «écrits» sans évoquer le rôle prépondérant joué par l’Université dans la diffusion des imprimés. Celui de Padoue, toute puissante, celui de Paris, une capitale dans la capitale jouèrent un rôle fondateur pour labéliser les nombreux imprimés, calligraphiés dans les monastères. Les étudiants affluent, la demande augmente considérablement et la minuscule caroline va progressivement glisser de plus en plus vite sous la main des scriptes. De «parisienne», d’«anglaise» ou «bolonaise» la nouvelle cursive, indispensable à la vie sociétale et universitaire, prendra le nom de gothique. Elle est le fruit, la conjonction d’une évolution sociale majeure, où «le progrès social et le développement de l’économie et de la culture laïque généraliseront le besoin de
l’écriture». Ainsi l’on constatera une évolution parallèle entre le style des églises et cathédrales gothiques et de l’écriture du même nom qui ne vient en rien des Goths, tribus barbares comme chacun le sait.

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C’est dans cette période qui court de Charlemagne à Gutenberg, près de cinq cents ans tout de même, distance équivalente de celle qui sépare de Gutenberg à nos jours, que va s’élaborer la codification de la mise en page moderne.

Durant cette période nous verrons d’innombrables écritures se multiplier, avec tout de même une constante, l’avènement de la plume et du papier, ainsi que l’accélération de l’écriture qui donnera naissance à une grande famille de caractère que sont les cursives et les Humanes. Quand Maximilien Vox distingue trois familles là où Thibaudeau n’en voyait qu’un, c’est tout simplement que Vox était particulièrement sensible, artistiquement et humainement aux évolutions de l’écriture. Il ne pouvait pas s’empêcher de «voir» les formes alphabétiques sans regarder l’attaque de la plume sur le papier. ainsi les Humanes (venant d’humanistiques), sont antérieures aux caractères d’imprimerie classiques comme le Garamont que Claude G. dessina au 17e siècle.

A ce stade de cette note il me faut avouer mes sources, car sans elles je n’aurais pu aborder avec autant d’aisance iconographique cette petite étude. Il s’agit de l’extraordinaire ouvrage de Roger Druet et Herman Gregoire préfacé par Roland Barthes et François Richaudeau (publié chez Artheme Fayard & Dessain et Tolra en 1976 – édition épuisée) : La Civilisation de l’Écriture.

Il faudra environ une centaine d’années pour passer de l’écriture gothique à l’écriture humanistique. Le Moyen Âge, où règne une forme de folie intellectuelle et moral pétrie de rigidité sociale et morale symbolisée par le style gothique des églises aux lignes aussi solides que les barreaux d’une prison. De la folie d’une fin d’époque à la hiérarchie verticale que nous verrons vaciller sous la pression de la Renaissance, de la découverte des perspectives en architecture. Des Fous et des Pauvres, une société meurtrie par des rois dangereux pour leurs sujets (Louis XI, Charles VII), brûlant les Jeanne d’Arc et laissant assassiner des centaines d’enfants par Gilles de Rais.

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L’écriture gothique, ou textura chez les allemands correspond bien à cette volonté de remplissage sans laisser la moindre place au vide, c’est à dire à la contreforme. C’est bien ce textura qui séduira Gutenberg lorsqu’il s’attaquera à la bible en 36 lignes puis à celle de 42 lignes plus connue puisqu’elle est exposée en grande pompe à Mayance au Musée Gutenberg. Le deuxième alphabet que les imprimeurs vont adopter c’est aussi une gothique. La lettre de Somme, ainsi nommée pour avoir servi à composer la Somme de Thomas d’Aquin. Les Allemands l’appelèrent la Rotunda. Plus arrondie que la Textura, elle se souvient d’avoir été de forme latine et tend à s’harmoniser avec le siècle de Montaigne, plus humaine, plus confortable.

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L’apport de la Calligraphie à la maîtrise du caractère.

On ne saurait faire un saut vertigineux de près de 200 ans qui sépare Gutenberg et la Fraktur qui servit à composer sa Bible et le dessin policé et pétri de classicisme que dessina Claude Garamont vers 1650 sans évoquer l’importance de l’expérience calligraphique dans l’arbre généalogique des caractères. Bien sûr il s’agit de gestes individuels, mais codifiés. Bien sûr le hasard intervient mais pas plus que dans un caractère aux formes classiques. Ce qui fonde l’importance de la calligraphie, c’est précisément l’outil et la technique.

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Sans vouloir choquer les historiens, permettez-moi d’avancer une image, le calligraphe est à la cour du Roy, aussi indispensable que l’était le Scribe dans la haute Égypte. Ce sont les attachés de presse (cf Pétrarque) de ces époques si lointaines. Ils confient au papier, les secrets, les discours, les échanges, les transactions financières et diplomatiques des cours royales. Il en va ainsi des Cancelleresca, lettres de Chancelleries qui servent à échanger des informations entre deux délégations étrangères. Je ne citerai pas tous les noms, ce serait fastidieux, mais seulement ceux de Nicolo Niccoli (1364-1437) qui aurait, par un traitement cursif, assuré le succès de l’écriture humanistique, de Jean van den Velde à Rotterdam (1567-1623) qui publie en 1605 le Spiegel der Schriftkonste (Miroir de la Calligraphie), de Nicolas Jarry (1641) [la guirlande de Julie], de Paillasson (XVIIIe siècle), maître d’écriture et d’arithmétique, de Barbedor, le plus grand calligraphe français de l’époque (1589-1670) pour son ouvrage principal, les Écritures financière et italienne bâtarde paru vers 1650. Ce qui me rappelle que le seul musée sérieux consacré à l’imprimerie en France, celui de Lyon, au 13, rue de la Poulaillerie, se trouve être dans le même temps, le musée de la Banque. Étrange paradoxe mais pas tant que ça lorsqu’on se souvient du rôle de l’écriture dans la tenue des comptabilités financières et dans les lettres de change (ancêtre de nos chèques).

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Il s’agissait non seulement d’écrire, mais aussi de décorer l’écriture avec des paraphes (swashes chez les Américains), des arabesques qui venaient égayer, encadrer avec souplesse une phrase, un décret royal, un mot diplomatique ou amoureux. Les calligraphes faisaient assaut d’élégance et d’inventivité pour marquer de leur style personnel chacune de leurs planche d’écriture.

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Ainsi avançons nous résolument vers le siècle du classicisme et l’invention majeure de la création typographique qui advint en France. Je prendrai aussi la même précaution langagière que Roger Druet pour juger du plus beau dessin de cette époque le Garamont. Ce n’est pas qu’il fusse plus beau, plus original que les caractères de Francesco Griffo ou d’Alde Manuce, mais il parvint à une telle perfection dans le dessin et une telle harmonie dans ses déclinaisons, qu’aujourd’hui encore, quelque 500 ans après, le Garamont, ou Garamond avec un <d>, reste un des caractères classiques les plus utilisés dans l’édition comme ceux de Gallimard et bien d’autres.

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Pour comprendre la magie de ce caractère il faut savoir que nous revenions de loin. Le rationalisme de la Renaissance Française a failli avoir la peau des beaux caractères typographiques à l’Italienne. Les travaux du Champfleury de Geoffroy Tory et Dürer, inspirés des travaux anthropomorphiques de Leonardo da Vinci sont un bel exemple d’impasse dans laquelle la typographie Française a failli se laisser enfermer. Par ailleurs je dois reconnaître ce qui semble être l’avis unanime, les apports de Tory à l’art de l’édition où il excella avec son partenaire et associé Simon de Colines. Ils ont à eux deux «sortis» pas moins de 430 éditions avec les moyens les plus désuets que l’on connaît.

