Le Monde vu par les élèves d’une école de communication visuelle
C’est donc naturellement, après avoir présenté mes analyses de la nouvelle formule du journal que j’ai donné à mes élèves d’e-art sup, le soin de réfléchir à une nouvelle maquette qui tiendrait compte de mes conclusions présentées tout au long des notes précédentes.
En résumé, Le Monde, grand journal quotidien de tradition républicaine draine un lectorat exigeant tant sur les contenus éditoriaux que sur la forme graphique. Universitaires, chercheurs, étudiants, cadres et fonctionnaires (à majorité l’éducation nationale), constituent le cœur de cible du journal. Un lectorat cultivé, diplômé, habitué aux couloirs des écoles et facultés, habitués donc à la recherche de l’information et d’une approche individuelle de la synthèse. Pour toutes ces raisons ce lectorat ne ressent pas, au contraire, les mêmes besoins d’hiérarchisation de l’information que celui d’un Parisien libéré ou d’un France soir, voire d’un Metro ou d’un 20 minutes. Il préfère une couverture exhaustive de l’info qui lui permet de se forger tel Montaigne une idée personnelle de l’Histoire qui se déroule sous ses yeux. Les photos, bien sûr, nécessaires pour l’illustration de certains articles ne constituent pas non plus la trame d’une lecture qui se veut «de fond». Nous avons convenus avec mes élèves d’un traitement de l’image noire et blanc pour revenir aux fondements du photojournalisme, permettant à la fois une expression contemporaine de l’actualité en gardant ses distances avec l’anecdotique image couleur qui éloigne le lecteur de l’essentiel, le Papier, l’Article.
Techniquement il y a beaucoup à redire sur ces maquettes, ils sont loin d’être parfaits. Manque de temps, obligation d’avancer dans un programme chargé, les élèves survolent le sujet et tentent de donner une réponse aussi personnelle que possible tout en respectant un brief très contraignant. L’outil informatique joue un rôle primordial dans l’élaboration d’un tel projet. Il permet de tester la grille, le gris typo, le rythme du journal, les logos etc.
Voici donc les maquettes les plus représentatives :
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maquettes de Matthieu Kobler [e-art sup]: un logo gothic simplifié, une mise en page plutôt minimaliste qui fait la part belle à un édito que personnellement je n’aurais pas composé sur deux col. mais cela se défend. L’éditing est sobre mais très lisible. Il manque bien sûr une structuration des articles (chapôs, intertitres etc.), mais dans l’ensemble une maquette plutôt élégante et exigeante.
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maquettes de Julie Le Page [4e année, e-art sup]. Très professionnel, un sens journalistique très mur, on sent qu’elle a bien compris les enjeux d’une rédaction. Sommaire, articles, brèves, structure, éditing, photos, tout y est organisé pour que les journalistes puissent prendre en main leurs espaces d’écriture. Typographie élégante [Times PC eh oui + Myriad façon Frutiger], qualité d’une icono photojournalistique. J’ai été plutôt impressionné par cette maquette à la fois lisible et d’une texture très agréable, qui donne envie de lire un journal.
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maquettes de Cécile Richter [e-art sup], qui a préféré rompre an douceur avec La tradition du Logo historique. Dommage qu’elle ai conçu sa maquette sur un format réduit 29,7 x 42, ça manque d’espace, de volume à bâtir. Mais j’aime assez l’esprit à la fois rigoureux et décalé, si l’on considère la gymnastique typographique de la double. La Une est sobre et permet à la fois la publication d’une double info majeure. Toutes ces maquettes sont assez respectueuses des contraintes journalistiques, même s’ils doivent être adaptées, corrigées, améliorées. [typographie: Times, Bauhaus, Myriad]
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maquettes de Claire Tagliaferri [e-art sup]. C’est sans doute celle pour laquelle j’ai un faible. Logo imparfait, manque de puissance, mais j’aime bien l’idée de bousculer l’establishment. Par contre la structure typographique, la subtilité de la grille montée sur 5 col. avec une économie des moyens dans l’usage des filets verticaux (c’était une demande personnelle, préalable à toutes les maquettes, parce que j’étais parti du principe qu’un bon projet doit se tenir sans filets de séparation, on n’en rajoute que pour suggérer, ou lorsqu’il en va vraiment de la compréhension de l’articulation du journal). J’aime beaucoup cette irruption des codes graphiques «magazines» dans l’élaboration d’un quotidien. Le journal est lisible, rythmé, architecturé… prêt à être rubriqué. Et toujours un traitement noir et blanc de la photo qui lui redonne cette dimension qui manque complètement aux photos couleurs. En découvrant cette maquette j’ai pensé à Robert Delpire qui aimait allier la belle photo d’un André Kertész avec des typos lubaliniennes. Lisibilité et élégance.
Vous remarquerez aussi le remarquable travail sur les gris typos. je sais c’est mon DaDa, mais n’est-ce pas là la texture même du journal qui est en jeu. À quoi servirait de faire une belle maquette avec une typo mal réglée (cf. ma note sur le gris typo dans la rubrique lisibilité-visibilité). [typographie: Versailles et Trade Gothic]
maquettes de Pascal Vu Duc-Huy, que je trouve intéressant pour avoir installé d’abord une grille sur six col. puis un équilibre judicieux entre texte et photos (toujours noirs et blanc). Le journal est trop propre, entendez par là qu’on sent sinon l’amateurisme, un manque d’engagement journalistique. Là les rédacteurs devront se faire une place, revendiquer leur espace. Mais les choix d’un éditing sont là. Un Franklin Gothic ExtraCond et un New Aster ainsi que l’Optima et l’Eurostyle Bold qui viennent rythmer les enjeux d’une information sans cesse en mouvement. Cette maquette n’est sans doute pas finie. Les inters manquent. Les articles sont trop longs, il faudra restructurer. Mais là encore pas de filets. Et ce parti pris donne une grande élégance contemporaine à cette mise en page. Reste qu’il y a tout à reprendre, revoir et corriger. Sur de bonnes bases. C’est tout.
Ce programme a bénéficié de 12 heures de cours en classe et le reste au domicile des élèves.
Le sujet de ce rendu n’était qu’un prétexte (bien à propos) pour habituer les étudiants à découvrir et monter une grille de journal (jamais fait auparavant), à régler une qualité de composition, à évaluer des masses de textes en fonction d’un espace donné, à découvrir aussi la typographie, les conditions d’une lisibilité optimale, les valeurs d’emphase et d’élégance gutenbergiennes. Les quelques règles en usage. Mais aussi et surtout à mettre la typographie au service d’un message, d’une information, d’un produit. Le Monde n’en est pas un, on l’a déjà dit ici, mais il se fabrique selon des usages, des codes et des chartes de qualité. Et surtout avec une envie d’en découdre avec l’information! Ce travail ne peut-être jugé qu’à l’aune de conditions de réalisation identiques avec des étudiants-graphistes.
J’ajouterai sans doute encore quelques commentaires et répondrai volontiers aux vôtres qui sont les bienvenus.
Download tagliaferri_claire.pdf
Ci-dessus la maquette de Claire Tagliaferri au format réel. Vaut la peine de la regarder en détail.
(avec son aimable autorisation)
Merci Peter