Franco Maria Ricci | designer et éditeur | 2e partie

Voici la suite de l’hommage que j’ai voulu rendre à Franco Maria Ricci, l’un des plus brillants designers graphiques italiens, éclectique, humaniste et dandy.

j’ai dû réduire les images au maximum pour ne pas alourdir un téléchargement de ce blog déjà bien lourd. Vous prie donc de m’excuser pour les jpg un peu «limite» où les aplats sont un peu «marbrés». Je sais que je vous ai habitué à plus de qualité, mais là il s’agissait d’un cas de force majeure. Merci de votre compréhension.

Né le 2 décembre 1937 à Parme d’une famille aristocratique génoise, FMR comme il s’est plu lui même à condenser son nom, suivit d’abord des études d’art et de littérature. Puis parachevait ses études en se tournant vers la géologie. La terre, la peinture et le verbe. Voilà les trois ingrédients, savant mélange d’un humanisme qui allait lui donner envie de suivre les traces d’un Diderot pour les connaissances encyclopédiques, et ceux de Giambatista Bodoni (1740-1813) pour l’amour de la typographie et de l’édition.

Il commença sa carrière d’éditeur en 1964, et très vite abandonna la rigueur froide de l’Helvétique Haas pour ne plus se servir, passion et obsession d’une rigueur et amour de l’élégance italienne, que du Bodoni qui est devenu au fil de ses réalisations la signature de toute son œuvre.

C’était l’époque de toutes les rencontres, de Jacqueline Kennedy aux conservateurs du MoMa à New York, il voyagea, et édita nombre de catalogues, affiches et logotypes pour les plus grandes institutions Italiennes.

Le catalogue ci-dessous, est celui d’une exposition en hommage à son œuvre qui se tint à Fiesole, sur les hauteurs de Florence en 1982. Il avait déjà accompli l’essentiel de son travail.

La vie de FMR s’inscrit dans cette longue lignée d’humanistes éclairés, issues de la noblesse italienne qui fut le principal commanditaire des œuvres d’art de la renaissance. Épris de la peinture naïve, FMR n’aura de cesse de la représenter, mais de même et sans doute conscient de l’évolution de son époque, et sensible au pop art d’Andy Wharol, ses innombrables mises en page aux répétitions graphiques témoignent de son ouverture sur le monde underground.

Voilà une introduction qu’on pourrait appeler des plus classiques. De fait je dois vous dire que cet œuvre m’a toujours laissé perplexe. J’hésite entre le génie d’une époque qui s’annonce à sa fin et le désarroi d’un humaniste qui peine à oublier le classicisme fervent de la vieille aristocratie.

L’époque qui se finit c’est celui de la mise en page classique à deux dimensions. Celle installée par Gutenberg, dans sa bible en 42 lignes, réalisée à Mayence vers 1492 et met à l’honneur depuis le quinzième siècle une théorie simple de la mise en page, voire de la scénographie de la page.

La belle page qu’exprime FMR durant toute sa carrière est celle, blanche rythmée par quelques lignes d’un titre en Bodoni et d’un texte souvent composée en fer à gauche de petite justification afin de laisser le blanc tourner autour du titre et du texte. Le blanc tournant. L’ultime moyen de l’élégance classique. Parce que le blanc représente la respiration, le souffle des yeux, aussi lorsque Franco Maria Ricci découvre le design moderne, dut-il être fasciné par le remplissage graphique, les juxtapositions à l’infini chers à Wharol mais aussi à Lubalin et aux artistes modernes du pop et op art.

En 1964 il avait à peine 27 ans et il embrassa tel un rebelle du classicisme tous les codes de la modernité. Il n’avait pas tort. Le monde électronique et silencieux venait peu à peu remplacer celui de l’électricité bruyante et tel que l’avait prédit Mac Luhan, Gutenberg allait se laisser déposséder de son univers bi dimensionnel par la télévision et les machines modernes de la typographie (photocomposition).
Aussi la première partie de la carrière de FMR se mesure bien au mètre étalon des technologies de la répétition électronique. Cela se mesure dans le choix de ces caractères, l’Helvétique, comme dans ses couleurs vives qui nous rappelle l’usage abondante que l’on fit des color keys, films sensibles en couleur dont se servit Wharol pour ses compositions. D’une certaine façon on retrouve chez Franco M. Ricci le même goût de la composition compacte que dans les agences de publicité de la 5e avenue.

Pourtant une chose nous frappe, rares sont ses compostions qui osent aller au-delà de la simple juxtaposition. Si l’on compare son travail à celui de Herb Lubalin on se rend bien compte qu’il reste toujours en deçà des chocs visuels extrêmes. Toujours mesuré, toujours de bon goût classique, sans jamais oser aller aux limites des possibilités graphiques. De fait, il joue peu sur les contrastes graphiques <grand> et <petit>. Ces contrastes qui ont été explorées, jusqu’à plus soif par tous les metteurs en page d’avant l’ère du numérique qui vit la naissance de la troisième dimension, la profondeur des pages par le jeu des transparences.

