Indies Fontes | Le catalogue des indépendants

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2002 a vu l’apparition d’un nouveau type de catalogue de caractères, celui des indépendants. Non qu’il n’y en ait pas eu avant, de catalogues. Au contraire, tout le XXe siècle est jalonné dans les métiers de la typographie par l’édition successive de catalogues de polices chez les plus grands fondeurs de caractères. Les américains (Photolettering Inc en tête dès 1927), les Allemands (Stempel, Berthold), les Anglais (Baskerville, Monotype) et… même les français (Olive et Deberny-Peignot) publient chaque année des tonnes de papier pour référencer leurs nouveautés et donner l’envie aux graphistes de les utiliser. La fonction de ces ouvrages était double, à la fois montrer, et permettre aux artistes, directeurs artistiques de «calibrer» leur texte, c’est à dire prévoir lors de leurs commandes de typo la taille et/ou la justification des lignes afin de les ajuster à leur maquette.

Les nouvelles technologies, grâce au langage Postscript© ont libéré le monde traditionnel des contraintes industrielles, ce faisant a permis à tous les typographes, graphistes, étudiants de s’emparer de la lettre pour la dessiner, la fabriquer au sein d’un système qu’on appelle une police vectorielle. Au format Postscript (Type I) ou plus tard True Type (d’Apple) ou encore plus récemment OpenType qui est un progrès notoire dans la mesure où ces polices sont protables d’un MacOS à un PC en toute transparence.

De fait on a pû croire que les catalogues papier sont devenues obsolètes, tant les nouveaux vendeurs et revendeurs de typo peuvent profiter d’Internet pour présenter leurs typos et les vendre en ligne. Ce faisant on a sans doute commis une erreur considérable. La typo vient du papier, et retrourne encore et pour longtemps au papier. On a besoin de la voir dans la lumière réfléchie, de la voire composée en titre, en pavé de texte avant de prendre la décision d’achat qui reste, malgré une baisse considérable du prix, un acte d’investissement encore assez lourd dans nos métiers.

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Le premier à avoir compris la nécessité de revenir au papier, ce fut et très tôt Eric Spiekerman, qui en lançant FontShop n’a pas hésité à investir des milliers de Deutschmark pour éditer des gros pavés de nuancier typographique. Presque en même temps, Adobe se lançait dans la même aventure, et petit à petit, les nouveaux fondeurs-distributeurs prenaient la place des anciennes fonderies qui soit disparaissaient purement et simplement, soit fusionnaient pour tenter de survivre.

On aurait pû croire que le système avait trouvé un nouvel équilibre, c’était sans compter les innombrables graphistes et typographes dans le monde entier qui voulaient à leur tour montrer leur production. D’abord sur internet, distribuant par-ci par-là des pages pdf de leur catalogue puis petit à petit pour les plus solides d’entre-eux sur papier. Mais ils restaient pour autant éparpillés et non visibles au millieu de l’immense catalogue des principaux acteurs industriels comme Adobe ou Linotype.

C’est donc une première que l’édition de ce catalogue d’Indies Fontes (Indies pour Independant), qui regroupe plusieurs petites fonderies numériques et présente leur collection d’une façon aussi vendeuse que le meilleur des catalogues de FontShop.

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Les choix de caractères sont multiforme. Aussi bien des Displays (Titrage) que des Labeurs (texte courant). Bon nombre d’entre eux sont des rerprises, pour ne pas dire des plagiats, mais il s’agit là d’un débat d’anthologie dans la mesure où les plus grands typographes encore vivant de nos jours ont commis parfois des opérations des plus contestables. Que ce soit Mattew Carter qui au sein de Bitstream renomme des caractères en évitant de payer des droits aux fonderies d’origine (mais en rémunérant les créateurs j’imagine), ou de façon plus brutale un Colin Brignall, directeur de la typo chez Letraset qui signe un caractère nommé le Romic qui était une copie conforme d’une création de Claude Médiavilla. Mais la plupart des autres plagiats sont plutôt des reprises, des adaptations de formes existantes avec de-ci de-là des améliorations qui pour des questions de lisibilité, qui pour des raisons ergonomiques de calibrage (notamment pour la presse).

