Hommage à Roman Cieslewicz | 1930-1996

J’ai eu la chance de fréquenter Roman durant quelques années où j’enseignais à l’ESAG, et dois avouer que le troisième syllabe de son patronyme «wicz» qui se prononce <witz> en français, veut dire «blague» en hongrois… Et si les noms ont une quelquonque influence sur une œuvre, alors il faut reconnaître que c’était un homme avant tout drôle comme peuvent l’être les clowns tristes… toujours prêts pour le bon mot, le mot juste.

« Mon rêve, c’était de faire des images publiques, pour que le plus grand nombre de gens puisse les voir. Alors pour moi, c’était l’affiche – l’image publique – qui était le plus important. Je pensais déjà à l’affiche avant même d’entrer à l’Académie. Sortir dans la rue. C’est très important. Quand je pense à la variété des objets qui entourent l’homme, je crois que le plus important, c’est l’affiche. Parler, dire, transmettre, annoncer. Informer. (…) Je n’ai jamais conçu une image indépendante de son contenu. Je veux toujours que l’image soit maximale et que l’information soit maximale. Il faut agir sur le maximum d’imagination. » (in, Wieslawa Wierzchowska, Auto-portraits, Éditions Interster, Varsovie, 1994.).

Œuvre entièrement réalisée selon des procédés graphiques traditionnels, sans ordinateur.

Comptant parmi les plus grands graphistes de la deuxième moitié du XXème siècle, il a influencé d’une façon décisive le développement des arts graphiques et de l’affiche. Devenu célèbre, il exposait dans le monde entier. Cieslewicz fut l’un des créateurs de « l’école polonaise de l’affiche », dont les principes les plus importants étaient la simplicité et la clarté de l’expression plastique, l’utilisation des signes synthétiques, de métaphores poétiques, et la richesse des moyens d’expression. Il produisit un grand nombre d’affiches de photomontages et de dessins de presse, tout en s’occupant d’édition, de typographie, de photographie et d’exposition. Il fut membre de l’Association des Artistes Graphiques Polonais, de l’Alliance Graphique Internationale (AGI), et de l’International Center for the Typographic Arts.

Né le 13 janvier 1930 à Lvov, il est mort le 21 janvier 1996 à Paris.

Entre 1943 et 1946, il a fréquenté l’École de l’Industrie Artistique de Lvov. En 1946, il s’est installé à Opole, où il fut employé par la cimenterie « Groszowice ». Il reprit ensuite ses études au Lycée des Arts Plastiques de Cracovie pendant l’année scolaire 1947/1948. L’année suivante, il est entré à l’Académie des Beaux-arts de Cracovie et à la Faculté de l’Affiche. Il étudia dans les ateliers de Zbigniew Pronaszko, Czeslaw Rzepinski et Mieczyslaw Wejman. En 1955, il acheva son diplôme dans l’atelier d’affiche de Jerzy Karolak et Maciej Makarewicz. Une fois installé à Varsovie, il réalisa des affiches pour la Centrale de Distribution des Films (CWF), les Éditions Artistiques et Graphiques (WAG), la Chambre Polonaise de Commerce. De 1959 à 1962, il fut directeur artistique du mensuel « Ty i ja » (« Toi et moi »). Il conçut également la charte graphique de la revue artistique « Projekt » (avec Wojciech Zamecznik, Jozef Mroszczak et Hubert Hilscher), du mensuel « Polska », et des catalogues de la Galerie Contemporaine de Varsovie. Il collabora avec les Éditions Artistiques et Graphiques (WAG), RSW « Ruch », ainsi qu’avec des théâtres, des institutions culturelles et des maisons d’édition : PIW, « Czytelnik », « Iskry », WAIF. La conception graphique d’expositions intéressait également Cieslewicz : il créa, entre autres, la scénographie du pavillon polonais aux Foires de Leipzig (1957) et de Moscou (1959), du pavillon d’Elektrim à Pékin (1961), et du pavillon Ce-Te-Be à la Foire Internationale de Poznan (1963).

Au début de 1963, il partit pour Essen où il fut engagé par la maison d’éditions de l’entreprise Krupp. Puis ce fut l’Italie, où il réalisa pour la firme Italsider cinq panneaux décoratifs dans les ateliers de production de ses fonderies à Bagnoli, Piombino, Lovere, Cornigliano et Toranto. En septembre 1963, il s’est installé avec sa famille à Paris, où il a vécu et travaillé jusqu’à la fin de sa vie. En 1971, il reçut la nationalité française. De 1965 à 1969, il fut directeur artistique du magazine « Elle », qu’il transforma selon sa propre vision graphique.

