Voici quelques temps j’ai échangé avec James Craig sur son blog-site. Et il m’a proposé de m’envoyer son livre pour que j’en publie des extraits commentés.
Il est rare de voir un homme poursuivre avec autant de constance et d’acharnement (thérapeutique) une œuvre pédagogique. Commencée dans les années 70′ elle se poursuit aujourd’hui encore avec ce récent ouvrage que James vient de publier (chez Watson-Guptill Publications à New-York sous le numéro ISBN. 0-8230-1413-4). La première fois que j’ai découvert un de ses livres, c’était en 1976, lorsque j’ai commencé à enseigner à l’ESAG. Production for the Graphic Design. C’était un des rares bouquins en anglais tout de même à l’époque, qui survolait avec la plus grande intelligence l’ensemble de la chaîne graphique. O que je déteste cette expression… la chaîne graphique. On pense tout de suite à Chaplin dans les temps modernes. Les américains, plus pragmatiques l’ont tout de suite nommé la production graphique par opposition au design, à la création artistique. Attention au contre-sens courremment utilisé… un Art-Work en anglais veut dire un doc. d’exé. James ce n’est pas n’importe qui… non que d’être né à Montréal fasse de lui un original, mais il étudia aussi à Paris aux Beaux-Arts puis prit la direction graphique des éditions Watson-Guptill. Il enseigne également depuis 1979 à la Cooper Union, l’école où nous avons rencontré dans les notes précédentes, Herbert Lubalin et Lou Dorfsmann.
L’ouvrage «Designing with Type» a été coécrit par Irene Korol Scala et William Bevington. Il est soustitré : The Essential Guide to Typography. Numéroté du chiffre cinq, il semble qu’il soit la suite ou la réédition partielle du précédent que James a commis, le Designing with Type N°4.
Bien que je considère toute publication concernant la typographie comme étant utile et nécessaire à la culturation du plus grand nombre d’entre nous, il semblerait que celle-ci souffre d’une certaine superficialité. Fait-il semblant d’ignorer tout ce qui a été publié déjà autour du sujet, ou bien considère-t-il que ses livres font partie d’un tout homogène, une sorte de collection pédagogique, en tous cas, James à l’instar des Lagarde et Michard pour l’enseignement de la littérature, fait des impasses et s’amuse à survoler son sujet en nous donnant l’impression presque désagréable qu’il commence à s’ennuyer. Pardon James, mais ce n’est pas ton livre le plus parfait d’entre toute ta production.
Il n’empêche qu’il traite assez correctement de la scénographie de la page. Le problème ici me semble critique. Quand je dis qu’il traite assez correctement, je veux dire que si l’on exclut toutes les révolutions graphiques que nous avons connues depuis 1968, et partout dans le monde, alors effectivement l’enseignement que distille J.Craig me semble tout à fait acceptable. Le problème c’est que nous sommes entré dans l’ère de toutes les expérimentations, du revival typographique, des superpositions en profondeur dans les pages comme sur nos écrans télé. La typographie comme signe tangible, est passée de l’état de signifiant à celui de signifié, jusqu’à devenir image à part entière. C’est bien la leçon de choses que nous ont laissé quelques grands créateurs du XXe.
Et en lisant la publication de J.Craig j’ai eu comme un sentiment de frustration tant les référents à la modernité manquent cruellement. Comme aussi pas mal de crédits… UNKNOWN, UNKNOWN etc. La mise en page même du livre, l’utilisation abusive de composition d’alphabets que tout le monde connaît, le format du livre 21,5 x 28 cm, donnent une impression de déjà vu et d’un peu étriqué.
J’avais fait quelques repproches à l’ouvrage de Karen Cheng, mais du coup, et dans un registre tout à fait différent son livre prend une dimension tout autre.
Du coup la question que je me pose, n’est-on pas arrivé au terme d’un enseignement par trop classique à l’heure où les jeunes générations qui se frottent à la 3D, à l’animation, à la typographie HTML, ou Flash sont en demande d’un enseignement plus expérimental. La typographie en 2006 a besoin de s’exprimer dans des laboratoires de recherches formelles pour avoir une chance d’évoluer vers une vraie modernité. Certes rappeler sans cesse les fondamentaux, est indispensable, mais si l’on veut donner l’envie, communiquer le désir aux jeunes de se frotter à la typographie, il me semble utile de les «impressionner» avec des recherches et des travaux plus contemporains.
Je voudrais tout de même finir sur une note optimiste. Suis persuadé que J.Craig n’a pas fini son œuvre et que s’il est arrivé là au bout d’un bout pédagogique, il nous surprendra sans doute dans les prochaines années par son inventivité et son goût réel pour la recherche. Prenons donc date et si vous êtes vraiment un débutant dans les arts graphiques tout ce que j’ai dit ci-dessus ne vaut pas pour vous. C’est un excellent ouvrage d’initiation à la chose typographique.
Les précédents ouvrages de James Craig.
Le dernier en date: «Designing with Type» qui vient de sortir en 2006.
Ahhhhhhhhhhhhh, enfin du nouveau sur ce blog peter, je commençais à desepérer, croyant que tu t’entrennais pour le marathon !
En effet, si ce livre a des lacunes, s’il survole plutôt que creuse, il n’en est pas moins beau. De toute façon, je fond dès que je vois des pages de caractères étalées sur du beau papier.