S’agit-il d’une timidité chronique, ou d’un manque de référents. J’aurais tendance à pencher pour la première explication parce que Franco Maria Ricci, par sa position et ses moyens, ne pouvait ignorer ce qui se faisait outre-atlantique. Mais on pourrait aussi donner une autre explication, le design italien, très vivant, très à l’avant garde de celui d’une Europe en pleine reconstruction avait installé ses propres codes visuels, et sans nul doute Maria Ricci devait aussi s’inspirer de son environnement direct. Je ne connais pas bien ce design italien. Sauf peut-être les magnifiques catalogues et formes industrielles qui ont été édités par Olivetti. Mais je suis persuadé que la timidité de FMR avait un rapport avec celui plus général du design péninsulaire, élégant à l’extrême mais peu provocateur (ça reste un débat d’école mais en l’occurence il s’agit ici de design graphic).

Ce qui me conforte dans cette théorie, la suite de la carrière de FMR. Car peu à peu, après avoir développé des programmes de communication visuelle pour de grandes entreprises, il se dirigea vers l’édition encyclopédique, prenant exemple sur celui d’Alembert ou de Diderot. Sans nul doute aussi, le scientifique et le géologue reprit le dessus. Observateur attentif de l’art architectural et pictural, passionné d’ésotérisme et de peinture naïve, il lança la revue éponyme FMR qui connut aussitôt un très grand succès. Édita un hommage à Bodoni en publiant le Manuale Typographicum de Giambattista Bodoni (si je reçois cinq commentaires me le demandant, je vous en publierai une dizaine de pages;-) et pour faire bonne mesure s’attaqua à une publication fabuleuse, un recueil de tous les logotypes créés au XXe siècle sous le nom de «Top Symbols and Trademarks in Twientieth Century».

Suivit des boutiques (celle à Paris était située presque à l’angle de la rue Bonaparte et de la rue des Beaux Arts (tout un programme). D’où il diffusait, outre la collection de bibliophilie de FMR, ses revues ainsi qu’une magnifique série de papeteries (stationnery) couronnée par un agenda d’une élégance jamais égalé, malgré les efforts anglo-saxonnes de Filofax).

Bien évidemment, et malgré ses immenses talents, Franco Maria Ricci, ne dessina jamais un caractère, ni peut-être même un logotype de ses propres mains. Mais il ne fut pas le seul grand directeur artistique à ne pas toucher un tire-ligne ou un pinceau. Robert Delpire faisait dessiner ses titres-logotypes par Albert Boton ou Anegret Bayer (ancienne assistante de Herb Lubalin). N’empêche qu’il me semble certain que ce touriste  génial de la typographie classique et d’une édition sous haut contrôle aurait gagné en liberté s’il avait pratiqué lui-même la calligraphie et la composition. Il s’agit bien entendu d’une sentiment personnel, qui n’obère en rien l’admiration que je porte à cet œuvre et à cet homme qui sût se tailler un chemin très personnel alors que le destin le prédestinait aux légèretés d’une noblesse plutôt aisée.

 

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Le style Lubalin éclate ici sans conteste.

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L’utilisation de l’Helvetica marque chez cet homme une première rupture culturelle avec celle de ses origines.

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Mélange élégant de l’Helvetica et du Bodoni (italique).

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Mises en page élégantes mais classiques. Ici les textes centrées renforcent le classicisme de la scène.

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Wharol entre en scène.

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Le détourage des objets, grande mode à l’époque, bien avant que l’on s’en serve dans nos catalogues de VPC, servait à renforcer une impression d’élégance éternelle. On retrouve  ces détourages dans la revue de mode des Frères Dreager.

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illustrations qui ne sont pas sans rappeler ceux que j’ai publié dans ma note sur les illustrateurs américains des années 60

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toujours l’Helvetica, mais ici FMR ose l’oblique. Suprême tendance moderne à l’époque puisqu’on redécouvrait doucement le constructivisme russe oubliée avant, pendant et après-guerre en Europe occidentale.

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Ça me rappelle les somptueux catalogues éditées par l’agence Colette qui était en charge du budget De Dietrich. Une manière d’élégance graphique pour vendre l’exigence de la qualité devant les fourneaux.

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Retour à l’édition, aux programmes musicaux et à l’ésotérisme. Toujours le Bodoni qui devient peu à peu la «marque de fabrique» de Franco Maria Ricci.

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Les revues FMR. (je dois en avoir quelques uns dans ma bibliothèque ;-)

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Une histoire d’O en 344 pages, tirée à 900 exemplaires, magnifiquement illustrée par Guido Crepax.
Vous pouvez aujourd’hui le consulter à la Bibliothèque de l’École Estienne où je l’ai vu arriver de mes propres yeux.

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La fameuse collection comprenant 5000 marques réalisées par 1200 designers pour un total de 3000 pages. Vous pouvez en consulter le premier volume ici.

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Le programme d’édition des agendas FMR, d’une élégance toute Bodonienne, avec tout de même des illustrations, des lettrines parfois dignes de figurer dans un ouvrage de Massin, et un papier à caresser… avant d’y écrire votre rendez-vous amoureux ;-)

 

Reproductions design et typo, tous droits réservés. Usage strictement pédagoqique.
La première partie de cette note se trouve ici!

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