L’Officiel de la Mode | les archives de la Mode depuis 1920 | publication #2

1ère publication le 05/06/2008

Il s’agit sans doute d’une des plus belles aventures dans le monde des magazines de Mode que j’ai pu observer depuis une quarantaine d’années.

Ce qui fonde cette réflexion vient naturellement de la volonté même de Marie-José Susskind Jalou, le PDG du Groupe, d’être non seulement une femme d’affaires, un chef d’entreprise d’un conglomérat de publications de Mode, mais d’assurer dans le même temps un rôle de conservateur, d’une sorte de musée vivant de la mode imprimée, publiée. Je n’en veux pour preuve que l’adresse du site internet où vous pouvez lire et regarder les magazines disponibles en kiosque, sans aucune restriction, sans avoir à débourser le moindre denier. C’est une première et cela mérite d’être largement souligné.

Ce faisant nous disposons grâce à cette volonté muséographique d’un véritable outil d’étude tant pour les spécialistes de la mode que pour les graphistes, designers et même les créateurs typographes qui peuvent se documenter sur les tendances de chaque époque depuis ces temps reculés d’avant guerre (de la 1ère guerre mondiale s’entend). Voici ci-dessous l’un des derniers numéros de l’Officiel de la Mode de 2008. Examinez-en la modernité, les effets de styles graphiques et de mise en scène qui profitent des dernières avancées technologiques des systèmes de mise en page d’aujourd’hui. Adobe Photoshop, Illustrator, InDesign sont bien sûr au cœur des dispositifs de production et cela se voit et se sent. Tant pour la souplesse des imbrications textes images que pour la parfaite maîtrise du travail sur les images et leur mise en scène.

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Mais pour bien comprendre cette aventure remarquable, examinez les premières archives de cet éditeur exemplaire. Elles datent des années 1920 et sont entièrement en «ligne». Numéro par numéro, agrandissable plein écran, ce qui en fait une véritable référence de travail pour les documentalistes et les experts en design graphique.

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Là nous sommes dans les années 20, textes images. Mais déjà une tendance lourde qui se dégage: le détourage des illustrations et plus tard des photographies de mode. Un artifice universellement employé dans les mag’ de Mode pour signifier l’intemporalité d’un vêtement. On a là vraiment les deux systèmes de représentation de base qui s’opposent. Corps+vêtement détouré = intemporalité permutable vs Corps+vêtement en situation dans un décor = scénographie dénotée, où l’anecdote du décor crée le système de Mode saisonnier donc non permutable.

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On a souvent décrié le design graphique Français comme ayant été à la traine du graphisme du Bauhaus et des suprématistes soviétiques. Or on constate ici tout le contraire, l’entre-deux-guerres a été l’occasion d’une éclosion majeure en France des sensibilités structurelles qui ont marqué la Mode comme aucun autre secteur de l’expression artistique.

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Curieusement aussi à partir de 1935 le modernisme se gomme. Nous sommes à la veille du Front Populaire et les couvertures de l’Officiel en reviennent à des expressions très fluides, voire calligraphiques (les titres), comme par opposition au monde germanique en devenir.

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Cette double page illustre très bien l’autre modèle de représentation «anecdotique» et «temporelle» qui dénote la Mode en tant qu’expression d’une saison, d’un moment unique. Les personnages sont photographiés dans la nature ou bien dans l’urbanisme, connotant la saison qui chasse la saison précédente. Typographie minimaliste. Un pavé, une lettrine et deux petites photographies qui se «baladent» librement dans un blanc élégant. Les pages de Mode relèvent d’une narration dont le vocabulaire et la sémiotique sont réglés par avance. Nous y reviendrons.

La Mode n’a pas disparu durant la Deuxième Guerre Mondiale. Non que ce secteur ait collaboré avec l’occupant, au contraire, Mme Carven s’est vu même interdire une collection après un défilé patriotique et mouvementé, et l’Officiel a failli également être interdit pour cause de comportement trop patriotique (couvertures tricolores aux couleurs du drapeau français. Il est certain pour reprendre le débat concernant l’exposition photo à la mairie de Paris «des Français sous l’occupation» qu’en ces périodes difficiles seules les femmes les plus «protégées» pouvaient accéder à un tel luxe. Mais franchement, lorsqu’on examine les prix de la haute couture d’aujourd’hui il n’y a pas grand chose de changé, nonobstant les hurlements d’une Christine Boutin qui déclare à l’Assemblée Nationale (en ce mois de mai 2008) que la Lutte des Classes c’est fini. Les musiciens, comédiens, photographes et artistes en tous genres qui travaillaient pour survivre devaient mettre bien souvent un mouchoir sur leur désir de patriotisme. Et j’en profite ici pour rappeler un élément économique d’une première importance:

La Mode, ce n’est pas seulement une jolie mannequin défilant sur un podium. Ce genre de réduction est tout juste bon pour alimenter des discussions dans une cellule de Lutte Ouvrière. De fait, la Mode est un secteur économique majeur en France. Une véritable filière économique qui comprend l’élevage et le fil (quand ce n’est pas importé), le textile et sa transformation, les bureaux de styles, la création haute couture, les nombreux ouvriers et ouvrières salariés ou petites mains, l’assemblage bien sûr, les défilés, les photographies, les magazines et TV-producing, jusques sur la table de la salle d’attente de votre médecin de famille. Des centaines de milliers de gens qui vivent quotidiennement d’une industrie qui semble tellement superflue. Première fausse idée. Deuxième fausse idée, l’inutilité de la Mode.

Nous pouvons bien entendu imaginer un monde où tout le monde serait vêtu pareil. On l’a déjà vu, sous les régimes militaires et fascistes qui font la part belle à l’uniforme du collectif en oubliant l’individu. Or à en croire McLuhan, le vêtement est le prolongement du corps. Textile, cuir, accessoires qui viennent aussi préciser la silhouette mais aussi l’être social et professionnel. On parle de dresscode dans les flyers pour les soirées «branchées». Langage, le vêtement est bien plus que cela, il est signe et signifiant à la fois. Il nous narre qui nous sommes, de l’ouvrier au cadre commercial en passant par les vêtements spécialisés (travaux publics, femme enceinte, motard, blouse de travail, tenues d’artistes etc.).

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Où l’on voit précisément ici la place du textile dans le magazine.

Les années 50 ont été marquées par un antigermanisme assez décevant sur le plan artistique. On a oublié les recherches graphiques de Moholy Nagy, de Klee ou de Mondrian. Les rares transfuges de cette école se retrouvent désormais sur la cinquième avenue de l’autre côté de l’atlantique où le HARPER’S, et Vogue vont inventer la modernité grâce aux talents d’un Brodowitch et Richard Avedon

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Nous sommes là en septembre 1957. Une année un peu particulière pour moi, puisque je suis arrivé en France au mois d’Août 1957. Et ce rouge, très exactement comme dit la chanson de Pierrot le Fou, très exactement sous le soleil de 57, ma mère portait des robes d’un rouge aussi Ferrari. Remarquable aussi la Mode pour cette faculté qu’elle a de nous rappeler une époque, un instant particulier, des émotions fugaces et si importantes pourtant. La Mode, anecdotique, superficielle, certes, mais tellement proche de notre besoin de repères, de racines, de mémoire tout simplement. Ici une femme, telle Audrey Hepburn dans Charade de Stanley Donen qui vit presque librement, qui affirme déjà la femme indépendante, précurseur de la femme des années 80 qui virent la consécration de la libération de la Femme de mai 68.

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Une typographie, qui se joue et qui joue de la Mode, accessoire ultime, code d’élégance qui donne la réplique aux personnages en quête d’un monde meilleur, pour elles-même d’abord. On ne parlait pas encore de développement durable.

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Ce numéro est un peu fétiche car il correspond à la date approximative où Kennedy fut assassiné. La Mode, excepté quelques rares revues et magazines tels ELLE ou The Face, plus tard, ne rendent pas compte en général de l’actualité. C’est la robe, le tissu, la posture du mannequin qui nous donnent le plus d’infos sur l’époque et les tendances d’un moment. Dans les pages ci-dessous, ou le directeur artistique renoue avec le jeu dadaiste entremêle les corps, utilise un caractère qui devient très mode dans les années 90 l’Empire. Trop cocasse.

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Et nous arrivons à l’été 1968. Mais fêter le quarantième anniversaire de ce non-événement comme aime à le dire notre cher Président, c’est aussi tenter de repérer dans la photo de l’époque ce qui fait sens d’une nouvelle liberté re-trouvée. (de fait le Moyen Âge a été bien plus licencieux que nos deux cent dernières années).