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Elzévir = Humanes + Garaldes + Réales

Nous avons vu la naissance des Humanes, les Garaldes selon la classification de Maximilien Vox est la contraction de Garamont et Alde Manuce (dont on ne saurait passer sous silence les travaux typographiques et lui accorder l’antériorité du style Garamont). Mais il serait également criminel d’oublier les apports de Francesco Griffo qui nous donna ce très beau Bembo réédité par la fonderie Monotype sous la férule de John Dreyfus voire de Stanley Morison.

Mais alors les Réales… c’est quoi ? Si l’on regarde les empattements, les pleins et déliés et les attaques de la plume imaginaire au-dessus de la panse du <a> bas de casse, une Réale est très proche d’une Garalde. Sauf que, sauf que les contrastes pleins et déliés, sont plus marqués, sauf que les empattements de sensibles voire sensuelles, elles sont devenus presque géométriques, triangulaires.

Voici un tableau comparatif
Hambour

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Le Jenson s’apparente aux Humanes par le style marqué du dessin à la plume (attaques, terminaisons des patins, pleins et déliés marqués par la pente de la plume.

Le Garamond (Garaldes) efface les aspects «plumistiques» et nous propose des empattements sensibles et élégants mais en même temps très présents dans l’alignement des lettres. Au contraire du Times de Stanley Morison (1935) (Réales) qui transforme les patins en forme prototriangulaire et accentue les contrastes des pleins et déliés. Si l’on devait faire un choix, nous pourrions affirmer que le Times, hérité du Baskerville et du Caslon symbolise le mieux l’Elzévir de la classification Thibaudeau. Mais du fait qu’il est largement postérieur au Garamont, y compris les Baskerville et Caslon, Vox leur a attribué le nom de Réales, pour Réalité, Réalisme, Modernité… tiens ! les Américains les appellent du nom de Modern Style au contraire des Old Style.

Les trois coups retentissent et nous voilà transportés au XVIIIe siècle. Gianbattista Bodoni qui, nous laisse une variante encore plus épuré du Modern Style. La taille douce est passé par là. Les techniques de gravure de poinçons évoluent, se mécanisent et autorisent des finesses jamais atteintes par la main de l’homme.

En France Firmin Didot, en Italie Bodoni, Vox résume, il les appellera les Didones.

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baskerville                                   bodoni       architecture XVIIIe

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La Classification Vox comprend de fait 11 familles, nous venons d’en examiner 7 seulement, les Linéales, les Incises, Les Frakturs, les Humanes, les Garaldes et les Réales, les Didones. Reste à examiner les Mécanes, les Manuaires, les Scripts et les formes non Latines.

Nous sommes au cœur du XIXe siècle plongés dans l’industrialisation la plus effrénée. L’imprimerie est devenue un secteur majeur, acteur de la vie économique des pays dit civilisés. Voici à quoi ressemblait un atelier de composition typographique aux alentours de 1850. Ainsi que quelques illustrations de presse à feuilles.

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derrière chaque pupitre, un compositeur typographe, au contact du plomb et de l’antimoine (saturnisme). Il dispose les caractères plomb (gutenberg) dans un composteur qu’il tient dans la main gauche. Vitesse de composition : environ 1350 signes à l’heure sans compter la «redistribution», qui consiste à remettre les lettres, une fois qu’elles ont servis à l’impression dans les casses correspondantes. Pour vous donner une idée comparative, une collection comme l’Adobe Folio comprenant environ 2000 polices de caractères équivaut à 50.000 casses, c’est à dire environ 3300 meubles contenant une quinzaine de casses. Si chaque meuble occupe environ 2 m2 au sol, cela représente au bas mot une surface industrielle de 6600m2, soit environ 3 immeubles Haussmanien, sans compter les dépendances, couloirs, ateliers de presse etc. Sans doute le double.

Cela tient aujourd’hui dans une clé USB branché sur votre portable que vous tenez sur vos genoux dans le TGV qui vous emmène en WE. Voilà la vraie révolution que nous venons de vivre en quelque 50 ans. Elements d’une réflexion sur la modernité, aurait pu être le titre de cette note.

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Une Histoire de la Typo | A Type Historical Story from petergabor on Vimeo.

(design et typo) ©peter gabor

Référence bibliographique : Il s’agit de l’extraordinaire ouvrage de Roger Druet et Herman Gregoire préfacé par Roland Barthes et François Richaudeau (publié chez Artheme Fayard & Dessain et Tolra en 1976 – édition épuisée) : La Civilisation de l’Écriture.

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Sebastião Salgado | derniers jours à la BNF

Exposition du 29 septembre 2005 au 15 janvier 2006 | Bibliothèque nationale de France | Site Richelieu | Galerie de photographie | 58, rue de Richelieu, Paris 2e |

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site de la BNF

Dans un monde instable Sebastião Salgado n’a cessé, depuis 1974, de parcourir le monde. Sa conception du reportage photographique a évolué et plus qu’au rendu de l’événement, du factuel, il s’attache à l’élaboration de projets conçus sur le long terme. Sa formation première d’économiste lui permet d’aborder avec un regard dépourvu de naïveté les grandes évolutions qui s’amorcent et de les rendre visibles par la photographie. L’œuvre de Salgado nous permet d’approcher photographiquement la question du territoire, la manière dont l’homme le crée ou dont il en est dessaisi, et les conséquences des actions qu’il effectue sur ce bien commun qu’est la nature. La première question que pose la photographie de Salgado face au monde n’est pas "pourquoi?", "qui ?" ou encore "comment?", mais "où?". En l’occurrence, où est l’homme? C’est au cœur d’un système économique et politique en proie à l’instabilité que Salgado construit sa problématique et mène ses projets. Il a témoigné pendant près de trente ans des oscillations, des déséquilibres, voire des effondrements qui marquent pays et continents, qui les font évoluer, les mènent parfois au chaos.  Lire la suite

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Kodak | un logo sans image

Kodak, un acteur essentiel du monde numérique

Ceux qui essaient de relier la simplicité spartiate voire l’appauvrissement du nouveau logo de Kodak avec la fin des entreprises liées à l’argentique en sont pour leur frais. Contrairement à Ilford ou Leica respectivement fabricants de papiers photo et d’appareils argentiques aux renoms mythiques, Kodak n’a jamais pris de véritable retard de positionnement sur les nouveaux marchés du numérique. Sans doute confrontés à la migration trop rapide d’un monde révolu, ils ont eu plus de difficultés à surmonter qu’un nouvel arrivant sur ce marché (Sony par exemple, qui a l’avantage de ne traîner aucune casserole financière). Mais Kodak a participé activement, voire contribué à développer le monde numérique. On oubliera pas qu’ils furent les premiers à proposer des boîtiers reflex à 12 voire 20 millions de pixels adaptables avec objectifs Nikon.

Et la visite des sites ci-après, démontre à l’évidence qu’ils prennent une part plus qu’active au développement du tout numérique, sur toute la chaîne graphique (appareils photo, traitement de l’image, photogravure, pre-print [avec les CTP] et digital proofing [Approval, Creo  etc.]).

