J’aurais aussi bien pu titrer ce billet par L’Homme qui tua la Grille (et non Liberty Valence de John Ford).
Il n’est pas dans mon propos ici de faire un billet conséquent sur les grilles de mise en page, c’est pour plus tard. Mais juste de pointer un aspect du travail de Carson, qui concerne la filiation de son travail avec l’art contemporain. Voici un film de Hillman Curtis dont on retrouve pas mal de docus sur le site de l’AIGA . Il nous décortique les espaces graphiques de David Carson en y injectant un interview de celui-ci… plus j’écoutais la voix de Carson, plus je repensais à ce film de John Ford, L’homme qui tua Liberty Valence. C’est un des films les plus contreversés du réalisateur culte des westerns américains. Certes il y a le bon et le méchant, mais surtout il y a une fausse inégalité de force, puisque le bon ne sait pas tirer et que le méchant (Lee Marwin) semble d’avance écraser cet écrivaillon juriste de son état joué par James Stewart. Mais comme dit Deleuze dans l’extrait d’une conférence que je mets ici en ligne , un duel peut en cacher un autre, et la multiplication des duels ne fait pas forcément un bon film. Deleuze nous fait remarquer que c’est le glissement imperceptif des personnages et des implications qui créent la multi-valence des duels, qui remplissent l’espace de la Grande Forme qu’il décrit au début de sa conférence. Tout au long de l’intervention de Deuleuze je me disais qu’il suffisait de remplacer le terme Duel par le terme Grid pour entrevoir une explication du talent de David Carson.
Carson fait œuvre contemporaine en ce sens qu’en cassant la grille il n’est pas nihiliste mais plasticien. On casse pas une grille comme ça juste gratuitement sans raison. Par ailleurs une autre réflexion qui traversa mon esprit concerne le rapport au corps de l’artiste. Si l’on prend le cas de Carson, c’est ancien surfeur sur la crête des vagues a rencontré des forces terrifiantes que seul son intelligence et son sens aigu des rapports de force (corps vs éléments océaniques) pouvait lui permettre d’en garder le contrôle. Et c’est là où je voulais en venir. Bien que Carson casse, défait, déstructure, interfère, superpose sur des couches successives les éléments graphiques (photos, textes) il garde en permanence le contrôle sur le résultat final. Tout dans son travail respire l’équilibre fragile mais réel des mises en page qu’il réalise. Du coup sil y a duel avec la grille, il arrive à nous convaincre que celle-ci peut se déplacer dans les interstices de notre perception pour devenir un non dit graphique. Carson nous renvoie à nos questionnement sur ce que c’est qu’une mise en page réussie par la manière dont il défait les pages pour les reconstruire sur des espaces sensibles même si déstructurés.
J’aime infiniment le travail de Carson, et je ne m’en suis pas privé de le commenter déjà sur D&T voici presque deux ans. J’espère un jour pouvoir le rencontrer pour confronter mon analyse avec son ressenti perso.