by ©Jonas Kaloustian | e-artsup | l’école de la création numérique
Jonas Kaloustian est étudiant de la filière Concept en 4e année d’e-artsup et participe depuis janvier à l’écriture d’une histoire du Game Design aussi bien pour le blog de l’école, que pour la revue Amusement.
Après quelques discussions récentes sur le thème du « Ah, les jeux vidéos, c’était tellement mieux avant ! », cette mouvance réflexive toujours extrêmement poussée qui consiste à croire que tout ce qui se fait aujourd’hui n’arrive pas à la cheville de ce qui se faisait hier, j’ai décidé de comparer deux jeux qui m’ont marqué récemment et moins récemment : Fallout 3 de Bethesda Softworks et Baldur’s Gate 2 des studios Bioware.Non, il ne s’agit pas de comparer les deux séries de jeux de rôle à succès que sont Fallout et Baldur’s gate, mais plutôt de comparer 2 jeux qui ont les mêmes objectifs mais avec dix ans d’écart. Alors pourquoi Baldur’s Gate 2 et pas le premier du nom ? Tout simplement parce que le 2 est plus abouti que le premier et qu’à l’époque je ne l’avais jamais fini, ce qui m’a permis de me replonger avec plaisir dedans il y a une semaine pour voir si j’y retrouvais les sensations originales. Pourquoi Fallout 3 et pas les deux premiers de la série ? Parce qu’il est emblématique d’une série qui a du mal à se servir des avancées technologiques pour asseoir son gameplay, et qui malgré ses efforts, n’arrive pas à la cheville de ses illustres ancêtres.
Mon verdict est simple, je préfère mille fois, encore aujourd’hui, Baldur’s Gate 2 à Fallout 3. Ce n’est pas une question d’univers, j’apprécie tout autant les mondes post-apocalyptiques que les univers imaginaires d’heroic fantasy. Ce n’est pas non plus une question de nostalgie et d’être un fan de retro-gaming. Non, je parle en termes de capacité d’immersion dans l’histoire. Je sais, ça peut paraître étrange quand on y pense, l’immersion serait plus réussie dans un jeu pixellisé (hé oui, un jeu conçu pour une résolution de 800×600 en 3D isométrique, ça pixellise aujourd’hui) que dans un magnifique jeu en 3D sur les machines du moment. La réponse est pourtant oui. Comment expliquer ça ?
Comme d’habitude, et pourtant, c’est quasiment le b.a.-ba de nombreux domaines du design, l’avancée technologique ne fait pas tout, et il lui arrive même de desservir un projet plus que de le faire avancer. Dans Fallout 3, c’est le cas au détriment de l’histoire. A vouloir modéliser trop bien l’environnement avec de jolis effets de lumière partout, à vouloir donner vie à quasiment chaque personnage du jeu, on a l’impression qu’on peut à peine parler à une petite centaine de personnages, où est donc passé le savoir-faire de Bethesda, alors qu’en 2002, ils nous livraient un resplendissant Morrowind avec près de 3000 personnages non joueurs différents avec lesquels il était possible de discuter.
Et pourtant, Bethesda nous avait livré de beaux artworks.
Pire, si l’on décide de se concentrer sur la quête principale, on finit le jeu en moins de 8 heures. 8 heures peuvent paraître longues si l’on est pas habitué aux jeux vidéos, mais pour un jeu de rôles, ça équivaut à peu prêt à un long métrage de cinéma de 15 minutes, ça sent l’arnaque. Imaginez un film un peu long à démarrer mais prometteur, arrive ensuite la première scène d’action, et là, d’un coup, le générique de fin. Encore deux jours avant, vous aviez commencé à le regarder, et vous ne compreniez pas les critiques que vous faisiez vos amis qui le trouvaient décevant, forcément vous ne vous attendiez pas à ce que le jeu se finisse aussi rapidement. Ma première réaction quand j’ai fini Fallout 3 a été de recommencer 4 fois la fin du jeu, je n’y croyais pas, j’avais à peine l’impression de sortir de la scène d’exposition. Je me suis ensuite rué sur mon PC pour découvrir sur les forums spécialisés que j’avais bel et bien sous les yeux la fin normale du jeu. L’arrière-goût fut amer.
De son côté Baldur’s Gate 2 supporte bien l’âge malgré des caractéristiques techniques obsolètes, le jeu reste encore aujourd’hui agréable à l’œil, les décors étant des illustrations plus ou moins en relief, sur lesquels évoluent les sprites 2D des personnages. Hormis les dragons qui sont vraiment moches mais peu nombreux, aujourd’hui, graphiquement, le jeu reste très agréable à regarder. Et surtout, en termes de durée de vie, le jeu est bien plus poussé, c’est bien simple, une quête optionnelle de Baldur’s Gate 2 peut prendre plus de dix à vingt heures pour être finie pour les plus vastes, en sachant qu’il y en a des dizaines et qu’elles s’intègrent naturellement dans l’histoire en fonction de la réputation du personnage et de son rôle, selon qu’il est paladin, druide, voleur, guerrier, etc. Qui plus est, le personnage est entouré de compagnons qu’il peut recruter et abandonner comme bon lui semble. Ils sont souvent loin d’être d’accord entre eux, et selon vos actions, ils sont aussi souvent loin d’être d’accord avec vous. Vos actes influencent leur comportement, de façon poussée et définitive.
L’un des fameux dragons pas très beaux.
