Paul Gabor | 1972-1992 | la période typogabor

Retrouvez l’intégralité du travail de Paul Gabor dans cette galerie consacré à son œuvre.

Nous sommes en 1972-1973, je finissais mes études de sociologie et m’investissait parallèlement de plus en plus dans l’Atelier Paul Gabor. Dès ’68, nous avons eu l’idée de créer une entreprise de typographie qui reprendrait les idées d’excellence d’un Edward Rondthaler.

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Edward Rondthaler (photo ci-dessus) est l’inventeur de la première phototitreuse dans le monde… en 1927. L’ancêtre du Macintosh. What You See is What You Get… dans le fond de la cuvette d’un laboratoire photo. Américain bien entendu.

J’avais envie de travailler avec Paul, mais c’était difficile. Il parlait peu, aphasique, je l’ai toujours connu ainsi. Il préférait sourire, fumer sa cigarette et sourire. Était-ce due à sa déportation, toujours est-il qu’il en parlait peu, préférant tourner les choses en dérision, sans jamais exprimer la moindre haine vis à vis de qui que ce soit. Il est sûr en revanche qu’il a vu mourir de chers amis autour de lui. Et dans des conditions inhumaines. Il s’en est sorti lui même par pur miracle et un solide sens de l’humour. Lorsque je lui propose en 68 de créer une entreprise de typographie, il me regardait avec beaucoup de gentillesse et s’asseyait devant sa table à dessin. Une semaine plus tard, j’avais entre les mains la maquette d’un premier catalogue de phototitrage qu’il a entièrement réalisé dans une chambre transformé en laboratoire photo, de l’appartement de Pierrefitte que nous occupions depuis 62. C’était sans doute trop tôt. Je n’avais pas fini mes études, il était par ailleurs débordé de travail par le studio. C’est après mon service militaire que les choses se sont emballés. Nous avions engagé d’abord un, puis deux, trois collaborateurs…

A partir de 73 notre croissance était chaque année à deux chiffres. L’entreprise que je dirigeais, Paul y jouait un rôle pivot. Il était le garant de la qualité typographique que nous délivrions à une clientèle extraordinairement exigeante, la publicité. Chaque jour, présent dès sept heures du matin, il vérifiait lui-même la qualité des épreuves, n’hésitant pas à téléphoner aux clients pour leur demander leur avis. Il avait alors atteint la soixantaine, et paraissait en avoir à peine cinquante. Condamnés au succès, et la loi du marché, je décidais d’étendre nos activités de phototitrage à ceux de la photocomposition. Ce fut tout d’abord une catastrophe. Machines Berthold en panne tous les jours, ce furent là les quatre années parmi les plus terribles que nous ayons vécu. Mais Paul était toujours souriant. Sans angoisse. De fait je crois que je ne l’ai vu qu’une fois angoissé durant toute ma vie. C’était dans les années où il avait rompu son contrat d’exclusivité avec les de la Vasselais…

En 1980 typogabor n’allait pas bien du tout. Autant nous avions réussi à imposer un standard de qualité sur le marché du phototitrage, autant je peinais avec la photocomposition, malgré de belles épisodes comme la nuit où Robert Delpire se tenait à mes côtés pour sortir le numéro zéro du quotidien Le Matin.

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premier catalogue de photocomposition typogabor: «Capitales et Bas de Casse»

L’histoire de Paul Gabor se confond avec celle de tous les graphistes indépendants des années 60-70. La demande vis à vis des graphistes indépendants se rétrécissait, les réseaux de prescriptions changeaient radicalement. Les entreprises avaient engagé des directeurs de la comm. qui voulaient des interlocuteurs équivalents au sein des agences de Pub. Paul Gabor avait tout de suite saisi deux choses avec typogabor. La première elle est économique. Si ça marchait, l’entreprise lui garantirait un revenu honnête jusqu’à la fin de sa carrière. Mais on était dans le non-dit. Jamais nous n’évoquions ces choses avec Paul. Ce qui fondait ce non-dit c’est la deuxième motivation presqu’aussi forte que la première. Il était certain désormais que le seul et dernier lieu où il pourrait exprimer son amour de la typographie serait un atelier typo. Il y a un parallèle à faire avec l’aventure de Herb Lubalin et d’ITC. Mêmes constats, mêmes solutions, avec certes beaucoup plus de moyens. N’empêche.

En 1980 au bord du dépôt de bilan, je découvre dans une annonce professionnelle la naissance d’une nouvelle génération de machines à photocomposer. Digitales (Alphatype). Un aller-retour à Bruxelles pour visiter un atelier exemplaire, celui de Pierre Le Guerrier dirigé par l’excellent et ineffable Raymond Aubry. Le lendemain j’étais dans le bureau de mon banquier, pour emprunter 183.000 € (1.200.000F) afin de changer toute notre technologie. Dans le même temps je définissais une nouvelle stratégie de communication et c’est là que Paul réapparaît. «Paul voudrais-tu me redessiner le logo typogabor et me préparer une maquette d’un magazine typo?». Trois jours après j’avais la maquette d’un simili Upper and Lower Case sous les yeux, très exactement ce que je voulais. Il y avait entre Paul et moi un complicité de chaque instant. On se devinait mutuellement sans dire plus de mots que cela. Il était la main, j’étais le verbe. Un jour je lui ai fait le reproche de pas m’avoir appris à dessiner. Euuuuhhh, tu fous ma gueule, tu n’as pas besoin de savoir dessiner, il suffit que tu saches parler…». Belle projection d’aphasique… Mais le psy, c’était pour moi. Et puis le temps est passé, et j’ai aussi appris à me débrouiller avec mes mains.

Nouveau logo, nouveau catalogue, nouveaux caractères, un foisonnement de caractères parmi les plus belles.

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Et je lance le premier magazine typographique à Paris. typoGabor présente.

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Les évènements se sont alors emballés. L’entreprise redémarre et sort du rouge. Merci Monsieur le banquier. Et Paul Gabor trouve enfin une vitesse de croisière. Entre ses alphabets et sa douce tabagie il participe activement à la renaissance. Les magazines sortent les uns après les autres, puis 1984 un avertissement de santé, le cœur. Plus de peur que… Je décide d’éditer un numéro spécial en hommage à Paul et j’y mêlerai un coup de chapeau à Hermann Zapf que nous sommes allé interviewer dans sa maison toute blanche de Darmstadt.

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Puis l’imprévisible. La disparition soudaine de Klara victime d’une rupture d’anévrisme.

Paul se retrouve seul. Il a soixante et onze ans. Rien d’autre à faire que continuer à travailler. Je l’y force. Il continuera de venir tous les jours au bureau, pour dessiner le Mermoz, son anglaise et préparer une expo à Budapest qu’il ne verra jamais de son vivant. Entre temps, pour avoir moi-même traversé la mauvaise passe, divorce, perte de Klara, ma mère, je décide de rendre un hommage à celle-ci en transformant le magazine typo en magazine littéraire. Car Klara était la muse poétique de Paul. C’est elle qui l’inspirait, qui lui insufflait le désir de plaire et de faire des belles choses de ses mains. Nous sommes en 1986, et pour la première fois je rencontre Léon-Marc Lévy professeur de français à l’époque, qui me suggère le genre… ce sera des anthologies littéraires organisées par thème. Le premier numéro, l’amour bien sûr. Moteur du genre humain. Une rencontre affectueuse entre Paul, Léon-Marc, et nous voilà prêts pour une nouvelle aventure. Un mois plus tard, je remets à Paul le dossier littéraire à mettre en page, il y travaillera d’arrache-pied durant un autre mois, puis il part en vacances. C’est là que le drame s’est joué. Au moment d’exécuter la maquette, nous nous sommes plusieurs fois regardés, Léon-Marc et moi-même. Nous pensions à quelque chose de plus expérimental, de plus novateur. Paul à Budapest… pas question de le déranger, nous appelons Bill Butt (Jardin des Modes) à notre chevet. On était vraiment malade. Je voulais vraiment changer les choses, sortir des sentiers battus. Faire réfléchir les DA des agences sur l’utilisation de la typo. Et nous avions entre les mains une très belle maquette de Paul, excessivement gutenbergienne. Une fois de plus. Une fois de trop sans doute.

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J’étais profondément déchiré. Mais sûr d’avoir raison. Il fallait avancer. J’installe Bill dans un bureau, et lorsque Paul revient de Budapest il découvre un Bill Butt adorable, presque aussi aphasique que lui-même, et surtout il découvre que nous avions retoqué sa maquette. Il ne me parlera plus pendant plus d’un an. Bien sûr que j’ai regretté. Bien sûr que je me suis posé dix mille fois la question… mais j’avais beau retourner les éléments dans tous les sens, la maquette de Bill était magnifique et nous a valu une reconnaissance de l’ensemble de la profession. Cette année nous avions fait un bond en avant de trente huit pour cent de chiffre. Appréciable. Je vous livre ci-dessous quelques pages de cette maquette que vous retrouverez intégralement de même que l’ensemble de l’œuvre de Paul à cette adresse.

