Il y a longtemps que je voulais faire un billet sur cette question des ponctuations. Nous travaillons tous de plus en plus des textes bilingues et bien entendu le typographe devient schizophrène car et c’est légitime les équipes de SR, correcteurs, et autres chefs de projets chez les clients ont tout de même appris (merci Word) que les règles de ponctuation changeaient selon la langue utilisée.
Alors oui il y a aussi une troisième voie, concernant les guillemets, celle qui a été choisie par exemple par la rédaction du Monde, d’utiliser ni la règle anglaise, ni la française… de banals guillemets droits tous droits sortis d’un film d’horreur à la gloire du tout « informatique ». J’avais déjà signalé les aberrations que cela pouvait susciter: [je vous l’avais bien dit: l' »Angleterre de Wilkinson n’a laissé aucune chance au XV de France ».] Où l' »on voit bien que les guillemets se confondent avec les apostrophes » en créant une illusion de ponctuation… sans aucune précision. Il eût été bien entendu bien plus heureux d’écrire l’«Angleterre de Wilkinson…». Ensuite bien entendu il y a tous les débats sur les espaces que l’on doit rajouter entre les guillemets et le texte qu’ils ouvrent et qu’ils ferment. Une fine insécable disent les uns, un espace normal, les autres… l’espace normal (s’il n’est pas insécable) se retrouve malheureusement bien souvent à la fin d’une ligne, rejetant la ponctu à la ligne suivante. Malheureux.
Personnellement j’utilise, l’espace très fine d’InDesign qui me satisfait de son insignifiance. Ou pas d’espace du tout.
Alors quid des guillemets «chevrons» à la française… Bien que connotant vieille France, édition, beau livre etc. ils permettent de construire «un gris typographique» bien plus régulier que les guillemets à l’anglaise. Et l’on voit bien dans les différentes figures ci-dessous le pourquoi.
J’ai surligné en jaune les espaces que libèrent chaque type de guillemet. Les chevrons s’architecturent dans le texte sans créer de rupture dans la ligne de lecture.
Les crochets au contraire créent des accidents qui dans les textes courant ne sont pas très heureux. Je dis les textes courants, parce que ce n’est évidemment valable que pour ces derniers. Dès qu’il s’agit d’un titre, d’un mot composé en grand, et servant d’accroche à une publicité, une couverture de livre, et autres emphases de mise en page, les crochets anglais reprennent leur intérêt tant leur assymétrie et leur sensualité servent la mise en scène graphique.
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Où l’on voit les espaces courir sous les guillemets anglais en créant des trous d’air dans la lecture.
Ici une composition qui mélange les deux types de guillemet.
La même composition où nous mettons en évidence les espaces provoqués par les deux types de guillemet. Bien entendu il n’est pas besoin d’en rajouter, les guillemets français s’articulent plus intelligemment dans le texte.
Nous avons vécu durant des années sur les préceptes d’un code typographique promu et défendue par feu l’Imprimerie Nationale. Déjà Pierre Simon Fournier avait en son temps tenté de «normer» la composition typographique, mais en ces temps reculés la France était le centre du monde. Avec le village global ce n’est plus le cas. Internet redécouvre la typographie et malgré ses lacunes (composition justifiée avec algorithme de césure fine), nous assistons à l’apparition d’un mélange entre plusieurs traditions, anglo-saxonnes et francophones. Le Print tente encore de résister, avec les SR et responsables de projets qui nous rappellent sans cesse les codes en vigueur. Jamais cependant la question de l’esthétique n’est abordé. Au point que l’on nous bassine encore avec de vieilles règles d’espace devant et derrière les guillemets français, alors que cela fait cinquante ans que les graphistes tentent d’imposer la suppression de l’espace entre le guillemet et le mot qui le suit. Nombre d’entre nous avons préféré la demi-mesure d’un espace «fine» ou «ultra-fine»…
Il m’apparaît en tous les cas salutaire de rappeler la règle la plus importante pour mettre tout le monde d’accord. Quelque soit vos choix de ponctuations, appliquez-les du début à la fin d’une édition, voire d’une collection. L’important étant l’homogénéité intrinsèque. Vers une mondialisation du Code Typographique… sans doute. Mais de grâce n’abandonnez pas le double chevron des guillemets français… C’est tellement plus élégant dans une belle édition ou dans la presse. À quelques exceptions près :
Quelques adresses utiles :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Guillemet
http://marcautret.free.fr/sigma/pratik/typo/guilles/
Quelques liens externes qui ont été donné par les commentateurs:
http://www.cairn.info
http://listetypo.free.fr/ortho/guillemets.html
http://www.ascii.ca/cp1250.htm
http://www.yoyodesign.org
http://www.lamangrove.com/citer/
http://www.alistapart.com/articles/cssatten
http://bugs.webkit.org/show_bug.cgi?id=3234
http://www.cs.tut.fi/~jkorpela/chars/spaces.html
http://www.decodeunicode.org/
je vous rappellerai, journaliste, lectrices et lecteurs que le mot «espace» (pour espace typographique) doit être utilisée ici au féminin. On parlera donc d’une espace entre deux lettres. Ahhh la langue française ! Un bravo tout québécois pour cet article judicieux et merci !
¶eter: je suis d’autant plus ravi de cette précision qu’étant d’origine hongroise (ma langue maternelle) j’ai toujours eu quelques difficultés avec le genre des mots en langue française. On dit d’ailleurs Un Mot et Une Phrase, aucune logique n’est-ce pas? :-) Et lorsque je dois remplir un formulaire avec Nom, Prénom, Sexe, Nationalité, il est convenu d’écrire GABOR, PETER, MASCULIN, FRANÇAISE. Encore une fois aucune logique. Ah j’adore le français. Pardon, la langue française. MdR