Site officiel de Kodak
Capteurs Kodak : nouveau record de résolution

Ceux qui essaient d’expliquer la simplicité spartiate du nouveau logo et l’abandon de l’enseigne (écusson dirait Michel Disle | co-fondateur de Carré Noir)  par l’effondrement des marchés de l’argentique, en seront pour leur frais. Parce que Kodak est résolument moderne et actuel. Bien sûr, les amoureux de l’argentique dont je suis peuvent tous regretter une époque où l’on voyait l’image se révéler dans le fond de nos bacs à développement, où l’on faisait du masking sous l’objectif de l’agrandisseur pour <ouvrir> tel partie de l’image trop peu exposée. La relation même au temps du travail sur l’image permettait une réflexion, une gestation des idées, des concepts photographiques et je ne saurai que recommander la visite d’une exposition qui prendra fin la semaine prochaine à la BNF, celle de Sebastião Salgado, qui reste un des derniers grands représentants de la pratique traditionnelle. Immense, émouvant.

Vous croyez que je m’éloigne du sujet, alors qu’au contraire, j’ai le sentiment de poser les jalons d’une réflexion qui prend acte de l’histoire et du présent de l’entreprise.

Voici une étude technique comparative de l’ancien et nouveau logo de Kodak (cliquez sur l’image):

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(cliquez sur l’image ci-dessus)

Ce qu’on retiendra de cette comparaison ce n’est pas tant le changement du logotype de Kodak, petit subterfuge pour moderniser l’écriture avec sans doute un défaut majeur, la fermeture du <a> dont la contreforme est tellement réduite qu’elle risque de se boucher une fois réduite, et je suis bien certain que la firme fera faire un dessin d’exécution spécialement adapté aux grandes réductions (ce ne sera ni la première ni la dernière fois que l’on fournira à une marque deux dessins). Non ce qu’on retiendra c’est sans doute l’abandon de l’écusson carré en forme de K rouge sur fond jaune. Cet écusson était particulièrement réussi parce qu'<à plusieurs entrées>. L’on pouvait autant y voir un <K> qu’une lentille d’objectif, une image projetée, agrandie, bref tout ce qu’on demandait à une marque s’occupant de photographie, un symbole efficace, intégrant un logotype. Alors il y a ceux qui ont remarqué très justement que le logo Kodak dans l’ancienne version était peu lisible, voire trop réduite et que le nouveau logo, débarrassé du symbole sera plus présent dans les inscriptions (produits, communication). Mais c’est oublier que Kodak a toujours fait vivre leur logo aussi bien avec que sans l’écusson. Si l’on regarde les boites-pellicules, ou les inscriptions sur les appareils-photo, seul l’écriture était utilisée… Alors je suis assez d’accord avec ceux qui disent qu’il faut attendre la charte pour juger au final de ce nouveau logo. Il est certain que les deux bandes jaunes sont parfaitement inutiles, si l’on songe à l’utilisation <marquage produit>, et d’ailleurs ils disparaîtront. Quant aux packagings, on verra. Il n’est pas sûr du tout que la charte les inclut. Ce que l’on peut simplement conclure à ce stade c’est deux choses:

1) était-il nécessaire d’abandonner l’ancienne enseigne Kodak?
2) le nouveau logo <écriture rouge encadré des filets jaunes> correspond-il à l’image que Kodak devrait donner de ses innombrables activités Grand Public et Professionnel sur le marché photographique.

À la première question je répondrai par un trait d’humour. Kodak n’a jamais été très pointilleux sur le rappel de leur enseigne. Ce qui fonde la marque Kodak curieusement c’est l’association du rouge et jaune, codes couleurs reprises dans la nouvelle écriture. L’abandon de l’écusson, qui rappelle pour bon nombre d’entre-nous l’ancien univers argentique, au-delà de l’aspect un petit peu traumatisant, ne peut avoir qu’un effet bénéfique à terme. Kodak fait la rupture avec l’ancien monde et nous montre qu’elle (l’entreprise) est présente plus que jamais sur les nouveaux marchés. Auraient-ils du réinventer un nouveau symbole. Peut-être trop tôt. Et ceci pour arriver à la réponse 2.

Les nouveaux marchés de Kodak ont un contour incertain. La place de Kodak est floue, dans un environnement numérique dont les comportements se déplacent sans cesse. Les acteurs, les technologies, les comportements d’achats se dessinent chaque jour sous nos yeux de professionnels ébahis. Sur internet on nous propose des services de labos en ligne. A la Flac ou rue Mongalet on nous propose des machines personnelles pour interfacer nos appareils photos avec de petites imprimantes qui tiennent sur la table du salon. Le secteur des arts graphiques, est vivement concurrencé par le Grand Public. Ainsi sur un Marché aussi fluctuant, aussi incertain, une design strategy d’identité visuelle ne pouvait ni prendre trop de risque de rupture (conservation de la marque, des codes couleurs), ni proposer un nouveau symbole qui risque d’être à proprement parler démodé par le marché, et les technologies sans cesse remises en question. (nanotechnologies, capteurs organiques etc.).

Le nouveau logo de Kodak tient plus d’une étape de transition prudente que d’une volonté de marquer un territoire qui au reste est déjà marqué, codifié et occupé par cette firme plus que centenaire.

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Bresil, Bresils | l’année du Brésil | photos

L’année du Brésil se termine,
voici quelques photos de concerts
et de fêtes qui ont égayé ces douze mois que Paris
a vécu au rythme de la samba et du forro.

toutes les photos sont là !

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logo création philippe apeloig

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toutes les photos sont là ! et site officiel de l’année du Brésil

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Tata Güines es una eminencia de los tambores | fotos

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Tata Güines est un Maestro de la Percussion

On m’a plusieurs fois demandé qui était le bonhomme qui tirait sa langue sur l’en-tête de ce blog. Eh bien ce n’était pas moi… mais ce fantastique petit bonhomme résidant à Cuba qui est venu plusieurs fois participer à des concerts cubains à Paris (La Galerie, le New-Morning avec Maraca…). Quelques références sur la musique latino et cubaine très bien documentées ici.

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comme un enfant qui tire la langue pour mieux s’appliquer, Tata est un être délicieux. Je l’ai rencontré plusieurs fois pour lui remettre des photos, et son regard d’adolescent égaré restera gravé dans mes souvenirs.

et ci-dessous un des musiciens-chanteurs qui accompagnait le groupe de Tata. Si quelqu’un se souvient de son nom, qu’il n’hésite pas à me laisser un commentaire…

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Recherches matières | hommage à Max Ernst

Rorschach pour balader son imaginaire

Voici une série de recherches que j’ai faite en utilisant la technique de Max Ernst, encrage-arrachage avec encre de chine sur plaques de verres (2cmx2cm), agrandissement macroscopique 30x et travail de retouche considérable afin de dépouiller les détails. Utilisation parfois d’encres de couleurs mélangées avec fiel de bœuf pour une meilleure adhérance sur le verre. Le résultat est assez satisfaisant et donne «matière» aux psychologues «méthode Rorschach» pour faire évoluer leur test par trop papillonesques…

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Il faut rester très humble devant les mystères du hasard et de la nature. J’avais entrepris cette série pour illustrer une collection d’essais consacrés à la psychanalyse. La forme et la fonction. Cela s’est imposé avec beaucoup d’évidence et le voyage intérieur y est infini. Et la typo dans tout cela… allez-y voir c’est ici.