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De 86 à 88 j’éditerai 3 autres magazines littéraires sans que Paul Gabor y daigne seulement jeter un coup d’œil (humeur d’humour, meurtres, femmes), qui ne connaîtront jamais le même succès que celui d’amour chronique. Celui que je préfère? sans doute meurtres, pour plein de raisons, je m’y suis essayé comme rédac chef, mais aussi parce qu’il y a eu une véritable osmose entre Philippe Duriez qui en a fait la maquette et moi-même. Le résultat est inégal mais spectaculaire. Et pour ceux qui sont encore et encore dans la critique du… c’est facile. Imaginez que tout ceci est bien avant l’arrivée des PC-Macintosh et des logiciels PAO, les difficultés étaient innombrables malgré les technologies d’avant garde dont nous disposions. Mais l’atelier typogabor s’est mis en quatre pour exécuter avec talent les moindres caprices des maquettistes. Coup de chapeau messieurs les typographes.

Voici quelques pages de ce magazine meurtres:

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Cependant Paul n’est pas resté inactif durant tout ce temps. Et parallèlement à l’édition des magazines il va mettre une touche finale à ce qui restera sans doute une de ses plus belles réussites, le TypeBook. Catalogue typo de 1200 pages en deux volumes, d’une précision redoutable pour le calibrage des textes, indispensable avant l’arrivée de la PAO et d’une rare élégance. Mille cinq cent typographes, réunis à Vancouver nous ont décerné un golden award pour l’excellence de nos outils typographiques (Typographer International Assoc). Et Paul allait entamer ses derniers combats.

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A la veille de la commémoration du bi-centenaire de la déclaration des droits de l’homme, il tombe malade. Chimio. Dur, très dur de voir son père et cet homme qui a résisté à tant de difficultés rattrapé par sa tabagie, et sans doute par l’âge… mais quoi il n’avait que… soixante quinze ans. Quand on aime les gens on voudrait qu’ils soient éternels. Léon-Marc Lévy vient me trouver un jour et me dit: «Peter, 1789-1989, j’ai un dossier pour typogabor. Un magazine sur les droits de l’homme. Une anthologie de tous les textes fondateurs qui démontrent, qui prouvent s’il en était besoin que ces droits tout indispensables qu’ils furent à l’avenir et au bien être de l’humanité, ont toujours été bafoués, piétinés, contestés par les tyrans et fauteurs de coups d’état. C’était un dossier pédagogique destiné au Ministère de l’Education Nationale qui s’interrogeait à l’époque sur la légitimité d’un cours sur les droits de l’homme. La seule chose que ce groupe de chercheur (dont Léon-Marc Lévy) avait trouvé, c’est justement des textes. D’Aristote à Zola, en passant par d’innombrables Simone de Beauvoir, Marie Bonaparte, Jean-Louis Bory, André Breton, Louis-Ferdinand Céline, Winston Churchill, Camille Claudel, Marguerite Duras, Condorcet, Paul Eluard, Martin Heidegger et je ne les citerai pas tous… Léon-Marc: «et qui va faire la maquette?». Je crois que ce jour est le jour où j’ai le moins hésité de ma vie. «Paul, Léon-Marc. Paul Gabor.» Parce qu’il est concerné. Si ce n’est pas son affaire, ce serait celui de qui? J’en parle à Paul, très affaibli par sa chimio. Un grognement fut sa seule réponse. Mais le lendemain il s’enferma dans son bureau et pendant un mois il n’en sortira que pour donner ses feuilles A3 parfaitement maquettés, prêts pour l’exé. Et je vous jure, pardonnez moi cette familiarité, ce fut, compte tenu des circonstances, de son âge, de sa fatigue, le plus beau travail de sa vie. Il y mit tout son cœur, son savoir-faire. Il avait compris le travail de Bill, de Philippe, la remise en question. Pas non plus très égal. Des pages ratés certes. Et alors. Dans l’ensemble il se mit au service du dossier littéraire pour l’illustrer de la manière la plus explicite. Pour délivrer autant un message graphique que philosophique. Et parce qu’il y eut une double page d’entrée sur les minorités qui parlait des juifs, il refusa de s’en occuper. Même en insistant. Lourdement. Il était têtu le Paul Gabor… tu fous ma gueule était son mot favori, celui dont se souviennent tous ses élèves de l’ESAG (Penninghen)… Après deux ans encore de combats personnels contre la maladie, il s’en alla doucement, le vingt juillet 1992.

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Retrouvez l’intégralité du travail de Paul Gabor dans cette galerie consacré à son œuvre.

Je publierai ce soir ou demain une dernière note sur son travail typographique: les alphabets, que vous pouvez dores et déjà découvrir dans la galerie ici

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je dédie cette note à Chantal sans qui je n’aurais sans doute pas réussi à créer cette entreprise, à Philippe, Hervé, Patrick, Claude, Fabrice, Jean-Paul, Serge et à tous les typographes, techniciens et salariés de typogabor qui ont donné vie à l’entreprise durant une vingtaine d’années, sans oublier non plus les innombrables directeurs artistiques et clients (Vincent, Michel, Jean-Philippe et les autres) qui en nous assurant de leur fidélité ont permis à cette société de se développer sur les principes fondateurs d’une exigence de qualité quotidienne.

En remerciement de la patience que vous avez eu de lire et découvrir
cette biographie assez «chargée», je vous invite à télécharger cet
alphabet Mermoz dans sa version de base, le Mermoz Book. Faites en bon
usage. © peter gabor | janvier 2006.

Download MermozPGBook.otf.zip


Publié dans Paul Gabor | Tribute | Un commentaire

Paul Gabor | 1956-1972 | la période parisienne

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avertissement : comme je le disais dans mes notes précédentes (peut-être pas), c’est un exercice très périlleux que de s’attaquer à la bio(graphie) d’un homme qui fut son propre père et à la fois un professionnel adoré de ses contemporains. Ne pas tomber dans la nostalgie (je n’y arriverai sans doute pas tout à fait), être complaisant, j’essaierai de l’éviter tant que se peut puisque l’objet de ce blog est tout autant de montrer le meilleur comme le pire mais toujours d’essayer d’expliquer, donner du sens aux choses ayant trait au monde du graphisme. Autant de dangers qui me guettent tout comme de manifester cet immense affection pour l’homme que j’ai adoré et dont la disparition laissera toujours un vide au fond de mon être. Biographie ou thérapie personnelle, oui pourquoi pas. Les chemins que j’ai pris après la disparition de notre œuvre commune, typogabor, m’ont démontré, par l’héritage culturel et sensitif que Paul m’a légué, que la vie m’a laissé là un immense cadeau que j’apprécie chaque jour à sa juste valeur.

Une galerie complète des documents de l’Atelier Paul Gabor est disponible ici !

Paul Gabor a quitté la Hongrie par un de ces immense hasard, signe du destin, le 23 octobre 1956, 10 minutes avant que n’éclate l’insurrection de Budapest. Il venait à Paris pour scénographier le stand des jouets hongrois du Salon de l’enfance qui se tenait au Grand Palais. Quelques jours après, peut-être 5 ou 8, une fois les communications téléphoniques rétablies, il eut une conversation très courte avec Klara, ma mère, son épouse. Tu restes à Paris disait-elle (pour faire court), je n’en peux plus de vivre dans la peur que «les choses recommencent» (les actions antisémites), un vague complot dans l’immeuble où nous habitions (Kiraly Utca, 99) avait fini par déstabiliser le moral de ma mère. Paul ayant été lui même déporté en 44, et tous les membres de la famille, au total dix huit personnes ayant disparu dans les camps d’extermination d’Auchwitz, c’en était sans doute trop. Bien sûr il accepta, c’est elle qui décidait d’ailleurs des choses de la vie courante. Deux semaines plus tard en prenant le métro il relevait les signatures sur les affiches et prenait rendez-vous à l’agence RL Dupuy et chez les Éditions de la Vasselais. Quinze jours après avoir décidé de rester, il commençait une nouvelle carrière à 43 ans chez l’éditeur où il se retrouvait avec Jacques Auriac et bien d’autres affichistes de l’époque (Lefor-Openo par exemple, ou Savignac ou Seguin etc.).

La France vivait encore à l’heure de la réclame et les agences de publicité, plutôt rares, n’avaient pas encore inventé la communication… On imagine cependant sans peine quelle furent les souffrances morales d’un graphiste, habitué à œuvrer dans les registres culturels qui du jour au lendemain, afin de subvenir à sa famille, est obligé de tout abandonner pour recommencer une carrière à zéro (c’était la troisième fois), abandonnant maison, situation professionnelle (outre son métier d’artiste graphique, il occupait en 56 à Budapest la fonction de président du Jury national des graphistes hongrois). Je me souviens que la seule chose que ma mère ait réussi à sauver, c’était ses livres et ses disques (lemezek). Il prit une chambre à l’hôtel Welcome, à l’angle du Bd Saint-Germain et de la rue de Seine, et pendant 9 mois, il travailla d’arrache pied à créer chaque mois des affiches pour les spiritueux, les frigidaires, les yaourts, le tabac qui chaque jour l’éloignait un peu plus de la typographie. Il eût quelques réussites exemplaires comme ces affiches de Noilly Prat, Evian, Thé Elephant, ou encore d’Arthur Martin…

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ou encore ces trois excellentes réalisations pour Suze, OK Okényl (les débuts des chemises en nylon infroissables) et de Rozès Porto qui n’est pas sans rappeler la sobriété de ses affiches hongroises.

