l’Histoire des Magazines typoGabor N°16 | Meurtres

Avec l’aimable autorisation de Frank Adebiaye.
Le texte ci-dessus, qui revient en préambule de chaque magazine, est extrait d’un prochain ouvrage à paraître. Frank Adebiaye est l’auteur d’un ou plusieurs chapitres. Et je le remercie ici particulièrement de m’avoir autorisé à utiliser cet interview qu’il a réalisé au sujet de la naissance des magazines «typoGabor Présente».

« TypoGabor présente » N°16 | Meutres


«Même si certaines manifestations graphiques sont en germe dès 1968, typoGabor est fondée en 1973 par Paul et Peter Gabor. L’activité de la société est double : atelier de création graphique autour des clients historiques de Paul Gabor et société de services typoGraphiques sous l’égide de Peter Gabor.

Les premières années de typoGabor sont rythmées par le fonctionnement coûteux et limité des Diatronic de Berthold. Tant et si bien qu’à la fin des années 1970, la continuité d’exploitation semble compromise. C’est à la faveur d’une annonce dans la revue CARACTÈRE que Peter Gabor découvre l’Alphatype. Il y voit l’amorce d’une révolution du digital. Ce sera son ami (depuis) Raymond Aubry, chef d’Atelier de Graphiservice à Bruxelles qui achèvera de le convaincre. Un système de composition américain venant de Chicago, qui pour la première fois, propose non plus d’acheter mais de louer (prix dérisoire) des polices de caractères, ce qui porte l’offre et la diversité typographiques à un niveau inédit : 1 000 polices contre 80 sur Diatronic auxquels s’ajoutent 16 polices supplémentaires tous les mois.


« typoGabor présente » naît en 1980 de deux constats. Il ne s’agit plus de faire de la Pub pour une entreprise, mais d’informer et d’éduquer un marché. La Publicité. Un marché où s’affrontaient une trentaine de concurrents proposant tous à peu près les mêmes services (24 / 24, coursiers, catalogues de calibrage gratuits et qualité de composition supérieure à celle de l’édition ou de la Presse). typoGabor connaît alors le succès. Les Directeurs Artistiques affluent et les commandes doublent de volume en l’espace de 2 an. Mais la formule marketing du magazine ne plaisait plus à Peter Gabor. Il y préféra une formule nouvelle autorisant toutes les expérimentations typographiques.

Le magazine littéraire de typoGabor était né. Plusieurs directeurs artistiques vont se succéder dans les cuisines typographiques de la maison Gabor. Bill Butt, Jérôme Binda, Philippe Duriez et pour finir Paul Gabor qui revient en 89 par une magistrale œuvre consacré aux Droits de l’Homme. L’Âge d’Homme.

L’expérience de la photocomposition fut de courte durée. Le Postscript arrive sous la forme commercialisée d’Adobe Type Manager et tous les prestataires de composition perdent 50 clients par jour à partir de 1990. Peter Gabor tenta encore d’adapter son entreprise en devenant le premier compositeur qui a basculé la totalité de son fonds sur Macintosh. Mais les dettes s’accumulant et victime d’un administrateur judiciaire peu scrupuleux, il finit par baisser les bras, non sans avoir personnellement créé 4 polices de caractères pour le Journal Libération en 1994.

Une aventure de vie passée à promouvoir la diversité et la qualité de composition, parce que comme l’aimait à rappeler son père Paul, d’après une phrase de Jean Cocteau : « Le style n’est pas une danse mais une démarche ».


Affreux, le crime des Sœurs Papin. Elle ont commis l’impossible de l’horreur et pourtant… Il y a une explication à leur acte meurtrier. Le rapport ou plutôt le non-rapport à la réalité.

Tout se passe pour elles comme si l’imaginaire de leurs frustrations, leur désespérante quête d’une affection homosexuelle partagée, qui se mue en une machine déchiquetante et broyante, se superposaient à un monde schizophrénique qui n’est pas le leur.

Elles ont traversé un miroir où nous pourrons reconnaître au passage d’autres meurtres et d’autre crimes que l’histoire de la littérature a rendus célèbres. Nous avons cherché au détour de cette anthologie à reconnaître quelque catégorie de manifestation meurtrière. Le lieu géométrique commun pourrait-on dire de ce crime serait la stratégie… Stratégie du prédateur qui en veut uniquement à l’argent du voisin, stratégie des amants qui se déchirent de trop ou pas assez s’aimer, stratégie du Soi qui lutte en permanence avec l’image du père, et tel chez Kafka, n’arrive pas à décoller de l’univers autopunitif et concentrationnaire, où l’a entraîné un excès d’amour Œdipien.

Nous avons voulu débusquer les meurtres dans ce qu’ils ont de communs à l’humanité, leur rapport à un besoin existentiel : être plus ou ne plus être. Nous nous sommes essayés méthodiquement à classer, tels des entomologistes, les genres, les espèces, les filiations, et ce voyage qui n’est certes pas un tribunal, nous aura permis de découvrir tantôt des territoires communs au Comte Zaroff et au Marquis de Sade, tantôt les revanches de l’âme sur l’organisation réfléchie de l’indifférence sociale. Mais rassurez-vous : chasser le Meurtre ne nous a pas rendus meurtrier pour autant.

