On peut dire ce qu’on veut et on ne s’en privera pas de l’helvetica ou de l’Helvetica ou encore de l’HELVETICA, il s’agit tout de même d’une des plus grandes révolution socio-industriel du XXe siècle. Tout d’abord, pourquoi me permets-je trois manières de typographier le mot. Si vous prenez la version tout bas de casses (minuscules), ou Capitales et Bas de Casses (l’Initial en CAP), ou tout CAPITALES, vous ne dites pas la même chose. Les affiches de JetSet Experimental, privilégient le tout CAP. Mais si vous vous référez à l’époque où Max Miedinger créa le caractère en 1957, dans l’environnement d’Armin Hofmann ou de Josef Müller Brockmann les suisses adoraient composer des textes tout bas de casses allant même dans certains textes de livres dédiés aux arts graphiques à commencer les phrases en minuscules. La forme Cap et BdC est sans doute la plus respectueuse de la composition des noms propres selon les règles du code typographique tandis que la composition tout CAPITALES de l’HELVETICA veut nous rappeler la fonction architecturale du caractère. D’ailleurs très souvent lorsqu’il s’agit d’en composer des titres de marquage l’HELVETICA est composé en majuscule.
Socio-industriel sans doute parce que comme le dit Rick Poynor la naissance du caractère qui fait tout de même suite à celui du Futura de Paul Renner en 1925-27 suivi de l’EUROPE, correspond à un moment privilégié de l’histoire du XXe. Fini la deuxième guerre mondiale, elle est loin derrière depuis plus de dix ans, l’Europe se reconstruit et profite du table-rase pour entrer dans l’ère de l’art contemporain. Rupture avec les formes traditionnelles de l’architecture lorsqu’on songe à New-York, Chicago et Brasilia construit par Niemeyer, rupture également dans la presse, l’édition, et la Mode. Le New-Look de Christian Dior avec Yves-Saint Laurent pour figure de proue est passé pour balayer les idées reçues et faire la rupture formelle.
Industrielle aussi, parce que c’est l’époque, bien que le film de Gary nous rappelle encore l’ère de la composition au plomb, où les techniques de composition et d’impression vont connaître un boom f-a-b-u-l-e-u-x. La photocomposition est en train de naître. Et avec l’offset, l’impression des feuilles par procédé photographique et à plat vont connaître l’essor que l’on connaît. Grâce à ces révolutions industrielles la fabrication des caractères connaît de même un essor considérable. Avec la photocomposition, fini la gravure des poinçons et la nécessité de fabriquer des tonnes de matrices pour la composition manuelle où l’on vendait la police au kilogramme de plomb (la définition exacte d’une police de caractères = 1 kilo de lettres en plomb comprenant un assortiment de lettres respectant la fréquence d’usage de l’alphabet avec les chiffres et les signes de ponctu.). L’Helvetica va connaître un succès planétaire pour la raison qu’il profita immédiatement des techniques de fabrication et de diffusion mécanico-industriel.
Le film de Gary est remarquable, tant par la qualité irréprochable des prises de vue et du montage, que par la richesse des interviews des personnalités les plus marquantes de l’époque ou encore d’aujourd’hui.
Erik Spiekermann, Matthew Carter, Massimo Vignelli, Wim Crouwel, Hermann Zapf, Neville Brody, Stefan Sagmeister, Michael Bierut, David Carson, Paula Scher, Jonathan Hoefler, Tobias Frere-Jones, Experimental Jetset, Michael C. Place, Norm, Alfred Hoffmann, Mike Parker, Bruno Steinert, Otmar Hoefer, Leslie Savan, Rick Poynor, Lars Müller…
Chacun des interviewés éclaire le caractère de sa névrose personnelle, que ce soit Wim Crouwel qui ne supporte aucun autre caractère, ou Neville Brody beaucoup plus assagi, ou encore Erik Spiekermann qui ne peut s’empêcher d’être dubitatif non sur les apports du caractère mais sur les comportements d’idolatrie qu’il génère. Poynor très justement nous explique qu’il correspond à un moment de l’histoire de l’art où le grand public découvre et s’approprie le design graphique, alors oui l’helvetica par sa simplicité de bon aloi, bien que son tracé soit des plus sensuelles et à la fois rigoureuse correspond bien à la fois à la naissance d’un art contemporain diffusé à l’échelle planétaire en même temps qu’à un développement des consciences collectives qui s’emparent des formes graphiques, et pour le coup, l’Helvetica va stigmatiser un désir de simplicité moderne. Au fait, qu’est-ce qu’on entend par simplicité? l’absence de pleins et de déliés, d’empattements. Sans doute. Cela correspondrait bien également à la génération stylo à bille qui désormais apprend et rédige ses devoirs en se passant de la plume et de l’encrier. Plus compliqué qu’il n’y paraît d’expliquer le succès d’un caractère, sans compter son nom, qui sonne formidablement rich. La Suisse. Vous m’en direz tant ;-)
Voici quelques photos de la soirée d’hier où Gary Hustwit est venu personnellement présenter son film, devant les privilégiés du Palais de Tokyo qui ont eu la précaution de réserver leurs places. Modérateur de la conf. après la projection : Jean-Baptiste Levée, en présence du graphiste du PDT, Nik Thonen qui nous a présenté son travail sur la police customisée du Musée.
EXTRAITS DU FILM DE GARY HUSTWIT.
[youtube]iOzDUAh5b90[/youtube]
Wim Crouwel
[youtube]IgSdor3Mvm0[/youtube]
Experimental Jetset
[youtube]X3YDAtcsKmg[/youtube]
Neville Brody & Rick Poynor
[youtube]McZSUjP1AcE[/youtube]
Erik Spiekermann