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La culture profonde de Paul c’est l’Atelier de Budapest fondé sur les principes du Bauhaus. Vous vous rappelez sans doute comment il «croqua» les affiches de Cassandre dans les années 37-39 lors de son premier passage à Paris. Chaque fois que Paul le pouvait il simplifiait, il amplifiait les visuels et la typographie. Mais les temps changeaient à grande allure. Le consumérisme des trente glorieuses frappait ses trois coups et les graphistes qui purent migrèrent vers les agences qui recrutaient à tour de bras pour développer les nouvelles conceptions d’un métier qui allait devenir celui de la comm.

[Klara Gabor obtint directement et dans des conditions rocambolesques, de Janos Kádar le chef du gouvernement hongrois un visa d’émigration qui lui permit de quitter définitivement le pays, et nous nous retrouvâmes tous réunis (Klara, Béla mon frère et moi même avec Paul) sous un soleil resplendissant le 3 Août 1957 autour d’une corbeille de fruits exotiques mémorable à l’Hôtel Welcome. Paul avait perdu 30 kilos.]

En 1958 après avoir encore commis quelques affiches et des maquettes refusées, il rompait le contrat d’exclusivité qui le liait aux éditions de la Vasselais pour s’établir comme artiste graphique, indépendant. Ces quelques affiches témoignent comme les précédentes de l’immense changement qui allait s’accomplir dans le monde de la publicité. Paul aimait travailler les visuels en intégrant monumentalité, simplicité typographique, un sens de la construction architecturale.

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Mais c’est en retrouvant sa liberté d’artiste, qu’il pût de nouveau exprimer ses véritables sensibilités constructivistes.

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Tout au long de sa carrière, il démontra un esprit d’expérimentation graphique qui le conduisit au frontières de l’œuvre d’art sans jamais franchir le pas, parce que graphiste, il semblait attacher une importance capitale à la nécessité de la contrainte. Voici par exemple un travail qu’il réalisa dans son atelier, bien plus tard, nous sommes déjà en 1973, il s’agit d’affiches pour le lancement du Chromomat d’Arjomari. Calligraphies, expérimentations typographiques aux frontières d’un plasticisme ultra moderne, ces affiches montrent à l’évidence combien il fut déphasé pendant ses premières années parisiennes à devoir vanter l’excellence d’une bouteille d’apéritif. Lui qui n’en buvait quasiment jamais.

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Durant la période 1962 à 1968, Paul vit son activité d’affichiste glisser progressivement vers l’édition publicitaire, le packaging et la création d’identités visuelles. C’était encore des territoires d’expression graphique que les agences délaissaient pour les profits plus sûrs de l’achat média et de la production film et TV. Là pendant 7-8 ans ils multiplia ses clients, et exerça un métier de plus en plus précis. Il adorait l’édition. Tranquille, il s’assayait toujours patiemment dès sept heures du matin devant son bureau. Il allumait sa gauloise, et commençait à lire et souligner les textes qu’on lui donnait à mettre en page. Jamais il ne traçait un commencement de maquette avant de connaître presque par cœur le contenu d’une édition. Il rencontra un jour le directeur de la comm. (Girard) d’IBM France qui lui confia trois brochures. C’était des dossiers compliqués, rédigés par des ingénieurs dans un langage codé presque hermétique. Quinze jours plus tard voici les projets qu’il rendit.

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Une brochure pour faire connaître le dernier né d’une génération d’ordinateurs capable de gérer la logistique des PME de distribution. Couverture reprenant la façade de la Machine, high tech de l’époque, rêve devenu accessible du CrayOne. Puis :

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Une brochure présentant un système-expert pour assister les maîtres d’ouvrages dans le calacul des résistances et des contraintes architecturaux. Division Ponts et Chaussées. Dessins originaux des titres.

Mais le plus remarquable ce fut cette brochure de présentation d’un logiciel de comptablitié d’entreprise, au premier abord très simple:

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dont la mise en page intérieure reprenait la structure du plan comptable:

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L’anglaise calligraphique utilisé ici comme référent d’un monde des «écritures traditionnelles».
À chaque présentation on lui faisait toujours la même remarque : «Paul, enfin on comprend ce que nos ingénieurs voulaient dire dans leurs dossiers». Le pricipe de base, la constante dans le travail de Paul Gabor c’était l’expression intélligente du texte. Pour cela il fallait le lire. D’abord. Je dis cela parce qu’il y a encore aujourd’hui (beaucoup moins, bien sûr) bon nombre de maquettes qui sortent des mains de graphistes ou d’agences, qui n’ont jamais lu véritablement les textes qu’ils mettent en page. On se contente de faire de belles maquettes (très tendance), en oubliant simplement le contenu éditorial de l’édition. Comment voulez-vous hiérarchiser un texte, rythmer une lecture, rendre le sens à un contenu, si vous ne le lisez pas? disait-il sous sa moustache à la Brassens.

J’entends les ricanements, le fils s’extasie devant des prouesses très contestables du père. Mais nous sommes en 1965. On faisait de l’esthétique à l’époque. Une belle couverture et du texte au pavé, sans aucune relance de lecture, sans aucune lecture intelligente. Il a fallu plusieurs générations de professeurs aux Arts Déco, aux Métiers d’Arts, à Maximilien Vox anciennement l’école de la rue Madame pour qu’aujourd’hui sous la contrainte économique et avec les moyens de la mise en page sous InDesign ou X-Press on produise de plus en plus de documents intelligents. Pardonnez-moi cette digression, mais il ne s’agit aucunement ici de critiquer une profession actuelle, mais de souligner qu’à l’instar des Hollenstein ou des Agences Delpire, Paul Gabor faisait partie de ces graphistes pour qui une mise en page avant d’être belle devait être simplement un outil au service du sens. Il n’en reste pas moins que nous évoluons là dans ce que j’ai déjà appelé plusieurs fois des mise en scènes gutenbergiennes. On y reviendra.

Entre 1965 et 1968 l’Atelier Paul Gabor produira de plus en plus. Paul investit sur une phototitreuse pour se faciliter le travail typographique quotidien. Auparavant, il fallait commander les typos rue Cabanis chez Deberny & Peignot, puis «monter» les épreuves couchés que l’on portait aux laboratoires Mardycks pour les photographier, agrandir, réduire, mettre à la cote. Puis remontage des épreuves à la gutta sur la carte à gratter. Paul voulait gagner du temps, mieux maitriser la qualité des approches. Alors il s’enfermait durant des heures dans l’obscurité rouge orthochromatique pour produire rapidement les typos de ses maquettes, édition, packaging etc.

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En 1968 en pleine effervescence un client vient le trouver, pas n’importe lequel. Le Centre des Jeunes Dirigeants d’Entreprise, Dominique Tulasne et Jean-Claude Hunault vont assiéger l’Atelier pour produire une brochure expliquant le re-positionnement du mouvement, très en avance sur le CNPF de l’époque.
Il s’agissait d’exprimer des conceptions participatives, fini le patronat de droit divin, l’actionnariat moderne était en train de naître. Le fil conducteur, replacer l’humain au centre de l’entreprise. Vaste projet. Beau projet. Ça a duré tout de même jusqu’à la fin des années 80. La fin des trente glorieuses. Création de la nouvelle identité du mouvement et d’une plaquette très pédagogique:

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Dans le même temps Paul Gabor travaillait de plus en plus pour le monde l’imprimerie. Ofmi-Garamont, l’importateur des presse Heidelberg lui avait confié la création de son identité, puis des annonces publicitaires, où la typographie devient acteur visuel:

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ou encore cette annonce pour lequel il avait fait faire une découpe en volume:

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Lors d’une rencontre avec Carolyne Aubry et Yvon Guémard de la revue Caractère, ils décidèrent d’une collaboration qui dura plusieurs années. Là Paul pouvait enfin exprimer ses qualités d’architecte de la page. Pour faire un parallèle, c’est très exactement l’époque où Herb Lubalin va produire l’Avant Garde, et les débuts d’Upper & Lower Case d’ITC.

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Cependant comment passer sous silence ce qui a fait la réputation de Paul, c’est à dire le domaine où il excellait particulièrement, la création d’identités visuelles. Toute sa sensibilité, tout son talent de concepteur, et d’architecte de la lettre se retrouvait dans cette expression très particulière où il s’agit de dire le plus possible avec le moins de moyen possible. Depuis son dernier travail pour la revue littéraire hongroise Nagy Világ, le Grand Monde, il avait considérablement évolué dans son approche des logotypes. Qu’il s’agisse d’exprimer l’artisanat traditionnel d’un chapelier (SOOLS) ou des magazins Réunis, d’une marque d’esquimau (Superior) au Vénézuela, de la marque d’Ugine (Uginox), des magasins Codec (qui revenaient d’une image figurative de deux jumelles transportant un panier), de l’image du centre culturel canadien, des mutuelles unies, ou encore de cette marque de transporteur spécialisé dans les élévateurs professionnels (LEV), les marques se suivent, et ne se ressemblent pas. Parce qu’à chaque fois, il remet à plat le problème d’identification d’une entreprise, l’analyse, le décline, jusqu’à plus soif… C’est un vêtement sur mesure que je fabrique pour mes clients… le shmattes, on n’en n’est pas loin…

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La main de Paul ne s’arrêtait jamais de dessiner, il produisait des dizaines de croquis jusqu’à l’épuisement des styles, des imbrications, jusqu’à simplifier les expressions graphiques tels ces recherches pour Générale de Placement et Placement Conseil:

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Sa première maquette de la Banque de la Hénin était sans doute plus traditionnelle, plus establishment, il a suffi d’une remarque lors d’une réunion de direction… «ça fait drugstore» pour qu’on écarte le projet et choisisse celui qui se trouve ci-dessus. Le dessin était magnifique, lubalinien dirais-je, mi-figue-mi-pomme :

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Une galerie complète des documents de l’Atelier Paul Gabor est disponible ici !

