Solitude de la Tour Montparnasse, beauté ou laideur?

Regardez bien ces deux photographies, l’une que j’ai prise du dixième étage d’un immeuble du XIVe arrondissement et l’autre, commise par un photographe anonyme à New York, mais dont j’aime infiniment la simplicité et un point de vue presque analogue au mien… enfin si l’on peut considérer que le 40e étage d’un skyscraper est l’équivalent d’un dixième niveau parisien. Mais le sujet n’est pas là.

Nous sommes à l’aube de toutes les révolutions en ce début de XXIe siècle. Révolutions des énergies, de l’agroalimentaire, des organisations humaines et geopolitiques, et, en conséquence de tout cela de changements radicaux à venir dans le paysage urbain des prochaines années. Il est tout à fait possible que les politiques accompagnés de leur sherpas et experts urbanistes arrivent à la conclusion de redéployer la construction verticale des cités voire celle de notre bon vieux Paris. Encore que notre Paris d’aujourd’hui n’a plus grand chose à voir avec celui d’il y a seulement cinquante ans. Mais là n’est pas la question du jour.

Je voulais évoquer avec vous la question de la verticalité parce qu’elle va soulever dans très peu de temps des polémiques à n’en plus finir dans tous les journaux, et sur tous les médias. Et oui, point n’est besoin d’être un expert pour deviner que notre bon Maire de Paris (mais pas seulement lui) va être confronté aux nécessités d’économies d’énergies, et de proposer des solutions de logements sociaux aux normes «durables» et que le coût de traitement de ces types de logements baisseront d’autant qu’elles seront construites dans la verticalité.

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Mais parlons un peu de paysage.

Je n’ai jamais aimé la solitude de La Tour Montparnasse.

Je l’ai vu se construire. J’y ai vu comme beaucoup une similitude avec le parallélépipède de «2001 l’Odyssée de l’Espace», comme un objet céleste déposé délicatement en plein milieu de Paris, en France, sur la Planète Terre perdu au milieu des galaxies.

J’y ai rendu visite à des clients qui avaient élu leur siège au 52e étage, J’y ai bien entendu dîné un jour pour apprécier, comme n’importe quel bourge un peu beauf, la vue «imprenable» de la ville de Molière. Mais je n’ai jamais compris pourquoi cette tour est restée seule érection dans le Ciel de Paris (excepté bien entendu la Tour Eiffel que j’exclus de mon histoire parce qu’il s’agit d’un monument à la gloire de la modernité et non d’une construction à vocation immobilière.)

En vérité cette tour n’est absolument pas laide, d’abord parce qu’elle est unique est donc joue un rôle référentiel hors du temps. Cependant a contrario il y a quelque chose qui m’a toujours dérangé dans cette solitude. Absolument pas son aspect érectile et phallique, mais bien plutôt l’obscénité de sa solitude. Cette Tour est seule et ne renvoie à rien sinon quelques références au film de Kubrick. Et encore. Cette solitude s’exprime avec simplicité, car sa figuration ne se joue pas seulement dans la hauteur mais aussi dans la coloration sombre qui dénote sur la «couleur parisienne» dans l’ensemble assez grise. Et puisque seule, cette Tour, sans contrepoint, sans contre champ, sans rythme ni musicalité, elle finit par installer voire instiller au paysage parisien un silence galactique.

Il suffit de regarder la photographie de New York juste en dessous pour comprendre mon sentiment. Là il y a multitude de hauteurs qui se concurrencent tels les hommes luttant pour le pouvoir suprême, les immeubles se causent et se racontent leur histoire de hauteurs, de matériaux, de crise financière et du jazz et des films de Woody Allen… On peut écouter une musque de Gershwin sur ce paysage de skyscrapers, je ne vois que Satie ou peut être Bartók pour dire le drame de notre Tour Montmoderne, Montparnasse, Parnasse… Et je vous cite Baudelaire qui aurait pu appartenir au mouvement parnassien:

Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre
Et mon sein, où chacun s’est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Éternel et muet ainsi que la matière.