Il collabora également avec « Vogue », définit la formule graphique de la revue artistique « Opus international », du mensuel de vulgarisation scientifique « VST », du magazine « Musique en jeu », et du tri-mensuel « Kitsch ». Il fit en outre de nombreux projets graphiques pour les maisons d’éditions Hachette, Ketschum et Hazan, ainsi que pour les Galeries Lafayette et le Musée Picasso.

Ses projets graphiques pour les épais catalogues de grandes et prestigieuses expositions au Centre Pompidou, à Paris, lui ont valu une estime internationale. Par la suite, il fit des affiches pour la mairie de Montreuil, devint directeur artistique de l’agence de publicité M.A.F.I.A., réalisant la campagne de publicité des chaussures Jordan et la campagne « La France a du talent », et collabora avec les Éditions du dialogue des Pères Pallotins à Paris. Il a souvent publié dans le journal « Libération », les revues « Révolution » et « L’autre journal ». Pour le groupe PANIQUE, dont il a été membre, il a élaboré et édité deux numéros de la revue de « l’information panique »: « Kamikaze I » (1976) et « Kamikaze II » (1991). De 1973 à 1975, il dirigea l’Atelier des Formes Visuelles à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris, puis de 1975 à 1996, l’atelier de diplôme en arts graphiques à l’École Supérieure des Arts Graphiques.

Renouant avec la scénographie, il a conçu des décors pour les défilés de mode « Elle » (1968-1971), et réalisa le projet architectonique de l’exposition L’ESPACE URBAIN EN URSS, 1917-1978 au Centre Pompidou (1978). En 1979, il a mis en scène le film CHANGEMENT DE CLIMAT pour l’Institut National Audiovisuel à Paris. En 1989, sur une commande de l’Assemblée Nationale et du Ministère de la Culture, il réalisa les décors du bâtiment de l’Assemblée pour la célébration du bicentenaire de la Révolution Française. L’année suivante, ce furent des décors pour l’Hôtel de Ville de Paris à l’occasion du centenaire de la naissance du général de Gaulle.

En collaboration avec le Musée de la Littérature de Varsovie, il organisa deux expositions: 70 DESSINS DE BRUNO SCHULZ (1975) et LE PORTRAIT DANS L’ŒUVRE DE STANISLAW IGNACY WITKIEWICZ (1978). Cieslewicz ne cessa jamais de participer à la vie artistique de son pays natal. L’étape polonaise de son aventure artistique fut marquée par une série des affiches pour l’Opéra de Varsovie, pleines d’un élan baroque (PERSEPHONE, MANRU, PRISONNIER, MONTS, OEDIPUS REX).

Dans l’œuvre de Roman Cieslewicz, on retrouve comme un nœud de plusieurs trames intellectuelles et émotionnelles. Cette œuvre est déterminée par une relation étroite entre la parole et la forme plastique, par l’utilisation habile du langage de visions suggestives.

Cieslewicz construisait ses œuvres en puisant dans les réserves des arts plastiques – depuis les tableaux des maîtres anciens jusqu’aux photos de presse contemporaines. Ses travaux se distinguent par des associations d’idées exceptionnelles, par une structure recherchée, une expression prédatrice. Il s’inspirait beaucoup, surtout dans sa période de maturité, des créations de l’avant-garde constructiviste russe des années 20 et du groupe polonais BLOK. Il aimait utiliser dans les affiches des détails qui, à force de transformations et de répétitions, devenaient un signe clair ; il exploitait les ressources de la trame et de l’effet de multiplication de l’image réfléchie dans un miroir. Il a su mettre à profit les expériences de l’op-art, grâce auxquelles ses affiches donnaient une impression de vibration et de pulsation, gagnant un effet de tridimensionnalité illusoire. Il était enchanté par le collage et le photomontage ; il y trouvait des possibilités nouvelles et particulièrement intéressantes, qu’il exploita d’une façon magistrale.