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Roman Cieslewicz

Michel Chanaud me signale une news pas banale:

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Roman Cieslewicz, né en 1930 est mort en 1996.
Parallèlement à son travail de graphiste, Roman Cieslewicz a continué ses propres recherches, utilisant le collage et le photomontage pour détourner des images et créer des associations insolites. Le portrait présenté est un exemple des déformations qu’il affectionne. Le visage est celui de Fernando Arrabal, dramaturge et cinéaste espagnol. Au début des années soixante, Arrabal, Topor, Olivier O. Olivier, Gironella et quelques autres qui partagent le goût de l’insolite et de l’humour noir se sont réunis sous le nom de «Panique». Reflet d’une personnalité atypique, l’image de ce cyclope moderne, à l’étrange symétrie, aujourd’hui encore dérange. 

19 mars 2006 | CalmelsCohen, organise le dimanche 19 mars 2006, à Drouot-Richelieu la vente aux enchères publiques des oeuvres de Roman Cieslewicz provenant de son atelier.

Expositions publiques :

Samedi 18 mars de 11h à 18h
Dimanche 19 mars de 11h à 12h
Ventes : Dimanche 19 mars à 14h
Assistés de : Monsieur Alain Weill, expert | Le catalogue de la vente sera disponible début février.
 

Roman Cieslewicz est un des grands imagiers de la deuxième moitié du XXe. Choisissant la photographie -collage ou montage- il a pratiquement abordé tous les champs possibles de la création. Fraîchement diplômé de l’Ecole des Beaux-Arts de Cracovie –qui forme à l’époque une génération de graphistes qui influencera le monde entier– il débarque à Paris en 1963.  Il a la chance d’être engagé par Peter Knapp comme maquettiste pour le magazine Elle dont il devient rapidement directeur artistique. Cette position dans la presse lui permet de mettre en pratique sa première passion: le photomontage, qu’il avait appris de son maître Meyzyslaw Berman. Il bouscule toutes les règles, largement démodées, de la mise en page française.  Toute aussi importante à l’époque est sa rencontre avec le groupe Panique -notamment Arrabal et Topor- qui nourrit son inspiration et l’amène à un surréalisme pop, qui, saute aux yeux dans les couvertures d’Opus international et les premiers collages centrés.  Il se concentre dès lors sur le collage et le montage photographiques, techniques qu’il fera évoluer jusqu’à sa mort. La frontière entre les deux est souvent difficile à tracer car découpage, photographies et photocopies sont associées dans un univers qui, dans la répétition d’images fétiches, se recrée en permanence sans jamais se répéter. Une sorte de gigantesque « copié-collé » constamment enrichi de nouvelles visions.  A la presse, qui le passionnera toute sa vie (Il y aura Libération, l’Autre Journal, Revolution…) vient s’ajouter l’édition (Julliard, Pauvert, Tchou…) et, surtout, la publicité, toujours méprisée en France, tant par les graphistes « engagés » que par les plasticiens « authentiques ».  Cieslewicz y démontre, dans la structure d’exception qu’est l’agence Mafia, qu’on peut faire de la publicité créative. Pour R.D. Ketchum, ce qui est moins évident, il prouve qu’on peut, sans trahir son style, faire des campagnes efficaces (Charles Jourdan).  Viennent ensuite ce qu’on peut appeler les années « Centre Pompidou » (1975-1983), pour lequel, dans tous les domaines de la communication, il laisse un travail inégalé. Travailleur acharné, il répond à d’innombrables commandes qui, au fil des ans, sont de plus en plus centrées sur le culturel et le social – ce qui ne l’empêche pas, avec sa boulimie d’images, de multiplier ses recherches personnelles.  Dés les années 70, c’est la série « Changements de climat », où la couleur fait son apparition, dont on trouve l’aboutissement en 1995 avec « oseelisques ». Le noir et blanc ne disparaît pas pour autant: il caractérise les numéros de Kamikaze et la série « pas de nouvelles – bonnes nouvelles ». Il expose à la galerie de France et à la galerie du jour- AgnesB. En 1995, le Centre Georges Pompidou lui consacre une importante rétrospective, ainsi que le Musée de Grenoble en 2001.  Ce géant protéiforme travaille ainsi, jusqu’à sa mort subite, début 1996, tous azimuts. Son oeuvre est touffue au point d’en rendre la connaissance difficile. C’est de reconnaissance que nous voulons parler aujourd’hui en révélant, sous toutes ses facettes et en pesant bien les mots, un authentique grand créateur | Alain Weill.

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Typographie | Elements d’histoire | Familles de caractères

l’histoire de la typographie se confond avec celle de l’écriture de l’alphabet phonétique

suite du cours de typographie concernant la classification des caractères.

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Comme vous avez pu le constater, plus on avance dans l’élaboration d’une histoire de la typographie, plus on cherche à affiner les filiations des caractères. Thibaudeau (1860-1925) a été longtemps la seule référence en France pour une classification des caractères d’imprimerie. Elzévirs, Didots, Bâtons, Egyptiennes. 4 formes alphabétiques de base pour déterminer le style et l’origine d’une police de caractère. Or notre connaissance de la chose imprimée n’a fait que s’affiner tout au long du XXe siècle de l’information. Comment peut-on classer un Bembo, un Garamont et un Times dans la même famille des Elzévirs. C’est pourtant ce que Thibaudeau nous propose. Et de regarder la forme des empattements, les contrastes des pleins et déliés, l’attaque de la partie supérieure d’un <a> bas de casse et l’on s’aperçoit tout de suite de différences notoires. Mais après-tout est-ce que cela sert à quelque chose de savoir classer les caractères?

Dans les années 50-90, pendant près de 40 ans nous avons été envahis dans toutes les agences de pub, de studio de réalisations graphiques par les catalogues de caractères, tels que celui-ci dessous…

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extrait d’un catalogue «Type Book» typoGabor (1988)

Bien avant l’arrivée des Macintosh et des technologies typographiques vectoriels, les ateliers de composition proposaient à leurs clients d’innombrables formes alphabétiques dans des dizaines de catalogues mis à la disposition des directeurs artistiques des agences. Pour s’y retrouver une seule solution, avoir une connaissance intime de la forme des alphabets afin de «pressentir» à l’avance ce qu’on y cherchait. De savoir reconnaître une Elzévir d’une Egyptienne ne suffisait plus. Et Maximilien Vox, fondateur des rencontres graphiques de Lure l’avait bien compris. A l’instar de Giono qui avait créé les rencontres du Contadour, Vox va se réunir avec quelques amis, Jean Garcia, John Dreyfus et plus tard François Richaudeau, Charles Peignot, Roger Excoffon sur les hauteurs du village de Lurs en Provence afin de tenter de jeter les bases d’une réflexion moderne sur la typographie. C’est ainsi que naîtra la Classification Vox qui recueille aussitôt l’assentiment de l’Association Typographique  Internationale.  Les Elzévirs sont éclatés en 3 familles, les Humanes, les Garaldes et les Réales.  Ce que les  Américains jettent pêle-mêle dans une seule catégorie «Old Style» (sans doute Old Style pour tout ce qui précède la naissance des États-Unis), mais avant d’aller plus loin dans cette affaire de classification je vous emmène faire un flash-back sur l’histoire de l’écriture. Ci-dessous un tableau simplifié qui résume la filiation des écritures depuis 700 av JC :

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Bien sûr nous savions que les caractères bâtons, Linéales chez M.Vox n’étaient en rien modernes. Ils ont été tracés, bien avant l’alphabet grec ou phénicien (700 av JC) sur les inscriptions cunéiformes véritable proto-alphabet de celui phonétique qui nous vient tout droit des phéniciens. Mais il est toujours intéressant de rappeler un contexte. C’est celui du support, et de l’outil. Les lettres tracés à l’aide d’une pointe sur une pierre argileuse ou de la cire ne ressemblent en rien aux lettres que les romains nous laissèrent sur la colonne Trajane. Eux se servaient de ciseaux pour tailler la pierre… Remarquez ci-dessus l’élégance des lettres A grecs et la régularité du tracé sur les pierres. (images cliquables).

A peine quelques centaines d’années s’écoulent, 200-300 et nous sommes plongés au cœur de la cité antique romaine qui pratique l’écriture comme moyen politique autant qu’artistique.

Les formes s’affinent, au croisement des tailles de ciseaux, un léger empattement «incise» apparaît, ce qui permit à M.Vox d’installer cette Classe des Incises juste avant les Humanes. On dira aussi des caractères lapidaires, provenant des inscriptions sur les pierres tombales ou les frontispices des monuments romains. Cependant les choses vont très vite.