 

Publié dans Création plastique | Commentaires fermés sur Recherches matières | hommage à Max Ernst

Paul Gabor | la période 1937-1956

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Il est des choses que l’on sait devoir faire, que l’on sait qu’on aimerait faire plus que tout au monde et le destin nous en empêche durant des années. Lorsque disparaissait Paul Gabor le 20 juillet 1992, j’étais en pleine bagarre pour tenter de faire survivre l’entreprise que nous avions construite ensemble: typogabor. Les années qui ont suivi (disparition des métiers de la typographie industrielle) furent consacrés à ma propre «survie», et c’était d’autant plus difficile que j’avais décidé coûte que coûte de recommencer une carrière de graphiste après avoir connu la réussite du management technique et artistique d’une des «maisons» typographiques les plus prestigieuses dans le monde. Dormant peu, je me noyais dans le travail et reculait chaque instant devant l’immense tâche de réveiller mes chers fantômes. Paul Gabor m’a tout appris de ce métier et il m’a même appris qu’on doit continuer à apprendre toute sa vie. La sienne fut un exemple, un modèle pour l’enfant, l’adolescent et plus tard l’homme que je devins. Je ne l’ai jamais vu triste, ni angoissé. Plus qu’un hommage à un graphiste de renommée internationale, c’est l’hommage d’un fils à l’homme qui a su le guider dans ses angoisses de déraciné. C’est l’histoire de mon père.

Paul Gabor est né Székesfehérvár (littér. le chateau blanc de Székes) le 13 décembre 1913, un vendredi. C’en était trop pour une famille de superstitieux, ils le déclarèrent être né le lendemain 14. Son père était peintre et possédait un petit artisanat de peinture en bâtiment, ce qui ne l’empêchait pas de peindre le week-end des copies de toiles de maître d’une très belle facture. Paul passa son CAP de peintre en bâtiment à 17 ans avant d’obtenir de sa famille l’autorisation de «monter» à Budapest poursuivre ses études. Baccalauréat puis études supérieures, il entra à l’Atelier, fondé par Bortnyik Sándor, sur les principes pluridisciplinaires du Bahaus où il suivit les cours de Gyula Kaesz (architecture intérieur), Kozma Lajós et Gusztáv Végh (architecture), et d’Albert Knerr, célèbre typographe hongrois émigré par la suite aux Etats-Unis.

Ces années furent les plus enrichissantes, les plus sérieuses de sa vie. Et ils fondèrent toute sa carrière.
A peine ses études terminées il fut pris comme collaborateur dans deux ateliers, architecte le matin et graphiste l’après-midi.  On lui attribue une centaine d’appartements et de meubles dont il dessina les projets. Il fit un court séjour à Paris en 1934, il avait 21 ans. Lorsque fraîchement diplômé par l’Atelier, il gagna un concours graphique pour la Revue Franklin (Tükör) dont il assura une longue série de couvertures. Mais son travail, varié empruntait à tous les styles et bien avant le Pop’Art il produisait ce genre de «commercial» dans une Hongrie qui n’était pas encore entrée en religion communiste.

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Ces travaux montrent déjà les influences graphiques fortes de l’Atelier. Les mises en page de Paul sont toujours conçues et d’abord comme une organisation spatiale architecturée. Dans la couverture ci-dessus il s’inspira d’une antique dessinée par Paul Renner en la redessinant pour l’inclure dans un espace construit en diagonale qui n’est pas sans rappeler les nombreux travaux des constructivistes du Bauhaus et des graphistes Russes.
En 1937 il gagna un autre concours, et profitant de cette manne, il décida de revenir à Paris pour y découvrir l’Exposition Universelle. Armé d’un appareil photo et de calepins qu’il noircissait de notes (presque toutes disparues) il marcha, durant des jours entiers à la découverte des tendances, des courants architecturaux et graphiques. Paul ne savait pas rester inactif, le dessin était chez lui une nécessité vitale et c’est à la Grande Chaumière où il s’inscrivit dès son arrivée à Paris qu’il pût continuer son entraînement quotidien. Bref voyage à Londres durant ce séjour dont témoigne son carnet de croquis échappé je ne sais comment à la fournaise de la guerre.

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c’est avec délectation que j’ai retrouvé cette série qui montre l’influence de Cassandre sur les générations de graphistes contemporains. Paul passe par le dessin pour en comprendre le fonctionnement. Il aurait pu simplement photographier les affiches. Mais comme disait un ami, M.Chanaud, «ce qui doit aller au papier doit venir du papier».

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On retrouve dans ces croquis le style des dessins du Bauhaus.

Ces croquis ne sont pas ceux d’un virtuose, Paul détestait cette expression. Ils témoignent plutôt de sa curiosité pour tout ce qui l’environnait. Il aimait à répéter tout au long de sa vie une chose essentielle, regardez, sentez, reniflez tout ce qui se passe dans les arts visuels, ils nous disent pas seulement la mode mais aussi l’évolution de nos perceptions.
Il avait envie de rester plus longtemps, bien compréhensible en ces temps joyeux d’avant guerre. Fréquentant régulièrement l’atelier de Victor Vasarély qui suivit les mêmes cours de l’Atelier à Budapest, il y avait ses aises pour préparer son «dossier», book dirions-nous aujourd’hui. Vasarély le recommande autour de lui et Paul va obtenir quelques commandes qui lui permettront de rester jusqu’en 1940. Les allemands entrent à Paris. Il n’avait plus rien à faire dans cette belle cité occupée et rentra en Hongrie où il remonte un studio graphique et continue de façon assez obscure la practice de son métier. 1943, il est mobilisé dans une armée hongroise à la solde du régime nazi. Et en 1944 il échappe de justesse à son envoi sur le front russe grâce à l’aide de sa mère qui l’a déclaré malade (il l’était réellement, mais moins qu’on le crut). Tout son régiment fut décimé. Puis c’est l’horreur absolu. fin 1944 il fut emmené avec d’autres juifs dans une de ces déportations de dernières minute qui témoignait de l’acharnement des nazis à poursuivre l’œuvre de destruction coûte que coûte jusqu’au dernier survivant. Durant ce temps, sa jeune femme, ma mère tentait d’échapper à l’horreur avec un passeport Wallenberg entre les mains, mais lorsque, par un de ces miracles digne des films de Spielberg, Paul revint, vivant, amaigri à l’excès, mais vivant, retrouvant sa femme vivante mais plus personne d’autre. Les dix huit membres de toute une famille emportée par la haine et l’aveuglement. Son atelier en fumée, notes, carnets disparus sous les bombardements, il dut recommencer à vivre, à travailler. Et il s’y remit avec une bonhomie et une gentillesse qui le caractérisait.

Un éditeur l’appelle pour créer des jaquettes de couverture et de 45 à 52 il produira une centaine de maquettes qui furent toutes imprimées. En voici quelques unes parmi les plus significatives.

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Petit rappel: il faut savoir qu’à cette époque les moyens de production graphique étaient réduits à:
— la planche à dessin et le <T>
— crayons
— compas
— tire-lignes
— pinceaux et les tubes de gouache.

Tous les titres, devaient être dessinés (lettres inventées et dessinées et peintes).
Ce qui fait de ces maquettes (assez traditionnelles je le reconnais, mais il s’agit n’est ce pas d’édition littéraire) des petits joyaux de création typographique.

Pendant ce temps en Magyarország, bien entendu les fondamenataux avaient changé. Le régime communiste, ses idéaux de progrès social, d’humanisme universel et le besoin de reconstruction du pays sorti amoindri une fois de plus d’avoir choisi le mauvais camp, allait recourir aux graphistes pour organiser la propagande, la «reklame» idéologique et bien entendu et aussi la réclame commerciale qui se limitait à l’utilisation des produits hygiéniques de première nécessité, de l’énergie, et des produits de consommation de base.

