Shigeru Miyamoto
Qui de mieux pour ouvrir notre section sur le game design que le père de personnages illustres comme Mario, Link, ou encore Donkey Kong? Quand il intégre une compagnie japonaise spécialisée dans les cartes à jouer en 1977, Nintendo, il n’a alors qu’une légère expérience de designer dans l’automobile et l’électroménager.
Il designe des packagings pour la firme jusqu’à ce qu’en 1980, Nintendo lui confie la responsabilité d’une petite équipe de designers pour se lancer dans le marché du jeu vidéo. Après deux jeux avortés, il crée la borne d’arcade Donkey Kong et invente pour l’occasion deux grands personnages du jeu vidéo, Donkey Kong, ici le méchant singe, et Mario, le fameux plombier italien à moustache et à casquette rouge.
_
Donkey Kong classic
_
S’ensuivent la sortie du Family Computer de Nintendo, plus connu chez nous sous le nom de Famicom ou de NES pour Nintendo Entertainment System, et des classiques Mario Bros et Zelda respectivement en 1985 et 1987.
Encore aujourd’hui, Shigeru Miyamoto décline ces séries mythiques sur les consoles de la firme japonaise. Son travail est un exemple vibrant de l’équilibre entre innovation hardware et innovation software. Un travail si innovant qu’il en a influencé et même modelé le marché mondial du jeu vidéo. Alors que la dialectique du jeu vidéo a longtemps été d’opposer un monde enfant, presque puéril, à un monde adulte, Miyamoto et Nintendo, avec la Wii, ont complètement renversé ce rapport de forces. Désormais, grâce à Nintendo, les habitués de l’industrie du jeu vidéo parlent de casual gamers, les joueurs occasionnels, et de hardcore gamers, les joueurs plus sérieux, plus impliqués.
Contrairement à la plupart des game designers de renom qui cherchent à perpétuellement renouveler les processus narratifs, à récréer des monde seconds, quasi-illusoires dans le sens où ils veulent réinterpréter, remodeler, refaire la réalité, Shigeru Miyamoto s’est toujours évertué à voir le jeu vidéo comme un secteur de l’industrie du divertissement destiné à toutes et à tous.
Dans une interview avec le magazine Wired, il nous explique comment sa vie de tous les jours a influencé sa vision créative. C’est quand sa famille achète un chien qu’il a l’idée de Nintendogs, c’est quand il commence à jardiner qu’il imagine Pikmin, c’est quand sa famille lui offre une balance pour surveiller son poids qu’il conceptualise le WiiFit. C’est de sa vie de tous les jours, de son espace familial qu’il s’inspire quand il crée des jeux et des systèmes de jeux. Il se concentre sur l’aspect ludique du jeu vidéo, et le pense comme le nouveau jeu de société.
S’étant dirigé vers la création de contenus familiaux, son objectif a toujours été de contenter immédiatement le joueur. N’importe qui doit pouvoir arriver, saisir la manette, et après deux ou trois phrases d’explication comprendre comment on joue. La prise en main de ses jeux est toujours simple et intuitive.
Quand il imagine le jeu de baseball de Wii Sports, il n’intègre pas la complexité des règles du baseball et en échange se concentre exclusivement sur la prise en main de la Wiimote et du Nunchuk, les manettes innovantes de la Wii. Pas de vol de base, pas de gestion d’équipe, juste des personnages simplissimes, les Miis et un joueur qui essaie de mimer les mouvements du baseball avec sa manette dans les mains.
Manette Wii
L’interface de Zelda: Ocarina of Time était elle aussi l’exemple idéal d’une interface à la prise en main efficace et intuitive. Pour ceux qui y ont joué, rappelez-vous, il y avait 6 actions disponibles immédiatement en permanence dans le jeu, le bouton Z à l’arrière de la manette pour cibler, le bouton A pour les actions de mouvement, le bouton B configurable pour les attaques, et les boutons C gauche bas et droite pour utiliser les objets de l’inventaire. De mémoire de gamer, Ocarina of Time a été le premier jeu d’action à proposer à un joueur l’accès immédiat à autant d’actions aussi facilement et sans avoir à passer continuellement par des menus qui cassent l’action et le rythme, ou qui, s’ils ne les cassent pas, les pénalisent.
[kml_flashembed movie="http://www.youtube.com/v/E6SZIOIj284" width="425" height="350" wmode="transparent" /]
Miyamoto ne s’est jamais contenté de penser le jeu vidéo comme un software dépendant des caractéristiques d’une plate-forme hardware. Il est la figure de proue de la dernière entreprise qui crée à la fois les jeux et la machine qui les exploitent du monde, Nintendo. Là où la plupart des designers doivent se contenter de créer du contenu à implanter sur un support pré-existant, Miyamoto a l’opportunité de penser en commun les problématiques de design hardware et software.
Bien sûr, des développeurs tiers s’y sont déjà essayés, en proposant des manettes spécialisées pour certains jeux, mais Miyamoto et Nintendo ont encore aujourd’hui l’opportunité de créer une console en pensant aux jeux auxquels nous jouerons dessus. Le joystick de la manette de la Nintendo 64 a été pensé pour les mouvements de Mario 64. Les boutons de la Gamecube ont été pensés avec des formes si différentes et cet aspect presque enfantin, car, pour Miyamoto, il semblait que la forme des boutons devait varier s’il devait y en avoir autant sur une manette, pour qu’intuitivement et immédiatement, personne ne puisse les confondre dans le feu de l’action.
Manette Nintendo64
Il s’agit là en effet d’une véritable vision créative globalisante. Le design de Miyamoto pense le jeu de l’amont à l’aval de sa création. Nintendo lui en a donné les moyens, et il a toujours su les utiliser à bon escient.
Il sera sans doute difficile à quiconque souhaite devenir game designer d’envisager une telle liberté créative dans sa carrière, mais Miyamoto reste néanmoins une vision à prendre en compte quand l’on se lance dans une telle entreprise. N’oublions jamais que l’on peut toujours étendre plus loin les frontières de nos processus créatifs. Car qui a raison, celui qui crée pour lui et un public de joueur chevronnés qui apprécient son travail, les hardcore, ou celui qui, comme Miyamoto, ne délaisse pas nécessairement la profondeur au profit de la simplicité, tout en contentant une audience bien plus large avec des jeux faits pour détendre et divertir?
© Jonas Kaloustian | e-artsup | l’école de la création numérique