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Entamée en Asie, l’histoire du papier se poursuit en terre musulmane, où il suscite « un respect frôlant parfois le fétichisme » dès lors que les paroles du Coran s’y trouvent inscrites. Et si les Arabes empruntent, au VIIIe siècle, le papier à la Chine, ils le transmettront à l’Occident, par l’intermédiaire des moulins d’Al-Andalus, l’Andalousie des « trois cultures » (musulmane, juive, chrétienne). Lire la suite !   

Les hommes s’adaptent, taillent des plumes (calame) pour en tremper le bout dans une encre et tracer les lettres sur un épais parchemin. La souplesse du poignet, la vélocité de la main qui parcourt une feuille posée sur la tablette du script (scriptorium) entraîne rapidement à des modifications magistrales dans les formes alphabétiques.

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l’attaque du plat de la plume sur le papier entraîne ipso-facto la naissance des pleins et déliés, mais il faudra attendre le Moyen Âge, l’époque de Charlemagne vers le 8e-9e siècles pour que l’Onciale se voit tracer avec des lettres hybrides d’abord, on dirait aujourd’hui des bas de casses capitalisées ou petites capitales, qui deviennent progressivement des minuscules (puisque la casse de Gutenberg ne verra le jour que vers 1450). La minuscule carolingienne ou caroline représente parfaitement l’ancêtre de nos écritures d’imprimerie moderne.

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Parallèlement nous voyons déjà clairement apparaître les fondamentaux de la mise en page Gutenbergienne. Titres, Lettrines, vignettes décoratives.

Qui ne se souvient de cette scène du Nom de la Rose où des dizaines de moines traçaient les parchemins debout devant l’écritoire… Ainsi il faut toujours se souvenir qu’avant la lettre d’imprimerie, la lettre fut tracée, travaillée selon des techniques calligraphiques de plus en plus raffinées. La gymnastique du poignet se codifiant avec l’expérience des Jan van De Velde, ancêtre de nos calligraphes modernes dont un des plus talentueux descendants Claude Fernand Mediavilla fréquenta l’école de Bernard Aarin, le Scriptorium de Toulouse. Mais je m’avance un peu trop vite, nous ne sommes qu’à l’aube de l’ère du caractère Gothique.

Pour lors les outils se réduisent au pupitre, la lampe, l’entonnoir avec de l’encre, la plume, le fil à plomb, la pierre ponce, et le racloir. Ils n’ont guère beaucoup évolué depuis 500 ans. L’usage du pupitre est toujours recommandé. Comment parler des «écrits» sans évoquer le rôle prépondérant joué par l’Université dans la diffusion des imprimés. Celui de Padoue, toute puissante, celui de Paris, une capitale dans la capitale jouèrent un rôle fondateur pour labéliser les nombreux imprimés, calligraphiés dans les monastères. Les étudiants affluent, la demande augmente considérablement et la minuscule caroline va progressivement glisser de plus en plus vite sous la main des scriptes. De «parisienne», d’«anglaise» ou «bolonaise» la nouvelle cursive, indispensable à la vie sociétale et universitaire, prendra le nom de gothique. Elle est le fruit, la conjonction d’une évolution sociale majeure, où «le progrès social et le développement de l’économie et de la culture laïque généraliseront le besoin de
l’écriture». Ainsi l’on constatera une évolution parallèle entre le style des églises et cathédrales gothiques et de l’écriture du même nom qui ne vient en rien des Goths, tribus barbares comme chacun le sait.

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C’est dans cette période qui court de Charlemagne à Gutenberg, près de cinq cents ans tout de même, distance équivalente de celle qui sépare de Gutenberg à nos jours, que va s’élaborer la codification de la mise en page moderne.

Durant cette période nous verrons d’innombrables écritures se multiplier, avec tout de même une constante, l’avènement de la plume et du papier, ainsi que l’accélération de l’écriture qui donnera naissance à une grande famille de caractère que sont les cursives et les Humanes. Quand Maximilien Vox distingue trois familles là où Thibaudeau n’en voyait qu’un, c’est tout simplement que Vox était particulièrement sensible, artistiquement et humainement aux évolutions de l’écriture. Il ne pouvait pas s’empêcher de «voir» les formes alphabétiques sans regarder l’attaque de la plume sur le papier. ainsi les Humanes (venant d’humanistiques), sont antérieures aux caractères d’imprimerie classiques comme le Garamont que Claude G. dessina au 17e siècle.

A ce stade de cette note il me faut avouer mes sources, car sans elles je n’aurais pu aborder avec autant d’aisance iconographique cette petite étude. Il s’agit de l’extraordinaire ouvrage de Roger Druet et Herman Gregoire préfacé par Roland Barthes et François Richaudeau (publié chez Artheme Fayard & Dessain et Tolra en 1976 – édition épuisée) : La Civilisation de l’Écriture.

Il faudra environ une centaine d’années pour passer de l’écriture gothique à l’écriture humanistique. Le Moyen Âge, où règne une forme de folie intellectuelle et moral pétrie de rigidité sociale et morale symbolisée par le style gothique des églises aux lignes aussi solides que les barreaux d’une prison. De la folie d’une fin d’époque à la hiérarchie verticale que nous verrons vaciller sous la pression de la Renaissance, de la découverte des perspectives en architecture. Des Fous et des Pauvres, une société meurtrie par des rois dangereux pour leurs sujets (Louis XI, Charles VII), brûlant les Jeanne d’Arc et laissant assassiner des centaines d’enfants par Gilles de Rais.

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L’écriture gothique, ou textura chez les allemands correspond bien à cette volonté de remplissage sans laisser la moindre place au vide, c’est à dire à la contreforme. C’est bien ce textura qui séduira Gutenberg lorsqu’il s’attaquera à la bible en 36 lignes puis à celle de 42 lignes plus connue puisqu’elle est exposée en grande pompe à Mayance au Musée Gutenberg. Le deuxième alphabet que les imprimeurs vont adopter c’est aussi une gothique. La lettre de Somme, ainsi nommée pour avoir servi à composer la Somme de Thomas d’Aquin. Les Allemands l’appelèrent la Rotunda. Plus arrondie que la Textura, elle se souvient d’avoir été de forme latine et tend à s’harmoniser avec le siècle de Montaigne, plus humaine, plus confortable.

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L’apport de la Calligraphie à la maîtrise du caractère.

On ne saurait faire un saut vertigineux de près de 200 ans qui sépare Gutenberg et la Fraktur qui servit à composer sa Bible et le dessin policé et pétri de classicisme que dessina Claude Garamont vers 1650 sans évoquer l’importance de l’expérience calligraphique dans l’arbre généalogique des caractères. Bien sûr il s’agit de gestes individuels, mais codifiés. Bien sûr le hasard intervient mais pas plus que dans un caractère aux formes classiques. Ce qui fonde l’importance de la calligraphie, c’est précisément l’outil et la technique.

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Sans vouloir choquer les historiens, permettez-moi d’avancer une image, le calligraphe est à la cour du Roy, aussi indispensable que l’était le Scribe dans la haute Égypte. Ce sont les attachés de presse (cf Pétrarque) de ces époques si lointaines. Ils confient au papier, les secrets, les discours, les échanges, les transactions financières et diplomatiques des cours royales. Il en va ainsi des Cancelleresca, lettres de Chancelleries qui servent à échanger des informations entre deux délégations étrangères. Je ne citerai pas tous les noms, ce serait fastidieux, mais seulement ceux de Nicolo Niccoli (1364-1437) qui aurait, par un traitement cursif, assuré le succès de l’écriture humanistique, de Jean van den Velde à Rotterdam (1567-1623) qui publie en 1605 le Spiegel der Schriftkonste (Miroir de la Calligraphie), de Nicolas Jarry (1641) [la guirlande de Julie], de Paillasson (XVIIIe siècle), maître d’écriture et d’arithmétique, de Barbedor, le plus grand calligraphe français de l’époque (1589-1670) pour son ouvrage principal, les Écritures financière et italienne bâtarde paru vers 1650. Ce qui me rappelle que le seul musée sérieux consacré à l’imprimerie en France, celui de Lyon, au 13, rue de la Poulaillerie, se trouve être dans le même temps, le musée de la Banque. Étrange paradoxe mais pas tant que ça lorsqu’on se souvient du rôle de l’écriture dans la tenue des comptabilités financières et dans les lettres de change (ancêtre de nos chèques).

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Il s’agissait non seulement d’écrire, mais aussi de décorer l’écriture avec des paraphes (swashes chez les Américains), des arabesques qui venaient égayer, encadrer avec souplesse une phrase, un décret royal, un mot diplomatique ou amoureux. Les calligraphes faisaient assaut d’élégance et d’inventivité pour marquer de leur style personnel chacune de leurs planche d’écriture.

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Ainsi avançons nous résolument vers le siècle du classicisme et l’invention majeure de la création typographique qui advint en France. Je prendrai aussi la même précaution langagière que Roger Druet pour juger du plus beau dessin de cette époque le Garamont. Ce n’est pas qu’il fusse plus beau, plus original que les caractères de Francesco Griffo ou d’Alde Manuce, mais il parvint à une telle perfection dans le dessin et une telle harmonie dans ses déclinaisons, qu’aujourd’hui encore, quelque 500 ans après, le Garamont, ou Garamond avec un <d>, reste un des caractères classiques les plus utilisés dans l’édition comme ceux de Gallimard et bien d’autres.