En 1950 le ministère de la culture fait appel à Paul Gabor pour contribuer à cette nouvelle communication et voici les plus belles affiches de cette époque, qui témoignent à la fois du style et des préoccupations d’une société en pleine reconstruction.

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affiche culturelle pour une expo d’affiches

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affiche commerciale

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affiche idéologique

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affiche culturelle

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affiche culturelle

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affiche culturelle | expo d’art populaire polonais

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affiche culturelle | expo d’architecture

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affiche culturelle | expo d’affiches polonaises

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affiche culturelle

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affiche commerciale | on retrouvera la typographie de CSEPEL dans l’identité visuelle qu’il dessina pour la Banque de la Hénin dans les années 70.

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affiche culturelle | expo d’art plastique et graphique | le caractère dessiné par Paul est celui qui lui servira de tracé pour le futur Mermoz

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affiche commerciale | chaque crayon est dessiné jusqu’au plus petit corps de typo qui s’y trouve

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affiche culturelle | expo d’art appliqué

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affiche culturelle | semaine du livre

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affiche idéologique | contre la guerre | où l’on voit l’influence de Cassandre et des constructivistes

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affiche idéologique | pour inciter le peuple à la reconstruction

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affiche culturelle | expo d’art appliqué | nous sommes en 55, un an avant la fin de sa période hongroise

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affiche commerciale

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affiche culturelle | semaine du film polonais

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affiche culturelle | expo d’affiche

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affiche culturelle | expo de graphisme britannique (hommage à David Caplan)

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affiche culturelle | expo jouets tchèques | c’est la dernière affiche de Paul réalisé en Hongrie.

Il va encore réaliser la couverture d’une revue littéraire «Nagy Világ»

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La typo de cette couverture est une lapidaire romaine qui se caractérise par son extrême délicatesse. Des pleins et déliés plus elzéviriens mais les empattements sont bien ceux des incises propres à ce style. A remarquer la ligature entre le L et A qui préfigure les ligatures de l’avant garde de Lubalin. Ainsi que cette très belle ligature entre le G et le Y que l’on trouve si rarement dans nos titres d’aujourd’hui.

Son voyage en France n’est pas pour rien dans les influences graphiques des «plakát». Les trois C comme il aimait à dire, Carlu, Cassandre, Colin (Paul), jouèrent un rôle de modèle sur sa réflexion. L’organisation de l’espace a toujours été une de ses préoccupation majeures. On y reconnaît l’influence de ses études d’architecture. Mais l’enseignement d’Albert Knerr n’est pas passé non plus à la trappe. A la fois traditionaliste (elzévirs, lapidaires) mais moderne (antiques, mécanes) les choix typographiques de Paul Gabor s’adaptent en réalité à chaque affiche, contenu éditoriale, aspect psychologique, client-spectateur. Il n’était pas un idéologue du caractère. Ne prônait aucun style en particulier, toujours prêt à adapter un style à un message. Je reviendrai dans une note spécialement consacré à son œuvre typographique sur ces questions d’influences et de sympathies pour certains styles de caractères. Mais il est important de souligner cet aspect typographique de son œuvre, parce qu’à l’instar d’un Herb Lubalin que Paul adorait et tenait en plus haute estime, il était un gutenbergien convaicu. Architecte de l’espace graphique, architecte du signe typographique, l’interstice est ténue. C’est un entre-deux constant. Signe et espace, pour construire un message fort, hiérarchisé, et surtout, surtout, sensible.

Prochaine note: Paul Gabor | la période 56 à 68

Le 23 octobre 1956, Paul Gabor prenait le train Alberg Express à la gare de l’Est de Budapest. Il était 20 heures. Je l’avais accompagné avec ma mère. Accroché en queue de train, un wagon entier de jouets hongrois que Paul devait installer, scénographier à l’expo du Salon de l’Enfance à Paris, au Grand Palais. A 20 heures 15, dans le taxi qui nous ramenait au 99 Majakovski útca, nous avons vu le premiers camions de manifestants, des étudiants qui allaient se déverser sur la ville pour entamer ce qui fut nommé la révolution hongroise, une insurrection qui fit au bas mot 3000 morts, lorsque les chars russes de Krouchtchov se retirèrent.

Arrivé en gare de Vienne, Paul (qui était en mission officielle) fut abordé par l’attaché culturel de l’ambassade de Hongrie pour s’entendre énoncer la nouvelle de l’insurrection. Sous sa grosse moustache, mouais… je continue mon voyage, ça doit pas être si grave que ça.

Entre temps, des courants politiques d’extrême droite tentèrent de reprendre le dessus. Les anciens sympathisants du régime de l’amiral Horty. Dans l’immeuble où nous habitions, un complot pour assassiner tous les juifs fut découvert. Klara Gabor (qui avait déjà obligé toute la famille à se convertir à la religion réformée luthérienne) n’en pouvait plus. Trop c’est trop. Quand les communications furent rétablies entre la Hongrie et le reste du monde, elle appela Paul pour lui demander de rester en France. C’était fini. Elle ne voulait plus rester dans ce pays qui avait laissé décimer toute sa famille et qui était prêt à recommencer, et encore et encore.

Quinze jours plus tard, Paul se promenant dans le métro voyait une affiche signé Ets de la Vasselais. Il prit rendez vous et commença dès le lendemain une nouvelle carrière. A 42 ans il recommençait sa vie pour la troisème fois.

 

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David Carson | le graphic design sur la crête des vagues

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…ou en eaux profondes
Au commencement il y a eu l’océan

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Comme tout un chacun j’ai cherché à comprendre à analyser l’œuvre de ce graphiste hors du commun. Cela remonte bien avant à la création de ce blog. Déjà en 1993 après avoir passé les premiers écueils du numérique, je suis tombé par hasard sur ce livre, «the end of print» édité par Laurence King Publishing à Londres et je me souviens être resté longtemps silencieux devant l’immensité et le mystère de cette œuvre unique. C’est en me penchant sur la production de Neville Brody que j’ai commencé à entrevoir le cheminement qui allait me permettre de «coller une grille de lecture» sur le travail de Carson. Plus récemment, j’ai aussi cherché des parallèles dans la littérature, et curieusement c’est le mot illisible qui m’a orienté. Parce qu’au regard d’une lecture traditionnelle de la mise en page et du graphisme l’œuvre de David Carson pourrait sembler totalement illisible.

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Illisible, personne n’en doute. Parce que Carson a rompu avec tous nos habitudes de lecture gutenbergiennes. Chacune des pages de ce livre relève d’une scénographie qui, contrairement aux mises en pages traditionnelles (où j’inclus ceux de Neville Brody aussi bien que ceux de Herb Lubalin) ne se donne pas au premier regard. Il faut vouloir comprendre, il faut vouloir lire. L’art plastique que l’on appelait les beaux arts il n’y a pas si longtemps (juste avant mai 68) fait irruption dans les pages de Carson, entraînant son cortège de langages, de codes et de sensibilités. Là où la mise en page traditionnelle faisait entrer l’œil par la partie supérieure de la page de gauche pour le faire sortir en bas de la page de droite, Carson nous entraîne dans les abîmes sans fond d’un univers tantôt aérien, tantôt complètement glauque où l’illisible le dispute à la laideur académique. Parce que vous avez beau chercher les référents classiques du beau. Il n’y en a pas. Pas au premier abord. Les typos se mélangent, s’enchevêtrent en venant se superposer aux images dégradées par les nombreuses reproductions intermédiaires ou tout simplement tramées à l’excès.