Je trône dans l’azur comme un sphinx incompris ;
J’unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.

Les poètes, devant mes grandes attitudes,
Que j’ai l’air d’emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d’austères études ;

Car j’ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles :
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !

J’aime Baudelaire. Qui n’aime pas Baudelaire? Il y a *Beau* dans un nom prédestiné à la musique de l’âme. Et il dit au fond si bien ce que j’ai tant de mal à exprimer. Cette Tour Montparnasse ne racconte rien du tout, elle est silence et muette, et nous nargue de son intelligence massive. Elle n’est pas laide, o non, elle est juste morte, simplement, de n’avoir jamais eu à répondre de son existence dans le miroir d’autres verticalités qui eussent du normalement l’accompagner. Voilà le défi qui attend nos urbanistes et notre bon Maire, celui de redessiner un Paris un peu plus bavard.

Le quartier de la Défense

le hasard y tisse les mailles d’un paysage qui prend vie parce qu’il racconte l’ambition *très* mesurée des hommes.

© photographies peter gabor

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0 réponse à Solitude de la Tour Montparnasse, beauté ou laideur?

  1. thbz dit :

    Je fais partie des « principaux intéressés » évoqués là-haut, c’est-à-dire que j’habite dans des tours parisiennes depuis longtemps. Et j’aime ça ? Oui, absolument.

    J’aime voir le ciel changer d’une saison à l’autre, le soleil se lever à un endroit différent chaque jour. Cela peut en surprendre certains, mais on est plus près de l’environnement naturel dans une tour qu’au 3e étage d’un immeuble traditionnel où on n’aperçoit un coin de ciel qu’en se penchant par la fenêtre. On s’habitue à tout cela ; lorsque j’ai quitté ma première tour, je n’ai pas pu me résoudre à descendre dans un appartement traditionnel où mon ciel aurait été bouché par un immeuble (fût-il en pierre de taille) de l’autre côté de la rue. Je suis donc allé dans une autre tour…

    Est-ce que c’est pour autant la solution aux problèmes de logement ? Non, en tout pas la solution unique.

    Je crois qu’il est très agréable de vivre dans une tour de standing, bien entretenue. Le turn-over est très faible. En réponse à ikou, les gens se parlent bien plus dans un ascenseur, surtout s’il va haut, que dans un escalier ; le hall et le gardien, généralement absents dans les immeubles bas, sont aussi des espaces permettant une certaine convivialité pour ceux qui le souhaitent (tout en permettant à ceux qui le préfèrent d’ignorer leurs voisins, aussi bien que dans n’importe quel immeuble parisien ; j’aime le droit à la solitude qu’accordent les grandes villes). Et je peux récupérer mes clés ou un colis auprès du gardien à 3h du matin.

    Je crois aussi que ça ne se passe pas comme cela dans toutes les tours. J’ai eu des échos très différents de personnes ayant habité dans des tours moins bien entretenues (pour parler clairement : où les habitants ont moins d’argent). Les parties communes sont moins agréables, les halls d’entrée moins sécurisés. Et je ne suis pas sûr qu’une tour soit idéale pour des enfants, qui ne peuvent pas jouer dans la cour comme sur les photos de Doisneau.

    Bref, je n’idéalise pas. Et je ne crois pas non plus à l’argument de la densification, qui ne passe pas forcément par les tours. Mais je crois qu’il ne faut pas pour autant écarter complètement les tours.

    Il faut juste éviter les erreurs des années 60 : les dalles sans vie (et compliquées à entretenir) et les tours sans attrait architectural. Malheureusement, ces deux éléments paraissent à beaucoup de Français indissociables des tours, alors que Manhattan montre qu’on peut faire beaucoup mieux.

    (Sur le sujet de l’article : j’avoue que je n’aime pas beaucoup la tour Montparnasse. Forme élégante, mais couleur trop sombre et mauvaise inscription dans le tissu urbain à cause du centre commercial horrible)