Une fois n’est pas coutume, je voudrais vous présenter un travail, que je viens de réaliser pour une Société de Services en Ingénierie Informatique. Plusieurs raisons à cette présentation: d’abord en raison d’une collaboration qui débuta en amont du process de la créa. La société Formatel désirait changer de nom. Son dirigeant me contacta en ayant déjà plusieurs pistes et accepta que j’y réfléchisse également. Au bout de quelques semaines d’échanges intensives de propositions, d’élagage, de contre-propositions nous nous arrêtions sur la marque metafactory. Il y eut beaucoup d’idées. L’élaboration du nom d’une entreprise à l’échelle humaine (le dirigeant en est le fondateur) qui existe depuis deux décennies n’est pas si simple que cela. On sait pourquoi on ne veut plus porter un nom (notamment de la confusion récurrente entre Formatel et la formation). Dans un environnement où la compétition est aussi féroce, le recrutement fait partie de la stratégie de développement quotidien. Situer, repositionner l’entreprise face à ses clients mais aussi face aux écoles et aux jeunes diplômés tel était l’enjeu de cette mission. J’ai cru tout d’abord que ce ne serait pas simple de travailler avec ce client, parce qu’il voulait s’occuper personnellement du dossier. Lorsqu’on sait toute la charge qui pèse sur les épaules des chefs d’entreprises, cela pouvait s’avérer suicidaire de collaborer avec quelqu’un dont l’esprit ne serait pas complètement libéré des soucis quotidiens. Tel ne fut pas le cas. Il s’impliqua dans cette recherche avec un sérieux et une conscience que j’ai rarement vu chez un client. Voici le logo primitif avant le changement de nom:
Logo assez classique, avec un cercle plaqué du puzzle bien connu et repris mille fois dans tous les secteurs d’activités et un magnifique logotype en Optima capitale dont le seul tort est d’avoir été affreusement condensé sur Illustrator, Hermann Zapf n’étant pas encore décédé, il ne peut qu’entendre siffler ses oreilles à Darmstadt où il vit avec sa femme Gudrun Zapf. Mais qu’importe il s’agissait de tout changer.
Évidemment dans tout process de création d’identité la première phase fut d’identifier la concurrence, et ses codes graphiques. Ensuite et après avoir fait valider la marque metafactory de mener à bien une réflexion sur les symboles qui représentent le métier d’une ssii. Vous devez penser que ce n’est pas simple. Et vous auriez raison de le croire. Mais le fait est que j’ai mené cette réflexion en amont. En mettant au point la marque. Alors pourquoi meta, pourquoi factory?
Après avoir cherché des patronymes aux vocables des plus égayants, hype ou affectueux, j’ai fini par revenir à la logique la plus simple. Me recentrer sur le métier de cette ssii. Concevoir des logiciels, des programmes qui permettaient à ses clients du CAC40 de résoudre de nombreux problèmes qui vont de la logistique de tankers de pétrole à la programmation de chaîne télé ou la gestion des flux dans les salles de marché boursier. A ce niveau d’intervention une ssii conçoit non seulement des programmes mais crée également des langages de programmation, autrement dit il élabore aussi bien le produit fini que les outils pour fabriquer ces produits. Deux mots s’imposaient à moi en boucle. Intelligence et meta. Pour des raisons dont nous avons longuement débattu le choix fut arrêté sur meta. Moins enclin à des connotations de type «services secrets» ou intelligence avec l’ennemi. L’espionnite d’entreprise est l’un des fléau de ces métiers, il fallait s’en éloigner avec regret. Meta fonctionne bien. Le Wiki en donne là une assez belle définition. Factory c’était la trouvaille la plus amusante dans l’affaire. J’avais longuement réfléchi aux mots logiques, logic, logic-design, mais le design n’est pas vraiment leur métier (de plus la marque existait déjà), mais de tout cela une idée a lentement germé, attribuer au lieu de production une plus value créative. Je vous explique. La plupart des ssii, font leur chiffre d’affaires avec une forte proportion d’ingénieurs délégués chez leurs clients. Une forme d’interim déguisé. Formatel, fait plus de 90% de son billing avec un travail effectué au siège même de la société. C’est donc un véritable lieu de réflexion et de conception quotidienne. Une sorte d’atelier de recherche à mi-chemin entre science des langages et expertise dans les métiers des clients. Ça s’appelle de la création où je ne m’appelle plus Gabor. Et naturellement j’ai pensé à Warhol et à son Factory. Un lieu où l’on expérimenta les formes artistiques du pop art dans les années 60. Et l’idée plût au chef d’entreprise. J’ai eu beaucoup de chance, il aimait l’art moderne. Je vous disais que le design découlait de la marque. Simple. Lorsque j’ai pensé meta, je voyais défiler devant mes yeux des lignes de programmes, des pages hermétiques de codes de programmation auxquels je ne comprenais pas grand chose. Mais je voyais revenir très régulièrement l’accolade. Ouverture d’une ligne de programme. À partir de ce moment je n’ai eu de cesse de chercher le design idéal pour exprimer à la fois meta et ce symbole récurrent, et Factory, clin d’œil à Andy Warhol et à sa créativité légendaire. Voici quelques maquettes intermédiaires:
meta élaboré avec une base du metaplus de Spiekerman, redessiné pour la graisse et pour le t, et le Centaur Monotype composé et arrangé avec un clin d’œil de modernité sur les bas de casse (minuscules) capitalisées. Tout est dans le rapport des mots, l’élégance, la force, en un mot un message fort sur le métier et le lieu où on l’excerce.