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Au risque de faire rire un vieil ami creusois, c’est en pensant aux années où il a collaboré à mon magazine typographique que j’ai fini par trouver un parallèle dans la littérature. Ulysse, de James Joyce s’imposa d’un coup comme le référent ultime et orale des peintures graphiques de Carson. Parce que ne nous y trompons pas, il s’agit bien de peinture même si d’aucun appelle cela de l’art plastique. De peinture contemporaine, ce que Daniel Sibony définirait comme étant dans l’entre deux d’une représentation qui se donne et qui se prend. Ne cherchez pas à psychanalyser Carson, il est déjà sur les plages d’Australie ou de Havaï, montant à l’assaut des vagues, enfourchant un de ces immenses «tubes» pour aller s’éjecter quelques centaines de mètres plus loin dans les eaux calmes du lagon bleu.

Carson est avant tout physique, et il a le sens de l’équilibre, bien au dessus de la moyenne des gens. Il vit dangereusement et cela se sent dans son graphisme qui est toujours, mais toujours à la limite, border line. Des référents, bien sûr il y en a, Mondrian, Klee, mais aussi l’art africain, mais aussi un peu de Gutenberg, même si déstructuré.

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Il faut être équilibriste pour oser mélanger les typos dans un même mot et en cela Carson excelle. De même que Joyce au dires de Lacan est devenu un symptôme ou un saint homme, ou simple trauma, Carson, le fils de… est devenu le père fondateur d’un nouveau courant graphique qui va révolutionner notre perception de la page. Et il s’agit ni plus, ni moins que de profondeur.

La mise en page traditionnelle nous avait habitué au système de juxta-position. Lettrines, textes en habillage, photos détourées ou pas… il suffit de voir ma récente note sur les magazines de Mode pour voir que ce système graphique est encore largement en vigueur aujourd’hui, et même au cœur d’un dispositif comme la MODE qui pourrait, qui devrait être à l’avant garde artistique tel Basquiat ou Wharol l’étaient dans les années 60.

Mais la MODE ne se prête plus à ce jeu risqué, crispée qu’elle est de vendre et ne pas choquer une clientèle frileuse et conservatrice. Il est donc logique de voir apparaître Carson sur les plages de l’autre bout de monde avec la ficelle de son surf entre les dents pour nous entraîner sur des perceptions graphiques au final sans grand risque de nous voir éclaboussé. Il se sert de la typo comme palette,  les lettres, tels les tubes de couleurs viennent égayer les espaces photos qui eux mêmes se superposent en plusieurs couches et me rappellent l’écriture de Joyce qui, sans ponctuation durant des pages infinies nous entraîne dans une sarabande scabreuse au détour des ruelles de Dublin. Avinés, rompus, nos yeux embués n’en peuvent plus de descendre dans les bas fonds de ses pages cherchant encore et encore du sens jusqu’au plus petit corps 8 caché sous une photo pour nous entraîner à la page suivante au travers d’un tube cathodique de l’autre côté du vitrail électronique.

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David Carson | la technologie au service de la rupture

Les historiens de la typographie nous avaient habitués à une approche technologique pour expliquer la naissance des différentes formes d’écriture.

Les lapidaires romaines, des CAPITALES, que nous appelons depuis Maximilien Vox et sa classification, les Incises. Parce qu’au moment de croiser le ciseau à tailler la pierre, le graveur formait une sorte de pointe à la base des hampes de l’alphabet. Hermann Zapf a tiré de ce style son magnifique Optima, raffiné, équilibré. Mais plus prosaïquement un Copperplate résume assez bien le style et la technologie dont il découle. Au XVIIe, les Garaldes, contraction de Alde Manuce et de Claude Garamond, nous montrent des formes beaucoup plus douces et sensibles, dessinées puis gravées sur  les poinçons par les artisans-typographes, ils représentent l’avènement du caractère humaniste qui se répandra jusqu’au XXe siècle pour composer les beaux textes de l’édition élégante et délicate. Le livre moderne est née de ce caractère dérivée à la fois des lettres de chancelleries et de la minuscule caroline. Les Didones, dont le Firmin Didot nous en a laissé un bel exemple, ne doivent leur naissance qu’à la technique de la taille douce au XVIIIe siècle. Et ainsi va une industrie et l’univers de la création typographique, au gré des inventions technologiques qui permettent de faire évoluer les formes alphabétiques.

Mais pour la mise en page c’est la même chose. Une grande liberté de mise en page, tant que les hommes utilisaient juste le calamme pour tracer les paraphes des alphabets Cancellaresca (Chancelleries), mais dès lors que Gutenberg inventa les lettres en plomb et qu’on cessa de dessiner les codex, pour mettre en page les In-Quarto, on assista à une rigidification des styles de mise en page. Ils devinrent binaires comme j’en parle dans mes notes sur la MODE ou plus anciennement sur l’œuvre de Hermann Zapf. Juxta-position de lettrines et de textes, de grand et petit, de gras et maigre, le plomb enferme la page dans une expression à la fois spectaculaire mais pauvre en vocabulaire graphique. Pauvreté qu’apparente au regard de l’œuvre de Herb Lubalin ou des graphismes russes des années 20. On y a vu une créativité foisonnante et débordante.

Le phototitrage et la photocomposition (les machines à composer les textes d’avant la PAO) nés au XXe siècle libérèrent les metteurs en pages des servitudes du plomb. Permettant des rapprochements voire des chevauchements d’alphabets, de signes ainsi que des superpositions de caractères sur les images.

Mais c’est bien avec l’arrivée du numérique que le style David Carson, style que j’ai appelé «plasticien» va pouvoir éclore et se répandre sur toute la planète à la vitesse d’Internet.

le style Carson met en œuvre toutes les technologies du numérique

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Photographie numérique, composition sur Illustrator, sur photoshop, épreuves, photocopies, re-scans, tramages numériques, floutages numériques, remontages dans photoshop ou Quark (ou aujourd’hui InDesign). Les technologies sont à la portée de tous, mais tout comme pour les tubes de gouache ou d’huile. Les peintres font pourtant œuvre unique. C’est en cela que le Blues de Neville Brody est «hors sujet». David Carson ne s’embarasse pas d’états d’âmes. Il colle au sujet, le surf, l’urbanité, l’art de la lettre dans la ville, la perversion de la typo par l’artiste qui le dénigre mais avec tant d’affection qu’on en vient à aimer les lettres pour être les victimes de son doux sadisme. Et je ne me sens pas pour autant un masochiste de la création typo. Un admirateur cependant de celui qui a osé. Il n’a pas été le premier. Le mouvement Dada nous avait déjà habitué à voir l’alaphabet détourné de son objectif premier, la lecture. Entre les mains de ces artistes les alphabets sont devenu des acteurs désabusés d’une mise en scène poétique. Déjà Appolinaire  avait osé et avant lui une longue tradition d’imprimeurs-graveurs qui s’étaient amusés de ces 26 petits signes étranges et universels. Geofroy Tory les avait in-corporés à une théorie anthropomorphique  dont Massin nous donna dans la Lettre et l’Image une brillante thèse. Mais nous reviendrons sur Massin (longtemps directeur artistique chez Gallimard, il créa la ligne graphique de la collection Folio) qui a commis quelques pièces de théatre typographique non dénuées d’humour et d’impertinence). Ce qui fonde donc l’originalité de l’œuvre de David Carson, ce n’est pas cette impertinence gouaille, ni le fait qu’il se joue de la typo comme d’une matière picturale comme d’autres peintres l’avaient déjà pratiqué. Nous sommes véritablement en face d’un artiste contemporain, qui fait œuvre avec les moyens technologiques dont chacun de nous peut aujourd’hui s’emparer. Mais sa vision est unique, parce que c’est celle d’un acrobate, d’un sportif de haut niveau qui prend autant de risques avec son corps qu’avec sa scénographie, autrement dit un danseur qui est à la fois chorégraphe, musicien, chef d’orchestre, chef machiniste, une sorte de troubadour moderne qui raconte l’histoire d’aujourd’hui pour nous ouvrir simplement le regard sur l’altérité visuelle. En somme un immense pédagogue. Vos commentaires et précisions sont les bienvenus. Galerie d’images de «the end onf print» ici.


