Novembre 1989. C’est la fin de l’expérience communiste. Les Allemands détruisent le Mur qui était censé symboliser la frontière entre la Démocratie et le Totalitarisme alors que ça n’était qu’un Mur érigé entre la Réalité et l’Utopie. Me souvenant alors d’avoir lu pendant mon adolescence la Ferme des Animaux, mon premier mot fut alors : « tiens, le Capitalisme dépose le bilan de sa filiale Communiste ».
Quelques mois plus tôt pour garder le statut de la Nation la plus favorisée, les Russes signent entre Stockholm et Helsinki des accords de paix, de désarmement et d’un retour progressif vers le respect des droits de l’homme. Peu d’économistes de l’époque avaient fait la relation avec les mauvaises récoltes des dernières années Gorbatchovienne. L’Union Soviétique crevait de faim. Et ils étaient sous perfusion d’aide pour importer du blé des États-Unis à des tarifs privilégiés. L’Union soviétique était au bord de la faillite économique et ne tenait plus que par le miracle de l’aide du monde capitaliste.
C’est alors que je me souvins des passages de l’ouvrage de George Orwell qui mettait en scène la révolte des animaux, l’instauration d’une utopie puis la dégradation et la perversion du système et enfin, le commerce nécessaire entre cette ferme et celle de l’Homme voisine afin de pourvoir à l’économie de la ferme utopiste.
La métaphore devenait limpide. Le jour où le Mur s’écroule, je me dis, ça y est le capitalisme dépose le bilan de sa filiale, parce qu’ils sont eux-mêmes en difficulté. Keynes avait déjà analysé cette baisse tendancielle des taux de profits, il ne pouvait en être autrement. Les liquidités commençaient à se raréfier. Et le monde de la Finance n’aime pas placer à perte. Il aime quand ça rapporte et quand ça rapporte gros, et tout de suite.
L’Utopie Communiste avait survécu sous perfusion des prêts de l’Ouest, mais quand l’Argent est venu à manquer, c’est tout naturellement qu’on fit comprendre aux dirigeants communistes que l’heure des comptes avait sonné. La fin du Mur de Berlin était le signe annonciateur de la crise que vit aujourd’hui le système libéral. Un système basé sur le profit le plus immédiat, sur l’idée qu’on peut se passer du travail pour faire fructifier son capital alors que c’est tout à fait contraire à la création de la Valeur décrite par Marx, Ricardo, Keynes et bien sûr Max Weber. Débarrassés des dettes de l’Union Soviétique, les États-Unis ont continué à vivre au-dessus de leurs moyens. Engageant des guerres coûteuses au lieu d’assainir leurs dettes.
L’emploi n’a jamais été au cœur des préoccupations de « l’hydre » capitaliste. Pas plus que l’Humanisme et la place de l’Homme au cœur de la cité, de l’entreprise. La crise Américaine, c’est tout simplement une véritable crise des valeurs sociétales. Tant que le rendement de l’argent sera le seul moteur, la seule mesure de la performance d’une civilisation, nous tournerons en rond pour résoudre l’insoluble.
L’Argent ne crée rien. Ce sont les hommes qui créent. L’Argent doit tout aux Hommes et les Hommes doivent un petit peu à l’Argent. Il y a une décorrélation constante entre ces concepts « économiques ».
On ne peut sans cesse mesurer la rentabilité des hommes à l’aune de la rentabilité de l’argent. Ce n’est pas juste et ce n’est pas raisonnable. Les révolutions technologiques des vingt dernières années vont mettre sur la touche la moitié du secteur tertiaire, la plus fragilisée par l’informatique mondialisée. Et jamais les mondes agricoles et industriels (en France particulièrement touchée) n’auront assez de place pour permettre aux chômeurs du « secteur des services », un retour aux fondamentaux économiques. Et jamais le Tourisme ne produire assez de liquidités pour contrebalancer les déficits industriels et agricoles. Pas plus que l’Industrie du Luxe.
La dégradation de la notation des États Unis par les Moody’s ne doit pas se mesurer à l’aune de la dette, mais de la valeur. Jamais les hommes n’ont vécu en aussi bonne santé. Jamais les Hommes n’ont vécu aussi longtemps. Les hommes sont capables de créer des richesses incommensurables et pas forcément nuisibles à la planète. Il faut réorienter les politiques, restructurer les dettes en mettant en perspective la structure d’équilibres industriels, sociales, humaines.
Le monde ne peut être dirigé par la sphère de l’Argent parce qu’il nous conduit droit dans le mur de nos illusions. Devenir riche reste une valeur universelle. Mais vous l’aurez compris, c’était déjà une utopie en 1989, lorsque le monde libre a explosé de joie.
Les jeunes d’alors ont été trompés. On leur a dit que c’est la victoire de la Liberté sur l’asservissement, alors que ce n’était que la victoire du monde financier qui ne trouvait plus son intérêt à soutenir l’Utopie communiste.
Oui George Orwell aurait pu prévoir la dégradation des Moody’s. Il avait parfaitement compris que quel que soit le système, les hommes étaient « condamnés » à vivre ensemble.