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La femme s’émancipe, d’objet elle va devenir sujet. De convoitise certes, mais le rapport change et même si Beauvoir s’est battue pour cette liberté, les femmes durent attendre encore quelques années, notamment les années 80 pour enfin accéder à une stature sociale véritablement paritaire. Observez les silhouettes détourées ci-dessus, gestes de la liberté conceptuelle donc universelle versus les femmes ci-dessous qui dans un décor sombre ou allongées sur les galets d’Etretat rappellent un moment, un instant particulier, un repère dans la journée, dans la saison. Et c’est ainsi que fonctionne la Mode, renvoyant sans cesse la lectrice de l’universel de sa condition à l’impertinente seconde du moment. La photographie de Mode crée ainsi le désir, si, si tant est qu’elle soit légendée. Car «une photographie sans légende est saturée de sens» disait Roland Barthes dans le «Système de la Mode». Ouvrage de sémiologue et de sociologie de la Mode écrit sur un mode majeur pour aider les «opérateurs» de ce secteur économique à mieux maîtriser les outils linguistiques et photographiques qu’ils utilisent chaque jour.

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En cliquant sur ces vignettes je vous emmène directement sur la page sommaire de toutes ces dates où vous pourrez consultez dans le détail chaque numéro de chaque saison.


Idem: en cliquant sur ces vignettes je vous emmène directement sur la page sommaire de toutes ces dates où vous pourrez consultez dans le détail chaque numéro.

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Nous sommes là à un moment charnière. 1988, dernière année où l’on fabriquait encore un magazine avec des moyens techniques traditionnels, photocomposition, phototitrage, montage manuel des photos et textes en atelier de photogravure. Les mises en page sont encore empesées, on sent très nettement la lourdeur industrielle qui encadre la publication. Dès le début des années 90, la révolution du numérique va bousculer ce monde révolu et permettre aux directeurs artistiques d’inventer une créativité, une élégance à la fois légère et parfaitement adaptée au discours de la Mode.

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L’Officiel de la Mode, de par sa direction familiale et ses choix éditoriaux a toujours été, jusqu’au milieu des années 80 plus proche des couturiers, des créateurs, du modèle économique de la Mode que de ses lecteurs. C’est un magazine qui n’obéissait qu’à la passion de ses dirigeants pour la Mode, sans se préoccuper d’OJD, de la ménagère CSP qq chose. Les choses ont changé. Le monde a évolué comme aime à le dire la directrice du groupe Marie-José Susskind Jalou. Dans un monde globalisé où le magazine est aujourd’hui présent sur presque tous les continents, désormais la publication est mise en scène et écrite pour à la fois satisfaire et toujours le système de la Mode mais aussi et surtout pour les lectrices. Le marketing est entré dans la maison. Ce n’est pas un mal puisque les derniers numéros, que je vous présente au début de ce billet témoignent de la sophistication d’une mise en page et d’une qualité photographique rarement atteinte.

Quelques informations:

Tout d’abord une profession de foi de Marie-José Susskind Jalou.

Les Editions Jalou publient de nombreux magazines, dont notamment l’Officiel de la Mode, l’Officiel Hommes, Jalouse, l’Optimum, la Revue des Montres …
Pour en savoir plus sur le groupe : http://www.jalougallery.com/jalou-corporate-magazines.php

Du côté de Jalou:
Marie-José Susskind-Jalou, Directrice de la publication du groupe Les Editions Jalou
Benjamin Eymère, Directeur Editorial du groupe et notamment du site
Gérald Chevalier, Responsable du Patrimoine, qui a piloté le projet des archives depuis ses débuts en 2003

Du côté de la réalisation
La société ARKHÊNUM, spécialisée dans la numérisation (http://www.arkhenum.fr/)
L’agence CALIKO, (www.caliko-paris.com) qui a réalisé le site (conception, ergonomie et développement), avec Thomas Lépine comme responsable du projet
La société Texio pour l’hébergement du site (http://www.texio.com)

Un grand merci à Thomas Lépine et Gérald Chavalier, sans qui je n’aurai pu réunir toutes ces informations. ©design et typo

Conclusion: le travail d’archivage et plus récemment de mise en ligne des textes indexées de chaque numéro accompagnant les reproductions est absolument exceptionnel dans le paysage de l’édition de luxe. Un bruit court que les éditions Condé Nast (Vogue) procèdent en ce moment même à la mise en œuvre d’une telle documentation. Comme je le disais ce travail a une importance capitale, aussi bien pour les étudiants de création-couture, que pour les graphistes, photographes et les rédacteurs-journalistes qui veulent comprendre le fonctionnement de ce secteur. Rare sont des initiatives privées de cette envergure qui proposent gratuitement un partage de culture au plus grand nombre. Permettez-moi juste de porter un toast symbolique en hommage à ce projet et à ceux et celles qui l’ont initiés.

© peter gabor / graphiste / directeur d’e-artsup

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