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David Carson | intro

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J’entame ici un Tribute à l’un des graphistes les plus en vue de la sphère du design graphic mondiale. Comme vous avez pu le constater, ce n’est pas tant l’aspect «people» du métier qui m’intéresse que de pointer les apports et les filiations des courants visuel qui ont contribué à faire évoluer notre perception. J’ai choisi d’illustrer mon article par cette image de «tube» associé au nom de Carson. Ce n’est pas tant non plus qu’il ait eu un parcours de surfer professionnel, ni qu’il ait participé comme directeur artistique au «surfer magazine», mais il a surtout été avec Neville Brody au cœur de toutes les ruptures visuelles, aussi bien en photo qu’en typo. Il a le premier (symboliquement puisque publié) exploré le graphisme dans les profondeurs des abîmes de la page, rompant ainsi avec des siècles de typographie binaire gutenbergiens (cf mes articles sur Brody, Zapf et la mise en page de MODE). Pas un graphiste, pas un étudiant en art plastique ne peut ignorer aujourd’hui les apports de ce magicien du graphisme.

un article paru sur le site de Graphiland résume sa carrière:

«Le parcours
de David Carson est pour le moins extraordinaire. Après des études de
sociologie, il devient surfeur professionnel dans les années 70 et
passe aujourd’hui pour la référence dans le domaine du graphisme. Un
parcours de passionné en somme.

David
Carson a travaillé et développé une vision non-traditionnelle du
graphisme et de la typographie. Son style a dépoussiéré le métier et la
vision que l’on en a et peut-être a-t-il même contribué à faire du mode
d’expression qu’est le graphisme une forme d’art à part entière.
Co-auteur de "The end of print" avec Lewis Blackwell, David Carson a été décrit comme étant "le directeur artistique de notre temps" par le magazine britannique Creative Review.

Avec un curriculum défiant toute concurrence, David Carson a laissé son empreinte sur de nombreux titres de la presse tels que "Surfer magazine" ou "Ray Gun".
On dit en outre de lui que ses techniques dominent la publicité, le
design, le web et même le cinéma. David Carson serait donc un courant
d’influences à lui tout seul… L’une des clés du succès de son succès
et de sa réussite : l’intuition. "La plupart des gens
travailleraient mieux s’ils s’appuyaient plus sur l’intuition (…) Tu
dois savoir quand faire confiance à cette chose unique que tu possèdes».

et voici le site officiel de David Carson 

Article à suivre

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Magazines féminins | La Mode mise en page (2)

Mise en page intérieure
ELLE, FEMME ACTUELLE, HARPER’S, MARIE CLAIRE

quelques exemples de pages intérieures: ELLE

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édito de ELLE ainsi qu’une ouverture et suite d’article

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quelques exemples de pages intérieures
Femme Actuelle

Là nous sommes bien en présence de l’équation:
actualité + référents + photographies + légendes = MODE

Ce système de MODE que décrit Roland Barthes se décline à l’infini. Avec Femme Actuelle nous sommes en présence d’un lectorat très large C voire C ou C, rarement C+. Plus d’un million et demi de lecteurs-lectrices. Le phénomène est largement transversal et, par catégories CSP et par régions françaises concernées. Il s’agit donc pour ce magazine de coller à l’actualité et de «tirer» le lecteur vers le système identificatoire tout en douceur. Les pouvoirs d’achats sont limités mais existent. La rédaction ne fera donc pas l’économie du passage par l’actu. Les décrets de MODE sont amenés en douceur et dans la double préoccupation de ne pas dériver ni de lectorat, ni de l’objectif économique: vendre la MODE. Nous verrons comment la mise en page s’adapte bien à ce marketing. Car là encore il ne s’agit pas de dire si nous trouvons les MP beaux ou pas mais d’analyser comment et pourquoi ça fonctionne.

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Rubrique Actu | enquête | Femme Actuelle | La société a changé, la solidarité aussi.

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HARPER’S | infiniment plus MODE 
Ce magazine qui tient d’une longue tradition puisque née bien avant la 2e guerre mondiale, et porté au firmament des magazines de MODE par un Brodowitch exilé à New York, découvrant des photographes comme Richard Avedon, le HARPER’S devient le synonyme de la MODE. Ils peuvent aujourd’hui shinter l’actualité comme référent (mais nous y reviendrons). Les décrets sont dictés au travers du «people», catégorie sociale jouant avec complicité (comme en France) le jeu des référents et de la Mode par procuration. Je dis plus MODE, mais je ne devrais pas. De fait tous les magazines que nous comparons sont des Mag’ de MODE. HARPER’S se permet juste une forme d’impertinence qui consiste à entrer dans le vif du sujet sans passer par la case départ: l’Actu. On navigue dans le sous entendu, le happy few, le joke entre amis. Ils n’ont plus à faire la preuve de ce que tous leurs lecteurs savent. Ils pilotent la MODE, sans concurrence majeure et donc ils ont pu faire l’économie d’un item de cetté équation: actualité + référents + photographies + légendes = MODE en supprimant l’actualité. On est dans le sous voir du sous entendu.

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Marie-Claire
quelques pages du magazine

On ne dit plus magazine de MODE, mais féminin, masculin.
Avec Marie-Claire comme avec ELLE, nous sommes sur des territoires CSP+, CSP++. Ce sont les épouses de ceux qui «ont fait mai 68», quand elles n’y ont pas participé elles-même. Mais le lectorat se puise également dans les générations post 68. Cependant il y a des différences avec ELLE. Elles tiennent à la fois de l’histoire et des terrtoires conquis. Mais en feuilletant Marie-Claire on se surprend parfois de croire que nous sommes dans un Mag généraliste. Faux. Les pages MODE sont bien là. Ils rythment le rédactionnel et invitent en permanence la lectrice à «chauffer» ses cartes de crédit.

BoBo, Ecolo, ouvert sur le Monde, une façon élégante de dire le ici-et-maintenant. En se préoccupant d’autrui. On peut dire en cela, que nos trois magazines français sont coulés sur le même moule même si graphiquement très différents voires opposés, ils ont tous pour lieu commun l’altérité humaine et la préoccupation des faits sociaux. On pourraît dire par exemple que la MODE au sens large en France en est encore à ses débuts, ne sachant pas comment couper avec l’item de l’actualité. Ce qui ne veut pas dire que le modèle soit mauvais. C’est peut-être aussi un symptôme typiquement français. Qui a dit que nous étions refermés sur nous-mêmes?

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Analyse des mises en page.

