EnVille | design réussie d’un urban magazine gratuit

Enville_dsc_0723

Voilà quelque temps que j’ai découvert ce magazine gratuit dans les lieux «branchés» de la capitale (plutôt l’est de paris). Mise en page : William Hessel, un jeune graphiste de 25 ans qui nous propose de revisiter l’univers du magazine urbain avec un brio, un sens du rythme et de l’élégance digne de Vogue ou du HARPER’S.

J’ai voulu aller voir de plus près le fonctionnement graphique et typographique d’une telle réussite. Et pour plusieurs raisons. D’abord parce que par mes sensibilités musicales et typographiques je me sens très proche de sa démarche, ensuite parce qu’après avoir analysé le design du nouveau Figaro, j’avais besoin d’un peu d’air frais et d’apporter une explication irréfutable au malaise que traverse la presse française et peut-être internationale.

Je soulignais précédemment la nécessité pour la Presse de repenser ses modèles économiques au risque de voir continuer sa longue descente infernale. Le magazine EnVille est une démonstration éclatante de ce que l’on peut faire avec un bon concept éditorial, une design strategy, et avec le talent.

Un concept éditorial

À mi-chemin entre la mode et les chroniques urbaines, la musique et les vêtements, les styles de vie et des sujets d’actualité culturelle, EnVille nous fait voyager dans un Paris tactile et poétique. Le sommaire  nous entraîne vers les salles, les sons, les bonnes tables, les expos, vers la mode, et aussi à nous faire rêver vers des voyages de photographes en mal de lointain. Quelques articles décalés avec des entrées dignes du meilleur éditing de Libé : «… Ils ont cru qu’on pouvait s’installer à Marseille comme dans n’importe quelle ville de France. Mais l’adaptation a échoué, et ces Néo-Marseillais n’ont fait que passer».

Enville_dsc_0757

EnVille ne ressemble pas à Zurban ni à aucun autre News culturel. D’abord par le format et l’impression: 265x380mm, on s’approche du petit tabloïd d’un quotidien et cette impression de faux-cheap est renforcé par le papier journal de 60-70g tiré en roto-offset sur une presse italienne qui fait des miracles de qualité compte tenu de ce qu’un tel papier doit boire l’encre comme si vous buviez un litre et demi d’eau en 2 minutes. La photogravure est faite par des professionnels qui ont le sens de l’équilibre de la chromie et des pourcentages d’engraissement de trame journal qui au passage, autre miracle semble s’approcher d’un 175lpi (line per inch).

Je ne vois qu’un exemple de réussite de cette valeur dans la presse, c’est l’édition de Upper & Lower Case lancé par la firme International Typeface Corp dans les années 70, gratuit distribué dans le monde entier à 600.000 ex. afin de promouvoir la création typographique auprès de tous les directeurs artistiques d’agences de pub du monde entier.

Un design strategy excellentissime et le talent en plus:

Un magazine n’est pas seulement du papier divisé en 3-4 ou 6 colonnes avec du titrage, des chapôs, des interlignes et du texte. Comme je le montrais dans mes notes sur Hermann Zapf ou Neville Brody, c’est aussi une oeuvre picturale-tactile. Et William Hessel est particulièrement doué à ce jeu. L’originalité de son design ne réside pas dans ses choix typos. Ce n’est pas l’usage d’un simili Bauhaus pour le titrage, ni l’Abadi de la Monotype (merci Jean-François) qui font l’originalité de ces belles mises en page. Et ne croyez surtout pas que c’est le format, parce que là encore, et nous en avons eu l’exemple avec le Figaro qui dispose de 740 x 500 mm de format ouvert et n’en profite aucunement pour créer un spectacle graphique et/ou typographique.

De fait William Hessel fait de la mise en page-peinture. Il se libère des contraintes d’une grille omniprésente et réductrice, en installant des mosaïques de grilles sur la hauteur des pages (cf.ici). Mais comment fait-il pour que ça ne se «casse pas la gueule» (avec la voix de Paul pour ceux qui l’ont connu)? Il n’utilise quasiment aucun filet séparateur dans tout le magazine, ni vertical ni horizontal. Scandale chez les typos de la presse et des journalistes qu’on a bassiné pendant leurs études sur l’importance des filets. Mais la typo comme je l’expliquais, utilise des formes alphabétiques phonétiques,  et l’absence de signe ou de filet, c’est comme en musique, du silence. WH fait silence entre les pavés par l’utilisation de blancs qui nous font oublier les ruptures de grille. Du coup quelle souplesse, quelle mobilité. La page semble peinte avec la typographie et les images font office d’interstice avec les textes. Élégance, rythme, musicalité sont les adjectifs qui s’imposent le mieux.

Et puisqu’on parle de design strategy, n’oublions pas le rôle essentiel que tient la direction de la photo.
EnVille est un magazine tendance-urbaine. Les photos jouent un rôle doublement important. Elles situent, marquent un territoire de référents catégoriels mais aussi permettent à la rédaction d’embrayer sur une stratégie commerciale. Les pubs présentes en nombre croissant bien que loin d’être bons marché, participent à cette fête visuelle. EnVille choisit apparemment ses annonceurs en fonction de leur accord pour participer visuellement à l’aspect général du News. Pas de pub commerciale marketing, uniquement des pubs de marques, des pubs corporate. Une photo, une marque.

Enville_dsc_0724

Du coup la pagination rédactionnelle se renforce par la qualité visuelle de la Pub. Le jour où les journaux comprendront leur responsabilité à ne pas voir passer n’importe quelle pub au nom de la raison d’état, l’argent, ils feront un saut en avant considérable. Obligeant les annonceurs à créer des annonces qui renforcent la qualité du support au lieu de l’altérer. Bien sûr ce n’est pas nouveau comme concept, mais là pour un gratuit la démonstration est éclatante. Cette stratégie est vraiment payante, et à long terme.

Les photos sont d’une grande facture. Et on en vient à se demander si ce n’est pas Christian Caujolle qui tire les ficelles de cette qualité (juste un hommage à celui qui a transformé Libé en un lieu d’exposition photo permanente).

Enville_dsc_0732

Choix et cadrages au plus près du sujet. Une originalité et une qualité des images digne des plus grands magazines de mode. Un légendage littéraire. La photo et le texte se renvoient la balle qui rebondit au centre de nos imaginaires collectifs.

Mais j’arrête là ce panégyrique dithyrambique pour vous laisser feuilleter cette très belle réussite graphique. Vos commentaires sont les bienvenus, et j’en profite pour remercier tous ceux qui ont déjà participé activement à alimenter ces notes de leurs avis pertinents.

Typo | remarques complémentaires :

J’ai également été très agréablement surpris de la qualité des réglages typo, qui contrairement au Figaro respectent le «code typo» et nous font cadeau de beaux fers à gauche correctement travaillés.

Enville_dsc_0740

Enville_dsc_0765

Ce contenu a été publié dans EnVille (1ère partie), Typographie de magazine. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.