On a vu plus récemment une opération encore plus scandaleuse avec Microsoft qui renomme l’Helvetica en Arial en changeant à peine les lettres (mais selon les accords de Vienne de 1963-1965, il suffit de changer quelques formes sur une dizaine de lettres pour qu’un alphabet soit reconnue original). D’autres plus honnêtes comme Berthold avaient sous la férule du Docteur Gherard Langhe redessiné complètement l’Helvetica pour le dénommer l’Akzidenz Grotesk.

Plus de cinquante pour cent de la production présente dans le catalogue d’Indie Font concerne des caractères dits de fantaisie que je nommerai Display par respect pour leur auteur qui prennent leur travail très au sérieux ;-).

Ce qui fait la qualité de ce catalogue, c’est aussi sa présentation, des pages titres attrayants, des mises-en-page qui changent selon les typos et/ou les fonderies ce qui en fait un ouvrage vivant et beaucoup moins rébarbatif que ceux que j’ai pu moi-même et bon nombre de mes confrères en publier. Nous sommes à l’intersection de deux types de publication. Le Catalogue pour voir et le catalogue pour donner envie. Ce que j’avais réalisé à l’aide de mes magazines typo dans les années 80.

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La qualité intrinsèque des typos est très variable. Bon nombre d’entre-elles, d’origine américaine n’ont pas tous les accents, ou tout simplement le signe de l’euro. Signe tangible d’un marché américain omniprésent et dominateur. Autant dire qu’ils se contrefichent des caractères européens de l’est qui représente pour eux un marché ridicule (mais réel). Les dessins eux mêmes font souvent preuve d’un amateurisme technique-typo évident et je m’en explique ici, et ici. Mais le réultat est là. Si vous pensiez que la typo c’est fini, alors vous vous trompiez, lourdement. Les circuits de distribution ont changé certes, mais la création typo n’a jamais été aussi vivante que de nos jours. Au fond la seule chose qui a réellement changé avec le monde «d’avant» c’est l’absence de sélection à l’édition de ces fontes. Pour faire djeune, je dirais, vas y va, c’est pas bon, pas grave. J’occupe le territoire, pour pas dire «je pisse au quatre coins de…».

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Les David Carson et Neville Brody sont passés par là, mais leur style s’est démocratisé, repris par tous les jeunes graphistes, étudiants ou professionnels. La mécanique du vectoriel et des transparences permettent toutes les fantaisies et laissent libre cours à l’imaginaire le plus inventif.

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L’occasion aussi de revenir au dessin, à l’illustration pour installer l’ambiance d’une fonderie, institutionnel ou easyprod, la typo n’a jamais eu autant d’ambassadeurs dans le monde.

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Des compositions compactes à la manière de Font Bureau.

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Des théories sur la lisibilité illustrées par des fontes «mots-silhouettes».

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Des créations à la Neville Brody, encore lui, mais c’est vrai qu’il a publié chez FontShop des pages de garde d’anthologie.

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De très belles photos aussi pour induire un style, une ambiance.

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Et certains très graphistes architectes qui reviennent aux images structurées à l’extrême. Une sorte de manière de montrer qu’on maîtrise la Chose.

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Et pour vous montrer un catalogue d’un autre temps voici au dessus  un lien (en cliquant sur l’image) qui vous amène visiter le catalogue de Photolettering, mise à jour de 1971, qui contenait déjà plusieurs milliers de fontes. Toutes dessinées à l’époque à la main.

Référence: Indie Font, publié par Rockport Publishers, Inc sous le numéro ISBN 1-59253-123-7. Disponible dans toutes les bonnes librairies graphiques et entre autres chez Artazart, quai de Valmy, Paris 10e. L’ouvrage est accompagné par un CD Rom contenant une trentaine de fontes que vous pouvez visualiser ici.

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0 réponse à Indies Fontes | Le catalogue des indépendants

  1. peter dit :

    Merci Anthony, de fait c’est simple, l’éditeur dans son introduction prévient le lecteur que la seule possession du livre lui octroye les licences d’utilisation des fontes figurant sur le CD Rom. Attention, lorsque vous achetez le livre, vérifiez bien que le CD s’y trouve. J’ai du retourner chez Artazart, parce qu’ils le retiraient par précaution contre les vols ;-)