Mais soit que je me suis trompé en allant aussi loin dans les aspects décoratifs, soit que le client avec sagesse a estimé qu’il fallait revenir à un style encore plus épuré, plus mathématique il fallut que je me calme dans mes recherches aux formes colorées (et malgré tout très Warholiennes).
Une dernière tentative avec cette maquette qui fut retenue en final dans la short list :
Entre temps j’ai dégraissé le meta (une graisse intermédiaire) et composé un bloc-marque avec l’accolade qui nous aurait permis d’être particulièrement visible au milieu du paysage concurrentiel. Vous me direz que le style n’a rien de novateur mais la forme linguistique de l’accolade devenait peinture abstraite. Pop art des années 60. Qu’importe. Non que le client ait toujours raison, mais c’est finalement lui qui va porter le costume, été comme hiver. Lorsque quelqu’un me dit qu’il ne se sent pas à l’aise dans un vêtement, c’est fondamentalement lui qui a raison. Et j’avais une certitude. Les choix étaient ceux du client, et non d’un groupe de travail aux responsabilités diminuées et noyées dans le nombre des participants.
Le choix finale se porta donc sur une simplification à la limite de l’austérité monacale. Voici:
À cette étape de la conception reste encore la stationnery (papeterie) et le site web.
Voici en-têtes de lettres et cartes de visite :
Les éléments d’un 4 pages pour informer les clients du changement de la dénomination de l’entreprise :
Et finalement la conception et la réalisation d’un site que le client pour des questions de stratégie n’a pas voulu habiller sous les hospices du web 2.00. Une programmation html très propre (css parfaitement maîtrisés) assuré par mon ami Jonathan qui fonctionne comme une vitrine des knowledges et non comme un fil d’infos permanents en provenance de la société. Conséquences d’un débat qui limita ma mission à ce type de site. Metafactory ne désirant pas assurer un suivi continu des contents tout simplement parce que le client ne désire pas en faire son outil de communication principal:
cliquez sur l’image pour accéder directement au site!
Le site lui même donna lieu bien entendu à des échanges de maquettes comme vous pouvez l’imaginer.
Sur la page d’accueil il fallut rajouter en catastrophe l’ancien logo Formatel pour que ceux qui viennent par l’ancienne adresse redirigée, soient informés des changements de statuts de la société. On envisagea de le faire sous forme de pop-up, mais la plupart des navigateurs étant désactivés pour l’irruption de ces petites fenêtres surgissantes, cela aurait posé un prb considérable. On enlèvera ce rajoût d’ici 1 an au plus.
Conclusion: cela fait plusieurs mois que je défends l’idée sur ce blog qu’il y a d’un coté le graphisme culturel et de luxe. Celui que relate la plupart des livres consacrés au design graphique. Et puis il y a tous les budgets fonctionnels qui demandent tout autant d’investissement et parfois plus pour résoudre des problèmes de communication d’entreprises aux activités de services et produits que j’appellerai «industriels». Là les guimmicks de créativité contemporaine n’ont pas cours, l’artiste soit s’effacer au service de besoins spécifiques de type marketing de base. J’essaye toujours de faire le meilleur travail que je peux mais le benchmark est là, la variété des clients aussi. On doit à la fois communiquer (lisibilité des messages) mais aussi séduire des populations aussi disparates que des directeurs de DSI ou des étudiants qui sortent des écoles d’ingénieurs. Trop de fantaisie et flop, on se coupe d’une branche des destinataires du design. Vous êtes invités joyeusement à me confier vos réflexions ;-)
Le logo de Jean Widmer pour la BnF est bien une accolade, mais c’est aussi un livre (et j’y vois même un oiseau). L’accolade de MetaFactory est beaucoup plus typographique, et ma préférence me porte aussi vers la version la plus purement typographique du logo. J’aime beaucoup le traitement typo (lexique) de l’en-tête et de la carte de visite. Je suppose que vous avez essayé de ne garder qu’une seule accolade. Comment était-ce? Je me demande si je ne serais pas tenté par plus de sobritété, sans dégradé d’accolades ni filigrane. Mais (heureusement direz-vous) je ne suis pas le client. Les versions plus colorées du logo nous ramènent à une autre époque du graphisme (celle de Herb Luballin et de Paul Gabor). Ne serait-il pas concevable de les utiliser non pas comme logo mais comme variation sur le logo, sur un imprimé, un carton d’invitation par exemple ou carte de voeux?