Dans l’œuvre de Cieslewicz, le romantisme et la poésie s’allient avec un parti pris de froid rationalisme, le tempérament et l’émotion avec le calcul et la logique de fer. Parmi les œuvres célèbres de Roman Ciesliewicz, on trouve les affiches: LE CIEL EN PIERRE / KAMIENNE NIEBO (1959), MANRU (1961), LE PRISONNIER / WIEZIEN (1962), L’ABBÉ MAREK / KSIADZ MAREK (1963), LE PROCÈS / PROCES (1964), LES AÏEUX / DZIADY (1967), ARRABAL (1968), CANNES (1970), LES CORDONNIERS / SZEWCY (1971), ZOOM (1971), L’ATTENTAT (1972), AMNESTY INTERNATIONAL (1975), QUAND LA RAISON DORT / GDY ROZUM SPI (1976), ROMAN CIESLEWICZ (1979), AVEC L’ENFANT (1979), J.M.K. WSCIEKLICA (1979), PARIS – MOCKBA 1900-1930 (1979), LE PARADIS PERDU / RAJ UTRACONY (1980), ILS (1980), LIBERTÉ = WOLNOSC (1981), PRÉSENCES POLONAISES (1983), ROMAN CIESLEWICZ « AFFICHE & PHOTOMONTAGE » (1981), ANGERS (1987), ROMAN CIESLEWICZ « RÉTROSPECTIVE » (1994); les illustrations pour LES BOUTIQUES DE CANELLE de Bruno Schulz (1963), et le roman d’Ann Radcliff LES MYSTÈRES D’UDOLPHE / TAJEMNICE ZAMKU UDOLPHO (1975) ; les cycles de photomontages: LES MONSTRES (1969), LES FIGURES SYMÉTRIQUES (1971-74), LE CHANGEMENT DE CLIMAT (1976).

Il eut plus d’une centaine d’expositions personnelles, de dessins, de photomontages, d’affiches et de photographies ; il participa aux présentations les plus importantes de l’art de l’affiche en Pologne, en France, et dans presque tous les pays du monde.

Ses travaux sont présents dans les musées nationaux à Varsovie, à Cracovie, à Poznan et à Wroclaw, au Musée d’Art à Lodz, au Musée de l’Affiche à Wilanow, à Essen, à Lahti, à Paris, à Colorado et à Bayreuth, au Museum of Modern Art de New York, au Centre Georges-Pompidou à Paris, au Musée des Arts Décoratifs de Paris, au Stedelijk Museum à Amsterdam, à la Library of Congress aux États-Unis, à la Fagersta Stadsbibliotek à Stockholm, dans plusieurs collection particulières.

Prix et distinctions les plus importants:

  • Prix Tadeusz Trepkowski, 1955.
  • Prix de l’Office Central de la Cinématographie à l’EXPOSITION DE L’AFFICHE DE CINÉMA, Varsovie, 1956.
  • Prix du Ministre de Culture et de l’Art pour l’ensemble de son œuvre dans le domaine de l’affiche, 1961.
  • Grand Prix à l’EXPOSITION INTERNATIONALE DE L’AFFICHE DE CINÉMA, Karlove Vary, 1964.
  • Médaille de Bronze au concours d’affiches pour LE CENTENAIRE DE TOULOUSE-LAUTREC, Paris, 1964.
  • Grand Prix à la 1ère BIENNALE INTERNATIONALE DES DESSINS, Ljubljana, 1964.
  • Médaille d’Argent à la 1ère BIENNALE DE L’AFFICHE POLONAISE, Katowice, 1965.
  • Médaille d’Or à la 2ème BIENNALE DE L’AFFICHE POLONAISE, Katowice, 1967.
  • Médaille d’Or à la 3ème BIENNALE DE L’AFFICHE POLONAISE, Katowice, 1969.
  • Médaille d’Or à la 4ème BIENNALE DE L’AFFICHE POLONAISE, Katowice, 1971.
  • Grand Prix à la 4ème BIENNALE INTERNATIONALE DE L’AFFICHE, Varsovie, 1972.
  • Prix spécial de Jury à la 1ère EXPOSITION INTERNATIONAL DE L’AFFICHE DE CINÉMA, Cannes, 1973.
  • Médaille d’Or à la 5ème BIENNALE DE L’AFFICHE POLONAISE, Katowice, 1973.
  • Grand Prix de l’Affiche d’Art, Paris, 1979.
  • Médaille de Bronze à la 9/10ème BIENNALE INTERNATIONALE DE L’AFFICHE, Varsovie, 1984.
  • Award Winner à la 4ème BIENNALE INTERNATIONALE DE L’AFFICHE, Denver Colorado, 1985.
  • 2ème Prix à la 10ème BIENNALE INTERNATIONALE DE L’AFFICHE, Lahti, 1993.
  • Médaille de Bronze à la 16ème BIENNALE INTERNATIONALE DES GRAPHIQUES UTILITAIRES, Brno, 1994.

Jerzy Brukwicki
mars 2004

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Une réponse à Hommage à Roman Cieslewicz | 1930-1996

  1. Frédéric Genet dit :

    Erratum : monsieur Brukwicki doit être bien sûr quelqu’un de très bien, mais si le fallait, qu’il m’en excuse : je voulais en fait remercier monsieur Peter gabor pour son hommage…

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