l’Histoire des Magazines typoGabor N°5 | Les TypeDirectors

« TypoGabor présente » N°5 | Les TypeDirectors

Juin 1982 | Avec l’aimable autorisation de Frank Adebiaye.

Même si certaines manifestations graphiques sont en germe dès 1968, typoGabor est fondée en 1973 par Paul et Peter Gabor. L’activité de la société est double : atelier de création graphique autour des clients historiques de Paul Gabor et société de services typographiques sous l’égide de Peter Gabor.

Les premières années de typoGabor sont rythmées par le fonctionnement coûteux et limité des Diatronic de Berthold. Tant et si bien qu’à la fin des années 1970, la continuité d’exploitation semble compromise. C’est à la faveur d’une annonce dans la revue CARACTÈRE que Peter Gabor découvre l’AlphaType. Il y voit l’amorce d’une révolution du digital. Ce sera son ami (depuis) Raymond Aubry, chef d’Atelier de Graphiservice à Bruxelles qui achèvera de le convaincre.

Un système de composition américain venant de Chicago, qui pour la première fois, propose non plus d’acheter mais de louer (prix dérisoire) des polices de caractères, ce qui porte l’offre et la diversité typographiques à un niveau inédit : 1 000 polices contre 80 sur Diatronic auxquels s’ajoutent 16 polices supplémentaires tous les mois. « typoGabor présente » naît en 1980 de deux constats.

Il ne s’agit plus de faire de la Pub pour une entreprise, mais d’informer et d’éduquer un marché. La Publicité. Un marché où s’affrontaient une trentaine de concurrents proposant tous à peu près les mêmes services (24/24, coursiers, catalogues de calibrage gratuits et qualité de composition supérieure à celle de l’édition ou de la Presse). typoGabor connaît alors le succès.

Les Directeurs Artistiques affluent et les commandes doublent de volume en l’espace de 2 ans. Mais la formule marketing du magazine ne plaisait plus à Peter Gabor. Il y préféra une formule nouvelle autorisant toutes les expérimentations typographiques. Le magazine littéraire de typoGabor était né. Plusieurs directeurs artistiques vont se succéder dans les cuisines typographiques de la maison Gabor. Bill Butt, Jérôme Binda, Philippe Duriez et pour finir Paul Gabor qui revient en 89 par une magistrale œuvre consacré aux Droits de l’Homme. L’Âge d’Homme.

L’expérience de la photocomposition fut de courte durée. Le Postscript arrive sous la forme commercialisée d’Adobe Type Manager et tous les prestataires de composition perdent 50 clients par jour à partir de 1990. Peter Gabor tenta encore d’adapter son entreprise en devenant le premier compositeur qui a basculé la totalité de son fonds sur Macintosh. Mais les dettes s’accumulant et victime d’un administrateur judiciaire peu scrupuleux, il finit par baisser les bras, non sans avoir personnellement créé 4 polices de caractères pour le Journal Libération en 1994.

Une aventure de vie passée à promouvoir la diversité et la qualité de composition, parce que comme l’aimait à rappeler son père Paul, d’après une phrase de Jean Cocteau : «Le style n’est pas une danse mais une démarche».


Couverture composée en Barcelona ITC. Cette couverture est l’une des plus étrange de toute la collection des magazines typoGabor Présente. De fait c’était un clin d’œil à la profession publicitaire. Il n’y avait pas de Type Director dans les Agences Parisiennes. À part Allison Girard qui travaillait (si ma mémoire ne me fait pas défaut) à la JWT, il n’y avait jamais eu de typeDirector en France. Et même aujourd’hui, encore, je n’en connais qu’un seul, Thomas Linard, de mes amis. Les raisons sont innombrables. La France n’a jamais privilégié la typoGraphie jusqu’à encore récemment. C’est sans doute les nouveaux outils du numérique, qui ont donné l’accès à la création typographique, sans plus être obligé de gratter de la carte, que les Directeurs Artistiques contemporains font assaut de créativité, soit en redessinant des typos, soit en les faisant redessiner par quelques studios spécialisés.

Les typothèques innombrables, les TypeKit d’Adobe, le foisonnement des fonderies indépendantes dans le monde entier ont libéré des énergies créatrices. Et puis il faut l’avouer, on a découvert assez tardivement le rôle prépondérant du signe en France. J’ose croire que dans les années 70 et 80 une société comme typoGabor s’est illustré précisément dans ce rôle de pédagogue et d’éducation du regard. Nombre d’écoles d’Art à l’époque ne s’occupaient guère de former l’acuité intellectuelle et visuelle aux formes typographiques et de la composition. La typoGraphie est un langage à part entière. Avec sa grammaire, sa syntaxe et son vocabulaire (de formes).