Prenons un exemple au hasard, celui du personnage d’Anomen, un écuyer de l’ordre du Cœur radieux, en attente d’être fait chevalier par son ordre de paladins. Quand vous le rencontrez, il est jeune, arrogant et impétueux, et même s’il se rêve depuis l’enfance un chevalier au service du bien, il n’est pas lui-même un parangon de vertu. Arrive un moment où sa sœur est assassinée, et son père, fou de rage, demande à Anomen de la venger en tuant la famille d’un riche marchand qui lui aurait soi-disant tout volé, y compris la vie de sa fille. Ici, c’est au choix du joueur de pondérer ses conseils pour déterminer la réaction d’Anomen. Si on l’incite à demander des preuves et à porter l’affaire devant la justice, Anomen sera renié par son père mais s’orientera désormais sur le chemin de la droiture, au contraire, si on l’incite à venger sa sœur en versant le sang, le groupe ira assassiner froidement toute une famille. Vos choix vont déterminer le chemin que prendra Anomen, si vous l’incitez à la vengeance, petit à petit, il deviendra mauvais, sera rejeté de son ordre, et vous délaissera ; au contraire si vous l’incitez à réprimer sa soif de vengeance, il sera adoubé et deviendra un preux chevalier. Et si en plus vous avez choisi de vous faire accompagner de Keldorn, un paladin plus âgé du même ordre, le rapport qui va se développer entre ces deux personnages va évoluer en fonction des choix d’Anomen. S’il va vers le bien, Keldorn deviendra son mentor, s’il s’oriente vers le mal, ils finiront par se battre à mort. La chandelle peut encore aller plus loin si vous jouez un personnage féminin, vous pourrez même vivre une relation avec Anomen. Et ceci n’est qu’un exemple parmi plus d’une dizaine de personnages.
Un extrait de dialogue entre deux personnages.
La dichotomie bien-mal est marquée différemment dans l’univers de Fallout, clairement moins manichéen que celui de Baldur’s Gate qui est directement tiré du jeu de rôle papiers Donjons & Dragons, mais l’alchimie n’est pas au rendez-vous dans le 3ème épisode de la série. La survie dans un univers désolé, ravagé par la guerre nucléaire amène aussi à faire quelques choix, comme faire exploser une ville entière habitée pour quelques capsules de Nuka-Cola (la monnaie locale) ou sauver les habitants. Mais les personnages sont trop guindés, pardonnez-moi l’expression, mais on dirait qu’ils se baladent avec un balai dans le *** quand ils marchent, et pire, ils restent raides comme des i quand ils courent. Ils articulent trop et on a l’impression qu’ils se forcent à être vulgaires puisqu’ils sont dans un monde où tout il est moche, tout il est méchant, il n’y a pas une once d’humanité qui se dégage des personnages, on ne leur accorde pas de crédit. La faute à la VF, non je ne pense pas, les quelques extraits que j’ai entendu en VO n’avaient pas l’air bien mieux, et les attitudes des personnages laissent par trop indifférent. En fin de compte, avec des échanges lisibles et seulement quelquefois parlés, Baldur’s Gate s’en tire beaucoup mieux pour insuffler de la vie à ses personnages. On en vient à modifier ses choix pour ne pas contrarier ses partenaires, alors que franchement dans Fallout 3, faire exploser une ville ou non laisse le joueur indifférent. Comme d’habitude, il n’y a pas de raison particulière à cela, c’est toujours la même chose, il n’y a pas de solution miracle pour faire un bon jeu, on peut parler de souci du détail, de variété, de profondeur, de durée de vie, de jouabilité, au final certains s’en sortent mieux que d’autres.
Et pourtant, un jeu comme Baldur’s Gate 2 a quelques particularités qui le rendent insupportable en terme de gameplay, le pathfinding des personnages est ridicule, les personnages se coincent en plein combat, le système de combat ultra complexe incite à faire pause à chaque seconde et à remonter le journal de combat pour comprendre ce qu’il s’est passé, la gestion de l’inventaire est insupportable, quand un personnage meurt et que vous le ressuscitez tout son équipement reste par terre et on perd du temps à tout lui faire rééquiper, pire s’il est transformé en pierre, quand vous le délivrez, il ne revient pas automatiquement dans votre groupe.
Mais tous ces défauts s’oublient face à la myriade de possibilités offertes, à la profondeur du scénario et du système de combat. Baldur’s Gate 2 réussit là où Fallout 3 échoue, il nous fait nous attacher à l’histoire et aux personnages et nous donne envie d’en savoir plus. Fallout 3 aurait à la limite été un avant-goût prometteur, mais finalement peut-être que le passage à la 3D n’était pas une bonne idée. Le constat est triste, c’est devenu une habitude de faire passer le tout-graphique avant la qualté de l’histoire. Je suis sûr que les scénaristes de Bethesda avaient bien plus d’idée que ce dont ils ont du se contenter pour des question de délai. La blague est encore plus poussée avec le Downloadable Content disponible depuis peu sur les réseaux online de Microsoft et Sony, les Xbox Live et Playstation Network. Pour 8 euros, le joueur a droit à 3 heures de jeu supplémentaires. C’est juste ridicule.
Graphiquement, Fallout 3 a pourtant de l’allure.
C’est dommage, les avancées technologiques et l’accès à tous à Internet semblent faire penser aux développeurs que sortir des jeux qui ne sont pas finis n’est plus un problème. Et pourtant, ces versions ont un nom, ce sont des versions alpha et beta, que l’on fait parfois tester gratuitement aux joueurs potentiels pour leur demander leur avis, pas des jeux payés 70 euros pièce qui ruinent une louable entreprise car ils sont vendus comme les produits finis qu’ils ne sont pas. À croire que depuis l’avènement des jeux online, les expériences solo poussées ne sont plus à attendre par les joueurs.