Sous le numéro ISBN: 978-2-212-12621-1, les Éditions Eyrolles ont publié un ouvrage des plus intéressants. Commis par Jacques Bracquemond et Jean-Luc Dusong (dont j’ai déjà évoqué une publication ici même sur Design et Typo) ce manuel s’adresse aux étudiants de première et deuxième année en Arts Graphiques ou en techniques de production. Cela ne veut pas dire qu’il ne s’adresse pas au grand public. Mais j’émettrai des réserves plus loin sur la nature même de cet ouvrage.
J’ai découvert ce livre sur le Salon du Livre dernier et l’éditeur me l’a envoyé afin que j’en fasse une analyse sur le net.
Permettez-moi tout d’abord de dire merci, à l’éditeur, qui a le courage d’aborder des «catégories» peu vendeurs sur un marché de l’édition où le numérique et le web permettent aujourd’hui au plus grand nombre de disposer d’informations et de cultures des plus vastes.
Or le modèle économique d’une «publication papier» entraîne des contraintes matérielles et financières des plus rigides. Le format, la pagination et le nombre d’exemplaires pour n’en citer que les plus importantes. Et bien sûr la qualité du papier, son grammage, ainsi que ceux de la couverture, sont également déterminants dans l’évaluation du coût d’une édition . Et puis il y a l’éditeur, ses charges de fonctionnement, ses directeurs de collection, ses structures juridiques et financières ainsi que ses bureaux de fabrication. C’est tout cela qui fait d’une telle édition une véritable prise de risque confronté à la gratuité de la culture sur le net.
Nous n’allons pas non plus comparer, ce n’est pas le lieux ici, les avantages du papier sur l’écran, bien que les livres électroniques commencent à arriver en force et vont créer de nouvelles pratiques de lecture. Le même ouvrage diffusé sur l’iPad avec une mise en page adapté pourra sans doute un jour remplacer le papier. On économisera sur les tonnages de papier, mais pas sur le coût final qui devra tenir compte du développement sous <objectif c>, des coûts de la maquette et des frais de réalisation ainsi que de la diffusion électronique. Donc on reste et on restera dans un processus à haut risque d’échec chaque fois que l’on voudra publier des ouvrages spécialisés destinés à un public restreint (à cause de la langue notamment). Le seul mot qui me vient alors à l’esprit c’est: RESPECT.
Parce qu’il existe en France aujourd’hui une culture de l’édition, véritable exception culturelle sans grandes subventions de l’État qui doit se frotter avec ses structures lourdes et expérimentées à l’avènement du tout digital sans recul sur la méthode ni sur les processus idéaux pour faire face à cette révolution économique et structurelle.
Du coup j’ai relégué la critique du livre au second plan bien que beaucoup de choses à en dire.
Je vais essayer de faire court. La structure de l’ouvrage me semble parfaite. Les chapitres vont de l’histoire de la lettre et de l’écriture vers les pratiques modernes et digitales. S’en suit un découpage logique historique et technique qui épouse l’évolution de la matière typographique, la lettre, la composition, la mise en page. Le seul bémol que j’exprimerais concernant ce manuel pédagogique tient essentiellement à ses qualités graphiques de mise en page.
Les deux auteurs restent cependant trop scolaires sur ce registre, voire d’une neutralité exemplaire. Mise en page classique, pages excessivement surchargées malgré une bonne hiérarchisation de la lecture. Les auteurs ont réalisé là un ouvrage pédagogique classique et sans ambition de concevoir une maquette raffinée, élégante et conceptuelle. C’est en me rapprochant de l’éditeur que j’ai compris le pourquoi. Jacques Barcquemond était déjà atteint d’une maladie grave lorsqu’il apporta le manuscrit aux Éditions Eyrolles. Et c’est à son ami Jean-Luc Dusong qu’il confia le soin de terminer l’ouvrage dès lors qu’il n’avait plus la force et l’énergie d’y travailler à plein temps. Ce livre est donc à la fois un testament, un modèle de courage humain face à la maladie et une œuvre pas tout à fait achevée puisque Jacques Bracquemond n’a pas eu la force de l’amender ou de le corriger à fond. Un travail d’abnégation également en ce qui concerne Jean-Luc Dusong qui s’est interdit d’ajoûter ou d’interprêter à sa façon les chapitres de l’ouvrage. Il s’est effacé et cantonné au rôle d’interprête-exécutant là où il avait le talent de faire un travail graphique plus personnel.
Du coup il est passé à coté de l’opportunité de devenir une référence en tant que telle, d’une architecture d’édition expérimentale ou créatrice. Mais franchement, je comprends l’auteur et l’éditeur dans ces conditions si particulières ne pas vouloir prendre à ce stade trop de risque.
On pourrait évidemment se demander ce qu’auraient fait Hermann Zapf, Herbert Lubalin ou encore Bradbury Thompson. Il est à parier qu’ils eussent été moins «gargantuesques» dans l’emploi des illustrations pour rester dans l’élégance de la démonstration.
Mais il s’agit là d’une critique presque facile et qui de toutes façons frise la fiction et m’arrêterai donc sur une note positive: on ne fera jamais assez d’ouvrages sur la typographie tant cette culture est essentielle à l’humanité.
Un jour, je déambulais dans les rues de San Francisco et brusquement me suis trouvé à un carrefour qui était tellement proche d’une architecture européenne, voire française que j’ai eu un instant une impression panique d’avoir été transporté par une machine spatio-temporelle sur une autre planète. Et l’instant d’après je lisais frénétiquement le nom des rues, les devantures de magasin, les journaux dans leur distributeur automatique, et me suis vite calmé… j’étais bien aux USA (Today), dans la ville aux Tramways marron et rouge-bourgogne… Me voilà rassuré, je n’étais pas à Budapest ni sur le Boulevard des Maréchaux. Pour reprendre l’expression de Paul Rand, everything is type, everthing is type.
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peter gabor
directeur d’e-artsup
Jacques Bracquemond 1930-2006 – Meilleur Ouvrier de France (1982), Commandeur des Arts et des Lettres (1996)
D’une famille d’artistes, formé à l’École Estienne, ainsi qu’aux Beaux-Arts de Paris et aux Arts Appliqués, Jacques Bracquemond a mené de front une carrière de dessinateur publicitaire, d’artisan artiste graveur et de professeur de dessin, notamment au lycée d’arts graphiques Initiative à Paris, où il enseignait le trait, la lettre et l’histoire de l’art. Transmettre son expérience était pour lui un devoir et une évidence.Jean-Luc Dusong – Docteur en esthétisme, Jean-Luc Dusong a enseigné les techniques éditoriales à l’École Estienne et à l’IUT métiers du livre de Saint-Cloud. Il est actuellement professeur d’arts visuels dans l’atelier « Arts et métiers du livre » du Centre Paris Lecture. Enraciné dans la grande tradition de la typographie par sa formation de graphiste, il a consacré ses travaux universitaires aux nouvelles technologies et aux nouveaux médias. Co-fondateur de l’agence de communication Darjeeling, il est l’auteur du jeu Les dents de la pub. Plusieurs fois lauréat du Grand Prix Stratégies, il a reçu pour ses campagnes et ses films des récompenses en corporate et en conception visuelle.
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Merci de nous avoir partagé ce livre rouge !
Bonne continuation