Hermann Zapf vous connaissez tous

Bien sûr, vous ouvrez votre PC ou votre Mac et vous regardez dans la listes des polices dont vous disposez. Le Palatino, c’est lui, l’Optima aussi, les vignettes bien sûr qui portent son nom et il en a dessiné tant d’autres dans les années 50 de l’autre siècle, pour la fonderie Stempel devenue Linotype, puis pour International Typeface Corp, les Zapf Chancery et j’en passe. J’ai eu le bonheur de l’interviewer dans les années 80 pour mon magazine de typo. Il nous a reçu dans une demeure blanche, carrée comme posée sur le gazon près d’une forêt de Darmstadt. Très Bauhaus, de grandes pièces très hautes, qui tournaient autour d’un patio au centre de la maison. Transparences intérieur-extérieur, tapisseries médiévales au murs. Nous l’avons intérrogé sur ces créations, ses projets, ses activités pédagogiques, et sur ce qu’il pensait de la typographie publicitaire qui avait bousculé les habitudes du «labeur» chez les compositeurs. Les approches serrées? Ah, sex typography… c’est tout dire. En partant il nous a dédicacé un livre sorti de sa bibliothèque : le Manuale Typographicum. Édité par Stempel en 1954, cet ouvrage dont voici quelques pages choisies, est une oeuvre majeure, tant pour la leçon de lisibilité que par l’expérimentation typographique. Les calligrammes d’Appolinaire (amoureux de la poésie pardonnez-moi) sont à côté un gentil amusement.

Lisibilité: Hermann Zapf a du se mettre à la tâche vers la fin des années 40. Ah oui j’oubliais de vous dire un détail important, à cette époque pas de Mac, pas d’ordis, pas de postscript ni d’html. Juste du plomb de chez monsieur Gutenberg et encore sans doute, composé manuellement (parce que la Lino et la Mono se sont répandues très lentement) avec des composteurs, des casses, et des blancs qui pesaient leur poids d’antimoine. Zapf travaillait alors à l’ancienne, maquettes papier, dessins, réalisation des compos en atelier et remontage des épreuves «couchés» sur la table avec la règle, l’équerre et le T. Regardez la page suivante:

Presse magazine, pub, généraliste ou corporate (ça n’existait pas encore) tout est là. La grammaire, titre-chapô, le texte superbement composé (interlignage très spectaculaire et agréable), jusqu’à la signature qui met une touche d’élégance finale à l’article (regardez le filets gras, élégants jusqu’à l’extrême parce qu’ils ne se touchent que dans les angles). C’est moderne parce qu’il joue avec l’inversion des interlignes, serrées jusqu’à se toucher pour le titre, doublés, triplés pour le texte, on se croirait dans une page de Vogue ou du Harper’s Bazar.
Ce Manuel est une aubaine pour nous tous qui travaillons dans l’édition ou la com. Parce qu’il inventorie toute la grammaire des possibilités de mettre en page, tout en gardant comme priorité la lisibilité. La typographie d’édition a ses codes, voici une page magnifique, simple, mais qui pourraît aussi fonctionner pour les fiches cuisines de Elle. Hermann Zapf est un type-designer mais aussi un orateur hors pair. Il donnait à l’époque de l’interview des cours chaque mois au Massachusetts Institute, c’est dire qu’il savait aussi bien communiquer par la parole que par le dessin. Et cette oralité chez lui se ressent dans la logique de ses mises en page. La typographie c’est un instrument comme la musique, qui a ses codes d’emphase (les titres en caractère gras ou en gros corps), ses rythmes -les blancs et noirs- ses articulations. Pour faire simple je dirais qu’il a poussé cette langue organisée par 26 lettres dans ses derniers retranchements. Mais avec une élégance et une finesse rarement atteintes. Dans l’exemple ci-dessus le titre est en gros corps, donc pourquoi faire gras. Il nous enseigne la simplicité par ses choix radicaux. Combien de fois j’ai entendu des clients qui voulaient grossir, grossir et engraisser et engraisser leur titres, à trop hurler (et on revient à cette notion d’oralité) on n’entend plus rien.

Et à feuilleter ces quelques cent pages de démonstration magistrale on s’aperçoit qu’il a touché à tous les styles, et bien avant Neville Brody il faisait du Brody.

Et si vous lui demandez de vous réaliser un Flyer pour du Rap Alternatif il vous fait ça.

On pourraît rester des heures à visionner ces (ou ses) pages. J’ai juste trouvé intéressant de mettre à dispo de mes élèves ainsi que des visiteurs du Blog une aventure graphique qui tant par sa rigueur que sa richesse expérimentale nous montre que tous les styles de composition sont possibles, à condition de respecter le lecteur dans un paysage de profusion de mots et d’images.

NB. la planche d’ouverture de cette note, est un véritable tour de force. Entièrement réalisée en composition-plomb, elle a du demander au moins 2-3 jours de travail à un ouvrier typographe (avec les nombreuses corrections en aller-retour). Essayez de réaliser cette composition aujourd’hui avec InDesign ou Quark, je vous assure que vous y passerez entre 4 à 8 heures encore, en respectant bien entendu la même exigeance de perfection.

Merci Monsieur Zapf pour cette leçon de choses et votre immense modestie.

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