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Pour comprendre la magie de ce caractère il faut savoir que nous revenions de loin. Le rationalisme de la Renaissance Française a failli avoir la peau des beaux caractères typographiques à l’Italienne. Les travaux du Champfleury de Geoffroy Tory et Dürer, inspirés des travaux anthropomorphiques de Leonardo da Vinci sont un bel exemple d’impasse dans laquelle la typographie Française a failli se laisser enfermer. Par ailleurs je dois reconnaître ce qui semble être l’avis unanime, les apports de Tory à l’art de l’édition où il excella avec son partenaire et associé Simon de Colines. Ils ont à eux deux «sortis» pas moins de 430 éditions avec les moyens les plus désuets que l’on connaît.

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Elzévir = Humanes + Garaldes + Réales

Nous avons vu la naissance des Humanes, les Garaldes selon la classification de Maximilien Vox est la contraction de Garamont et Alde Manuce (dont on ne saurait passer sous silence les travaux typographiques et lui accorder l’antériorité du style Garamont). Mais il serait également criminel d’oublier les apports de Francesco Griffo qui nous donna ce très beau Bembo réédité par la fonderie Monotype sous la férule de John Dreyfus voire de Stanley Morison.

Mais alors les Réales… c’est quoi ? Si l’on regarde les empattements, les pleins et déliés et les attaques de la plume imaginaire au-dessus de la panse du <a> bas de casse, une Réale est très proche d’une Garalde. Sauf que, sauf que les contrastes pleins et déliés, sont plus marqués, sauf que les empattements de sensibles voire sensuelles, elles sont devenus presque géométriques, triangulaires.

Voici un tableau comparatif
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Le Jenson s’apparente aux Humanes par le style marqué du dessin à la plume (attaques, terminaisons des patins, pleins et déliés marqués par la pente de la plume.

Le Garamond (Garaldes) efface les aspects «plumistiques» et nous propose des empattements sensibles et élégants mais en même temps très présents dans l’alignement des lettres. Au contraire du Times de Stanley Morison (1935) (Réales) qui transforme les patins en forme prototriangulaire et accentue les contrastes des pleins et déliés. Si l’on devait faire un choix, nous pourrions affirmer que le Times, hérité du Baskerville et du Caslon symbolise le mieux l’Elzévir de la classification Thibaudeau. Mais du fait qu’il est largement postérieur au Garamont, y compris les Baskerville et Caslon, Vox leur a attribué le nom de Réales, pour Réalité, Réalisme, Modernité… tiens ! les Américains les appellent du nom de Modern Style au contraire des Old Style.

Les trois coups retentissent et nous voilà transportés au XVIIIe siècle. Gianbattista Bodoni qui, nous laisse une variante encore plus épuré du Modern Style. La taille douce est passé par là. Les techniques de gravure de poinçons évoluent, se mécanisent et autorisent des finesses jamais atteintes par la main de l’homme.

En France Firmin Didot, en Italie Bodoni, Vox résume, il les appellera les Didones.

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La Classification Vox comprend de fait 11 familles, nous venons d’en examiner 7 seulement, les Linéales, les Incises, Les Frakturs, les Humanes, les Garaldes et les Réales, les Didones. Reste à examiner les Mécanes, les Manuaires, les Scripts et les formes non Latines.

Nous sommes au cœur du XIXe siècle plongés dans l’industrialisation la plus effrénée. L’imprimerie est devenue un secteur majeur, acteur de la vie économique des pays dit civilisés. Voici à quoi ressemblait un atelier de composition typographique aux alentours de 1850. Ainsi que quelques illustrations de presse à feuilles.

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derrière chaque pupitre, un compositeur typographe, au contact du plomb et de l’antimoine (saturnisme). Il dispose les caractères plomb (gutenberg) dans un composteur qu’il tient dans la main gauche. Vitesse de composition : environ 1350 signes à l’heure sans compter la «redistribution», qui consiste à remettre les lettres, une fois qu’elles ont servis à l’impression dans les casses correspondantes. Pour vous donner une idée comparative, une collection comme l’Adobe Folio comprenant environ 2000 polices de caractères équivaut à 50.000 casses, c’est à dire environ 3300 meubles contenant une quinzaine de casses. Si chaque meuble occupe environ 2 m2 au sol, cela représente au bas mot une surface industrielle de 6600m2, soit environ 3 immeubles Haussmanien, sans compter les dépendances, couloirs, ateliers de presse etc. Sans doute le double.

Cela tient aujourd’hui dans une clé USB branché sur votre portable que vous tenez sur vos genoux dans le TGV qui vous emmène en WE. Voilà la vraie révolution que nous venons de vivre en quelque 50 ans. Elements d’une réflexion sur la modernité, aurait pu être le titre de cette note.

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Une Histoire de la Typo | A Type Historical Story from petergabor on Vimeo.

(design et typo) ©peter gabor

Référence bibliographique : Il s’agit de l’extraordinaire ouvrage de Roger Druet et Herman Gregoire préfacé par Roland Barthes et François Richaudeau (publié chez Artheme Fayard & Dessain et Tolra en 1976 – édition épuisée) : La Civilisation de l’Écriture.

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Sebastião Salgado | derniers jours à la BNF

Exposition du 29 septembre 2005 au 15 janvier 2006 | Bibliothèque nationale de France | Site Richelieu | Galerie de photographie | 58, rue de Richelieu, Paris 2e |

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site de la BNF

Dans un monde instable Sebastião Salgado n’a cessé, depuis 1974, de parcourir le monde. Sa conception du reportage photographique a évolué et plus qu’au rendu de l’événement, du factuel, il s’attache à l’élaboration de projets conçus sur le long terme. Sa formation première d’économiste lui permet d’aborder avec un regard dépourvu de naïveté les grandes évolutions qui s’amorcent et de les rendre visibles par la photographie. L’œuvre de Salgado nous permet d’approcher photographiquement la question du territoire, la manière dont l’homme le crée ou dont il en est dessaisi, et les conséquences des actions qu’il effectue sur ce bien commun qu’est la nature. La première question que pose la photographie de Salgado face au monde n’est pas "pourquoi?", "qui ?" ou encore "comment?", mais "où?". En l’occurrence, où est l’homme? C’est au cœur d’un système économique et politique en proie à l’instabilité que Salgado construit sa problématique et mène ses projets. Il a témoigné pendant près de trente ans des oscillations, des déséquilibres, voire des effondrements qui marquent pays et continents, qui les font évoluer, les mènent parfois au chaos.  Lire la suite

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Kodak | un logo sans image

Kodak, un acteur essentiel du monde numérique

Ceux qui essaient de relier la simplicité spartiate voire l’appauvrissement du nouveau logo de Kodak avec la fin des entreprises liées à l’argentique en sont pour leur frais. Contrairement à Ilford ou Leica respectivement fabricants de papiers photo et d’appareils argentiques aux renoms mythiques, Kodak n’a jamais pris de véritable retard de positionnement sur les nouveaux marchés du numérique. Sans doute confrontés à la migration trop rapide d’un monde révolu, ils ont eu plus de difficultés à surmonter qu’un nouvel arrivant sur ce marché (Sony par exemple, qui a l’avantage de ne traîner aucune casserole financière). Mais Kodak a participé activement, voire contribué à développer le monde numérique. On oubliera pas qu’ils furent les premiers à proposer des boîtiers reflex à 12 voire 20 millions de pixels adaptables avec objectifs Nikon.

Et la visite des sites ci-après, démontre à l’évidence qu’ils prennent une part plus qu’active au développement du tout numérique, sur toute la chaîne graphique (appareils photo, traitement de l’image, photogravure, pre-print [avec les CTP] et digital proofing [Approval, Creo  etc.]).

Site officiel de Kodak
Capteurs Kodak : nouveau record de résolution

Ceux qui essaient d’expliquer la simplicité spartiate du nouveau logo et l’abandon de l’enseigne (écusson dirait Michel Disle | co-fondateur de Carré Noir)  par l’effondrement des marchés de l’argentique, en seront pour leur frais. Parce que Kodak est résolument moderne et actuel. Bien sûr, les amoureux de l’argentique dont je suis peuvent tous regretter une époque où l’on voyait l’image se révéler dans le fond de nos bacs à développement, où l’on faisait du masking sous l’objectif de l’agrandisseur pour <ouvrir> tel partie de l’image trop peu exposée. La relation même au temps du travail sur l’image permettait une réflexion, une gestation des idées, des concepts photographiques et je ne saurai que recommander la visite d’une exposition qui prendra fin la semaine prochaine à la BNF, celle de Sebastião Salgado, qui reste un des derniers grands représentants de la pratique traditionnelle. Immense, émouvant.

Vous croyez que je m’éloigne du sujet, alors qu’au contraire, j’ai le sentiment de poser les jalons d’une réflexion qui prend acte de l’histoire et du présent de l’entreprise.

