la calligraphie est danse, art martial, tension

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Lorsque tu t’entraînes au Judo, pour passer ceinture noire, on doit passer des épreuves qu’on appelle des Katas. De fait ce sont les mouvements, les prises si tu préfères, décomposées en figures académiques. Mais le plus dure dans l’affaire c’est qu’ils doivent porter tout en étant exécutées avec précision devant un jury sans concession. Porter? je veux dire : tu as un adversaire sur qui tu portes la prise en réel. Sauf que, dans un randori en fin d’entraînement tu bénéficies de la force et de l’énergie de ton adversaire malgré lui. Tandis qu’aux Katas, tu dois créer entièrement l’énergie porteuse. C’est toute la difficulté de la calligraphie. Les similitudes :

1// Pas le droit à l’erreur, le jury c’est le papier, du vélin ou de l’arche, il est coûteux, voire exorbitant. Quand on commence un tracé, on doit l’achever sans erreur.

2// Dans le tracé il y a un début, un milieu et une fin. Il s’agit évidemment pas d’un milieu géométrique, mais d’un milieu dans l’énergie et la tension nécessaire pour accomplir le tracé. Une maîtrise de la respiration (idem au judo), une concentration extrême avant de commencer le tracé. Le calligraphe comme le judoka, mais aussi un skieur qui fait une descente, mentalisent, c’est à dire répètent leur geste dans leur pleine conscience avant de la porter. Ils anticipent les proportions, les courbes, l’intensité du plein, la délicatesse du délié, la descente et la remontée du tracé qui se charge d’une énergie positive et se retrouve parfois dans une impasse de liaison qui nécessite des jours et des jours d’entraînement. Le geste démarre, arrive à son apogée puis redescend en exhalant tout l’air de ses poumons. Tu fumes pas Claude? Non tu rigoles, je ne fume pas, je bois pas d’alcool, et jamais de café. Des fois la tension est tellement crispante que je suis obligé d’interrompre mon travail durant toute une journée. Le yoga c’est pas mal pour retrouver les énergies nécessaires.

Il s’agit donc d’un art du savoir et non comme certains l’imaginent le fruit du hasard.

guill-ouvrant.gifCe calligraphe japonais qui un jour voit son empereur débarquer dans son atelier. Seigneur, que puis-je pour vous? L’empereur lui demande une pièce de tissu avec un mot en calligraphie. – Revenez dans un an sa majesté. Ce sera prêt. Et 12 mois après l’empereur se présente à l’atelier de l’artiste, qui court chercher le tissu, prend une brosse et exécute sous l’œil médusé de son seigneur et maître le geste magique. guill-fermant.gif– Mais pourquoi un an? quand il t’a fallu 10 secondes? Vous connaissez tous la réponse :-] Parce qu’il m’a fallu un an pour entraîner ma main, mon poignet, mes yeux, mon coude, ma respiration, ma posture, pour que ce geste soit la perfection même.

C’est la même chose pour la danse et j’ai pris l’exemple ci-dessus des figures du tango argentin exécutées par une troupe de passage en France en 2005. Où l’on s’perçoit que pour entrer une passe, l’homme ou la femme enroulent leur jambe comme s’ils allaient entrer un mouvement de hanche au judo. La même précision, la même exigence et d’interdit à l’erreur. C’est l’équilibre du couple entier qui dépend de l’exactitude de chaque passe. Et en plus vous avez la musique pour se caler dans le rythme. Mais le rythme, existe aussi en calligraphie, les mouvements symétriques ou as-symétriques, la répartition des corps dans un espace délimité, le cercle magique de la poursuite sur une scène, le papier aux bords irrémédiablement (et il y a du diabolique la dessous) finis. Cette envolée de la main, qui retombe pour finir le geste procède tout comme la danse ou l’aïkido, ou le judo d’un mélange d’instinct, de sens du rythme, de la kinésie de son propre corps associés à un savoir, une culture et un entraînement. J’aime à répéter cette phrase de Cocteau: «le style n’est pas une danse, c’est une démarche». Et Picasso qui gruge tout le monde lorsqu’il dit: «je cherche pas, je trouve!» en oubliant de dire qu’il travaille 16 heures par jour pour entraîner ses gestes, son adresse, ses expérimentations picturales ou graphiques. Et Pollock, qu’en penses-tu Claude? – c’est bien, mais c’est aussi un rigolo, parce qu’il laisse au hasard ce que nous calligraphes ne pouvons tolérer. Chacun de nos tracés est conçu, élaboré, entraîné, jusqu’à sa perfection ultime. Pollock comme d’autres peintres abstraits du hasard, Mathieu, Georges par exemple… un amateur qui n’a jamais su ce que c’était que de travailler, vraiment.

3// la calligraphie, comme la danse ou l’art martial, avant tout un travail, une discipline quotidienne, où l’on paye cher les erreurs lorsqu’on cesse de s’entraîner ou bien qu’on oublie les principes fondateurs du tracé.

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