L’histoire du Times New Roman | l’œuvre de Stanley Morison (3)

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L’IMPRIMERIE DU «PELICAN»
La guerre bat son plein alors que Morison quitte la prison en 1917. L’année précédente pour d’obscures différences d’opinions politiques avec son père, Francis Meynell à l’invitation de George Lansbury quitte la firme paternelle pour rejoindre le Herald. Encouragé par quelque vieilles filles un peu mystiques, il créa un département d’impression au sein du Herald qu’on appellera «the Pelican Press», avec un objectif : imprimer tous les gospels émanant du Krishnamurti que Madame Annie Besant prenait pour le nouveau Messie. Mais il n’y eut pas de gospel. Dommage sans doute, mais pas pour Francis Meynell qui se lança dans l’édition-impression de tout ce qui l’intéressait depuis longtemps. Il marqua ainsi de son sceau non seulement des ouvrages sur la typographie en général mais aussi sur un thème qui lui tenait à cœur, la typographie publicitaire.

Lorsque Meynell prit des responsabilités plus importantes au Herald, il demanda naturellement à Morison de le remplacer à la tête du Pelican Press. Ce dernier avait alors 30 ans, marié, avec responsabilités familiales. Il habitait un cottage à Hollyburry Lane, Hampstead au milieu d’une petite communauté catholique et par commodité proche de l’église St Mary. C’était la première fois qu’il avait à exercer une quelconque autorité, et il prit cela très au sérieux. Il ranima son réseau de connaissances chez Oates & Burns qui ne l’avait jamais oublié, le mentionnant dans le colophon d’un de leurs ouvrages, le «Living Temples» par Bede Jarett.

Carte_voeux1920
carte de vœux 1920 imprimé par Pelican Press

Le Pelican Press était une imprimerie assez extraordinaire. Mais c’était aussi une filiale de la Victoria House Printing Company, imprimeurs du Herald, et leur style était amplement influencé par la vielle garde travailliste. Pour Morison ces deux années passées là furent précieuses. Il apprit tout de l’impression à la composition, des composeuses mécanisés de Monotype à la rédaction de «papiers» pour le journal ; la maquette, le graphisme. Et durant tout ce temps il continuait d’étudier et d’écrire sur l’histoire de la typographie, dont il faisait un usage des plus pragmatiques. Dès qu’il découvrait quelque aspects intéressants, il en publiait des essais comme par exemple celui de «Note on Roccoco Printing» ou «Now and Then» qu’il imprimait pour un journal d’entreprise de Jonathan Cape. Ces efforts se mulipliaient et il en vint à disserter sur l’époque baroque en publiant un «roccoco and neo-roccoco fleurons» pour la Festschrift qui le publiait en l’honneur du cinquantième anniversaire de E.R. Weiss.

Si nous considérons la production de Morison, concernant la connaissance et l’enseignement de la typographie, cette période du Pelican Press fut très prolifique. Il y publia un «The Craft of Printing» (le métier d’imprimeur) et surtout les «Notes on the History of Type Forms». Quand on lui posait la question, Morison était assez sévère avec ces premiers écrits. «Ce papier c’est du pré-Updike (la pire injure) et n’a d’autre valeur qu’esthétique». Il n’avait de cesse cependant d’éclairer ses lecteurs sur la nature des outils typographiques et d’écrire des essais comme celui où il met en lumière l’intime relation entre les Caslon, Didot (de Jensen) et l’Aldus. De même que les influences de la calligraphie sur la typographie. En tous les cas ces plaquettes se lisent encore aujourd’hui très agréablement et sont loin d’être ce qui s’est fait de pire au firmament du Pelican Press.

Enveloppe_pelicanpress
ceci est une enveloppe du Pelican Press contenant une feuille de specimen de composition. L’adresse y est calligraphié de la main de Stanley Morison.

Les spécimens de composition qu’il faisait imprimer en rouge et noir étaient de véritables «tours de force» du métier où il montrait des collections de vignettes décoratives, des fleurons, et les collections de caractères du Pelican qui finirent par attirer l’attention de l’éditeur Franck Sidgwick, un client fidèle de l’imprimerie. Celui-ci admirait de plus en plus le travail remarquable de Stanley. Sidgwick c’est celui qui en publiant le troisième numéro du «The Fleurons» avait déjà cité Morison comme l’expert de la question décorative en typographie, et bien que celui-ci ne souhaitait pas être catalogué comme imprimeur, Franck songeait déjà à le recruter comme tel.

LE CLOISTER PRESS
Alors que Morison œuvrait au Pelican, un publicitaire de Manchester, Charles W. Hobson cherchait à s’adjoindre une imprimerie à ses activités d’agence. Un atelier qui respecterait qualité et élégance d’une production destiné aux éditeurs et à la réclame. Morison et Hobson s’étaient déjà rencontrés en 1917. Ils étaient tombés d’accord sur l’idée que la plupart des gens ne savaient pas correctement composer la typographie (donc les lettres-plomb à l’époque).