Diriger une société de photocomposition et de phototitrage n’était pas une mince affaire. Passer de 0 salarié à 60 en l’espace de 17 ans. Un travail acharné de chaque jour. Rendu d’autant plus délicat que l’entreprise œuvrait jour et nuit. 24/24. Les problèmes techniques, de production et de choix commerciaux se posaient donc à un rythme quotidien qui s’étalait sur 24 heures. Un choix assumé. Mais l’on ne peut compter le nombre de nuits blanches que l’on peut y passer. C’était devenu une habitude, presque une routine. 5‑6 heures de sommeil quotidiens. C’est tout. Parfois un immense plaisir. Revenir à l’écriture. Les magazines me donnaient cette occasion que je n’aurais raté pour rien au monde.



• Et toujours le plaisir de mettre en avant le travail des étudiants en Arts Graphiques de l’ESAG/Penninghen où j’enseignais tous les samedis après mon mandat de la semaine.


Ici un très article sur la situation des techniques en 1982. Vous pouvez cliquer sur la reproduction. Et re-cliquer pour zoomer sur le texte. Intéressante lecture pour comprendre les enjeux industriels d’une époque charnière où l’on commençait à recevoir des textes tapuscrits par des machines de traitement de textes. Plus besoin donc de re-saisir la dactylographie des textes. Ce fut une petite révolution pour les flux de production. Le Salon de la Bureautique, le Sicob se tenait chaque année pour présenter les nouveaux systèmes de traitement de textes. Nous sommes 2 an avant la naissance du Macintosh et Windows n’existait pas encore.

Présenter un caractère, nouveau, qui nous vient tout droit des laboratoires de recherche d’Alphatype demandait un travail considérable. Tester les polices. Retravailler toutes les tables d’approches en fonction de la langue française (merci Serge Cortesi). Alors vous imaginez bien Trois familles de polices, Barcelona, Cushing et Galliard, avec toutes les déclinaisons de romains et d’italiques. Un travail de fourmi. Énorme. Et c’est une fois cette préparation accomplie que nous pouvions seulement faire la promotion des nouveautés dans nos magazines. On n’imagine absolument pas la charge, la pression et le travail que cela représentait. Qui de plus est, lorsque vous êtes victimes de votre notoriété de qualité, le trac vous assaille chaque jour. Faire mieux et toujours mieux. Et rester convivial et calme avec ses collaborateurs et ses clients. Pas toujours simple. Mais une aventure si belle.




typoGabor fournissait la typo à beaucoup de magazines, Elle, mais aussi Actuel de Jean-François Bizot. Annie Krivitzky était la Directrice Artistique du magazine sous la responsabilité d’Emile Laugier Directeur de Créa. J’avais interviewé Annie sur les difficultés et le plaisir d’offcier à la maquette d’Actuel. Et puis pendant qu’on y était je lui ai demandé de mettre en page cette intervention à la manière de… cela donne ces quelques pages totalement décalé dans un magazine typo qui se voulait plutôt sage et classique. Je me souviens des grognements de Paul Gabor. Mais il accepta finalement cette intervention extérieure. Il adorait Annie qui avait été son ancienne élève à Penninghen. Cela sert la sympathie réciproque.





Et à partir de 81‑82 les magazines étaient l’occasion d’annoncer en avant première le lancement des polices américaines issues de la collection Alphatype. On ne pouvait pas réimprimer 1200 pages de catalogue de calibrage à chaque lancement. Le magazine servait alors de banc d’essai et de présentation temporaire en attendant l’insertion des nouveautés dans le typeBook que nous lancions environ tous les deux ans. Je consacrais environ 6 % du chiffre d’affaires de typoGabor au budget de la com’ de l’entreprise. C’était à la fois beaucoup et raisonnable. Un choix aussi. Nombre de mes confrères offraient des cadeaux de fin d’année « très significatifs » à leurs clients. J’avais fait l’impasse sur ces pratiques assez toxiques et je préférais investir dans la com de typoGabor. Cela me semblait plus vertueux et plus pérenne.









Ce contenu a été publié dans Formation et méthodo, Méthodologie, Ouvrages et Expressions, Production Graphique, Typo | Histoire, Typographie de magazine, Typographie et typographies. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.