Voici une étude technique comparative de l’ancien et nouveau logo de Kodak (cliquez sur l’image):

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(cliquez sur l’image ci-dessus)

Ce qu’on retiendra de cette comparaison ce n’est pas tant le changement du logotype de Kodak, petit subterfuge pour moderniser l’écriture avec sans doute un défaut majeur, la fermeture du <a> dont la contreforme est tellement réduite qu’elle risque de se boucher une fois réduite, et je suis bien certain que la firme fera faire un dessin d’exécution spécialement adapté aux grandes réductions (ce ne sera ni la première ni la dernière fois que l’on fournira à une marque deux dessins). Non ce qu’on retiendra c’est sans doute l’abandon de l’écusson carré en forme de K rouge sur fond jaune. Cet écusson était particulièrement réussi parce qu'<à plusieurs entrées>. L’on pouvait autant y voir un <K> qu’une lentille d’objectif, une image projetée, agrandie, bref tout ce qu’on demandait à une marque s’occupant de photographie, un symbole efficace, intégrant un logotype. Alors il y a ceux qui ont remarqué très justement que le logo Kodak dans l’ancienne version était peu lisible, voire trop réduite et que le nouveau logo, débarrassé du symbole sera plus présent dans les inscriptions (produits, communication). Mais c’est oublier que Kodak a toujours fait vivre leur logo aussi bien avec que sans l’écusson. Si l’on regarde les boites-pellicules, ou les inscriptions sur les appareils-photo, seul l’écriture était utilisée… Alors je suis assez d’accord avec ceux qui disent qu’il faut attendre la charte pour juger au final de ce nouveau logo. Il est certain que les deux bandes jaunes sont parfaitement inutiles, si l’on songe à l’utilisation <marquage produit>, et d’ailleurs ils disparaîtront. Quant aux packagings, on verra. Il n’est pas sûr du tout que la charte les inclut. Ce que l’on peut simplement conclure à ce stade c’est deux choses:

1) était-il nécessaire d’abandonner l’ancienne enseigne Kodak?
2) le nouveau logo <écriture rouge encadré des filets jaunes> correspond-il à l’image que Kodak devrait donner de ses innombrables activités Grand Public et Professionnel sur le marché photographique.

À la première question je répondrai par un trait d’humour. Kodak n’a jamais été très pointilleux sur le rappel de leur enseigne. Ce qui fonde la marque Kodak curieusement c’est l’association du rouge et jaune, codes couleurs reprises dans la nouvelle écriture. L’abandon de l’écusson, qui rappelle pour bon nombre d’entre-nous l’ancien univers argentique, au-delà de l’aspect un petit peu traumatisant, ne peut avoir qu’un effet bénéfique à terme. Kodak fait la rupture avec l’ancien monde et nous montre qu’elle (l’entreprise) est présente plus que jamais sur les nouveaux marchés. Auraient-ils du réinventer un nouveau symbole. Peut-être trop tôt. Et ceci pour arriver à la réponse 2.

Les nouveaux marchés de Kodak ont un contour incertain. La place de Kodak est floue, dans un environnement numérique dont les comportements se déplacent sans cesse. Les acteurs, les technologies, les comportements d’achats se dessinent chaque jour sous nos yeux de professionnels ébahis. Sur internet on nous propose des services de labos en ligne. A la Flac ou rue Mongalet on nous propose des machines personnelles pour interfacer nos appareils photos avec de petites imprimantes qui tiennent sur la table du salon. Le secteur des arts graphiques, est vivement concurrencé par le Grand Public. Ainsi sur un Marché aussi fluctuant, aussi incertain, une design strategy d’identité visuelle ne pouvait ni prendre trop de risque de rupture (conservation de la marque, des codes couleurs), ni proposer un nouveau symbole qui risque d’être à proprement parler démodé par le marché, et les technologies sans cesse remises en question. (nanotechnologies, capteurs organiques etc.).

Le nouveau logo de Kodak tient plus d’une étape de transition prudente que d’une volonté de marquer un territoire qui au reste est déjà marqué, codifié et occupé par cette firme plus que centenaire.

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Bresil, Bresils | l’année du Brésil | photos

L’année du Brésil se termine,
voici quelques photos de concerts
et de fêtes qui ont égayé ces douze mois que Paris
a vécu au rythme de la samba et du forro.

toutes les photos sont là !

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toutes les photos sont là ! et site officiel de l’année du Brésil

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Tata Güines es una eminencia de los tambores | fotos

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Tata Güines est un Maestro de la Percussion

On m’a plusieurs fois demandé qui était le bonhomme qui tirait sa langue sur l’en-tête de ce blog. Eh bien ce n’était pas moi… mais ce fantastique petit bonhomme résidant à Cuba qui est venu plusieurs fois participer à des concerts cubains à Paris (La Galerie, le New-Morning avec Maraca…). Quelques références sur la musique latino et cubaine très bien documentées ici.

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comme un enfant qui tire la langue pour mieux s’appliquer, Tata est un être délicieux. Je l’ai rencontré plusieurs fois pour lui remettre des photos, et son regard d’adolescent égaré restera gravé dans mes souvenirs.

et ci-dessous un des musiciens-chanteurs qui accompagnait le groupe de Tata. Si quelqu’un se souvient de son nom, qu’il n’hésite pas à me laisser un commentaire…

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Recherches matières | hommage à Max Ernst

Rorschach pour balader son imaginaire

Voici une série de recherches que j’ai faite en utilisant la technique de Max Ernst, encrage-arrachage avec encre de chine sur plaques de verres (2cmx2cm), agrandissement macroscopique 30x et travail de retouche considérable afin de dépouiller les détails. Utilisation parfois d’encres de couleurs mélangées avec fiel de bœuf pour une meilleure adhérance sur le verre. Le résultat est assez satisfaisant et donne «matière» aux psychologues «méthode Rorschach» pour faire évoluer leur test par trop papillonesques…

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Il faut rester très humble devant les mystères du hasard et de la nature. J’avais entrepris cette série pour illustrer une collection d’essais consacrés à la psychanalyse. La forme et la fonction. Cela s’est imposé avec beaucoup d’évidence et le voyage intérieur y est infini. Et la typo dans tout cela… allez-y voir c’est ici.

 

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Paul Gabor | la période 1937-1956

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Il est des choses que l’on sait devoir faire, que l’on sait qu’on aimerait faire plus que tout au monde et le destin nous en empêche durant des années. Lorsque disparaissait Paul Gabor le 20 juillet 1992, j’étais en pleine bagarre pour tenter de faire survivre l’entreprise que nous avions construite ensemble: typogabor. Les années qui ont suivi (disparition des métiers de la typographie industrielle) furent consacrés à ma propre «survie», et c’était d’autant plus difficile que j’avais décidé coûte que coûte de recommencer une carrière de graphiste après avoir connu la réussite du management technique et artistique d’une des «maisons» typographiques les plus prestigieuses dans le monde. Dormant peu, je me noyais dans le travail et reculait chaque instant devant l’immense tâche de réveiller mes chers fantômes. Paul Gabor m’a tout appris de ce métier et il m’a même appris qu’on doit continuer à apprendre toute sa vie. La sienne fut un exemple, un modèle pour l’enfant, l’adolescent et plus tard l’homme que je devins. Je ne l’ai jamais vu triste, ni angoissé. Plus qu’un hommage à un graphiste de renommée internationale, c’est l’hommage d’un fils à l’homme qui a su le guider dans ses angoisses de déraciné. C’est l’histoire de mon père.

Paul Gabor est né Székesfehérvár (littér. le chateau blanc de Székes) le 13 décembre 1913, un vendredi. C’en était trop pour une famille de superstitieux, ils le déclarèrent être né le lendemain 14. Son père était peintre et possédait un petit artisanat de peinture en bâtiment, ce qui ne l’empêchait pas de peindre le week-end des copies de toiles de maître d’une très belle facture. Paul passa son CAP de peintre en bâtiment à 17 ans avant d’obtenir de sa famille l’autorisation de «monter» à Budapest poursuivre ses études. Baccalauréat puis études supérieures, il entra à l’Atelier, fondé par Bortnyik Sándor, sur les principes pluridisciplinaires du Bahaus où il suivit les cours de Gyula Kaesz (architecture intérieur), Kozma Lajós et Gusztáv Végh (architecture), et d’Albert Knerr, célèbre typographe hongrois émigré par la suite aux Etats-Unis.

Ces années furent les plus enrichissantes, les plus sérieuses de sa vie. Et ils fondèrent toute sa carrière.
A peine ses études terminées il fut pris comme collaborateur dans deux ateliers, architecte le matin et graphiste l’après-midi.  On lui attribue une centaine d’appartements et de meubles dont il dessina les projets. Il fit un court séjour à Paris en 1934, il avait 21 ans. Lorsque fraîchement diplômé par l’Atelier, il gagna un concours graphique pour la Revue Franklin (Tükör) dont il assura une longue série de couvertures. Mais son travail, varié empruntait à tous les styles et bien avant le Pop’Art il produisait ce genre de «commercial» dans une Hongrie qui n’était pas encore entrée en religion communiste.

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Ces travaux montrent déjà les influences graphiques fortes de l’Atelier. Les mises en page de Paul sont toujours conçues et d’abord comme une organisation spatiale architecturée. Dans la couverture ci-dessus il s’inspira d’une antique dessinée par Paul Renner en la redessinant pour l’inclure dans un espace construit en diagonale qui n’est pas sans rappeler les nombreux travaux des constructivistes du Bauhaus et des graphistes Russes.
En 1937 il gagna un autre concours, et profitant de cette manne, il décida de revenir à Paris pour y découvrir l’Exposition Universelle. Armé d’un appareil photo et de calepins qu’il noircissait de notes (presque toutes disparues) il marcha, durant des jours entiers à la découverte des tendances, des courants architecturaux et graphiques. Paul ne savait pas rester inactif, le dessin était chez lui une nécessité vitale et c’est à la Grande Chaumière où il s’inscrivit dès son arrivée à Paris qu’il pût continuer son entraînement quotidien. Bref voyage à Londres durant ce séjour dont témoigne son carnet de croquis échappé je ne sais comment à la fournaise de la guerre.