Tout au plus avons-nous égratigné la typographie au passage, croyant bien faire que d’assassiner des idées reçues ne pouvait conduire qu’à un résultat transitoire, mais bénéfique : le doute. L’assassin en herbe de ce journal n’est autre qu’un jeune diplômé de « Penninghen » rencontré au hasard d’un cours. Et nous rendons un vif hommage à sa créativité, à sa tactique pré-méditée (durant les heures où le monde sommeille) pour la parfaite maîtrise avec laquelle il a organisé l’espace criminel d’une humanité sollicitant un peu plus d’amour… De Soi.

Meurtres : c’est sans doute un des magazines qui m’a donné le plus de fil à retordre. Allez savoir. Tout d’abord je me suis retrouvé sans Rédac. Chef.

Léon-Marc Lévy a pris du champ alors que le magazine Humeur d’Humour s’est terminé sur une queue de poisson. Nathalie Baylaucq étant partie à New-York avant d’avoir terminé la maquette j’en ai conçu moi-même la couverture. En essayant de respecter l’esprit de sa mise en page. Du coup tempête dans un verre d’eau. Patrick Amsellem se fâche avec moi et Léon-Marc, pris entre deux feux se retire pour ce numéro me laissant me «démerder» tout seul.

Sur ce un accident de moto malencontreux. Tibia / Péroné. Trois mois de plâtre. Me voilà à manager typoGabor avec des béquilles. Et ce fut dans une excitation sans précédent que je m’attaque à la rédaction en chef de ce magazine, passant outre l’avis de mon médecin. Je cours à droite, à gauche. De librairie en librairie. J’avais ma feuille de route. Les chapitres, je les connaissais par cœur. Il suffisait que j’alimente les typologies de meurtres avec des textes qui faisaient sens. Et puis c’était passionnant. Parce qu’entre Amour et Haine, le Meurtre symbolique est un thème que nous connaissons bien.



Je m’inspirais autant de la littérature que du cinéma, j’ai dévoré quelques scénarios que j’ai trouvé dans une boutique mythique du cinéma en face du Jardin de Luxembourg. Johnny Guitar, Le Faucon de Malte de Dashiell Hammett, Volpone de Maurice Tourneur, etc.


Les histoires de Meurtres défilaient presque aussi vite que les plans d’un film d’horreur. Avec des moments d’intense respiration comme avec Noblesse Oblige, de Roy Horniman et le délicieux et talentueux Sir Alec Guiness qui va devoir se débarrasser de huit personnes de sa famille pour pouvoir hériter…

Et puis voici sans doute une des pages les plus brillantes du maquettiste, Philippe Duriez, qui sortait à peine de l’ESAG / Penninghen, et du haut de ses 23 ans se mit à la peine pour concevoir ces pages absolument délirantes. Il faut vraiment que vous compreniez la difficulté de ces mise en pages.

Nous sommes cinq années avant l’arrivée massive des Macintosh, des logiciels Quark Xpress et six ans avant l’arrivée de Photoshop 3.00 qui a installé les calques dans ses fonctionnalités.

Autant dire que chacun des pavés de textes que vous voyez-là ont dû être d’abord maquetté à la main, puis calibrés et composés, pavé par pavé, puis remonté sur table lumineuse pour être relu, validé puis contretypés pour faire des typons prêts pour l’impression. La chaîne graphique ne permettait aucune erreur. Si l’on se trompait dans un texte, il fallait à minima recomposer le pavé et remonter toute la page… Enfin j’exagère, corriger le montage. Mais l’on a du mal à imaginer aujourd’hui ces process d’un autre temps.


Contrairement à Bill Butt, Philippe Duriez aimait jouer avec les formes monumentales faites de la typo et des titres. Il investissait l’espace tuant par la même occasion les principes de mise en page les plus élémentairement classiques. On n’est ni dans l’édition, ni dans la Presse, ni dans la Publicité. Il nous fait voyager dans un monde de poésie expérimentale où la typographie devient matière à réflexion. Il me semble que si Gutenberg revenait 550 années aujourd’hui pour voir ces maquettes il adorerait voir comment on a réussi à casser, transgresser les règles de composition que lui-même avait initié. Pour exemple, Gutenberg avait imaginé composer ses textes avec des ponctuations flottantes en dehors des alignements des pavés. Il a fallu attendre qu’Alphatype d’abord puis Berthold permette de faire la même chose. Puis impossible avec Quark Xpress. Il a encore fallu attendre Illustrator 3.00 pour pouvoir mettre les ponctuations à la marge des pavés. Puis InDesign s’y est mis. Et enfin Quark, à partir de je ne sais plus quelle version. Ce fut un long combat, dans lequel les correcteurs de Selection Reader Digest se sont perdu en conjectures tant ils croyaient qu’il s’agissait de fautes typographiques.

Et Philippe Duriez de décliner tout le vocabulaire graphique de Paul Rand, avec brio, élégance et maîtrise (presque) complète des principes de lisibilité.




















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