Finalement une chose est certaine. C’est bien le contenu rédactionnel qui va rythmer chacun de nos exemples. Avec en tête Femme Actuelle qui jongle avec un rédactionnel très fourni, voire empiète sur les terrtoires de généralistes, il se sont contraints à être lisibles, foisonnants et ont inventé en France le système de la lecture-zapping il y a vingt cinq ans. Constatant qu’on ne peut demander à la Ménagère de Base de rester assise pendant deux heures d’affilée pour lire son magazine. Marmots, école, boulot, mari, linge, paperasse, ménage laissent peu de temps à cette stackanoviste moderne. Prisma Presse a donc fait d’innombrables pré-tests pour déterminer le contenu et la forme idéale qui serait aussi bien perçus dans le fin fond de l’Auvergne ou de la Bretagne que dans la banlieue parisienne. Il y a eu depuis des changements. La mise en page (MP) s’est calmée, et les lectrices ont évolué. Les entrées d’articles, même si le 4 colonnes nous semblent un peu stressantes ressemblent à ceux d’un Express d’il y a 15 ans. Grande photo, textes sobres, initiales-lettrines bleues (discrétion du bleu catholique). Texte composé en Times et les titres dans un Myriad un peu brutal (j’aurais sans doute préféré dans le même style un Frutiger mieux dessiné):

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Un bémol typographique à cette qualité populaire, les fers à gauche qui sont calamiteux. Aucune règle n’est respectée. Ni celle qui interdit dans le code typo les césures en mode drapeau, ni celle de ne pas laisser traîner en fin de lignes des articles ou signes seuls. (ci-dessous)

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ELLE et Marie Claire semblent plus sophistiqués. Pourquoi?

Le magazine ELLE, pourtant composé avec un jeu de caractère de l’époque du Bauhaus, le Futura (dessiné par Paul Renner entre 1925-1927) a détourné ce caractère de ses origines socio-culturelles. Les textes sont sur-interlignés, et cela faisant se donnent à lire tant il est confortable pour l’œil de ne pas être stressé par les lignes trop serrées. Les titres et sous titres s’alternent avec un futura medium et un ultra-light que j’ai eu le plaisir de leur dessiner il y a pas mal d’années. Les contrastes typographiques tirent vers le mode binaire, gras-maigre, qui est l’expression sans nuance du langage de la MODE. N’oubliez pas, la MODE, c’est ici-et-maintenant. Et il se décrète. Donc la typo est mise en scène pour souligner cette binarité. C’est Peter Knapp, aux cotés d’Hélène Lazareff fondatrice de ELLE qui a installé ces typos déjà dans les années 60.

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photographie Brodovitch

D’origine suisse, il fut influencé par Brodovitch et le HARPER’S qui à l’époque se permettaient des jeux graphiques extraordinairement constructivistes. ELLE a une place particulière parmi les «féminins» français. Venue du journalisme Hélène Lazareff a révolutionné le regard que les femmes portaient sur elles mêmes. Aujourd’hui encore ce magazine, malgré un lectorat vieillissant incarne la naissance du féminisme et de l’émancipation des femmes. Il y a donc un jeu subtil entre la typographie et la photographie. Sans doute fortement influencé encore aujourd’hui par le HARPER’S, le directeur artistique de ELLE, Yves Goube pratique la découpe aux «ciseaux» (virtuels) des placards de textes venant pervertir les photos. Une manière de dire à la lectrice: «là tu es chez nous, chez toi, dans la partie rédactionnelle de Ton Magazine». En contraste avec les pubs des annonceurs qui jouent les pleines pages à fond perdus. Et si vous avez le moindre doute de ces filiations retournez quelques clics de souris plus haut pour voir combien il y a de similitudes entre les MP du magazine de la cinqième avenue et ELLE. Bien sûr on peut se poser une question, d’ailleurs elle s’impose: pourquoi diable les magazines féminins sont ils tellement conservateurs (la binarité gutenbergienne des mises en page est là pour en attester)? Il y a plusieurs réponses.

D’abord qu’est-ce que j’entends par conservateur. Nous sommes aujourd’hui à l’ère de la typographie plasticienne. Un bon quart des MP modernes se pratiquent avec des superpositions de calques, des profondeurs de pages et d’images où l’œil se perd aussi bien en surface qu’en profondeur. Et notre perception a bien évolué pour avoir appris à lire nouvelles images (voyez Matrix qui est l’exemple au cinéma de ce que David Carson pratique en photographie). La MODE devrait en principe être à l’avant garde des expressions graphiques comme photographiques. Ce n’est pas, plus le cas. Et ce n’est sans doute pas ces incursions de fausses épreuves (bromures) de textes dans les images (que pratiquait déjà Actuel de Jean-François Bizot dans les années 80) qui peuvent connoter une quelquonque modernité. Mais comme on l’a dit la MODE est un terrtoire d’injonction, de décrets. C’est noir ou blanc. Vous êtes UP ou Down, dedans ou dehors, c’est binaire. Ces MP correspondent donc bien à une architecture de la pensée de MODE. L’à peu près, la demi teinte et les jolies recherches d’images modernes n’ont pas cours ici. On y joue avec les oppositions, les juxta-positions. Pour énoncer la MODE, celle-ci curieusement se sent obligée de revétir des constructions démodées, il y a là donc un paradoxe qu’il était important de pointer.

Il y a sans doute au moins une autre raison à ce conservatisme que nous dénotons aussi bien à New York qu’à Paris. Comment se fait-il par exemple qu’un magazine comme ELLE, malgré ses codes de MP très élégantes ne soit pas aujourd’hui encore à l’avant garde de l’expression graphique. Et qu’elle soit rattrapée petit à petit sur ses propres terrtoires visuels par des magazines au tirage plus populaire. J’ai cherché. Ce n’est en aucun cas le vieillissement du personnel graphique de ces rédactions. Un métier où les gens se renouvellent plutôt trop vite que pas assez.
N’y aurait-il pas une explication purement socio-économique. Depuis la première guerre du Golf, les affaires sont plus difficiles. Les pouvoirs d’achat sont rognés quotidiennement, l’insécurité face à l’avenir, donc les achats de MODE se raréfient régulièrement. Les Maisons de Haute Couture ferment ou se recyclent en prêt à porter. Carl Lagarfeld entre au temple du prêt à porter populaire. Bref la MODE traverse une crise plutôt grave au regard de tous les savoirs faire qui se perdent, couturières, dessinateurs-stylistes, fabricants d’accessoires etc. Il suffit d’avoir vu les démélés de Christian Lacroix avec le groupe LVMH pour prendre la mesure de la crise.

Le maître mot dans le commerce depuis une quinzaine d’années c’est vendre, vendre, vendre… au détriment du: qu’en pensez-vous, ce serait bien si, small is beautiful (c’est wolkswagen qui s’était permis une affiche où la coccinelle trônait, minuscule dans une affiche toute blanche… Comment, mais remplissez-moi ce blanc. Il me coûte trop cher…Et pourtant nous sommes nombreux à savoir combien un blanc peut mettre en valeur une image ou un texte. Soyez efficace… pas de blanc, remplissez… et petit à petit on a perdu l’âme des magazines de MODE: la recherche de l’élégant et du surprenant. De l’Avant Garde. Il suffit de voir les travaux de Herb Lubalin pour deviner l’écart qui se creuse chaque jour avec la recherche du vrai NOUVEAU qui est NORMALEMENT la raison d’être de la MODE.

J’arrête donc provisoirement cette analyse qui comme vous vous en doutez ne peut-être exhaustive. Cependant j’en appelle aux contributions et commentaires pour l’étayer voire la développer. Je verrai la forme, soit de réintroduire vos contributions dans l’article soit d’entamer un dialogue dans la partie commentaires. Mais je me connais et je préfére d’avance la première solution bien plus enrichissante pour tous les afficionados de la mise en page de presse. Paris | 1er décembre 2005.

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