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c’est avec délectation que j’ai retrouvé cette série qui montre l’influence de Cassandre sur les générations de graphistes contemporains. Paul passe par le dessin pour en comprendre le fonctionnement. Il aurait pu simplement photographier les affiches. Mais comme disait un ami, M.Chanaud, «ce qui doit aller au papier doit venir du papier».

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On retrouve dans ces croquis le style des dessins du Bauhaus.

Ces croquis ne sont pas ceux d’un virtuose, Paul détestait cette expression. Ils témoignent plutôt de sa curiosité pour tout ce qui l’environnait. Il aimait à répéter tout au long de sa vie une chose essentielle, regardez, sentez, reniflez tout ce qui se passe dans les arts visuels, ils nous disent pas seulement la mode mais aussi l’évolution de nos perceptions.
Il avait envie de rester plus longtemps, bien compréhensible en ces temps joyeux d’avant guerre. Fréquentant régulièrement l’atelier de Victor Vasarély qui suivit les mêmes cours de l’Atelier à Budapest, il y avait ses aises pour préparer son «dossier», book dirions-nous aujourd’hui. Vasarély le recommande autour de lui et Paul va obtenir quelques commandes qui lui permettront de rester jusqu’en 1940. Les allemands entrent à Paris. Il n’avait plus rien à faire dans cette belle cité occupée et rentra en Hongrie où il remonte un studio graphique et continue de façon assez obscure la practice de son métier. 1943, il est mobilisé dans une armée hongroise à la solde du régime nazi. Et en 1944 il échappe de justesse à son envoi sur le front russe grâce à l’aide de sa mère qui l’a déclaré malade (il l’était réellement, mais moins qu’on le crut). Tout son régiment fut décimé. Puis c’est l’horreur absolu. fin 1944 il fut emmené avec d’autres juifs dans une de ces déportations de dernières minute qui témoignait de l’acharnement des nazis à poursuivre l’œuvre de destruction coûte que coûte jusqu’au dernier survivant. Durant ce temps, sa jeune femme, ma mère tentait d’échapper à l’horreur avec un passeport Wallenberg entre les mains, mais lorsque, par un de ces miracles digne des films de Spielberg, Paul revint, vivant, amaigri à l’excès, mais vivant, retrouvant sa femme vivante mais plus personne d’autre. Les dix huit membres de toute une famille emportée par la haine et l’aveuglement. Son atelier en fumée, notes, carnets disparus sous les bombardements, il dut recommencer à vivre, à travailler. Et il s’y remit avec une bonhomie et une gentillesse qui le caractérisait.

Un éditeur l’appelle pour créer des jaquettes de couverture et de 45 à 52 il produira une centaine de maquettes qui furent toutes imprimées. En voici quelques unes parmi les plus significatives.

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Petit rappel: il faut savoir qu’à cette époque les moyens de production graphique étaient réduits à:
— la planche à dessin et le <T>
— crayons
— compas
— tire-lignes
— pinceaux et les tubes de gouache.

Tous les titres, devaient être dessinés (lettres inventées et dessinées et peintes).
Ce qui fait de ces maquettes (assez traditionnelles je le reconnais, mais il s’agit n’est ce pas d’édition littéraire) des petits joyaux de création typographique.

Pendant ce temps en Magyarország, bien entendu les fondamenataux avaient changé. Le régime communiste, ses idéaux de progrès social, d’humanisme universel et le besoin de reconstruction du pays sorti amoindri une fois de plus d’avoir choisi le mauvais camp, allait recourir aux graphistes pour organiser la propagande, la «reklame» idéologique et bien entendu et aussi la réclame commerciale qui se limitait à l’utilisation des produits hygiéniques de première nécessité, de l’énergie, et des produits de consommation de base.

En 1950 le ministère de la culture fait appel à Paul Gabor pour contribuer à cette nouvelle communication et voici les plus belles affiches de cette époque, qui témoignent à la fois du style et des préoccupations d’une société en pleine reconstruction.

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affiche culturelle pour une expo d’affiches

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affiche commerciale

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affiche idéologique

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affiche culturelle

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affiche culturelle

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affiche culturelle | expo d’art populaire polonais

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affiche culturelle | expo d’architecture

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affiche culturelle | expo d’affiches polonaises

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affiche culturelle

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affiche commerciale | on retrouvera la typographie de CSEPEL dans l’identité visuelle qu’il dessina pour la Banque de la Hénin dans les années 70.

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affiche culturelle | expo d’art plastique et graphique | le caractère dessiné par Paul est celui qui lui servira de tracé pour le futur Mermoz

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affiche commerciale | chaque crayon est dessiné jusqu’au plus petit corps de typo qui s’y trouve

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affiche culturelle | expo d’art appliqué

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affiche culturelle | semaine du livre

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affiche idéologique | contre la guerre | où l’on voit l’influence de Cassandre et des constructivistes

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affiche idéologique | pour inciter le peuple à la reconstruction

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affiche culturelle | expo d’art appliqué | nous sommes en 55, un an avant la fin de sa période hongroise

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affiche commerciale

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affiche culturelle | semaine du film polonais

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affiche culturelle | expo d’affiche

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affiche culturelle | expo de graphisme britannique (hommage à David Caplan)

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affiche culturelle | expo jouets tchèques | c’est la dernière affiche de Paul réalisé en Hongrie.

Il va encore réaliser la couverture d’une revue littéraire «Nagy Világ»

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La typo de cette couverture est une lapidaire romaine qui se caractérise par son extrême délicatesse. Des pleins et déliés plus elzéviriens mais les empattements sont bien ceux des incises propres à ce style. A remarquer la ligature entre le L et A qui préfigure les ligatures de l’avant garde de Lubalin. Ainsi que cette très belle ligature entre le G et le Y que l’on trouve si rarement dans nos titres d’aujourd’hui.

Son voyage en France n’est pas pour rien dans les influences graphiques des «plakát». Les trois C comme il aimait à dire, Carlu, Cassandre, Colin (Paul), jouèrent un rôle de modèle sur sa réflexion. L’organisation de l’espace a toujours été une de ses préoccupation majeures. On y reconnaît l’influence de ses études d’architecture. Mais l’enseignement d’Albert Knerr n’est pas passé non plus à la trappe. A la fois traditionaliste (elzévirs, lapidaires) mais moderne (antiques, mécanes) les choix typographiques de Paul Gabor s’adaptent en réalité à chaque affiche, contenu éditoriale, aspect psychologique, client-spectateur. Il n’était pas un idéologue du caractère. Ne prônait aucun style en particulier, toujours prêt à adapter un style à un message. Je reviendrai dans une note spécialement consacré à son œuvre typographique sur ces questions d’influences et de sympathies pour certains styles de caractères. Mais il est important de souligner cet aspect typographique de son œuvre, parce qu’à l’instar d’un Herb Lubalin que Paul adorait et tenait en plus haute estime, il était un gutenbergien convaicu. Architecte de l’espace graphique, architecte du signe typographique, l’interstice est ténue. C’est un entre-deux constant. Signe et espace, pour construire un message fort, hiérarchisé, et surtout, surtout, sensible.

Prochaine note: Paul Gabor | la période 56 à 68

Le 23 octobre 1956, Paul Gabor prenait le train Alberg Express à la gare de l’Est de Budapest. Il était 20 heures. Je l’avais accompagné avec ma mère. Accroché en queue de train, un wagon entier de jouets hongrois que Paul devait installer, scénographier à l’expo du Salon de l’Enfance à Paris, au Grand Palais. A 20 heures 15, dans le taxi qui nous ramenait au 99 Majakovski útca, nous avons vu le premiers camions de manifestants, des étudiants qui allaient se déverser sur la ville pour entamer ce qui fut nommé la révolution hongroise, une insurrection qui fit au bas mot 3000 morts, lorsque les chars russes de Krouchtchov se retirèrent.

Arrivé en gare de Vienne, Paul (qui était en mission officielle) fut abordé par l’attaché culturel de l’ambassade de Hongrie pour s’entendre énoncer la nouvelle de l’insurrection. Sous sa grosse moustache, mouais… je continue mon voyage, ça doit pas être si grave que ça.

Entre temps, des courants politiques d’extrême droite tentèrent de reprendre le dessus. Les anciens sympathisants du régime de l’amiral Horty. Dans l’immeuble où nous habitions, un complot pour assassiner tous les juifs fut découvert. Klara Gabor (qui avait déjà obligé toute la famille à se convertir à la religion réformée luthérienne) n’en pouvait plus. Trop c’est trop. Quand les communications furent rétablies entre la Hongrie et le reste du monde, elle appela Paul pour lui demander de rester en France. C’était fini. Elle ne voulait plus rester dans ce pays qui avait laissé décimer toute sa famille et qui était prêt à recommencer, et encore et encore.

Quinze jours plus tard, Paul se promenant dans le métro voyait une affiche signé Ets de la Vasselais. Il prit rendez vous et commença dès le lendemain une nouvelle carrière. A 42 ans il recommençait sa vie pour la troisème fois.

 

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