Vers 1920 Hobson franchissait le premier pas en créant la Cloister Press Ltd qu’il finit après maintes recherches par installer à quelques encablures au sud de Manchester. C’est là qu’il construisit l’usine pour lequel il fit appel à un expert Walter Lewis, ex manager de la Ballantyne Press et du Complete Press. Celui-ci rappela ses troupes qu’il avait précédemment fait engager chez Ballantyne afin disait-il de créer l’atelier où l’on produirait du bon travail à l’ancienne (il y a toujours plus ancien à chaque époque de l’histoire). Mais Hobson avait une autre idée en tête. Morison. Lorsqu’en 1921 il était client du Pelican, il ne songeait plus qu’au talent de notre typographe. Il le voulait pour diriger l’atelier de composition de Cloister Press, afin d’y veiller chaque jour aux menus détails qui feraient qu’une page composée devenait un régal pour les yeux, exemplaire comme un manuel des bonnes manières. Mais Morison y allait à reculons. Pas enthousiaste du tout. La prairie fleurie de marguerites près de Manchester ne lui disait rien du tout, lui qui aimait à dire à Eric Gill, que ce qu’il préférait le plus au monde… étaient les pavés de Londres. Il n’aimait pas du tout l’idée d’aller vivre dans le nord, loin de la capitale couronnée. Cependant il y a toujours des bénéfices, à toute situation. Et en acceptant l’offre il songeait déjà à étudier les manuscrits et vieux livres qui se trouvaient à la John Rylands Library. Ce n’était pas pour lui déplaire. Et la vie s’écoulait tranquille, pendant qu’il se languissait de Londres. Ce fut une période propice à plusieurs voyages. Hobson l’emmena jouer les découvreurs de papiers et de polices à travers l’Europe, et voilà encore un aspect de la culture de Morison qui vient s’enrichir au contact d’un moulin à papier qui produisait la plus belle pâte qui soit, en Italie, à Fabriano, dans la fabrique de Pietro Miliani. Là ils découvrirent ensemble le plus élégant et le plus beau de tous les papiers qu’ils connaissaient. Une référence qu’il conservera toute sa vie comme une véritable religion.

Distinguished_result_1921
une page du Distinguished Result in Printing, 1921

Cependant qu’à Heaton Mersay, à l’usine du Cloister Press, il réalisait les couvertures de type-catalogues et specimens pour une clientèle, à la fois éditeurs old fashion mais aussi publicitaire, un jour il décida de consacrer une plaquette au caractère Garamond gravé en 1917 par l’American Type Fondery (ATF). Il fit importer 3 corps de cette typo (rappel de l’époque plomb : 1 police = 1 kilogramme de caractère plomb dans un corps donné)… que l’on disait être une assez bonne copie de l’original que personne ne connaissait à l’époque (en Angleterre). Au premier trimestre de 1921 un joli quatre pages fut imprimé avec cette typo et en le voyant Sidgwick, toujours patron des Cloister Press, fut tellement enchanté qu’il décida de faire composer un livre entier en Garamond. Le succès fut au rendez-vous. Et nombre d’imprimeurs-compositeurs voulurent ajouter le Garamond à leur catalogue. Personne ne connaissait les véritables originaux de ce caractère, mais qu’importe. Il plaisait. Et, et c’est ainsi que la chose parvint jusqu’aux yeux fatigués du vieux Humphries, Eric Humphries du Percy Lund, Humphries & Co. Ce dernier qui faisait parti d’un petit clan qui comprenant Harold Curwen, Oliver Simon et… lui-même, en parla à William Burch qui se trouvait être le secrétaire général de la Monotype Corp.
Quelques jours après ils furent appelés à se rencontrer au siège de la compagnie. Burch déclara, enthousiaste, presque les larmes aux yeux : «quitte à ruiner Monotype, je vais faire graver ce Garamond».

La Compagnie Monotype (fabriquant des machines à composer mécanisées) avait pris l’habitude devenue assez courante par la suite chez tous fondeurs et compositeurs de la planète, d’éditer à l’attention de ses clients une sorte de Newsletter, le «Monotype Recorder» sous la forme d’une plaquette de prestige pour promouvoir les métiers de l’industrie typographique et graphique. Elle en confiait la réalisation à chaque édition à l’un de leurs clients les plus presitigieux. Le choix de la compagnie tomba naturellement, et pour des raisons stratégiques sur la Cloister Press. Ce fut la première collaboration Morison avec la Monotype. La mise en forme comme la rédaction lui furent confiées. Intitulé The Old Face, la plaquette, entièrement composé en Caslon était toute entière dédiée à vanter les qualités de ce caractère dont la gravure avait commencé en 1916 à la demande d’un des plus gros clients de la compagnie William Maxwell d’Edimbourd (à la tête de la firme R. & R. Clark) gravure que les efforts consacrés à la guerre avait considérablement ralenti. Mais en 1922 le travail était terminé, prêt à la commercialisation et le succès immédiat qu’il rencontra mit un terme au vieux débat du caractère-plomb-manuel versus caractère-plomb-composé mécaniquement. La qualité était au rendez-vous. Et Stanley Morison y mentionnait Claude Garamond en annonçant la grande nouvelle d’une gravure en cours de réalisation à la Monotype… «et qu’aucun effort ne sera économisé pour produire un modèle d’une qualité irréprochable de ce caractère.»  (suite à venir)

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